Traduction par Paul Gruyer et Louis Postif.
G. Crès (p. 20-30).

CHAPITRE II

UNE HISTOIRE DE DYNAMITE


Je suis Darrell Standing. On va m’emmener d’ici pour me pendre bientôt. Entre temps, je dirai ce que j’ai sur le cœur et j’écris ces pages pour testament.

Après ma condamnation, je suis donc venu passer le reste de ma vie naturelle dans la geôle de San Quentin. J’y suis devenu ce qu’on appelle un « incorrigible ».

Un incorrigible est, dans le vocabulaire des prisons, un être humain redoutable entre tous. Pourquoi ai-je été classé dans cette catégorie, c’est ce que je vais vous expliquer.

J’abhorre, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, le gaspillage du mouvement, la perte vaine du travail. La prison où je suis, comme toutes les prisons d’ailleurs, est sur ce point un vrai scandale.

J’avais été mis à l’atelier de tissage du jute. Le gaspillage du mouvement y sévissait terriblement. Ce crime contre un travail bien ordonné m’exaspérait. C’était tout naturel. Le constater et le combattre rentraient dans, ma spécialité. Avant l’invention de la vapeur et, celle des métiers qu’elle meut, il y a trois mille ans, j’avais déjà pourri dans une geôle de l’antique Babylone. Et je ne vous mens point, croyez-le, quand je vous affirme qu’en ces jours lointains nous, prisonniers, nous obtenions, avec nos métiers à main, un rendement supérieur à celui que procurent les métiers à vapeur installés dans la prison de San Quentin.

Furieux d’assister à ce gaspillage de travail, je me révoltai. Je tentai d’exposer aux surveillants une vingtaine, et plus, de procédés qui assureraient un meilleur rendement. Je fus signalé comme une mauvaise tête au gouverneur de la prison. On me mit au cachot. J’eus à y souffrir du manque de nourriture et de lumière.

Rentré à l’atelier, je tentai, de bonne foi, de me remettre au travail dans ce chaos d’impuissance et d’inertie. Impossible. Je me révoltai à nouveau. On me renvoya au cachot et, cette fois, on me passa, en plus, la camisole de force. Je fus alternativement étendu sur le sol, les bras en croix, et pendu par les pouces sur le bout de mes orteils. Puis aussi, secrètement battu à tour de bras par mes gardiens. Brutes stupides, qui possédaient juste assez d’intelligence pour comprendre ma supériorité morale et le mépris que j’avais d’eux.

Deux ans durant, je subis cette torture. Chacun sait que rien n’est terrible pour un homme comme d’être rongé vivant par les rats. Eh bien ! mes brutes de gardiens étaient pour moi de vrais rats, qui rongeaient bribes à bribes mon être pensant, qui déchiquetaient tout ce qu’il y avait d’intelligence vivante en mon cerveau ! De moi qui, jadis, avais, comme soldat, vaillamment combattu, j’avais, maintenant perdu, dans cet enfer, tout courage pour la lutte.

Combattre comme soldat… Je l’avais fait, oui, aux Philippines, parce qu’il était dans la tradition des Standing de se battre. Mais sans conviction. Je trouvais vraiment trop ridicule de m’appliquer à introduire, par l’intermédiaire d’un fusil, de petites substances explosives dans le corps d’autres hommes. Ridicule et odieux aussi, était-il de voir la science prostituer sa puissance et son génie à une œuvre de cet acabit.

Moi, j’étais naturellement un bon fermier et agriculteur, un homme appliqué, courbé sur son pupitre, esclave de ses études de laboratoire, et qui n’avait d’autre intérêt que de découvrir les moyens d’améliorer le sol et de lui faire produire d’avantage.

C’était donc, comme je viens de le dire, uniquement, pour respecter la tradition des Standing que j’étais parti pour la guerre. Je découvris bientôt que je n’avais aucune aptitude à ce métier. Mes officiers s’en rendirent compte comme moi. Ils me transformèrent en secrétaire d’état-major, et c’est comme scribe, assis devant une table, que je fis la guerre hispano-américaine.

Aussi n’est-ce point parce que j’avais le caractère combatif, mais, bien au contraire, parce que j’étais un penseur, que je me dressai contre le mauvais rendement de l’atelier de tissage de la prison. Voilà pourquoi les gardiens me prirent en grippe, pourquoi, mon cerveau continuant à bouillonner, je fus déclaré « incorrigible » et pourquoi, finalement, le gouverneur Atherton, désespérant de moi, me fit amener un jour dans son bureau particulier.

Aux questions qu’il me posa, aux arguments qu’il me développa pour me démontrer que j’étais dans mon tort, je répliquais à peu près, ainsi :

— Comment pouvez-vous supposer, mon cher gouverneur, que vos surveillants et vos geôliers, ces rats étrangleurs, parviendront, par leurs sévices, à faire sortir de ma cervelle, les choses claires et limpides, qui s’y trouvent ancrées. C’est toute l’organisation de cette prison qui est inepte. Vous êtes, je n’en doute pas, un fin politique, vous savez, j’imagine, à la perfection comment se triturent des élections, dans les bars de San-Francisco. Et votre savoir-faire en cette matière, vous a valu pour récompense la grasse sinécure que vous occupez ici. Mais vous ne connaissez pas un traître mot du tissage du jute. Vos ateliers retardent d’un demi-siècle.

Je vous fais grâce du reliquat de mon discours, car c’en était un, bien en règle. Bref, je démontrai péremptoirement au gouverneur, par a plus b, qu’il était un fieffé imbécile. Le résultat de mon éloquence fut qu’il décida que j’étais un « incorrigible » sans espoir.

Quand on veut tuer son chien… Vous connaissez le proverbe. Très bien. Le gouverneur Atherton prononça le verdict final : j’étais enragé. À le faire, il avait beau jeu. Mainte faute commise par d’autres convicts me fut imputée par les gardiens, et c’est pour payer à la place des coupables que je retournai au cachot, au pain et à l’eau, suspendu par les pouces sur le bout de mes orteils. Ce supplice, le plus affreux de tous, se prolongeait durant de longues heures, et chacune de ces heures me semblait plus longue qu’aucune des vies que j’ai vécues.

Les hommes les plus intelligents sont souvent cruels. Les imbéciles le sont monstrueusement. Or, les geôliers et les hommes qui me tenaient en leur pouvoir, du gouverneur au dernier d’entre eux, étaient des phénomènes d’idiotie.

Écoutez-moi et vous saurez ce qu’ils m’ont fait.

Il y avait, dans la prison, un convict qui était un ancien poète. C’était un dégénéré, au menton fuyant et au front trop large. Il avait fabriqué de la fausse monnaie, ce qui lui avait valu d’être incarcéré. Il était impossible de trouver homme plus menteur et plus lâche ; Il jouait dans la prison, le rôle de mouchard, de mouton. C’est une espèce de gens qu’un ancien professeur d’agriculture n’a guère eu, jusque-là, le loisir de connaître. Sa plume hésite à transcrire ces qualifications. Mais quand on écrit dans une geôle, dont on ne sortira que pour mourir, on doit faire fi de ces pudeurs.

Ce poète faussaire s’appelait Cecil Winwood. Il était récidiviste et cependant, parce qu’il était un lécheur de bottes, un hypocrite pleurnichard et un chien jaune, sa dernière condamnation avait été seulement de sept ans de réclusion. Par une bonne conduite, il pouvait espérer que ce temps serait encore réduit.

Moi, j’étais condamné à la prison perpétuelle. Afin d’avancer sa libération, ce coquin réussit pourtant à aggraver mon cas.

Voici comment les choses se passèrent. Ce n’est que plus tard que je m’en rendis compte.

Cecil Winwood, afin de s’attirer la faveur du capitaine du quartier et, par-dessus lui, celle du gouverneur de la prison, celle de la Commission des grâces et celle du gouverneur de Californie, tranchant en dernier ressort, inventa de toutes pièces un complot d’évasion.

Veuillez remarquer que : primo, Cecil Winwood était à ce point méprisé par ses camarades de détention que pas un d’entre eux n’eût consenti à miser avec lui une once de Bull Durham[1] sur une course de punaises, (la course des punaises, je vous le dis en passant, est un genre de sport qui fait la passion des convicts) ; secundo, j’étais considéré dans la prison comme un vrai chien enragé ; tertio, Cecil Winwood avait besoin, pour sa diabolique machination, de chiens enragés, c’est-à-dire de moi et de quelques autres condamnés à perpétuité, tout aussi incorrigibles et perdus de désespoir que je l’étais moi-même.

Ces chiens enragés haïssaient cordialement Cecil Winwood, s’en défiaient encore plus et, quand il commença à les entreprendre avec son plan d’une révolte et d’une évasion en masse, ils se gaussèrent de lui et lui tournèrent le dos, en lui envoyant une bordée d’injures et en le traitant d’agent provocateur.

Il revint à la charge et fit si bien qu’en fin de compte il réunit autour de lui une quarantaine des plus dégourdis.

Et, comme il les assurait des facilités qu’il possédait dans la prison, en sa qualité d’homme de confiance du gouverneur[2] et de gérant du Dispensaire, Long Bill Hodge lui riposta :

— Fais-en la preuve !

Long Bill Hodge était un montagnard qui purgeait une condamnation à vie, pour avoir fait dérailler et pillé un train, et dont tout l’être, depuis des années, tendait à s’évader, afin de s’en retourner tuer le complice qui avait témoigné contre lui.

Cécil Winwood accepta l’épreuve. Il assura qu’il pourrait endormir les gardiens pendant la nuit de l’évasion.

— Facile de parler ! dit Long Bill Hodge. Ce qu’il nous faut, ce sont des faits. Chloroforme, cette nuit même, un de nos geôliers. Barnum, par exemple ! C’est un coquin qui ne vaut pas la corde pour le pendre. Hier, au Quartier des Fous, il a esquinté, en tapant dessus, ce pauvre dément de Chink. Et, circonstance aggravante, il n’était pas de service ! Il est de garde cette nuit. Endors-le et fais-lui perdre sa place. Quand tu auras réussi, nous causerons affaires.

Tout ceci, c’est Long Bill qui me l’a raconté ensuite, quand on nous serra la boucle de compagnie. Car j’avais refusé de prendre part au complot.

Cecil Winwood hésitait devant l’imminence de la preuve qui lui était demandée. Il lui fallait, assurait-il, le temps nécessaire pour pouvoir, sans qu’on s’en aperçût, voler la drogue au Dispensaire. On lui accorda une semaine et, huit jours après, il annonça qu’il était prêt.

Il fit comme il avait dit. Le geôlier Barnum s’endormit au cours de sa veillée. Une ronde le trouva qui ronflait à poings fermés. Il fut cassé et renvoyé.

Ce succès acheva de convaincre les conjurés. En même temps, Cecil Winwood se chargeait de persuader le capitaine du quartier. Chaque jour, il lui faisait son rapport sur la marche et les progrès du complot dont il était lui-même l’inventeur. Le capitaine, lui aussi, exigeait des preuves. Il les lui fournit, et les détails qu’il donnait, détails dont je ne sus rien sur le moment, tant le secret fut bien gardé, ne laissaient rien à désirer.

C’est ainsi que Winwood annonça, un beau matin, au capitaine, que les quarante conjurés, qui lui confiaient tout, s’étaient déjà ménagé de telles accointances dans la prison qu’ils allaient incessamment se pourvoir, par l’intermédiaire d’un gardien, leur complice, de revolvers automatiques.

— Prouve-le ! avait demandé sans doute le capitaine,

Et le poète faussaire avait prouvé.

On travaillait régulièrement, chaque nuit, à la boulangerie de la prison. Un des convicts, qui faisait partie de l’équipe des boulangers, était un mouchard à la solde du capitaine. Winwood ne l’ignorait pas.

— Ce soir, dit-il au capitaine, le geôlier que nous appelons, « Face-d’Été » introduira dans la prison un premier lot d’une douzaine de ces revolvers. Les autres, et les munitions, arriveront ensuite, par le même truchement. Il doit me remettre le paquet enveloppé, dans la boulangerie. Vous avez là un bon mouchard. Prévenez-le. Il verra et vous fera demain matin son rapport.

Face-d’Été était un ancien paysan, solide et bien charpenté, à la grosse figure épanouie, natif du comté de Humboldt. C’était un simple d’esprit, un balourd, bon garçon, qui ne se faisait aucun scrupule de gagner un honnête dollar en passant aux convicts du tabac de contrebande.

De retour, cette nuit-là, de San Françisco, où il s’était rendu, il en avait rapporté un paquet de quinze livres de tabac, pour cigarettes superfines. Ce n’était pas la première fois qu’il s’acquittait d’une semblable commission, et toujours il avait, sans encombre, passé la marchandise, dans la boulangerie, à Cecil Winwood.

Cette, fois, alerté, le boulanger mouchard le vit remettre à Winwood l’innocent paquet, qui était volumineux et enveloppé de papier d’emballage. Rapport fut fait, dès l’aube, au capitaine.

L’imagination trop active du poète-faussaire n’allait pas tarder cependant à lui jouer un mauvais tour et par ricochet, à me valoir cinq années de cachot supplémentaire, puis finalement à m’amener dans cette cellule, ou j’écris en ce moment.

Je continuais, cela va de soi, à ne rien connaître de cette trame obscure à laquelle, je le répète, je demeurais totalement étranger, et les quarante conspirateurs n’en savaient guère plus que moi. Le capitaine était dupe et Face-d’Été était, sans conteste, le plus innocent de tous. Il n’avait péché contre sa conscience qu’en introduisant le tabac prohibé. Cecil Winwood menait tout.

Le lendemain donc, quand celui-ci se rencontra à son tour avec le capitaine, il avait un air triomphant.

— Eh bien ! votre mouchard a-t-il vu ? interrogea-t-il.

— Le paquet, répondit le capitaine, est bien entré comme vous m’avez dit.

— Je vous crois ! Et ce qu’il contient est suffsant pour faire sauter jusqu’au ciel la moitié de la prison !

Le capitaine eut un sursaut.

— Que contient-il et que veux-tu dire ?

— J’ai ouvert le dit paquet, après l’avoir reçu, et… L’imbécile, ici, s’emballa et, pour mieux corser ses mérites continua :

— Et j’y ai trouvé non pas, comme je m’y attendais, une douzaine de revolvers, mais de la dynamite. Il y en a trente-cinq livres ! Les détonateurs y sont joints.

À ce moment précis, le capitaine du Quartier faillit se trouver mal. Le pauvre cher homme, comme je le comprends ! Trente-cinq livres de dynamite en liberté dans la prison ! On m’a assuré que le capitaine Jamie — c’était son nom — se laissa choir sur une chaise et tint longtemps sa tête entre les mains.

— Où est-elle maintenant ? cria-t-il enfin. Je la veux ! Conduis-moi tout de suite là où elle se trouve !

À cette demande, qui était un ordre, Cecil Winwood comprit soudain l’énormité de sa gaffe.

— Je l’ai enfouie dans le sol… répondit ce fieffé menteur, qui était fort embarrassé de conduire son interlocuteur vers le ballot fantôme, dont tous les petits paquets avaient été, depuis longtemps, par les voies coutumières, distribués entre les convicts.

— Parfait ! reprit le capitaine, qui reprenait son sang-froid. Mène-moi sur le champ à cet endroit ! En avant, marche !

Le fait, en lui-même, n’avait rien d’invraisemblable. Dans une vaste prison comme celle de San Quentin, il y a toujours des cachettes. Mais celle-ci n’existait que dans l’imagination trop féconde de Cecil Winwood et le misérable, en cheminant à côté du capitaine Jamie, devait se livrer à d’amères réflexions.

Lorsque l’affaire vint plus tard à l’instruction, devant le Conseil des Directeurs, il fut révélé — Jamie et Winwood en témoignèrent successivement — que le poète-faussaire avait déclaré au capitaine que lui et moi avions tous deux enfoui, de compagnie, la poudre explosive.

En sorte que moi, qui venait seulement d’être délivré d’une punition de cinq jours de cachot et de quatre-vingts heures de camisole de force ; moi dont les gardiens, si stupides qu’ils fussent avait constaté l’état de faiblesse, faiblesse telle qu’ils avaient déclaré eux-mêmes que j’étais incapable de reprendre le travail à l’atelier de tissage ; moi, qui venais de recevoir vingt-quatre heures de repos pour que je pusse me remettre d’un châtiment par trop terrible — je me retrouvais aussitôt, sans aucune explication et sans même en avoir connaissance, sous le coup d’une accusation d’une pareille gravité !

Winwood conduisit le capitaine jusqu’à la prétendue cachette. Et, bien entendu, il n’y avait point de dynamite.

— Bon Dieu de bon Dieu ! s’exclama l’imposteur. Standing m’a roulé ! Il a emporté le paquet pour le cacher ailleurs.

C’est ainsi que le coquin, afin de se dépêtrer du mauvais pas où il s’était mis, me prit pour bouc émissaire.

Le capitaine Jamie dégoisa bien d’autres jurons, plus forcenés que « Bon Dieu ! » Dans son désappointement, et jugeant qu’il avait été joué, il ramena Winwood dans son bureau, ferma la porte à clef et tomba sur lui à bras raccourcis. Ce détail, comme les autres, fut connu lorsque, pour éclaircir toute cette affaire, se tint ensuite le Conseil des Directeurs.

Tout en recevant les coups qui pleuvaient sur lui, drus comme grêle, Winwood continuait à protester mordicus qu’il avait dit la vérité.

Si bien que le capitaine Jamie s’en persuada et qu’il crut qu’il existait bien trente-cinq livres de dynamite qui se baladaient en liberté, quelque part dans la prison, et que quarante incorrigibles, résolus à tout, étaient sur le point de faire sauter la cambuse.

Face-d’Été, cela va de soi, fut mis sur la sellette. Le pauvre diable jura ses grands dieux que le fameux ballot ne contenait que du tabac. Winwood jura de son côté que le tabac était de la dynamite, et c’est lui qui fut cru. Et, comme le vendeur de qui Face-d’Été prétendait avoir acquis le tabac en contrebande ne put être retrouvé, tous les doutes tombèrent et Face-d’Été fut définitivement inculpé de complicité.

Là-dessus, je fis mon entrée dans l’aventure. Ou, plus exactement, je disparus à nouveau de la lumière du soleil. Je fus, en effet, sans tambour ni trompette, reconduit au Quartier des Cachots, d’où je ne devais plus jamais sortir.

J’étais stupéfait. On venait de me tirer du même quartier, j’étais aplati sur le sol de ma cellule, tout démantibulé par la souffrance. Et ça recommençait !

— Maintenant, dit Winwood au capitaine Jamie, la dynamite, quoique nous ignorions où elle se trouve, est en lieu sûr. Standing est le seul à connaître la nouvelle cachette et, de là où il est, il ne peut rien faire. Quant aux quarante hommes dont je vous ai parlé, ils sont sur le point de mettre à exécution leur projet d’évasion. Rien de plus facile que de les cueillir sur le fait. C’est moi qui dois fixer l’heure d’agir. Je leur dirai que c’est pour la nuit prochaine, à deux heures, et que j’ouvrirai moi-même leurs cellules et leur distribuerai des revolvers. Si, à deux heures de nuit, vous ne récoltez pas mes quarante bonshommes, que j’appellerai successivement par leur nom, habillés et bien éveillés, dans le corridor de la prison, alors, capitaine, je consens à terminer mes jours, enclos à jamais dans une cellule solitaire… Nous aurons tout loisir, lorsque les quarante seront au cachot, de chercher la dynamite.

— Et je la trouverai ! déclara le capitaine. Quand bien même je devrais, pierre par pierre, démolir toute la prison !

Le capitaine, ni personne, n’a naturellement, depuis six ans, découvert une once d’explosif, quoique la prison ait été cent fois mise sens dessus dessous.

Le gouverneur Atherton, jusqu’au dernier jour de sa fonction, n’en croira pas moins, dur comme roc, à l’existence de cette fameuse dynamite. Le capitaine Jamie, qui est toujours capitaine du quartier, ne désespère pas de mettre, quelque matin, la main dessus. Tout récemment encore, il a fait le trajet de San Quentin à Folsom pour venir, tout exprès, m’interroger à ce sujet dans ma cellule.

Tous ces abrutis ne respireront un peu à leur aise, je n’en doute point, que le jour où j’aurai été balancé en l’air, au bout d’une corde.


  1. Le Bull Durham est une marque américaine de tabac, qui se vend en petits paquets.
  2. Dans le langage des Maisons Centrales on appelle ces hommes des prévôts, et ils servent d’auxiliaires aux gardiens. Leur bonne conduite leur a valu cette faveur. Ce sont, pour la plupart, des condamnés à long terme.