Le Théâtre du peuple (Romain Rolland)/Documents/III. Les Représentations de mai (maggi) en Toscane

III

LES REPRÉSENTATIONS DE MAI (MAGGI) EN TOSCANE


Un des exemples les plus rares de la continuité des traditions populaires au théâtre est fourni par les Maggi (représentations de Mai) dans la campagne de Toscane. Ces spectacles sortent directement des fêtes de Mai, célébrées dans l’antiquité. Sous leur forme dramatique, qui s’est conservée jusqu’à nos jours, ils semblent dater du quatorzième ou quinzième siècle. Les plus anciens manuscrits qu’on en ait gardés, remontent, d’après M. Alessandro d’Ancona, à 1770. Les auteurs et acteurs sont des paysans des environs de Pise, Lucques, Pistoie, Sienne, etc.

Les Mai sont écrits en stances de quatre vers de huit syllabes, rimant le premier avec le quatrième, le second avec le troisième. Ces stances sont chantées sur une sorte de cantilène perpétuelle, lente, uniforme, avec quelques trilles et passages de bravoure. Ce sont des airs traditionnels, qui se reproduisent souvent, de Mai en Mai.

Les sujets des Mai sont héroïques ou religieux. On n’en connaît qu’un seul qui soit emprunté à l’histoire moderne. C’est un Louis XVI. Il est des plus intéressants ; il montre comment la Révolution française se répercutait dans ces cerveaux de paysans italiens. Elle est représentée sous la forme d’une rébellion féodale, conduite par quelques courtisans ou soldats ambitieux, qui se nomment Moratte (Marat), Datore (Danton), et Mirabò. Le Dix Août devient un simple duel entre Mirabò et un capitaine du roi. Moratte représente l’Assemblée, qui ordonne qu’on enlève la couronne de la tête du roi,

la corona di sul capo
e sia alfin decapitato :
cosi vuole il Parlamento.

(et qu’il soit à la fin décapité :
ainsi le veut le Parlement.)

Datore fait le procès, sur l’ordre de Mirabò. Un soldat coupe la tête de Louis XVI. Après quoi, Moratte ordonne qu’on chante et qu’on danse :

Or con brio, con mille canti,
si cominci festa grande.

(Or qu’avec brio, avec mille chants,
on commence une grande fête.)

Mais, pour la morale de la pièce, les soldats se repentent à la fin, et demandent pardon à Dieu :

Chieggo a voi scusa e perdono
di tal fatto cosi orrendo ;
Solo Iddio giusto e tremendo
lasciam giudice del trono.

(Je vous demande excuse et pardon
de tel fait aussi abominable ;
laissons Dieu, juste et redoutable
être seul juge du trône.)

— Voir le beau livre de M. Alessandro d’Ancona : Origini del teatro in Italia, 1877. — M. d’Ancona a non seulement étudié les manuscrits des Maggi, mais il a pu connaître les auteurs de certains d’entre eux : un particulièrement, qui avait écrit l’Incendie de Troie, et qui était maçon dans le petit village d’Asciano. Cet homme ne connaissait pas les récits antiques, mais il était tout plein du souffle de l’ancienne poésie chevaleresque. On sait combien nos chansons de gestes, nos poèmes français du Moyen-Âge, se sont perpétués dans l’imagination et dans les récits des campagnes italiennes.