Librairie Beauchemin, Limitée (p. 158-160).


XXXII

FIANCÉS


Quand Sélim et Yvaine parurent dans la salle où leurs pères se tenaient, ils virent, au sourire qui les accueillait, que l’indiscrète fenêtre, placée juste en face du banc, avait dû les faire deviner.

Yvaine tenait l’éclatante et fraîche rose que Sélim lui avait donnée et qui avait été le gracieux porteur d’un baiser.

M. de Kervaleck regardait sa fille avec un air malin et Férid-Pacha souriait des lèvres et des yeux.

La jeune fille se sentait un peu gênée par l’air malicieux de son père et le sourire du Pacha. Instinctivement, elle chercha refuge auprès de Sélim et le regarda.

Elle fut vite rassurée par le regard expressif des beaux yeux sombres.

Sélim lui prit la main et l’emmena doucement vers son père.

— Monsieur de Kervaleck, dit-il, me permettrez-vous de passer, ce soir, un anneau de fiançailles au doigt de Mademoiselle Yvaine ?… Et vous, mon père, accueillerez-vous ma fiancée comme votre fille ?

Pour toute réponse, Pierre de Kervaleck tendit la main à Sélim et Férid-Pacha mit sur le front d’Yvaine un paternel baiser.

C’était décidé : Yvaine serait la femme de Sélim… Leur rêve était réalisé.

Quand le soir fut venu, dans le salon abondamment fleuri, les fiançailles eurent lieu. Plus fraîche que les roses, semblable à un beau lys dans sa toilette blanche, Yvaine tendit à Sélim sa main fine, dont une bague admirable devint la parure.

Sur une monture antique, ornée de lotus ciselés, brillait un diamant d’une eau très pure. Le bijou était une vraie merveille, plus encore peut-être par la ténuité des ciselures que par la beauté du diamant.

La nuit tomba, le soleil disparut, mais longtemps encore l’occident resta doré… comme les rêves des fiancés.

Le lendemain, à l’heure du dîner, Pierre de Kervaleck arriva, tenant à la main un journal étranger. Il semblait bouleversé comme par une mauvaise nouvelle. Férid Pacha parut inquiet, et les fiancés interrogèrent du regard.

— Écoutez, dit-il gravement, et qu’on doute, après cela, de la Providence.

Déployant son journal, il lut cet entrefilet :

Mort tragique d’un explorateur. On mande de Kharthoum, (Soudan Égyptien). — Une caravane de chameliers traversant le désert de Lybie a trouvé, enseveli dans le sable, le cadavre d’un explorateur qui a pu être identifié. Il s’agit du célèbre égyptologue allemand, Karl von Haffner, qui avait quitté l’Allemagne il y a quelque mois pour une expédition secrète sur les rives du Nil. On a également retrouvé les cadavres de plusieurs indigènes, vraisemblablement les porteurs de l’archéologue. Le savant allemand et ses compagnons ont été les victimes du violent coup de simoun qui a bouleversé le désert le mois dernier.

Yvaine était toute pâle.

— Oh ! dit-elle, il est mort… Je lui avais pardonné… Que Dieu ait pitié de son âme.

Son père la regarda, tout ému.

— Ma chérie, dit-il, tu seras heureuse… On ne peut pas avoir de malheur, quand on a une si belle âme…

— Je sais quel trésor vous me donnez, dit Sélim en posant sur sa fiancée son regard enchanteur, je serai digne de votre confiance…