Adolphe Delahays, éditeur (p. 127-140).
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X.

Covent-Garden.

C’était une assez belle journée de Londres. Une pluie rosoyante et imperceptible, un brouillard humide et fumeux tamisaient sur la grande ville une clarté trouble et blanchâtre. Le ciel, d’un gris de plomb, portait lourdement sur le dôme de Saint-Paul, construction paraissant d’autant plus colossale, que le sommet de sa coupole baignait dans une nuée que l’œil ne pouvait percer. Les monuments anglais ont un aspect étrange. Sous ce ciel bas et pâle, les pierres cuites ne se revêtent pas de la couleur brunie que donne le soleil en Espagne, ni de cette couche terreuse dont la pluie enveloppe les vieilles cathédrales de France. À Londres, les hauts édifices semblent toujours frappés d’une lumière de nuit : les colonnes sont noires d’un côté et d’une teinte crayeuse de l’autre. Ces couches sombres sont produites par le noir de fumée de charbon de terre, et les parties pâles par le lavage de la pluie que le vent chasse. À voir ainsi la nuit Saint-Paul, on dirait un effet de lune, et, le jour, dans la nuée épaisse, on le croirait vêtu de neige.

Robert, accoudé à une maison de Grosvenor-Square, portait ses regards inertes de l’abbaye de Westminster à la cathédrale, lorsqu’il s’entendit appeler derrière lui.

— Sir Robert, vous ne pouvez rester ainsi à la croisée, dit une voix de l’intérieur.

— Comment, il me sera même défendu de prendre l’air !…

— Mais, monsieur, à Londres on ne prend jamais l’air à la fenêtre ; c’est une habitude bizarre des gens du midi tout à fait inconnue ici. En aucune circonstance vous ne verrez une tête aux croisées, pas même un jour de manifestation de chartistes.

— Savez-vous, sir James, que la vie que vous m’imposez me fatigue ?…

— Je le sais, répondit imperturbablement l’anglais.

— Voici bientôt un mois que je suis en Angleterre, et il ne m’est permis de sortir que le soir, encore, toujours enfermé dans une voiture. Je ne saurais, en vérité, sans m’égarer, faire le tour de ce square !…

— Soyez persuadé, sir Robert, qu’on ne sort jamais le jour à Londres. Ce soir, nous irons à Covent-Garden.

— Oui, je le sais, dans une loge profonde et noire. Nous arriverons pendant que les acteurs seront en scène, et nous ne sortirons que lorsqu’il n’y aura plus que les horse-guards. M’expliquera-t-on, enfin, pourquoi je ne dois pas être vu ?

— Non, sir Robert, répondit Cawdor avec son flegme habituel, cela n’est pas nécessaire. Seulement, réfléchissez à une chose : si lord Horatio agit ainsi, c’est afin de tenir sa promesse envers vous.

— Ou bien plutôt, dites que je suis l’instrument de quelque trame traîtresse. Mais je me rappelle aussi que mylord m’a donné sa parole qu’il ne me souillerait d’aucun crime, ni même d’aucune action mauvaise ; car, s’il en était autrement, croyez-moi, sir James, je saurais reconquérir ma volonté et me redresser contre cet homme, tout puissant qu’il puisse être.

— Sir Robert, vous avez là une pensée funeste ; l’heure où vous y réfléchiriez sérieusement ne continuerait pas pour vous. Un cadavre dont on s’inquiète ne revient jamais à la surface des eaux de la Tamise, sir de Rolleboise.

— C’est du mélodrame, ceci, sir James, et pas autre chose.

— Non, sir Robert, c’est seulement du drame pur et simple. À propos, je vais vous dire une nouvelle qui vous concerne, et que d’ailleurs tout Londres connaît déjà.

— Tout Londres s’occupe donc de moi ?…

— J’entends par là toute l’aristocratie.

— Enfin, quelle est cette nouvelle ?

— C’est que vous êtes sur le point de vous marier, sir Robert.

— Moi, me marier !… s’exclama le jeune homme tout ébahi.

— Oui, vous, sir Robert de Rolleboise.

— Dans quel roman, sir James, prenez vous les phrases que vous me jetez ainsi à la face ?

— Je ne lis jamais de roman.

— Enfin, je vous prie, parlez-moi sérieusement.

— Je parle toujours sérieusement.

— Mais vous me dites des folies !…

— Pas le moins du monde.

— Des choses insensées !…

— Écoutez, jeune homme, reprit Cawdor avec une bonhomie parfaite, je vous en prie, n’affectez pas ainsi, à chaque mot que je vous adresse, un étonnement inutile. Je dis : vous allez vous marier. Cela suffit, il me semble, et vous n’avez rien à y objecter.

— Ah ! s’il en est de la sorte, c’est différent.

Robert, les mains derrière le dos, la tête penchée, marchait à pas précipités dans la chambre. Intérieurement, il se révoltait contre ce renoncement complet qui lui était imposé. Enfin, paraissant accepter son rôle, il dit à son interlocuteur toujours quiètement assis :

— Ainsi, je vais me marier.

— Vous allez vous marier.

— C’est fort bien…

— Ah ! à la bonne heure !

— C’est fort bien ; mais avec qui, je vous prie ?

— Je ne vous comprends pas, sir Robert.

— Comment, vous ne me comprenez pas ! Il me semble cependant que je parle français.

— C’est précisément pour cela, mon bon sir Robert ; vous oubliez à chaque instant que vous ne devez plus connaître la langue française.

— Mais, je vous préviens que votre idiome me fatigue tellement la gorge, vos mots me prodiguent de si fortes crampes au gosier, que j’en aurai une esquinancie avant huit jours.

— Votre gosier s’assouplira. Vous me demandiez donc, sir de Rolleboise ?…

— Le nom de la personne avec laquelle vous me mariez ?

— Permettez ; d’abord, ce n’est point moi qui vous marie.

— Ah ! Et qui donc, alors ?

— Mais, vous-même, mon cher monsieur.

— Vraiment !…

— Et de plus, je vous dirai que vous êtes excessivement amoureux.

— Amoureux, moi !

— Mais, hyperboliquement amoureux !…

— Eh bien, soit ; je suis amoureux fou. Mais, encore de qui ?…

— Vous épousez la fille du duc de Firstland.

À ce nom, Robert parut éclairé d’un souvenir.

— Firstland !… Oui, je me rappelle avoir rencontré ce nom quelque part… C’est cela, une lettre écrite en anglais que laissa cette femme chez moi. Au fait, maintenant, je puis la lire.

Tout aussitôt il fouilla dans un tiroir et en sortit un petit calepin. Il renfermait une lettre. Il la parcourut promptement.

« Ma très chère fille… Signé : Duchesse de Firstland. »

Sa physionomie devint sombre et son front se plissa.

— Monsieur Cawdor

— Sir Cawdor, je vous prie.

— Sir James, mon honneur doit sortir intact des circonstances étranges où je me trouve…

— Mon cher ami, vous me parlez constamment de votre honneur comme une fastidieuse nubile en peine de cœur !…

— Ainsi, continua le jeune homme, je n’épouserai pas la personne que vous m’avez nommée.

— Très bien, sir Robert.

— Parce que c’est une fille entretenue !…

— Fort bien, sir Robert ; nous ne vous contrarierons nullement ; et même, afin de rompre ce mariage, nous irons ce soir à Covent-Garden. De plus, je vous promets que nous quitterons la salle avant le public du parterre et des loges vertigineuses… ; et, surtout, avant les horse-guards.

La porte de la chambre s’ouvrit. Un personnage qui nous est inconnu entra.

— J’ai l’honneur de saluer monsieur de Rolleboise, fit-il froidement.

— Je suis votre serviteur, lord Lodore.

Lord Lodore occupait auprès du jeune français les mêmes fonctions que sir James Cawdor, mais, par le caractère, c’était un personnage tout à fait différent. Cet homme avait un aspect étrange : il était grand, grêle et maigre. Tout son vêtement était noir, et son habit toujours boutonné ne laissait percer aucune trace de linge. Ses cheveux, d’un blond pâle, rares et fins, fuyaient en arrière, laissant à découvert toute sa face blême, ossue et nue. Ses yeux creux, d’un vert de mer, demeuraient immobiles dans une fixité pesante. Son nez court et caracoïde, sa bouche pâle et sans lèvres annonçaient un homme de mœurs mystérieuses et même barbares. En un mot, il portait une de ces physionomies qui se bouleversent dans les accès de passion, deviennent effrayantes quand le fouet d’un sentiment brutal les flagelle.

Horatio comptait sur cet homme comme sur lui-même, mais il ne l’avait jamais compris. Il existait entre eux, surtout de la part du chef, une réserve contrainte lorsqu’ils se trouvaient ensemble. Souvent, le regard magnétique du maître tourmenta la surface de cette ame mystérieuse, fouilla les ombres profondes de cet esprit sinueux, tenailla les angles de ce caractère inconnu, mais vainement. De tout ce qu’il avait voulu vaincre, l’intérieur seul de cet homme s’était maintenu obscur. Toutefois, ce qu’il avait tenté sur son subalterne, celui-ci ne l’avait point essayé sur son supérieur, et il était envers Lodore ce qu’il était pour tous, — une énigme. Lodore était le corps inerte qui arrête le rayon, mais sans le faire refluer.

— Sir Robert, je vous annonce votre barbier.

Sur le seuil de la porte se tenait une ombre noire portant une figure d’une immobilité automatique. Ses jambes étaient si grêles et ses pieds si longs, qu’on aurait dit un buste de mannequin en habit noir, supporté par deux faulx. Dans le plus grand silence, le barbier commença son œuvre. Sir James, en face, flegmatiquement étendu sur un sopha, les mains réunies sur le ventre, et ses deux pouces faisant le moulinet, le regardait avec gravité. Lodore, debout, les bras croisés, était appuyé contre un meuble. Le rasoir seul agissait.

Mais le barbier, presque sans mouvement, tout à fait sans bruit, disparut. Il fut aussitôt remplacé par un valet de chambre tout aussi diaphane et silencieux. Ce dernier s’empara de Rolleboise et commença sa toilette.

— Mais, ce ne sont pas des bottes que vous me mettez là !… Jamais je n’aurai le loisir d’en explorer les extrémités. Ce sont deux promontoires ridicules !…

— Détrompez vous, sir Robert, ces bottes vous chaussent admirablement.

— Ah ça ! mais, vous me soumettez maintenant à un problème impossible. Jamais vos bottes anglaises ne parviendront à l’extrémité du tunnel de ce vêtement. C’est une gaine de fusil simple que vous me donnez pour pantalon !…

— D’abord, sir Robert, vous devez vous apercevoir, à la rougeur qui monte au front de votre valet de chambre, que le dernier mot de votre phrase est très déplacé.

— Tant que vous voudrez, sir James, mais votre inexprimable est tout à fait grotesque ; je ne puis le mettre sans poudre !… Je ne sais vraiment pourquoi vous me vêtissez aujourd’hui de la sorte.

— Cher sir Robert, voici cependant un vêtement qui sort des mains de Stultz. Après tout, il faut vous habiller comme tout le monde. Si vous sortez dans Londres avec un inexprimable bien fait, vous attirerez les regards des passants, et il n’est pas convenable de se singulariser.

Toutefois, à force de travail et après maintes précautions, le pudibond valet était parvenu à recouvrir son maître de cette partie shoking du vêtement masculin. Puis on lui passa un habit.

— Mais, j’aurai autre chose que ce mince habit noir ?

— Non pas. L’habit noir suffit à tout ici. C’est, d’ailleurs, le vêtement le plus gracieux et le plus commode.

— Mais, l’hiver, vous gelez, avec votre habit gracieux.

— L’hiver, nous le boutonnons. Les Anglais ne se donnent pas plus de mal que cela.

— Eh bien ! soit ; nous ne sommes qu’en automne. — Mes gants ?…

— Quand vous irez au bal, on vous en donnera, peut-être ; mais, autrement, jamais.

— Je vais avoir les mains rouges, sir James !

— C’est vrai ; mais, aussi, cet hiver, vous les aurez bleues.

— Messieurs, je m’aperçois bien qu’il y a là-dessous un rôle que je ne connais pas, mais qui m’est échu. Cependant, je désirerais savoir s’il ne me sera jamais plus permis de me vêtir convenablement, comme dans mon pays ?

— Dès demain, sir Robert. Seulement, veuillez vous habituer à incliner un peu la tête sur l’épaule gauche, et perdez toute pétulance dans votre marche. — Êtes-vous satisfait, lord Lodore ?…

— C’est à s’y méprendre, répondit l’Anglais en faisant le tour de Robert et en l’examinant sur toutes ses faces ; cependant, s’il était possible, vous donneriez à votre voix un accent plus guttural.

— Oui, reprit sir James ; et si dehors on vous fait un salut, répondez de la tête et de la main, mais n’ôtez pas votre chapeau : ce n’est pas l’usage ici.

— Encore, si dans un couloir, au théâtre, par exemple, vous donniez en marchant un coup de coude à une dame, vous continuerez votre chemin comme si rien n’était. À Londres, on ne perd pas son temps à toutes ces banalités ridicules en usage en France.

— Messieurs, dit le jeune homme en français, et le front plissé, je soupçonne que vous m’allez faire commettre quelque chose d’infâme !…

Les deux Anglais se regardèrent entr’eux comme s’ils ne comprenaient pas. Robert répéta les mêmes paroles dans leur langue. Pour toute réponse, sir James lui dit sans s’émouvoir :

— J’ai vu hier soir, sir Robert, dans le salon de lady Landsdale, une personne de votre connaissance, ou plutôt deux personnes, car madame de Lormont était accompagnée d’un beau jeune homme.

Robert, pâle de colère, frappa du pied, l’œil en feu, et s’adressant à ses deux compagnons-guides :

— Et maintenant, que faut-il faire, messieurs ?…

— Plus guttural, s’il vous plaît, plus guttural, répliqua avec sang-froid lord Lodore.

— Si monsieur de Rolleboise veut passer à la salle à manger, nous dînerons.

Les trois personnages sortirent de la chambre, et la pendule sonna six heures.

Ce soir là, le théâtre de Covent-Garden donnait la représentation d’un opéra allemand, Fidelio, peut-être. Le public était assez nombreux. La loge du duc de Firstland s’ouvrait de face. Miss Olivia occupait le devant avec sa tante de Kockburns, laquelle était vêtue d’une robe gonflée comme un aérostat ; car les Anglaises, généralement peu potelées, s’obstinent à croire que l’on porte encore à Paris des jupes à panier comme jadis. — Horatio Mackinguss était assis sur le second plan, à côté du vieillard.

Mais miss Olivia tournait et retournait ses regards avec inquiétude.

— Ah ! mon Dieu ! ce superbe bouquet que vous m’avez offert, mylord, je l’ai oublié dans la voiture.

— Andrew, madame, va vous le chercher.

— Ah ! un bouquet qu’un valet aurait manié, et peut-être senti !… Mylord, pouvez-vous commettre une semblable naïveté !…

— Mademoiselle, j’y vais moi-même.

La jeune et fière fille lui accorda un sourire en payement de sa complaisance. Horatio porta sur elle un regard aussi éloquent qu’honnête, et partit avec soumission à la conquête du bouquet, sans s’inquiéter du rire un peu railleur que lui adressa la vieille Kockburns.

L’attention de la jeune fille fut un moment captivée par la scène, mais le sentiment de sa haute fortune et de sa beauté la ramena bientôt à des idées plus vaines. Son regard hautain descendit dédaigneusement autour d’elle.

Près des avant-scènes, était une loge basse et profonde paraissant occupée. Toutefois, un homme vint se placer debout contre une colonne, et promena ses regards dans la salle. En apercevant cette figure pâle éclairée de deux yeux qui blanchoyaient dans l’ombre, la jeune fille tressaillit. Elle se rappela sa rencontre nocturne près du cimetière. Cette prunelle phosphorescente éclaira sa mémoire. Aussitôt, dressée contre cette colonne, elle retrouva la ressemblance fatale de la tête de cet homme appuyé au mur de la nécropole ; mais elle détourna les yeux, car les deux rayons fixes partant de cette face de gorgone pétrifiante, pesaient sur elle.

À ce moment, Horatio rentra dans la loge et remit humblement les fleurs à miss Olivia.

— Merci, mylord. Seriez-vous encore assez obligeant pour ajouter à la peine que je vous dois, celle de me dire

GooqIc le nom de ce sinistre spectateur placé seul, debout, sur le devant de cette loge sombre ?

Dans son empressement maladroit, le soupirant d’Olivia tira si vivement son binocle de sa poche, qu’il s’échappa de ses mains gourdes, tomba sur ses genoux, et alla rouler dans les jambes de la vieille tante, qui se mit aussitôt à glottorer de pudeur. Ces maladresses, commises en public, irritaient sourdement la fière jeune fille. Enfin, le pauvre lord, rouge d’intimidation, braqua sa jumelle sur l’individu immobile comme une statue.

— Certainement, je connais ce monsieur. C’est lord Lodore, mademoiselle.

— Le connaissez-vous intimement ?

— Non, mesdames ; mais si cependant cela devait vous plaire, je m’imposerais tellement à lui, qu’avant peu je saurais vous en parler savamment.

— Ah ! mylord, vous vous méprenez !… Je n’ai pas besoin de police.

Fatiguée par le regard fixe de Lodore, la jeune fille baissa les yeux sur ses fleurs que sa main, irritée par les inconvenances du comte, avait déjà maltraitées. En les considérant avec attention, elle découvrit un billet enroulé dans les corolles d’un camélia blanc. Le pauvre Horatio fut atteint de soupçon. En effet, sans s’émouvoir, la jeune fille se retourna et dit de sa voix la plus naturelle, mais un peu froidement :

— Mylord, il vous est loisible de me parler, mais je ne vous autorise pas à m’écrire. Retirez ce billet de mon bouquet, et faites la chose bienséamment, si cela vous est possible.

— Madame, fit Horatio en rougissant, ma foi !… un papier peut se trouver dans vos fleurs, mais je vous donne ma parole que je ne suis pas l’heureux coupable.

Sans dire un mot, le vieux duc le déroula de la fleur, le décacheta, puis le passa à sa fille.

— Puisqu’il vous est adressé, Olivia, lisez-le.

Sans le prendre des mains de son père, la jeune Anglaise y porta les yeux et lut les deux lignes suivantes :

« Si belle qu’on soit, on a toujours une rivale. Sir Amadeus Harriss en fera la preuve cette nuit.

« Un Vampire. »

La jeune fille fronça ses bruns sourcils et reprit sa position sur l’accoudoir de la loge.

— Déchirez ce papier, mon père, dit-elle simplement, puis elle ajouta comme indifférente : — Mylord, n’apercevez-vous personne au fond de la loge où se trouve lord Lodore ?…

— Je crois y reconnaître sir Amadeus, mademoiselle.

— Seul ?…

— Je ne saurais, mais je ne vois que lui. D’ailleurs, si je ne me trompe, il vient de sortir.

C’était pendant un entr’acte. La porte de la loge du duc était entrebâillée.

— En effet, j’entends sa voix.

— Il est dans la galerie ; Sir James Cawdor l’accompagne, observait Horatio, le regard dirigé dans le couloir où plusieurs personnes se promenaient.

James Cawdor, en effet, donnant le bras à Robert de Rolleboise, marchait dans le passage extérieur. Le jeune français paraissait impatienté, et parlait assez haut d’une voix aigrie.

— Je vous répète que cela ne sera pas, sir James.

— Sir, permettez-moi de vous dire que cette détermination n’est basée sur aucune cause plausible ; elle est même folle.

— Non, vous dis-je ; il en arrivera ce qu’il pourra, mais jamais je n’épouserai la fille du duc de Firstland !…

— Mais, enfin, pourquoi, sir ?…

— Pourquoi ?… reprit le jeune homme d’une voix indignée ; parce que miss de Firstland est ce que nous appelons à Paris une lorette, une fille entretenue, voici pourquoi, sir James !…