Le Temps (Verhaeren)

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Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 146-148).


LE TEMPS


Les nuits, les jours,

Toujours,
Avec des gestes lents, avec de lentes gloses,
Autour des foyers clairs ou des âtres moroses,
Invariablement,

Tous ils en causent.


Le temps,

Le temps trompeur est, à leurs yeux,
Celui qui guide et tient la main de Dieu,
Là-haut, on ne sait où, dans les nuées,
Et qui lui fait répandre, au loin,
La pluie ou le soleil dont a besoin

La plaine immensément exténuée.


Les vieux fermiers parlent du temps

Comme d’un angoissant mystère
Qu’ils ont surpris, depuis longtemps,
Dans leurs ruses avec la terre ;
Leurs souvenirs, durs et tassés,
Serrent en eux tous les printemps passés,
Et les hivers monumentaux de glace,
Lorsque le froid dallait l’espace
D’un grand chemin compact et blanc,
Emprisonnant les eaux et rejoignant les landes,

Jusqu’en Hollande.


Ils n’écoutent jamais que les pêcheurs d’Escaut

Qui, mieux qu’eux tous encor, surprennent
À la couleur des loins, aux mouvements de l’eau,
Quelle sombre ou claire étrenne
Apportera demain aux bateliers ;
Ils consultent aussi les blancs et doux meuniers
Autour de qui voyage
Le ciel entier, avec sa brume et ses nuages,
Et sa terreur, et sa folie, et ses soleils,
Et tant de météores

Qu’ils ignorent.


Quant aux jeunes, dont le poil est vermeil
Et qui lisent les gazettes falotes,
Les vieux sourient à leurs parlotes ;

Ils ont beau dire et beau prouver,
Les vieux s’entêtent à rêver
En regardant fumer leurs pipes ;
Et l’on n’entend qu’un mouvement mouillé de lippes
Répondre à la jactance

Des gars du bourg gonflés de mots et d’importance.