Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome dix-neuvièmep. 1-2).



PRÉFACE.


Ce livre n’a pas été écrit sans quelques appréhensions, quant aux probabilités de succès. Reproduire un seul et même personnage dans cinq ouvrages différents, cela peut paraître abuser volontairement de la bienveillance du public, et bien des gens pourraient supposer avec beaucoup de raison que c’est une faute de nature en elle-même à attirer le blâme. À cette objection fort naturelle l’auteur peut seulement répondre que, s’il a commis une faute grave en cela, ses lecteurs en sont jusqu’à un certain point responsables. La manière favorable dont on a accueilli la relation de la carrière plus avancée et de la mort de Bas-de-Cuir a fait penser du moins à l’auteur qu’il se trouvait dans une sorte d’obligation de donner quelques détails sur la jeunesse de son héros. Bref, les tableaux de sa vie, tels qu’ils sont, étaient déjà assez complets pour inspirer quelque léger désir de voir l’étude d’après laquelle ils ont tous été peints.

Les aventures de Bas-de-Cuir forment maintenant une espèce de drame en cinq actes, complets quant au fond et au plan, bien que probablement très-imparfaits quant à l’exécution. Tels qu’ils sont, le monde lisant les a devant lui. L’auteur espère que si cet acte-ci, produit le dernier, quoique suivant l’ordre des temps il eût dû se lire le premier, n’est pas jugé le meilleur de la série, on en viendra en même temps à conclure qu’il n’en est pas absolument le plus mauvais. Plus d’une fois il a été tenté de brûler son manuscrit et de traiter un autre sujet, en dépit d’un encouragement reçu durant le cours de ses travaux ; encouragement d’un genre si singulier, qu’il vaut la peine d’être mentionné. Il lui arriva d’Angleterre une lettre anonyme, écrite, à ce qu’il croit, par une dame, qui le pressait de s’occuper d’un ouvrage qui était presque le même que celui dont il avait déjà fait plus de la moitié. Il se laissa assez volontiers aller à voir dans cette requête un gage, sinon d’approbation unanime, au moins de pardon partiel pour ce nouvel essai.

Il y a peu de chose à dire au sujet des personnages de cette histoire et des lieux où la scène se passe : ceux-là sont une fiction, comme on peut bien le croire ; ceux-ci, au contraire, sont dessinés d’après nature avec autant de fidélité que l’auteur a pu le faire à l’aide d’une connaissance parfaite de la contrée qu’il décrit et des conjonctures probables qu’il a puisées dans son imagination touchant les changements opérés par le temps. Il croit avoir dépeint avec assez d’exactitude le lac, les montagnes, les forêts et la vallée ; et il a calqué sur la nature la rivière, le rocher et le banc de sable. Les pointes mêmes existent, un peu changées par la civilisation ; mais elles se rapprochent à un tel point des descriptions, qu’elles sont aisément reconnaissables pour tous ceux qui ont visité le pays en question.

Quant à la vérité des incidents de cette histoire, dans l’ensemble ou dans les différentes parties, l’auteur a l’intention de s’appuyer sur son droit, et de ne dire que ce qu’il juge à propos. Dans la grande lutte de véracité, où l’histoire et la fiction sont engagées, cette dernière a si souvent l’avantage, qu’il consent de tout son cœur à s’en rapporter aux recherches personnelles du lecteur pour décider cette question. S’il arrivait ensuite que quelque historien de profession, quelque document public, et même quelque tradition locale, semblassent contredire les assertions contenues dans ce livre, l’auteur est tout prêt à admettre que cette circonstance a complètement échappé à son attention, et à confesser son ignorance. D’un autre côté, si l’on découvrait que les annales de l’Amérique ne contiennent pas une syllabe en opposition avec ce qui est placé ici sous les yeux du public, comme, selon sa ferme conviction, les recherches le prouveront, il réclamera pour sa légende tout autant d’autorité qu’elle en mérite.

Il existe une classe respectable de lecteurs de romans, — respectable par le nombre aussi bien assurément que pour toute autre chose, — qu’on a souvent comparés à l’homme qui chante quand il lit et qui lit quand il chante. Ces gens-là ont une merveilleuse imagination toutes les fois qu’il s’agit de faits, et un esprit aussi littéral que l’est la traduction d’un écolier pour tout ce qui a rapport à la poésie. Pour la gouverne de toutes personnes semblables, l’auteur déclare explicitement que Judith Hutter est Judith Hutter, et non Judith telle ou telle ; et en général que, quelles que puissent être les ressemblances en fait de noms de baptême ou de couleur de cheveux, on ne peut en tirer d’autres inductions que celles qu’on peut légitimement tirer d’une coïncidence de noms de baptême ou de couleur de cheveux. Une longue expérience a appris à l’auteur que cette portion de ses lecteurs est de beaucoup la plus difficile à contenter ; et il les invite respectueusement, dans leur intérêt et dans le sien, à essayer de lire ses ouvrages d’imagination comme s’ils étaient destinés à reproduire des faits réels. Ce moyen pourrait peut-être les mettre en état de croire à la possibilité de la fiction.