Le Théâtre d’hier/Alexandre Dumas Fils/La Dame aux Camélias — Diane de Lys

ALEXANDRE DUMAS FILS


I

LA DAME AUX CAMÉLIAS. — DIANE DE LYS.


J’imagine que M. Alexandre Dumas a dû pâtir quelquefois, à force de s’entendre appeler : l’auteur de la Dame aux Camélias. Car il l’est, définitivement pour le gros public, qui n’y entend pas finesse, irrémédiablement pour quelques esprits malins, qui proclament que cette pièce est un chef-d’œuvre unique : ce qui, dans leur pensée, ne veut pas dire incomparable. Jadis même, J.-J. Weiss entreprit de montrer qu’à chaque pièce nouvelle l’auteur s’allégeait d’une de ses qualités natives, et qu’il ferait sagement de revenir à la Dame de ses débuts. Et cela, juste à l’époque où M. Dumas, qui par un heureux accident avait pris pied sur le théâtre avec éclat, avait l’audace d’y chercher une autre voie, de la frayer obstinément, et donnait Diane de Lys, le Demi-Monde, le Fils naturel, à des intervalles raisonnés et réguliers. D’où j’induis, sous toute réserve, que de ce souvenir, si brillant et durable qu’il ait été, l’écrivain a dû être parfois gêné et incommodé, comme d’une exagération flatteuse, qui deviendrait avec le temps un aveugle préjugé.

Loin de moi le dessein de rabaisser Marguerite Gautier, et ce drame vibrant d’ardeur et de jeunesse, avec des accents d’une sensibilité naïve et des traits d’un réalisme un peu romanesque et ingénu ! En vieillissant l’ouvrage a bien gardé l’air des belles choses, toute la mine d’un chef-d’œuvre inconscient, qui révélait des dons prodigieux, — mais pas ceux peut-être que l’auteur devait développer surtout. Ce coup d’essai était un coup de maître, — mais d’un maître assez différent de celui que nous apprécions aujourd’hui. N’est-ce pas plutôt son second début qui est le véritable ? Entendez par là que le critique, au moment d’étudier l’œuvre et de définir le talent de M. Alexandre Dumas, est mieux renseigné par Diane de Lys, drame très inférieur assurément, mais plus réfléchi, déjà plus concerté et concentré, et beaucoup plus gros de l’avenir. C’est proprement l’aînée de ces pièces à l’apparence diverse, mais dont il n’est pas une qui n’accuse la même main, et si fortement, si manifestement, que du Fils naturel jusqu’à Francillon il n’en est pas une aussi, qui, dès le premier acte, ne soit signée et ne proclame l’auteur. N’est-ce pas lui qui se déclarait, dans une de ses préfaces, assez partisan de l’anonymat au théâtre ? Cette modestie même ne lui est pas permise.

Le plus curieux est que de ces deux œuvres, celle qui a jailli spontanément, sans effort, la Dame aux Camélias, ne révèle pas le dramaturge, à beaucoup près, autant que l’autre, Diane de Lys, où les marques d’inexpérience éclatent aux yeux, et qui est pourtant la première de ses expériences. Cette fois, se dessine en ses tendances générales le système de l’écrivain. Il est vrai que la victime désignée tombe en soupirant encore : « ô ma mère ! » Laissez faire le temps, et les autres apprendront à tomber plus simplement, avec une logique résignée et une discrétion presque mathématique. Enfin, si la Dame aux Camélias, de l’aveu même de l’auteur, ne prouve rien, absolument rien, pas même qu’il soit quelquefois honnête d’épouser une courtisane, ni surtout que M. Dumas doive plus tard écrire les Idées de Madame Aubray ou Monsieur Alphonse, déjà Diane de Lys incline à faire la preuve de quelque chose, à démontrer avec quelque rigueur… si peu que ce soit, ne fût-ce que l’aveuglement de la passion et les droits de la légitimité.

Et peut-être, après tout, le public ne s’y trompe-t-il pas autant que je disais tout à l’heure. S’il se plait au drame sentimental du début, surtout lorsqu’il a l’occasion d’y applaudir une comédienne de talent, il n’ignore pas que M. Alexandre Dumas est avant toute chose ce qu’il apparaît déjà dans Diane de Lys : un homme de théâtre et de doctrine, un dramaturge et un penseur. Sur le premier, il semble que l’opinion soit fixée ; à l’égard de l’autre elle est plus flottante et indécise. Peut-être le moment est-il venu d’en justifier les arrêts et d’en fixer les incertitudes.