Le Trombinoscope/Louis Veuillot

VEUILLOT (Louis), écrivain et dame de la halle célèbre, est né en 1813, à Boynes, en Gâtinais (Loiret), son père était un pauvre ouvrier tonnelier très-près de ses pièces — c’est un calembourg, ce n’est pas un reproche, — qui vint à Paris s’établir débitant de vins sur le port de Bercy. — L’aîné d’une famille nombreuse et peu aisée, il ne put recevoir qu’une instruction élémentaire. À treize ans, il fut placé chez un avoué en qualité de saute-ruisseau. Il cachait des romans sous son pupitre et les lisait en faisant semblant de chercher son porte-plume. Le soir il courait les petits théâtres ; bref son patron le remercia, s’étant aperçu un jour qu’il avait, par distraction, émaillé une demande en séparation de corps que le maître clerc lui avait donnée à copier, d’une foule de citations de la Pucelle de Belleville. — Louis Veuillot résolut alors de se lancer dans la littérature. Il travailla à compléter son instruction, et à dix-neuf ans, il pouvait débuter dans le journalisme. Il n’est peut-être pas sans intérêt de faire connaître ici comment Louis Veuillot s’y prit pour acquérir les qualités qu’il jugeait indispensables à un bon journaliste. Outre quelques lectures choisies dans lesquelles il puisa l’instruction qui lui manquait, voici le moyen qu’il employa pour se perfectionner dans l’art de la polémique : Pendant huit années, tous les matins à cinq heures, Louis Veuillot se rendait au carré au poisson. Là, il faisait un petit tour, avisait la marchande la plus renfrognée et l’abordait ainsi : — Combien ces deux merlans ? — Dix-huit sous tout au juste, mon mignon. — Dix-huit sous !… Allons donc !… j’en donne cinq sous et je veux ce maquereau par dessus le marché. — Faut-il encore te les envelopper dans des coupures de cinq francs, espèce d’empaillé ?… gros sac à m… !… — D’abord, reprenait Veuillot, ils sont à moitié pourris vos merlans. — Pourri toi-même !… boîte à vermine !… Hé, va donc… rédacteur du Figaro !… — Alors, Louis Veuillot, qui tripotait insolemment les merlans depuis cinq minutes, en laissait tomber un dans la boue comme par maladresse, le ramassait vivement et le rejetait sur l’étalage après l’avoir essuyé en le frottant sur le fond de son pantalon. La colère de la marchande ne connaissait plus de bornes et elle lançait le grand jeu !… — Dis donc !… gros mufle !… quand t’auras fini de déshonorer ma marchandise !… J’te vas dire !… des merlans à c’te gueule-là !… On f’ra bientôt manger d’la vanille aux cochons !… Veux-tu te sauver grand chameau !… Avec quoi qu’tu t’as débarbouillé ton écumoire c’matin qu’il reste encore de la graisse dans les trous ?… As pas peur… va… j’te mangerai pas l’nez !… J’aime pas l’gruyère… espèce de grand moule à gaufres !… — Louis Veuillot s’éloignait alors ravi et prenait des notes sur son calepin. Au bout d’une centaine de leçons, son catéchisme était déjà assez bien monté et il pouvait entrer dans la carrière. — Il passa successivement à l’Écho de la Seine-Inférieure, au Mémorial de la Dordogne, à la Charte, journal gouvernemental, et à la Paix, sans révéler d’autre mérite que celui qu’il peut y avoir à traiter ses adversaires d’idiots et de goîtreux. — Jusqu’en 1838, il s’adonna au journalisme léger ; il ne dédaignait pas la chanson un peu libre, la nouvelle à la main risquée et le mot graveleux ; il était, en un mot, tout disposé, si l’occasion s’en présentait, à mettre le concile œcuménique en vaudeville et à traiter la question de l’infaillibilité du pape dans le Tintamarre quand M. Olivier Fulgence l’emmena en Italie. Le hasard, ce grand mauvais sujet de hasard, voulut que Louis Veuillot arrivât à Rome pendant la semaine sainte ; que vous dirais-je ?… l’occasion… l’herbe tendre… les pompes religieuses… l’odeur de la morue !… tout cela monta au cerveau de Veuillot. Il se fit présenter au pape, qui le trouva d’ailleurs très-laid, se prosterna aux pieds du Saint-Père, baisa sa mule, et, quand il se releva, les effluves de cette chaussure sainte l’avaient purifié. En quittant le Vatican, il jura, en frappant sur sa cuisse, de consacrer sa vie à la défense du Dieu d’amour et de bonté, et, au nom de la religion de mansuétude et de pardon, de traiter tous les gens qui ne diraient pas comme lui de sales pignoufs. Il tint son serment, il revint à Paris, retourna aux halles marchander des merlans pour compléter son vocabulaire, et quand son calepin fut plein, il entra à l’Univers religieux. — Quand éclata la révolution de 1848, Louis Veuillot la salua d’abord avec le même entrain qu’il mit plus tard à lever la patte dessus. — En plusieurs circonstances il s’empoigna avec les évêques à propos de doctrines sur lesquelles ils n’étaient pas d’accord avec lui. Il eut, dans ces discussions, de telles réminiscences de sa marchande de merlans, que l’archevêque de Paris le censura et que Mgr Dupanloup, qui n’est pourtant pas bégueule, défendit la lecture de l’Univers à son clergé. Louis Veuillot en appela au pape et partit à Rome plaider sa cause lui-même ; il fut absous par Sa Sainteté, ce qui le rendit tout fier. — Depuis cette époque, Louis Veuillot a été le plus vaillant champion du pouvoir temporel, de l’infaillibilité du pape, du Syllabus, du principe de l’ignorance gratuite et obligatoire, et enfin d’un tas d’autres choses saintes, du même tonneau, auxquelles nous devons la glorieuse journée de Mentana et le plaisir de voir, de temps en temps, les frères des écoles chrétiennes passer en police correctionnelle pour avoir ajouté une leçon de leur invention au catéchisme qu’ils sont chargés d’apprendre aux petits garçons de neuf à onze ans. — Lors du concile œcuménique, on remarqua a Home la présence de Louis Veuillot qui, simple laïque, n’avait pas plus de raisons pour être là qu’un rédacteur du Figaro n’en a pour entrer dans une maison respectable. Qu’y faisait-il ?… On l’a su plus tard : il prenait des notes pour traiter, selon la formule, dans son journal, les prélats qui apportaient un peu trop de tiédeur à déclarer que le descendant de Saint-Pierre était infaillible au point d’être sûr de ne jamais avoir envie d’éternuer la bouche pleine. — Louis Veuillot a écrit de nombreux volumes dont nous ne donnerons pas la liste ; cela tiendrait de la place ; mais ce n’est là que la seconde raison. — Celui qui a eu le plus de retentissement : les Odeurs de Paris, a été suivi d’un autre : Les Couleuvres qui aurait dû être édité par Lévy père ; ça ne l’aurait pas fait vendre davantage ; mais c’eût été plus drôle sur la couverture. — En 1869, Me Louis Veuillot a été éprouvé par un gros chagrin : sa marchande de merlans est morte d’un coup de sang au moment où elle allait lui fournir un nouveau mot très réussi. Louis Veuillot en a porté le deuil pendant deux ans. Cependant, il faut bien croire qu’il en a retrouvé une autre, puisque tout récemment, il vient d’être rappelé à l’ordre par Pie IX pour quelques nouveaux écarts de polémique. À ce propos, il a menacé de se retirer du journalisme si le blâme du Saint-Père était maintenu. Il aurait dit à ce propos : si l’on ne peut plus traiter les gens qui pensent autrement que soi de « sales marsouins », il n’y a plus de discussion possible. — C’est à Louis Veuillot que l’on doit l’organisation de la souscription pontificale destinée à empêcher le pape de mourir de faim et à nous faciliter les moyens de mourir de rire avec la lecture des listes qui se publiaient dans l’Univers. On y voyait des offrandes dans ce goût :

Une marquise du noble faubourg, qui s’est privée pendant quinze jours sur la nourriture de ses domestiques. 
500 fr.
Un enfant de trois semaines qui déteste les libres-penseurs. 
2 fr.

Au physique, on peut, si l’on veut, comparer M. Louis Veuillot à Mlle Blanche Pierson ; seulement la comparaison ne lui est pas avantageuse. — Le nez est énorme ; il est rare que les employés de l’octroi ne demandent pas à le fouiller quand son propriétaire passe à une barrière.

M. Louis Veuillot, avant d’être remarqué dans le journalisme, a été fortement marqué par la petite-vérole ; il en porte des traces nombreuses, mais profondes ; il doit à cette particularité, de ne pas pouvoir jouer à Colin-Maillart, parce qu’il se fait prendre de suite ; quand celui qui a le bandeau lui passe la main sur la figure, il s’écrie : Aïe !… je me suis foulé le pouce en tombant dans un trou !… C’est Veuillot !… — M. Veuillot n’aime pas qu’on le portraicture ; il prétend que la figure humaine doit être respectée comme l’image sacrée du créateur ; mettons : sacrée image et n’en parlons plus. Quand le journal la Lune voulut publier sa charge, il ne refusa pas son autorisation ; mais il fit condamner le dessinateur. — En somme, on ne peut contester à Louis Veuillot un énorme talent de polémiste. Renouvelant l’immortelle histoire des épinards, nous dirons que ce qui fait surtout sa force, c’est de ne pas penser un mot de ce qu’il dit ; car s’il le pensait, c’est qu’il serait trop bête, et alors il ne pourrait plus le dire.

Avril 1872.

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

Louis Veuillot s’empoigne de nouveau le… 18… avec M. Dupanloup à l’occasion du port de la barbe des prêtres. — Dans un article fulminant publié le… 18… il traite monseigneur du haut en bas ; le pape, trouvant qu’il a été un peu loin, le blâme le… 18… Louis Veuillot profondément atteint par cette disgrâce quitte le journalisme le… 18… après avoir cédé la clientèle de l’Univers au Tintamarre et s’établit au coin de la rue Chauchat le… 18… pendant les bals masqués de l’Opéra, comme professeur d’engueulements en tous genres à l’usage de MM les Chicards désireux de briller pendant le carnaval, cours complet en 25 leçons ; on traite à forfait.