Le Théâtre (La Revue blanche)/01 juillet 1891

V. Reb-Pereire.
Critique Dramatique
La Revue blancheTome 3 (série belge) (p. 211-215).
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Critique Dramatique



Il n’y en aura pas. J’estime qu’il n’est pas absolument nécessaire à nos lecteurs d’avoir une opinion sur la pantomime de MM. Gugenheim et Cressonnois et le Faure cinq mois au Soudan, M. Gugenheim est chargé de donner son avis sur les manifestations dramatiques : il le donne dans l’Autorité avec tant de bonne grâce et de sûreté que l’on ne saurait lui tenir rigueur d’un manque absolu de littérature. Entre temps, pour charmer ses loisirs, il compose des pantomimes à spectacle et des pièces à drapeaux. Ce n’est déjà pas si sot : il fera un stage au Palais-Royal, poussera trois actes au Gymnase, un à propos à l’Odéon ; et enfin un lever de rideau aux Français. Il faut un pendant au Rez de Chaussée de M. de Turique. Pour nous faire patienter, voici toujours l’Article 231 de M. Paul Ferrier M. Claretie se rue en pleines belles-lettres ; au Palais-Royal il est question de monter le Misanthrope.

Les grands Théâtres écoulent leurs soldes ou louent leurs salles. Et alors des vaudevilles égarés, des drames dépaysés et de pauvres comédies d’amateurs ! comme la mer ferait du bien à mon tempérament ! Plages, plages[1] belles slaves de table d’hôte, tennis à marée basse, complets de flanelle, et le grand « heu, heu » de la mer[2], Et puis, toutes ces histoires[3]

Oh ! si je pouvais rendre compte des soirées du casino de Pornichet les Pins !

Du reste, le Théâtre-Libre lui-même se désintéresse de ces choses. M. Antoine produit quelques retardataires, vieux amis d’enfance sans doute. Il les joue de tout son cœur, nous les écoutons de tout le nôtre. Total 6 pièces en un acte. Les six auteurs n’ont pas attaché grande importance à ce qu’ils faisaient, ils ont écrit de timides dialogues, histoire de mettre leur nom sur le programme, et de le présenter au public. J’aime mieux passer sous silence les pièces de MM. Wolff et Le Corbeiller, puisqu’ils ne sont pas mes ennemis intimes. Je me souviens qu’une jeune fille bien intentionnée pourtant, me dit : « C’est un joli passe-temps, que la littérature ! » oui ! C’est un bien joli passe-temps ô les Messieurs ci-dessus.

Courteline : au moins celui-ci est drôle et n’affiche pas la prétention de dire son fait à l’humanité. Dans Lidoire Nisus cavalier de première classe assiste le clairon Euryale qui rentre saoul.

De M. Laumann : Cœurs simples (ou le poupon révélateur) j’aime mieux, décidément, les pièces où l’on dit de gros mots ; au moins il y a un certain imprévu. La pièce de M. Laumann ? De l’Alexandre Dumas fils mis en pièce par le chanoine Schmidt à l’usage des couvents de demoiselles, cette attendrissante guimauve en un acte. Un marin revenant d’un très long voyage trouve un enfant supplémentaire à son foyer. Après avoir cassé une assiette et dit des injures au curé il finit par s’apaiser, et pardonne à son épouse, désolée de la fâcheuse surprise. Et la pièce se termine par cette phrase babélique : « J’aime mieux en trouver un de plus qu’un de moins ! » pourquoi pas : “ c’est autant de gagné.

Dans le rêve de Louis Mullem. L’a-t-on assez ressassée, l’histoire du jeune profession-libérale entravé par les soins du ménage ? Inutile d’insister.

Le Pendu de M. E. Bourgeois, peut-être la meilleure pièce de cette dernière séance. Beaucoup de naturel, de vérité ; une étude assez amusante des paysans. Mais cela tourne à la charge macabre. Un vieux paysan s’étant épris de sa servante la Marcotte, chasse son fils qui le gêne. La servante résiste aux propositions de l’aimable vieillard et donne rendez-vous au jeune homme dans le grenier où le vieux vient de se pendre de dépit. Dans un mouvement de charité les amoureux dépendent l’ancêtre, qui, revenu à la vie fait de nouvelles propositions à la Marcotte, et rechasse son fils. Alors le gars Valère repend le père Harpagon. Ne dérangeons pas l’ordre de la nature.

Au Châtelet, Tout Paris pièce à spectacle. Nous en reparlerons fin septembre, À la Gaité, les aventures de M. Martin. Les archimandrites du feuilleton se sont indignés parce que le délicat M. Valabrègue introduit dans sa pièce (?) l’exhibition d’un phénomène, Maria-Josepha. De quoi vous plaignez-vous ? M. Valabrègue a fondé un genre la comédie-tératologique. Il faut encourager ça. On pourrait ainsi modifier utilement nombre de pièces qui manquent d’intérêt. Je suis persuadé que le Deputé Leveau ne ferait que gagner si l’on glissait dans le troisième acte un défilé de nains Colibris ou des dislocations. Sûrement M. Claretie va s’emparer de cette idée pour les Folies-Molière.

Le Conservatoire présente ses étalons en liberté. Petite réjouissance intime réservée aux connaisseurs. Le jury, intelligemment composé se juche à 9 h. 1/2 dans sa loge, M. Thomas président, tête de Père Éternel mâtiné de Jupiter timide. À droite, M. Dumas fils, avec l’air de dire ; « Vous savez, rien de ce qui se passe ici ne me touche personnellement. » On a sorti M. Doucet pour la circonstance. Le si perpétuel sécretaire de l’A. virote doucement son chef aux bons endroits. M. Halevy a pour sûr la migraine. M. Mounet-Sully, souriant et bénévole, et M. Lapommeraye qu’on vient sans doute de pécher, tout il parait mouillé et reluisant. M. Larronnet, un peu allumé. D’autres encore que l’on devine affalés dans leurs fauteuils. En bas la critique essuie ses lorgnettes. Remarqués : M. Stoullig, tête de poupon japonais grognon ; M. Stoullig semble avoir pleine conscience de la gravité de ces circonstances ; il pointe et se recueille. Georges Roussel s’agite beaucoup. Sonnette on commence ; d’abord la tragédie. Sous ce titre on range indifféremment Racine, Casimir Delavigne, Dumas fils et Hugo. Je n’y vois pas d’inconvénient. Le premier prix, M. de Max a composé un Hamlet intéressant, et surtout original. Il aurait pu céder à la tentation d’imiter Mounet-Sully. Il ne l’a pas fait ; son Hamlet lui appartient en propre M. de Max développera peut-être les qualités d’artiste qu’il possède. M. Fenoux, 1er accessit. Un peu trop Mounet-Sully, pas assez Fenoux. Du maintient pourtant, et une jolie voix. Côté des dames 1er prix Melles Dux et Dufrène Mlle Dux est elle plus mauvaise que Mlle Dufrène, ou Mlle Dufrène est elle plus mauvaise que Mlle Dux ? Bonnes pour le service ; qu’on leur fasse doubler Mlle Dudlay et Hadamard, et n’en parlons plus. 一 comédie. Pléthore de Dumas fils ; vous verrez qu’on en viendra au Jules Lemaître ; M. de Max, encore premier prix. Le plus pitoyable Louis XI de convention ; trucs surannés, dos voûté, geste sénile, voix sourde. C’était fatal. M. Lugné-Poë n’a eu qu’un second prix. Son Harpagon est toutefois une belle création. M. Lugné a trouvé des effets étranges dans le monologue du quatrième acte. Ce jeune, un de ceux sur qui l’on compte, est peut être le seul artiste du concours, L’avarice d’Harpagon, interprétée de cette façon fébrile, devient presque tragique. En général, les élèves du Conservatoire récitent, M. Lugné Poë a construit un personnage, bien d’ensemble, il a vraiment crée. M. Baron fils a la tête de son père, l’ataxie de son père, la voix de son père dans le nez de son père, un second prix par procuration. Concours de femmes déplorable, encore Mlle Dux ! et dire que nous l’aurons aux Français ! Une soubrette Mlle Piernold nous a un peu distraits. De la vivacité, du naturel ; et surtout, pas officielle grâce à Dieu !

Maintenant, j’oserais risquer une timide question. Un problème ne hante : à quoi sert le Conservatoire de déclamation ? Doit-il fournir des tragédiens et des comédiens aillés sur des patrons immuables ? Non, évidemment. Doit-il produire des artistes originaux ? Les dits artistes peuvent se passer de lui ; ils courraient risque de perdre leur originalité en acceptant la manière officielle. Antoine sort de la Compagnie du gaz, et M. Albert Lambert fils sort de la couveuse brevetée ; ce parallèle est suffisament concluant. Et l’on se plaint de la faiblesse du concours. Il n’y a que M. Sarcey qui soit toujours content.

V. Reb-Pereire.
  1. Claude Céhel passim
  2. Michelet passim
  3. Degeraisme passim