Le Trombinoscope1 (p. 7-10).

THIERS, louis-adolphe, homme d’État français, né à Marseille le 16 avril 1797, entra sans se baisser au Constitutionnel en 1821 et devint propriétaire d’une action de ce journal, la meilleure de sa vie. — Publia en 1823 une histoire de la Révolution française, et en 1845 une histoire du Consulat et de l’Empire, ouvrages qui atteignirent, en même temps qu’un grand nombre d’éditions, les dernières limites du bourgeoisisme chauvin. — M. Thiers fonda le National en 1830, contribua à renverser Charles X, ce qui était très-bien, et à le remplacer par Louis-Philippe, ce qui était très-mal. Ce premier tour de gobelet lui valut une place de Conseiller d’État et de Secrétaire général au ministère des finances ; tout s’explique. Foudre de guerre en 1830, M. Thiers voulait absolument que l’on courût délivrer la Pologne et l’Italie ; mais un an après on le vit conseiller la paix à tout prix et la résignation aux traités de 1815 ; l’hiver rigoureux de 1830 avait gelé ses opinions démocratiques à peine en fleur.

En 1830, il défendit l’hérédité de la pairie ; ce qui équivalait à soutenir que le fils d’un maître de ballet, fût-il pied-bot, est de droit professeur de danse. À la suite de l’attentat Fieschi, M. Thiers qui avait fulminé contre les ordonnances de juillet, muselant la presse, appuya les lois de septembre qui tuaient une trentaine de journaux avancés. Interpellé sur le peu de fixité de ses principes, il répondit par cet axiome resté célèbre : La liberté de la presse est une échèlle qui sert à escalader le pouvoir, mais que l’on doit avoir le soin de repousser du pied quand on est en haut du mur. En 1840 M. Thiers fit fortifier Paris dont il devait plus tard faire le siége. Il a été une quinzaine de fois ministre, donnant sa démission, boudant Louis-Philippe le dimanche, lui souriant le lundi ; reprenant le portefeuille, le rejetant, le rattrapant tour à tour et jouant, vis-à-vis du pouvoir, le rôle de grande coquette, Chargé dans la nuit du 23 au 24 février 1848 de composer un ministère libéral de la dernière heure, il arriva trop tard et fut battu par la République de trois longueurs de barricade. Il se rallia au nouveau gouvernement (parbleu !…) et vota entre autres mesures démocratiques, l’expédition de Rome, la suppression des clubs et la présidence de Louis-Napoléon, dont il avait naguère combattu énergiquement la candidature. Exilé par erreur sans doute, lors du coup d’État, il reçut six mois après l’audorisation de rentrer en France. On raconte à ce propos que Napoléon répondit à ceux de ses amis qui désapprouvaient cet acte et clémence : « Bah !… ces gens-là ne font de mal qu’aux gouvernements qu’ils servent ; je ne l’emploierai pas, voilà tout. » En 1863 il siégea de nouveau au corps législatif, et prit rang sur les bancs de l’opposition, ce qui ne l’empêche pas d’appuyer plus tard le cabinet Ollivier au cœur léger, d’heureuse mémoire. Après le 4 septembre, M. Thiers fut chargé par le gouvernement de la défense nationale d’aller finasser au nom de la République auprès de toutes les cours étrangères et d’obtenir leur appui contre la Prusse ; il revint de ce voyage avec un chargement complet d’humiliations pour la France républicaine, ce qui lui valut d’être élu vingt fois à l’assemblée nationale par la France monarchique. Après la conclusion de l’armistice, nommé immédiatement chef du pouvoir exécutif, il fit voter la paix glorieuse que l’on sait, et eut le talent de convaincre le pays que sans son intervention la Prusse eût exigé trente-huit milliards et la cession de la Lorraine jusqu’à la Méditerranée. — Une fois au pouvoir, le premier soin de M. Thiers fut de chercher le moyen d’agacer Paris, dont il redoutait les tendances républicaines, pour avoir une occasion de le désarmer ; il prit d’abord comme ministres les membres de la défense nationale les plus réprouvés par l’opinion publique : Jules Favre, Jules Simon et Picard ; il laissa retirer de Paris le siége de l’Assemblée en récompense du patriotisme que la capitale avait montré pendant le siége, et provoqua enfin le mouvement de violence sur lequel il comptait en tentant de reprendre nuitamment des canons que la garde nationale avait retranchés sur la butte Montmartre pour les soustraire aux Prussiens. M. Thiers avait cherché une petite émeute, il trouva une formidable insurrection et fut obligé de fuir à Versailles avec son gouvernement. Là, il organisa le siége de Paris. — Vainqueur de l’insurrection, il fit désarmer la capitale jusqu’au dernier cure-dent, ce qui lui permit de risquer en toute sécurité et en pleine tribune sa fantaisiste théorie de la « République avec présidence héréditaire, » qui sera, nous l’espérons, son dernier chef-d œuvre.

M. Thiers est de petite taille et de plus petit génie encore. Il parle pendant six heures sans avoir besoin d’être remonté, a pour tic de traiter poliment de moutards les députés qui n’ont que soixante-cinq ans et n’a pas son pareil pour répondre quand on lui demande s’il maintiendra la République : « Je vous donne ma parole d’honneur que le veau à l’oseille ne me réussit généralement pas. » M. Thiers est dans sa soixante-quinzième année. — On le dit généralement d’une finesse à faire passer un chameau par le trou d’une aiguille et Jules Ferry pour un aigle ; cette opinion n’a fait que grandir au fur et à mesure qu’on a vu s’effondrer par sa faute les gouvernements qu’il était chargé de soutenir. Aussi les républicains commencent-ils à respirer depuis qu’ils ont acquis la certitude qu’il n’était pas dans l’intention de défendre la République. — M. Thiers n’a qu’une seule des qualités ordinaires de la vieillesse : c’est de ne plus monter à vélocipède ; mais par contre, il en a tous les défauts, entre autres la prétention et l’entêtement. Il appartient à la catégorie trop nombreuse de ces hommes de talent qui, après avoir conduit un mouvement au temps de leur vigueur, prétendent que rien ne doit plus marcher le jour où ils n’ont plus de jambes.

Juillet 1871

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

M. Thiers, après s’être fait violenter par l’Assemblée rurale, accepte la présidence de la République le.......... 187.. — L’opposition le taquine, il démolit de nouveau la liberté de la presse le.......... 187.. — Celle de réunion le.......... 187.. — Double la garnison de Paris le.......... 187.. — Essaye de rétablir l’ordre à la Cavaignac le.......... 187.. — Ne le rétablit pas et est renversé le.......... 187.. — Un nouveau plébiscite légumier ayant replacé le comte de Paris sur le trône, le.......... 187.., il regrimpe au ministère le.......... 187.. — Est fait Duc de Montmartre le.......... 187.. — Dégringole une dernière fois du pouvoir en même temps que son maître le.......... 187.. — Et meurt trente ans après le.......... 19.. du chagrin de voir que la République, définitivement implantée en France, a ruiné pour jamais l’industrie des petits diplomates monarchiques et ratatinés.