Le Trombinoscope1 (p. 11-14).

GAMBETTA, léon, avocat et homme politique français, né à Cahors le 30 octobre 1838, d’une famille génoise, suivant Vapereau ; les bonapartistes disent : géneuse — se lança dans les rangs de l’opposition et se fit une spécialité de défendre devant la justice les accusés politiques. — Il apporta tant de chaleur et de passion dans ses plaidoyers, que ses clients empochèrent régulièrement deux ou trois ans d’emprisonnement de plus que s’ils eussent été défendus par Lachaud ou tout autre ; mais la popularité du jeune avocat n’en grandissait que plus vite, ce qui était pour eux une compensation. — On sait, en effet, de quelle façon les avocats politiques défendent leurs clients : « Messieurs les juges — disent-ils — cet homme que vous avez devant vous a traité de grand melon le sergent de ville qui lui avait flanqué un coup de casse-tête dans le dos ; il ne faut pas donner à cette injure une importance autre que son importance réelle. Dans un délit, on doit avant tout considérer l’intention ; mon client a voulu dire : grand mufle !… c’est l’expression qui lui a manqué. Je ne vous parlerai pas, messieurs les juges, du repentir de l’accusé, il n’en a pas !… et je profiterai de cette occasion qui m’est offerte pour protester au nom de la liberté, ce bien le plus sacré, contre un pouvoir indigne et despotique qui nous opprime depuis vingt ans, et qui, un jour ou l’autre, doit disparaître par l’excès même de son infamie !… Oui, messieurs les juges !… le moment approche où les peuples, brisant…, etc…, etc… » — On voit le reste d’ici ; les juges, furieux, font la bonne mesure à l’accusé, et l’avocat met, en rentrant chez lui, cinq mille voix en portefeuille pour les élections prochaines. — En décembre 1868, plusieurs journaux qui avaient ouvert des souscriptions pour élever un monument au représentant Baudin, furent poursuivis ; Me Gambetta les défendit avec une vigueur dont tout le monde fut transporté ; les accusés, même, furent à deux doigts de l’être. — En mars 1869, il plaida d’une manière non moins brillante pour le journal toulousain l’Émancipation ; et aux élections il fut élu victorieusement à Paris et à Marseille ; il opta pour cette dernière ville. — Pour préparer son élection, M. Gambetta avait dû prononcer de nombreux discours dans les réunions publiques ; il y gagna une laryngite qui l’atteignit à peine élu, et il dut prendre quelques mois de repos qu’il employa, dit-on, moins à retrouver son organe qu’à chercher sa voie, car, dans les rangs des purs, il était déjà entaché d…’indécision. — Il revint prendre sa place au Corps législatif où, pas plus que ses collègues Jules Favre, Jules Simon et autres, il n’eut assez de vigueur pour provoquer le renversement de l’Empire après les honteuses défaites de Vélocipède père. Comme eux, cependant, il fut désigné pour faire partie du gouvernement de la défense nationale et prit part à ses travaux. On assure, à son honneur, qu’il donnait un peu moins que ses collègues dans le plan Trochu, et qu’il voulait imprimer à la défense une allure révolutionnaire ; mais que chaque fois qu’il prenait la parole dans ce sens, le général Trochu faisait avec terreur le signe de la croix, et dressait son buvard entre lui et Gambetta, comme si ce dernier voulait lui jeter un sort. — Quand l’investissement de Paris fut complet, soit qu’il eût plein le dos de voir M. Trochu persister à défendre Paris, en brûlant des cierges, soit que ses collègues ne fussent pas fâchés de l’éloigner, M. Gambetta enjamba les lignes prussiennes en ballon et alla organiser la résistance de la province à Tours. — Là, le fougueux tribun, qui paraissait vouloir enfin, après ses premières hésitations, entrer tête baissée dans les traditions de 92, s’en donna à cœur joie, délivré du voisinage engourdissant de ses collègues de Paris. — La lumière n’est pas encore faite sur les agissements de M. Gambetta à Tours et à Bordeaux, où il alla ensuite. — Le succès n’ayant pas couronné son œuvre, beaucoup de gens l’ont attaqué ; mais d’après ce que l’on sait jusqu’ici, il est permis de croire, en tenant compte des difficultés de la situation, que le jeune républicain a soulevé plus de montagnes, en trois mois, que le général Trochu de Sainte-Geneviève, n’eût préparé de sorties en cinquante années. — Il organisa des armées, congédia les anciens fonctionnaires de l’Empire, fit arrêter les princes d’Orléans qui étaient accourus se mêler de ce qui ne les regardait pas, etc., etc. — Quand M. Jules Favre eut signé le soi-disant armistice qui désarmait la France entière, M. Gambetta refusa de souscrire à cette honte, et donna sa démission. — M. Gambetta, de tous les hommes qui ont traversé nos dernières crises, est le seul qui soit resté entier. — On dit assez généralement que, chez M. Gambetta, le patriote est fortement doublé de l’homme adroit et soigneux de sa popularité ; sa retraite et son silence, depuis la conclusion de la paix, donneraient quelque créance à cette opinion. — Quoi qu’il en soit et comme, en résumé, il n’y a pas de saints sur la terre, il demeure avéré que M. Gambetta, débordé, noyé par le mauvais vouloir et les principes routiniers des provinces, eût fait merveille à Paris, secondé par l’élan républicain que les Trochu et consorts redoutaient comme le feu. L’histoire fera la part de chacun : soulever les poireaux au nom de la République, était presque aussi impossible que de magnétiser l’obélisque ; et avoir tenté — même en vain — d’enflammer les provinces, sera toujours plus glorieux que d’avoir réussi à éteindre Paris.

M. Gambetta est de moyenne taille ; ses traits sont énergiques ; à côté des visages pâteux et lippus de ses collègues : Favre, Picard et Simon, le sien faisait l’effet d’un masque d’acier entre trois mottes de saindoux fondant. — M. Gambetta est borgne ; rien qu’en vertu du proverbe, il eût été roi de la défense nationale. — Son tempérament est fiévreux et agité ; il travaille beaucoup et dort peu. — Depuis quelque temps surtout, il se couche le plus tard possible, pour éviter de rêver de Jules Simon. — Depuis qu’il a quitté le pouvoir, il se repose l’esprit en construisant des bibelots d’étagère. Il a imaginé un petit baromètre assez original qu’il a baptisé baromètre-Trochu. C’est une petite forteresse en carton ; dans l’intérieur, on aperçoit le général en grande tenue, prêt à sortir ; quand le temps est froid, humide ou venteux, il ne sort pas du fort ; mais aussitôt que le temps change, il y reste. — Le bonheur de Gambetta est de confectionner de ces petits baromètres pour ses amis.

Juillet 1871

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

M. Gambetta se retire des affaires publiques pendant quelque temps. — Il est nommé président de la République le.......... 18.. — Fait ses quatre ans, descend du pouvoir en honnête homme, le.......... 18.. — et meurt le.......... 194., soixante ans jour pour jour après la reprise par la France de l’Alsace et de la Lorraine.