Le Trésor de la caverne d’Arcueil
La Revue de ParisTome Seizième (p. 222-225).
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II.


Un soir, je ne sais au juste quelle heure achevait de sonner à la paroisse Saint-Gervais, je traversais la Grève, et comme j’arrivais à l’une des extrémités de cette place, tout à coup une voix tonnante, partie d’un cabaret voisin, m’appela.

— Eh ! l’ami !… comte, deux mots ! entrez donc !

Après avoir hésité quelques instants, je me rendis à cette brusque invitation.

— Qui, diantre, m’appelle ici ?… Ah ! c’est vous, mon révérend ! m’écriai-je.

J’avais aperçu à table, vis à vis de quelques bouteilles, un moine avec lequel je me trouvais lié depuis peu, et qui, pour ne point contrarier l’usage, était fleuri au possible et passablement rebondi.

— Soyez le bienvenu, mon cher ami, me dit le cénobite, prenez un siège, et faites-nous l’honneur de trinquer avec nous. Goûtez, je vous prie, à ce coquin de petit vin d’Aquitaine. Allons donc, ne faites pas de façons. Buvons et disons gloire au Seigneur ! — À propos du Seigneur, avez-vous peur du diable ?

— Non, mon révérend.

— Vous n’avez pas peur du diable ! Vive Dieu ! vous êtes un homme ! emplissons nos verres, et portons un salut à sa santé !

— Ceci passe les bornes, mon révérend ; je ne redoute pas le diable assurément, mais je ne dis pas pour cela que je l’affectionne. Trinquez à sa prospérité, si bon vous semble ; quant à moi, je m’en abstiendrai.

— Vous avez donc peur du diable ?

— Mon révérend, je vous ai donné l’assurance du contraire.

— Ah ! tant mieux ! car je veux faire votre fortune, répliqua le moine en baissant la voix et en affectant un air de bienveillance.

— Faire ma fortune !… Merci, mon père, vous êtes bien honnête, mais par le temps présent ce n’est pas chose facile qu’une fortune à faire, à moins d’aller annoncer le saint Évangile dans les Indes.

— Écoutez-moi, mon cher comte ; je vous parle sérieusement. Nous devons enlever à Arcueil un trésor caché dans une caverne. Tout est préparé pour faire réussir l’entreprise dès ce soir même, n’en doutez pas. Venez, si vous l’osez, et vous partagerez avec nous les sommes énormes du trésor.

— Vraiment, mon père ! Mais ceci est une chose vieille et connue, dis-je alors en souriant, car je voulais m’amuser aux dépens du moine et de sa confidence ; il y a longtemps que j’ai entendu parler du trésor enfoui dans la caverne d’Arcueil. C’est s’y prendre un peu tard, l’oiseau est déniché.

— L’oiseau est déniché ! Non, certes ; vous êtes mal informé, mon jeune ami ; et avec l’assistance du diable, croyez-le bien, nous trouverons dans le nid toute la couvée.

— Avec l’assistance du diable ! Je ne vois pas trop, à vous parler franchement, mon père, comment et pourquoi Satan se mettrait en possession de ce trésor, et encore moins comment, après s’en être rendu le maître, il serait assez bête pour le livrer au commandement d’un prestolet ou d’un jongleur.

— Venez avec nous seulement, cher comte, me répondit de nouveau et sans s’émouvoir le prieur, car notre moine, qui, au mépris de la robe et de l’épée, avait épousé le froc pour s’épurer sur la terre dans les afflictions, possédait en Normandie un riche prieuré. Venez seulement avec nous ; soyez ferme et résolu, et demain vous ne révoquerez plus en doute la réalité des puissances occultes.

— Mais quel est le prêtre, le sorcier ou l’exorciste ? demandai-je alors au saint adepte, plutôt pour me jouer de sa crédulité que par un véritable intérêt.

— C’est moi, le prêtre exorciste, moi, cher comte, votre très humble serviteur et père en Dieu. Quant au magicien, il vous surprendra beaucoup. Lorsque vous le connaîtrez, vous en resterez ébahi… Tenez, justement le voici. Ma foi, il arrive on ne peut plus à propos, comme un personnage de comédie.

Une jeune fille, accompagnée de plusieurs hommes à mine plus ou moins hétéroclite, entrait en effet en ce moment.

— Très bien, très bien, messieurs, leur dit-il ; je vous fais compliment, vous êtes gens de parole.— Puis il ajouta en me désignant :

— J’ai l’avantage, messieurs, de vous présenter un nouveau compagnon, M. le comte de Brederode, seigneur hollandais, qui daigne m’honorer de son amitié. Messieurs, je vous réponds de lui comme de moi ; c’est un bon et brave gentilhomme, aussi loyal que son épée. Vous, mademoiselle, approchez et saluez M. le comte, poursuivit notre prieur, prenant la jeune fille par la main. Et vous, monseigneur, murmura-t-il à mon oreille, rendez hommage au terrible nécromancien.

— Terrible ! répétai-je, ouvrant de grands yeux et toisant la belle inconnue. Non, sur l’honneur, une personne aussi séduisante, aussi accomplie, bien loin de m’inspirer de l’effroi, me mettrait volontiers de doux sentiments dans le cœur, et certes je m’estimerais fort heureux d’entrer en commerce avec une si ravissante Circé.

— Suzanne, cher comte, fait pourtant trembler le diable, ainsi que vous le verrez bientôt.

— S’il tremble, le vieux mécréant, ce n’est, je gage, que d’attendrissement, repartis-je.

Puis, m’adressant à Suzanne :

— Or ça, confiez-moi, ma belle enfant, lui dis-je, qui vous a si bien instruite en diablerie et en magie ?

— Cette science, monsieur, est héréditaire dans notre famille ; mon père était le plus habile sorcier des Landes. Bien qu’il ne fit qu’un simple berger, cent fois il fit descendre la lune et danser le soleil.

— Sandis ! m’écriai-je, ceci, ma colombe, se sent un peu de la Garonne. Sans être trop curieux cependant, je donnerais bien dix bons louis d’or de bon aloi pour savoir au juste, belle enchanteresse, quelle descente faisait la lune, et pour avoir l’air noté du menuet que dansait l’astre du jour.

Mais, sans me donner le temps de poursuivre ma plaisanterie, le prieur, m’ayant engagé à prendre la main de la jeune évocatrice, m’invita, ainsi que toute la compagnie, à passer dans l’arrière-salle du cabaret, où un fin et copieux souper nous était servi.

Le bon moine n’était pas sans crédit auprès de l’hôtesse, et d’ailleurs ce n’était, disait-il, qu’un à-compte pris par avancement d’hoirie sur le gros trésor qui nous attendait dans la grotte d’Arcueil.