Le Vallon (Sauvage)/Fuites légères

Le VallonMercure de France (p. 39-72).
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FUITES LÉGÈRES


I




Les moutons, le chien, la bergère
Passent ; la lune, le vent
Et les ramures légères
Accompagnent lentement
Leur fuite jusqu’au tournant.


II




Dans l’herbe trottine un chien,
Une brindille remue,
Un oiseau fuit et plus rien
Ne bouge sur l’avenue.


III




Quelle molle inexistence
Descend en pâle lueur
De ce bouleau qui balance
Sa ramure de fraîcheur.
Cette fraîcheur endormie
De lumière verte et calme
A la rêveuse harmonie
Et le silence de l’âme.


IV


Femme pensive, nue et qui flotte sur l’eau
Entre les pâles lis et les grêles bouleaux,
Les deux bras repliés, les jambes allongées
Et toute ta beauté vaguement émergée ;
Que regardent tes yeux dans le ciel bas et gris ?
Ne te sens-tu pas fuir sur ce fleuve endormi
Et dont le mouvement invisible et tranquille
T’entraîne abandonnant les rives immobiles ?


V


Je ne veux qu’un rêve
À demi-flottant,
Que mon âme brève
Passe en voletant,
Que la brume fine
L’enveloppe aussi ;
Qu’elle s’achemine
Sans autre souci
Que celui d’errer
Avec une brise,
Sur l’arbre léger,
Sur la terre grise.


VI


Je ne peux rien retenir
Ni la lune ni la brise,
Ni la couleur rose et grise
D’un étang plein de dormir ;
Ni l’amitié ni ma vie,
Ombre fuyante et pâlie
Dont je perds le souvenir.


VII


Comme un geste ancien j’ai vu sur le mur
S’allonger la treille
Et parmi l’azur
Flotter les abeilles.


M’habituai-je, cependant,
À voir la lune pâle et ronde
Sortir de la courbe du monde,
S’élever dans l’air en glissant
Et s’effacer à l’aurore,
Plus lente et plus pâle encore ?


VIII


Un rapide corbillard
Trotte sous les branches douces,
L’air rose entoure le char
Et le vent le pousse.


IX


Mes pieds touchent-ils le pré ?
Une hirondelle s’envole.
Ah ! comme le jour doré
Pèse peu sur mes épaules ;
Comme il pâlit et se fond
Dans la brume de la lune
Et m’entraîne et me confond
Avec la ramure brune.


X


Que voulez-vous, assis sur celle roche dure,
Parmi les amandiers,
Spectre léger velu d’une robe si pure
Et le corps replié ?
Êtes-vous là toujours ? J’arrive et votre geste
Ne m’appellera pas.
Êtes-vous le Passé ? Que ne dites-vous : Reste,
En me tendant les bras.
Pourquoi cette attitude immobile et sévère,
Et pourquoi ces yeux clos
Qui semblent regarder à travers la paupière
Et regarder plus haut ?
Vous n’êtes que fumée et le rayon qui passe
Va vous boire en rêvant.
Où suis-je ? que ma vie est dormante et s’efface,
Ô spectre indifférent.


XI


Dans l’ombre de ce vallon
Pointent les formes légères
Du Rêve. Entre les bourgeons
Et du milieu des fougères
Émergent des fronts songeurs
Dans leurs molles chevelures,
Et des mamelles plus pures
Que le calice des fleurs.


Ô Rêve, de cette écorce
Dégage ton souple torse,
Tes deux seins roses et blancs,
Et laisse dans le branchage
Retomber le long feuillage
De tes cheveux indolents.

Ne sors jamais qu’à demi
De cette écorce native
Et reste à jamais captive
De ce silence endormi,
Ô Beauté triste et pensive




Danse.



Que le geste de la main
Cache ton regard farouche ;
Ne laisse errer sur ta bouche
Que le murmure incertain ;
Voile dans ta chevelure
Ta nudité qui s’épure
Sur le fond clair du matin
Et prompte dans la ramée
Fuis blanche et dissimulée.

Fuis, que la mousse un instant
S’écrase sous ton pied blanc
Et redresse, toi passée,
Sa verdure veloutée ;
Et que par toi le rameau
Frôlé, s’agite, murmure,
Et s’apaise comme une eau
En silence douce et pure.


Tourne autour des arbres grêles
Sur les gazons de velours
Et courbe d’un geste frêle
Tes bras effilés autour
De ta nuque jeune et belle.
Sous les rameaux effacés
De lueurs encor douteuses
Et pour les pas enlacés
D’une danse langoureuse,
Entre-croise finement
Tes jambes minces et blanches

Et que le long de ta hanche
S’écoulent abondamment
Tes tresses quand tu te penches
Dans les sveltes bouleaux blancs.

Danse ainsi jusqu’à la lune,
Le corps lent mais onduleux,
Caressé par les cheveux,
Boucles fines, tresses brunes.
Allonge vers les rameaux
Tes bras si longs et si beaux
Et plus blancs que les bouleaux ;
Puis, jette-les comme une anse
À la ramure qui pend
Et les laissant lentement
Retomber avec cadence,
Muette et le cœur battant,
Demeure immobile et pense.

Puis, repars légèrement,
L’œil riant à tes mamelles

Bondissantes et rebelles
Dont le bout mauve et pointant
Paraît une fleur cruelle.
Repars en ployant tes gestes
Dans la fraîcheur du sous-bois,
Plus prompte, légère et leste
D’avoir entendu des voix.

Dame nue, ô ma Beauté,
Dans le silence enchanté
De ces feuilles,
Dans tes ébats indolents,
Quels rythmes divins et lents
Je recueille.
Ô nue et belle ! Ô sveltesse
De ta forme s’élevant,
Lointaine et noble caresse
De les sobres mouvements.

Passe, rêve et passe encor,
Figure des anciens vases,

Passe en inclinant ton corps
Dans l’extase ;
Essaye en vain d’arrêter
Dans l’implorante attitude
L’Amour fuyant et muet
À travers la solitude.


Te détournant à demi
Marche à travers le silence
Et marche comme tu danses
Dans les rayons assoupis.
Que ta cambrure indécise
S’incline vers l’horizon
Où moulent roses et grises
Des brumes en floraison.


Incline ton corps languide
Sur l’étang noir et sans ride
Et regarde s’effacer

Ta blancheur dans l’eau dormante
Où les cheveux délacés
S’éloignent comme des plantes.


Plus lente et découragée.
De tes jambes dégagées
Foule la mousse un instant.
L’ombre bleuit et plus brune
La même ramure pend,
Et pâle, voici la lune.


Laisse un instant ce souci ;
Te détournant à demi
Dans un rire énigmatique,
Danse comme la musique
Dont l’essor est endormi.
La lune touche les cimes
Et te couvre de clarté ;
Ne danse que pour le rythme
Et pour la beauté.

Et t’effarant d’être nue
Sous la clarté de la lune,
Recule dans l’avenue
Où la nuit est bleue et brune.
Éloigne-toi, ô silence
De tes pas légers ;
Éloigne-toi, ô cadence
De ton corps muet
Qui par l’ombreuse ramure
Va se laisser envahir,
Mouvement, rêve, désir
D’une forme svelte et pure.



Musique.


Une lente voix murmure
Dans la verte feuillaison ;
Est-ce un rêve ou la nature
Qui réveille sa chanson ?

Cette voix dolente et pure
Glisse le long des rameaux :
Si fondue est la mesure
Qu’elle se perd dans les mots,
Si douces sont les paroles
Qu’elles meurent dans le son
Et font sous les feuilles molles
Un mystère de chanson


Ô lente voix réveillée
Qui caresse la feuillée
Comme la brise et le vent ;
Voix profondes de la vie
Et de l’âme réunies
Qui murmurez en rêvant.


Une forme s’effaçant
Dont les gestes nus et blancs
Flottent dans l’ombre légère
Sous un rideau de fougères

Semble exhaler à demi
De ses lèvres enlr’ouvertes
Un chant de silence aussi
Berceur que les branches vertes.


À peine si le murmure
De la muette chanson
Poursuit sa note et s’épure
Dans la douce feuillaison ;
Et la main passe en silence
Sur la tige d’un surgeon
Dont le rythme fin balance
Les branches de ce vallon.
Ô musique qui t’envoles
Sur les papillons glissants
Et dans la plainte du saule
Et du ruisseau caressant.


Passe, chant grêle des choses,
Coule, aile fluide qui n’ose

Peser sur l’azur pâli,
Sur les rameaux endormis ;
Efface-toi, chant de l’âme
Où se mêlent des soupirs
Dans la fuite molle et calme
Des voix qu’on ne peut saisir.




Poésie.



Dans la pelouse endormie
Sous l’azur pâle et rêveur,
Les brises en accalmie
Bercent les bouleaux pleureurs.
En ce silence de rêve
Une voix d’oiseau
Seule et divine s’élève
Des bouleaux.

Au jour bas de l’avenue
Lointaine sous les rameaux
Deux formes sont apparues,
Deux corps enlacés et beaux.
La femme blanche, légère
Dans sa souple nudité,
Détourne sur les fougères
Un long regard velouté.


Sa tombante chevelure
Entoure son sein poli
Et, svelte, sa jambe pure,
Dans la marche sort des plis
De la longue chevelure.
Elle marche avec cadence
Comme la ramure danse ;
Son bras d’un fin mouvement
Sur l’épaule musculeuse
De l’homme allonge, indolent,
Une caresse harmonieuse.

Quel léger ruissellement
De lueur coule des branches
Et vient dorer mollement
La cambrure de la hanche ;
Et l’oiseau chante à demi.
Retenant la mélodie
Dans le murmure assoupi
Des brises en accalmie.

Elle dit d’une âme fière :
Avec ma pâleur lunaire
Dans les bois
Je danse et chante à la fois.
Que la branche me réponde
D’une plainte balancée ;
Que la lumière soit blonde
Comme ma claire pensée ;
Que la tombante feuillée
Imite mes longs cheveux ;
Que la brise réveillée
Ait la langueur de mes jeux ;

Et si, lointaine, je pense
Dans mon vallon familier,
Que l’ombre, que le silence
Viennent s’allonger au pied
De mon corps blanc replié.


L’oiseau jette un cri de gloire
Et l’homme ayant joint les doigts
A l’air de dire une histoire
D’autrefois.
Ô plus haute que la vie,
Froide et pâle Poésie,
Lève-toi
Et pleure et danse à la fois.


Allonge vers les bouleaux
Tes bras si longs et si beaux,
Insaisissable pensée,

Et sur ta chair offensée
Ramène le triste flot
De tes tresses délacées.


Ô tristes et longs sanglots
De l’oiseau.
L’homme est mort d’avoir osé
Un baiser.
Il gît blême sur la mousse
À jamais dormante et douce
Pour ses membres reposés.


Cache à demi dans l’écorce
Du plus fort de ces bouleaux,
Rêve, ton flexible torse,
Tes deux seins jeunes et beaux
Et que l’ombre molle effleure
L’arbre pâle où l’oiseau pleure.

De la tête qui s’incline
Que la chevelure fine
Retombe avec les rameaux
Comme un long flot de pensées
Divines et balancées
Au mouvement des bouleaux.


XII

FUITE


I


Dans la brise, dans le vent,
Avec les feuilles, l’oiseau,
Avec la lune embuant
La pelouse de son eau,
Avec le murmure
Du départ
Et la chevelure
Du brouillard,
Envolons-nous, longs fantômes
Au vaporeux vêtement,
Pâles images de l’homme
Dans le vent.

Des bras, des têtes, des hanches
Émergent de la fumée
Avec des chutes de branches
Et des éclairs de ramée.


Envolons-nous doucement
Suivis de nos robes lentes
Qui se déroulent au vent
Et flottantes
Sont peut-être la buée
De la plaine ou le brouillard
Qui caresse la ramée
Au départ.


Montons et tourbillonnons
En une danse affolée ;
Laissons au loin les maisons
Assises dans la vallée.
Nos mains grêles enlacées,

Entourons les pâles monts
D’une ronde échevelée
Et d’un rire bas, rions
De nos fuites de fumées.


II


Monde triste
Qui persistes
Dans l’impondérable azur,
Tes fumées,
Tes ramées,
Tes vallonnements obscurs,
Tes cris, tes gestes, tes danses
Sont comme un chant de silence
Dans le vent
Pour l’âme à jamais sereine
Qui flotte et passe lointaine
En rêvant.

Menons une légère ronde
Autour du monde
Où s’égosille un oiseau
Dans un bouleau,
Où la chauve-souris est chère
Aux lueurs du réverbère,
Où les ruisseaux doucement
Sous la mousse se perdant
Résument dans un murmure
Les frissons de la nature.

Adieu, nos anciens foyers
Et les petits escaliers
De la vie réelle.
Cheminons légèrement
Autour du monde où l’arbre grêle
Dans les bleus vallonnements
Berce son aile.

L’âme des amoureux nous suit
Et celle des jeunes gens,

Celle de quelques vieux aussi
Et des poètes indigents,
Et celle de l’idiot rieur
Qui se couronne de fleurs
Et regarde longtemps dans l’eau
Bouger les bouleaux.

Donnons-nous la main, indolents,
Et sourions en rêvant
Dans notre ronde sereine.
La lune pâle mollement
Éclaire la terre, la plaine
Et les bleus vallonnements
Où dans le plus doux bouleau
Chante un oiseau.