Le Tombeau de Jean de La FontaineMercure de France (p. 89-91).

L’ÉLÉPHANT


J’eusse été comme toi
Fabuliste du roi
Louis le quatorzième
Qu’il m’eût paru pédant
De mettre un éléphant
Dans mon poème.


Il est simple, en effet,
De nous conter un fait
Ou plus ou moins notoire,
Et l’affirmer plus vrai
Que tout ce qu’a narré
Jamais l’Histoire.

Tu prétends que les dieux
N’ont pas pour moi plus d’yeux
Que pour la puce ou l’herbe,
Et supposes que j’ai
Un procès engagé
Par ma superbe.

Ce racontar gratuit
À ta fable ne nuit,
Car, même s’il nous trompe,

Il ne met en avant
Rien qui soit d’éléphant,
Même la trompe.

Mais tu fuis le détail
Qui fait le bon travail
Des jours où tu dessines
Ceux que souvent tu vis
Dans leurs trous, dans leurs nids,
Ou leurs cuisines.

Ce qui prouve qu’on n’est
Bon peintre qu’où l’on naît.
Si non, gare au déboire !
Car, à Château-Thierry,
On croit que j’ai nourri
Ma tour d’ivoire.