Librairie Hachette (p. 87-90).
LES TROIS PEUPLIERS.



Il résultait de certains des propos tenus par Procope et par son neveu Gaston : 1o  que M. Toupie habitait dans la région du Puy ; 2o  que c’était dans cette région, très probablement, que se trouvait caché le trésor.

Avant de se mettre au lit, Charles, Arthur et Paul Dambert s’entretinrent de ce qu’il fallait faire. On convint que, dès le lendemain matin, on se mettrait en campagne. Charles souhaitait retourner du côté de Roques et pousser, par Cayres, vers le lac du Bouchet. Sa proposition fut acceptée d’enthousiasme.

Paul Dambert déclara que lui et sa sœur ne participaient désormais aux recherches que de façon tout à fait désintéressée et qu’ils n’avaient d’autre désir que d’aider Charles.

Après quoi, on se sépara en se souhaitant bonne chance pour le lendemain.

À sept heures du matin, les trois explorateurs étaient debout et prêts à partir. Le moteur de l’automobile jaune fut mis en marche et la voiture fila bientôt dans la campagne, sur la belle route qui va du Puy à Langogne. Ils ne faisaient pas du « cent vingt », parce qu’à cette heure matinale la route était encombrée de paysans, de troupeaux qu’on conduisait aux champs, et de charrettes qui portaient au marché du Puy des légumes, du beurre, des fromages et des œufs.

« Tenez, disait Arthur, qui voyait toujours le côté comique des choses, si nous accrochions un de ces véhicules, quelle omelette nous ferions sur cette belle route blanche ! »

Mais rien de fâcheux n’arriva pendant le trajet. À une douzaine de kilomètres, alors qu’on était en pleine montée, Charles décida de s’arrêter près d’une meule de blé et il tira d’une de ses poches une carte et le programme du concours. Au loin, on apercevait le Puy et les silhouettes de ses deux pics.

« Voyons, dit-il en s’appuyant confortablement sur les coussins de la voiture, nous sommes en face d’une vieille église, la cathédrale du Puy ; il y a une statue de la Vierge élevée sur un rocher ; la vue s’étend sur des arbres… À trois kilomètres d’une rivière… Ma foi ! nous avons le choix entre la Loire, la Borme et le Dolézon… Un château en ruines ?… Nous avons encore le choix entre celui de Polignac que vous voyez là-bas, dans le lointain, et celui d’Espaly qui est plus près… Mais le lac ?… Voyez-vous le lac ?

— Non ! répondirent Paul et Arthur en même temps, mais il y a celui du Bouchet.

— Une route peu fréquentée… Mon Dieu, cela dépend du moment… Ah ! voyons-nous une maison à toit pointu dont la porte forme une arcade ?

— Ma foi ! dit Arthur, j’ai constaté qu’au Puy, il y avait de vieilles maisons répondant à ce signalement. Or d’ici nous apercevons le Puy…

— Tout ça, église, statue, vieille maison, route peu fréquentée, rivière, lac, château en ruines, se rencontre bien en détail. Le difficile, c’est de les trouver groupés selon les conditions du concours ! »

Ils se remirent en marche, arrivèrent à un carrefour, en vue de Roques, mais décidèrent de ne point s’y rendre pour l’instant et d’aller d’abord au lac du Bouchet. Le pays, éminemment pittoresque, les enchantait. La vue du lac du Bouchet surtout, qui occupe le cratère d’un ancien volcan et dont les eaux immobiles sont entourées d’un cadre verdoyant de forêts et de pâturages, leur arracha des cris d’admiration.

Mais là, ils constatèrent que le Puy avait entièrement disparu derrière le plateau. Arthur prit une figure tellement consternée que Charles se mit à rire.

Les jeunes gens parcoururent les alentours du lac, mais leurs recherches n’aboutissant à rien, ils décidèrent de revenir au Puy, car l’heure du déjeuner approchait.

Les explorateurs étaient navrés, mais lorsqu’ils eurent fait part du résultat négatif de leur course, la gaieté de Colette et d’Élisabeth remonta leur courage.

« Que faisons-nous cet après-midi ? »

Ce fut Arthur qui lança cette phrase au cours du déjeuner à l’hôtel, déjeuner auquel Élisabeth avait été invitée.

Paul, tout de suite, proposa à Élisabeth une grande promenade en automobile. Colette était de la partie. Mlle Marlvin s’offrait pour garder les jumeaux et la petite Marie, ce qui fut accepté avec joie par la grande sœur, car, rassurée sur le sort de sa petite famille, elle pourrait profiter de sa belle excursion sans remords. Arthur céda aux instances de ses deux amies, qui ne voulaient pas faire leur promenade sans lui. Charles décida de remonter seul à Roques.

« Oui, je te le conseille, dit Arthur, et cette fois grimpe jusqu’au village, Grimpe, grimpe ! »

Chacun, après le déjeuner, partit de son côté. Élisabeth, sur les conseils de Mlle Marlvin, s’était enveloppé la tête dans un voile de voyage, à cause du vent, ce qui fit beaucoup rire Colette qui allait généralement en automobile les cheveux au vent. Charles assista au départ. Élisabeth et Arthur agitèrent leurs mouchoirs et Charles entendit la voix de son ami qui criait :

« Grimpe… grimpe !… »

Mais avant d’aller à Roques, il voulut s’informer de Procope. Il se rendit dans les divers hôtels de la ville sans le trouver, puis il rentra à l’Hôtel de France pour prendre sa bicyclette. On lui remit une enveloppe adressée à Arthur.

« Elle a été apportée par un jeune garçon. Il a dit que M. Charles, aussi bien que M. Arthur, pouvait en prendre connaissance. Il avait l’air un peu embarrassé et très pressé.

Charles hésita pendant quelques secondes à ouvrir la lettre. Puis il se dit : « Non, il vaut mieux ne pas la lire, car si ce papier porte l’indication de l’endroit précis où se trouve le trésor, j’aurais scrupule de dire que je l’ai découvert moi-même. Il se peut au contraire qu’on cherche à me mettre sur une mauvaise piste. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a pas lieu d’ouvrir. »


« ah ! dit colette, comme je suis contente de connaître élisabeth. »

D’un geste décidé, il posa la lettre sur une table, mit un lourd presse-papiers dessus et quitta sa chambre.

Il prit sa bicyclette et partit pour Roques. Il avait soigneusement étudié sa route et passait par des chemins de traverse qui raccourcissaient fortement le trajet.

Mais comme la montée était souvent rude, il dut plusieurs fois sauter à bas de sa machine et s’avancer à pied.

Charles était impatient d’arriver à son but. Il marchait d’un bon pas, tout en réfléchissant.

Il se disait, à certains moments, que si, décidément, il ne trouvait pas le trésor après les recherches de cette journée, il abandonnerait le concours ; puis, se reprochant son abattement, il pensait à son frère, toujours optimiste dans tous les actes de sa vie, et il reprenait courage.

Il arriva enfin au croisement de routes où lui et ses compagnons s’étaient arrêtés le matin…

Par des sentiers pierreux, Charles montait jusqu’aux abords du village de Roques,

Arrêté au bord d’une pièce de terre et tenant sa bicyclette d’une main, il regardait autour de lui, lorsque tout à coup son attention se fixa sur trois beaux peupliers qui se dressaient auprès d’une haie basse.

« Tiens, tiens, se dit-il, les données du concours parlent d’un arbre au feuillage léger ; le peuplier, ce me semble, est un arbre au feuillage léger. »

Charles continua de remonter le sentier. Celui-ci se raccordait à une route assez mal entretenue et absolument déserte.

« Est-ce que ce serait là la route peu fréquentée qu’indique le programme du concours ? » murmura Charles.

Le long de cette route s’étendaient des terrains incultes couverts de gros cailloux et où ne poussaient guère que des touffes de genêts ou de bruyères. Charles s’avança sur ces terrains qui s’élevaient en pente. Quand il eut atteint l’espèce de crête à laquelle conduisait la pente et que masquaient quelques pins rabougris poussés sur un sol rocheux, il poussa un cri de surprise.

Devant lui s’étendaient des ruines, très probablement celles d’un château fort d’autrefois.

Ce qui subsistait des murailles ne s’élevait pas très haut au-dessus du sol.

Le temps, peu à peu, avait fait s’écrouler les murs, et les gens du pays avaient dû venir là s’approvisionner de pierres.

Charles prit sa carte et son guide et reconnut qu’il s’agissait des ruines du château de Lassalme, abandonné dès la fin du moyen âge.

« Récapitulons, se dit-il. D’ici, je vois le Puy où se trouvent une Vierge sur un rocher, une église ancienne de pur style, une — voire plusieurs — maisons à toit pointu, dont la porte forme une arcade. Une rivière, le Dolézon, coule à trois kilomètres d’ici.

« Cette route est peu fréquentée ou je ne m’y connais pas.

« Ma vue s’étend sur des arbres et des rochers… Ah ! oui… mais ce diable de lac !… Je sais bien qu’il y a le lac du Bouchet, mais je ne l’aperçois pas d’ici. »

Tout à coup, les mots prononcés par Arthur, au moment du départ : « Grimpe !… grimpe !… » sonnèrent à ses oreilles.

« Je suis monté jusqu’à hauteur du village, songeait-il. Où pourrais-je encore grimper ? Ah ! j’y pense, sur un de ces hauts peupliers, peut-être que de là ?… »

Rapidement, il fut au pied des peupliers.

Il posa sa bicyclette à terre, enleva prestement sa veste et se mit en devoir de monter sur le plus haut des arbres, élancé d’un seul jet vers le ciel bleu, et qui pouvait bien mesurer une vingtaine de mètres.

Charles était très entraîné à la gymnastique et il ne craignait pas le vertige.

Se glissant à travers le feuillage touffu du peuplier, il se hissa de branche en branche.

À une quinzaine de mètres de hauteur, il s’arrêta, reprit son haleine, s’orienta et dirigea ses regards du côté du lac du Bouchet, mais il ne vit rien.

Avec encore plus d’ardeur, il poursuivit son ascension de quelques mètres et s’arrêta de nouveau.

Le tronc du peuplier était devenu très mince ; Charles, qui le sentait osciller de façon inquiétante, jugea qu’il ne pouvait dépasser ce niveau sans danger.

Solidement agrippé aux branches, il détourna lentement la tête… Victoire !

Là-bas, sous les rayons du soleil qui déjà déclinait, les eaux du lac miroitaient…

Avec l’agilité d’un écureuil, le chercheur de trésor dégringola de l’arbre au risque d’endommager sa culotte, ramassa sa bicyclette et galopa littéralement vers les ruines du château de Lassalme.

« À cinq cents mètres environ des ruines, pensait-il, je dois trouver la maisonnette mentionnée au point 10. Où trouver cette maisonnette, sinon du côté du village de Roques ? Allons donc vers Roques. »

À grandes enjambées, il mesurait approximativement le chemin parcouru, Il rencontra la route « peu fréquentée » et la suivit, car elle menait à Roques.

Après avoir parcouru à peu près quatre cents mètres, il éleva ses regards qu’il avait jusque-là dirigés vers le sol.

Ô joie ! Devant lui, une maisonnette édifiée en avant de Roques, dans une situation isolée, s’offrait à lui : de construction rustique, elle présentait apparence de ferme.

Charles s’arrêta, le cœur battant, l’esprit en feu, et regarda, regarda longuement. À droite de cette maisonnette se dressait le peuplier dont il avait si audacieusement atteint le sommet.

De l’autre côté de la route, une autre petite maison campagnarde, isolée elle aussi, se montrait quand on se tournait vers le Nord-Nord-Est. Enfin, trois marches donnaient accès à sa porte étroite.

« Cette fois, ça y est ! cria Charles tout haut.

Le trésor doit être dans le verger dont j’aperçois les arbres fruitiers au-dessus de ce mur et qui se trouve entre le peuplier et la maisonnette…

Mais voyons qui habite dans cette dernière… »

Il courut, frappa à la porte.

« Pan ! Pan ! Pan ! »

Charles entendit un aboiement. Puis la porte s’ouvrit et un vieux monsieur à cheveux blancs se dressa devant lui.

« Monsieur Toupie ? demanda Charles avec un petit tremblement dans la voix.

— C’est moi ! »