Librairie Beauchemin, Limitée (p. 153-157).


XXXI

LES SURPRISES D’YVAINE


À l’ombre des grands arbres, dans le jardin fleuri, Yvaine et Sélim se promenaient. La jeune fille se souvenait des paroles que son fiancé avait dites, le soir même de leur rencontre : — Je possède à Gisèh, une maison très ancienne où j’aime à revivre, tout seul, des heures de rêve qui me sont chères.

Allant, de surprise en surprise, elle voyait qu’il s’était plu à s’entourer de tout ce qui venait de Bretagne. Le jardin était planté de chênes, d’ormes et de frênes, abritant dans leur épais feuillage, tout un peuple d’oiseaux.

Au détour d’une allée, Yvaine poussa un cri de surprise et de joie… À Gisèh, en Égypte, au bord du Nil, elle avait sous les yeux un paysage Breton. Elle voyait comme dans sa lointaine province, un bois de chênes, d’ormeaux, de peupliers. La splendide couronne de feuilles des grands arbres arrêtant les rayons du soleil tropical, ne laissait parvenir, sur le sol couvert d’un épais tapis de mousse qu’une ombre dorée, très douce, qui donnait à tout le bois une atmosphère de rêve et d’irréel… Pour rendre l’illusion plus complète, au milieu d’un champ de genêts d’or, un menhir séculaire se dressait.

Yvaine regarda Sélim dont les yeux reflétaient toute la joie, qui remplissait son âme. Il était si heureux de montrer ainsi à sa fiancée quelle place elle avait tenue dans sa vie et comme son souvenir lui était resté cher.

— Autrefois, lui dit-il — et ses yeux sombres se faisaient plus veloutés entre la frange des longs cils noirs, — quand la lune était dans son plein, je venais, la nuit, auprès du menhir. La douce lumière blanche aidait à mon rêve, et je croyais voir, sur la bruyère, la folle danse des elfes et des korrigans. Soudain, dans un rayon de lune, une fée apparaissait, si belle que les lutins interrompaient leur ronde, et, réunis à l’entour d’elle, l’admiraient, charmés… Et la fée de mon rêve avait votre visage et vos yeux, Yvaine aimée !…

Ils marchaient lentement, sous les grands arbres. Yvaine s’approcha et ses yeux fixèrent un instant la pierre levée. Puis, détournant la tête, elle regarda Sélim.

— Je suis heureuse, murmura-t-elle…

Ses yeux se portèrent soudain sur une autre partie du jardin, cachée jusque là à ses regards. Elle aperçut une roseraie magnifique.

Sélim la guida à travers une large allée, bordée de rosiers. Elle remarqua qu’une seule variété de roses y était cultivée : la France, la plus belle, d’une si tendre nuance, d’un rose nacré si vrai et si doux.

L’allée se divisait bientôt en deux branches et la floraison rose continuait, à droite et à gauche. Au milieu, un jet d’eau vive retombait dans une vasque de granit.

Yvaine souriait… Elle comprenait la pensée de Sélim… L’allée de roses avait la forme d’un Y. L’initiale de son nom ainsi écrite avec cette fleur unique — et quelle rose convient mieux à une jeune Bretonne, que la rose France — n’était-ce pas là la pensée charmante d’un cœur aimant et d’une âme d’artiste ?

Et elle pensait à l’ibis d’Égypte qu’elle avait si bien soigné, comme un souvenir vivant de la patrie de Sélim… Tous deux avaient vécu de souvenirs et d’espoir… La vie certainement leur serait douce. Ils en avaient traversé les épreuves. Leur amour si sincère était un gage d’infaillible bonheur.

D’un regard, elle remercia Sélim pour toute la joie qu’il lui avait donnée. Il l’emmena vers un banc de pierre, à demi-caché par des fougères, et placé de telle sorte que de cet endroit on voyait et la roseraie et le menhir dans son champ de bruyères et d’ajoncs.

Sélim cueillit une rose superbe, l’effleura de ses lèvres et l’offrit à Yvaine qui, les joues teintées d’un léger incarnat, prit en souriant la rose et le baiser. C’est l’offre de cette fleur que, de la fenêtre, Férid-Pacha et Pierre de Kervaleck avaient vue ; c’est ce geste charmant qui leur avait fait deviner l’amour de leurs enfants.

Le doux secret pour s’envoler avait pris ses ailes au calice d’une rose…

— Quand notre espoir sera réalisé, chérie, dit Sélim, nous nous donnerons à nos deux patries… Nous passerons l’été en France, et l’hiver ici, à Gisèh où tout me rappelle le rêve qui a ensoleillé ma jeunesse et qui sera enfin une douce réalité.

— Je voudrais, dit Yvaine, que notre mariage eût lieu en France dans la chapelle du château où j’ai été baptisée et où j’ai communié pour la première fois… J’aurai sur mes cheveux le voile de vieux point qu’à porté ma mère, et ainsi, devant Dieu je deviendrai votre femme. Le lendemain de notre union nous irons au cimetière où dort ma chère maman… je lui offrirai, avec mes prières, un bouquet de roses, un bouquet de roses « France », dit-elle avec un sourire qui remplit de joie le cœur du jeune Égyptien.

Nous passerons en Bretagne notre lune de miel, elle sera, longue j’en suis sûre… Ensemble nous parcourrons notre beau parc, nous explorerons les rochers que bat sans cesse le flot. Et quand réapparaîtra la neige, fuyant l’hiver, nous reviendrons en Égypte, vivre ici, dans un éternel été, et nous aimer toujours !…

— Ce soir même, chérie, dit Sélim en posant sur elle son regard velouté, je demanderai à votre père de faire notre bonheur !

Ils se levèrent et s’apprêtèrent à rentrer Yvaine se retourna et envoya, du bout de ses doigts fuselés, un baiser à toutes les preuves de l’amour de Sélim : à la roseraie, au menhir et aux genêts d’Armorique.