Librairie Hachette (p. 19-21).
ARTHUR DEVIENT TIMBRÉ !


En rentrant chez lui, Charles trouva une lettre d’Élisabeth.


« Mon cher Charles,

« Je profite d’un instant de loisir pour te donner de nos nouvelles. Papa a eu un gros rhume qui l’a obligé à rester trois jours au lit et huit jours à la chambre. Papa voulait continuer à aller au lycée, mais le docteur lui a fait peur, sur les conseils de notre vieille amie et voisine Mme Saint-Paul qui a connu maman lorsqu’elle était enfant. T’ai-je déjà parlé d’elle ? Elle ne sort jamais de sa chambre, car elle ne peut plus marcher. Elle est assise dans un fauteuil, les jambes sous une épaisse fourrure. Elle a des cheveux blancs qu’elle cache un peu sous un petit bonnet de dentelles noires ; lorsqu’elle lit elle met des lunettes, mais quand elle vous regarde elle les ôte et l’on peut voir ses yeux très bons et très observateurs : en face d’elle on ne pourrait jamais soutenir un mensonge. Sa chambre est immense et toute tendue de soie vert d’eau. Un grand lit ancien, au fond de la pièce, est garni de la même étoffe. Son fauteuil est toujours près d’une porte-fenêtre qui donne sur un jardin au bout duquel s’élève le rocher de Saint-Michel. De sa place, elle voit la chapelle construite au sommet de la petite montagne et l’autre jour, elle me disait que rien ne lui était plus doux que d’entendre le matin, à midi et le soir, le son des trois petites cloches de Saint-Michel.

« Elle s’intéresse beaucoup au concours de M. Toupie. Elle veut que je cherche le trésor, comme toi, mais je lui explique que je suis dans l’impossibilité d’abandonner papa. Elle en convient. « C’est vrai, dit-elle, ma petite fille, tu as raison. Eh bien ! écris à ton ami de nous raconter ses projets, cela nous distraira toutes les deux. » Elle s’amuse follement lorsqu’on parle des gens qui arrivent chaque jour au Puy pour trouver le trésor.

« On raconte qu’un jeune garçon, de Paris, je crois, a stupidement frappé à toutes les vieilles maisons de la rue Pannesac, croyant y dénicher M. Toupie et l’animal à quatre pattes désigné dans le dernier article de l’exposé du concours. Mais bien mal lui en prit, car à la quatrième porte, il a été injurié, et des bonnes femmes l’ont traité de polisson, de petit sot. Il a quitté le Puy le lendemain, sans avoir poussé plus loin son enquête. Ce n’est pas si simple que cela.

« On m’a parlé hier d’un groupe de trois Bordelais qui logent à l’Écu d’argent. Ils ont des motocyclettes, sur lesquelles ils partent dès le matin, et si tu savais le bruit qu’ils font lorsqu’ils descendent en vitesse le boulevard de la République ! Tout le monde se met sur les portes : ils ont été déjà à Polignac, à Senillac, au lac du Bouchet. Papa te demande si tu as pensé à la Bretagne. Il a visité autrefois tout ce pays ; il ne se souvient pas précisément des statues de Vierges. Mais il te conseille de porter ton attention de ce côté.

« Écris-moi longuement ; n’oublie pas de me raconter toutes les étourderies plaisantes de ton ami Arthur. Cela m’amuse beaucoup. Nous voici en juin. Quand a lieu la distribution des prix à Versailles ? Je pense que tu t’arrangeras pour ne pas perdre de temps et pour te mettre en route le soir même.

« Ton amie,
« Élisabeth Tourneur. »


Dans les premiers jours de juillet, Élisabeth reçut une réponse de Charles. Elle la parcourut rapidement, car elle avait beaucoup à faire ce matin-là. Elle arrangeait la maison avec la bonne à tout faire qui les servait, paysanne des environs du Puy, très dévouée, mais médiocrement intelligente et dont les bévues étaient un sujet de gaîté pour Élisabeth et Mme Saint-Paul à qui la fillette venait les raconter.

Mais dès qu’elle eut quelques minutes libres, elle courut chez Mme Saint-Paul afin de lire avec elle, et plus attentivement, la lettre qui était ainsi conçue :


« Ma chère Élisabeth,


« Je commence à m’arracher les cheveux ! Nous voici au commencement de juillet et je ne sais encore où je vais diriger mes pas. Nous serons en vacances le 17 juillet. Arthur, dans son ardeur, ne parlait-il pas de prendre un train à midi dès la sortie du lycée ? Mais encore faudrait-il savoir où ce train nous conduirait. Tu dois te dire que je suis lent dans mes recherches, mais je te ferai remarquer qu’afin de ne pas nuire à mes études, je ne pense guère au concours que le jeudi et le dimanche… »

— Ça, il exagère, dit Mme Saint-Paul en souriant ; je suis sûre, moi, qu’il y pense sans cesse.

— Moi aussi. Il veut dire qu’il ne « travaille » au concours que le jeudi et le dimanche.

— Oui, continue.

— … « Tu sais que Louis ne plaisante pas sur mon travail : alors il a fallu piocher ferme. En juin, ç’a été les dernières compositions.

« À propos, voici où j’en suis de mes recherches pour le concours : j’ai écarté Notre-Dame de la Salette, dans l’Isère, Puis j’ai examiné Notre-Dame de Fourvière.

« Évidemment, là, certaines données concordent avec celles du concours, mais nulle part on ne parle de statue de la Vierge sur un rocher. La statue de Notre-Dame est sur le sommet de l’ancienne basilique, à moins qu’il y en ait une autre ; bref, j’ai réservé Fourvière.

« J’ai un camarade, au lycée, dont la grand’mère demeure aux environs de Lyon ; mais il est un peu étourdi, dans le genre d’Arthur. Lorsque je lui ai posé la question : Y a-t-il à Notre-Dame de Fourvière une Vierge sur un rocher ? il m’a regardé d’un air ébahi : « Je ne sais pas, m’a-t-il répondu, je n’ai jamais regardé attentivement.… Lorsque je vais à Fourvière avec ma grand’mère, ce qui m’intéresse surtout, est la montée par le funiculaire de la gare Saint-Paul et le goûter que nous allons prendre chez un pâtissier, proche de la basilique, et dont les choux à la crème sont vraiment exquis. »

« Voilà l’état d’esprit de mon camarade. Il me semble que, moi, si j’étais allé à Fourvière, je connaîtrais à fond l’endroit. Et toi, si je te demande comment est la Vierge du Puy, que me répondras-tu ?


élisabeth lisait à mme saint-paul la lettre de charles.

« Il y a Notre-Dame de la Garde à Marseille. La statue dorée de la Vierge ne se dresse pas sur un rocher mais au sommet du clocher. Il est vrai que la basilique elle-même est élevée sur une colline rocheuse abrupte et dénudée…

« Mais, si M. Toupie l’avait eue en vue, je pense qu’il aurait mis : près de la mer. À moins qu’il ait voulu égarer les chercheurs. C’est bien possible… Y a-t-il de très vieilles maisons à Marseille ? Bah !… Réservons Notre-Dame de la Garde.

« Jeudi prochain, je m’acharne sur la Bretagne… Mais, ma pauvre Élisabeth, je crois que je deviens monotone et assommant avec mon concours. Excuse-moi… je désirerais tant
élisabeth rangeait les armoires.
trouver ce trésor !… Je sais qu’il y a des gens qui parcourent déjà la France et qui vont peut-être mettre la main dessus… Cela me désole… Depuis quelques jours Louis est tellement pris par ses malades qu’il ne peut terminer un mémoire qu’il devait remettre à la fin du mois à l’Académie de médecine, et je vois bien qu’il est malheureux. Le trésor ! Le trésor ! Où est-il ?…

« Au secours, monsieur Toupie !

« Arthur, lui, en devient toqué. Autrefois, il était distrait, mais aujourd’hui c’est plus grave : il n’écoute même plus ce qu’il dit. Si je l’arrête sur le trottoir pour l’empêcher d’être écrasé, il s’écrie : « Mon vieux, je ne sais plus à quelle heure on déjeune à la maison, parce que papa s’est absenté. Il est allé chez ma grand’mère qui est venue passer quelques jours chez nous. — Alors, elle est à Versailles ? — Mais oui. — Ton père n’est donc pas parti ? — Parti ! Bien sûr que non. — Tu viens de me le dire à l’instant. — Moi ? — Oui, toi. — Tu es fou… » Et il hausse les épaules ironiquement.

Autre distraction, plus drôle, de ce cher camarade. Sa mère un peu souffrante, l’appelle dans sa chambre et lui dit de porter une bouillotte remplie d’eau chaude à la cuisine et un flacon dans le cabinet de toilette. Arthur entre gravement dans le cabinet de toilette, ouvre un panier à linge, verse doucement et délicatement dessus tout le contenu de la bouillotte. Il s’aperçoit tout à coup de sa bévue et pousse des cris d’effroi à la vue du linge complètement inondé par le torrent chaud qui est tombé dessus.

« Mais les camarades profitent de ses distractions pour lui faire des farces. L’autre jour, pendant une récréation, l’un d’eux est rentré en cachette dans la salle de classe et a versé du sucre en poudre dans son encrier. Tu sais que l’encre additionnée de sucre, ne peut adhérer convenablement à la plume et qui est impossible d’écrire. De fait, pendant la classe d’histoire qui suivait, Arthur n’a pu prendre une seule ligne de notes. Le plus fort, c’est qu’il a été assez longtemps avant de s’apercevoir qu’il ne réussissait à tracer aucun mot sur son cahier ! Je crois que ce sont les rires étouffés qui lui ont donné l’éveil !

« Veux-tu encore une histoire ? Il y a trois jours, il faisait très beau. Je rencontre Arthur, dans l’avenue de Paris, son capuchon enfoncé sur sa tête. « Tu as froid ? — Non : pourquoi ?

— Mais tu as ton capuchon. — C’est qu’il pleut. » Je le regarde stupéfait : il rit en s’apercevant de son erreur, et me prend par le bras en s’écriant :

« C’est en Bretagne qu’il faut aller, tu entends, en Bretagne… C’est plein d’églises, de calvaires, de statues où l’on se rend en pèlerinage. Je vais aujourd’hui « potasser », comme nous disons au lycée, le guide de Bretagne ».