Librairie Beauchemin, Limitée (p. 138-142).


XXVIII

DOUBLE BONHEUR


Sélim avait étendu Yvaine sur le sable, et l’égyptologue se hâta de la soigner… Il tamponna ses tempes avec un peu d’eau-de-vie, lui fit respirer des sels, et la jeune fille ouvrit enfin les yeux… Son regard, d’abord effrayé reprit rapidement son éclat en retrouvant les visages aimés anxieusement penchés vers elle.

Toute au bonheur d’être sauvée, elle embrassa longuement son père, les deux bras passés autour de son cou, comme quand elle était petite. Elle desserra son étreinte pour tendre la main à Sélim, mais elle accompagna ce simple geste d’un regard et d’un sourire dont le jeune homme comprit la douce signification.

Un éclair de joie illumina ses grands yeux sombres, et il porta dévotement la petite main à ses lèvres…

Yvaine conta alors, dans tous leurs détails, son enlèvement, et son arrivée chez von Haffner, les questions de l’Allemand et son ultimatum.

Elle ne put relater sans un frisson d’horreur, le parcours effectué sur le cheval d’Ahmed et sa chute désespérée dans le Nil.

Les yeux de Sélim avaient pris un éclat inquiétant ; il dit à son tour le subterfuge et le châtiment d’Ali.

L’étalon gris penchait sa tête vers Yvaine. La jeune fille le caressa en murmurant.

— Pauvre bête, tu as été un justicier inconscient ! Tu as fait le bien presque comme Ali a fait le mal. Tu as été l’instrument de la Providence, Ali a été celui de von Haffner… Le seul coupable de tout, c’est le Germain… Il est coupable sous tous les rapports, d’abord par son envie et son égoïsme. Il voulait pour lui le secret de mon père, il a tout tenté pour s’en emparer. M’en croyant dépositaire, il m’a fait enlever et n’a pas reculé devant un crime, parce que je refusais de le livrer. Et c’est un savant, un homme cultivé, appartenant à l’élite de son pays qui a fait cela, c’est un homme au puissant cerveau, mais aveuglé par le fanatisme qui a dirigé, leur promettant de l’or, deux pauvres hères dans la voie du mal… Ali et Ahmed n’ont fait qu’exécuter ce que von Haffner avait pensé !

— Soyez tranquille, dit Sélim, d’un accent résolu, il sera puni !…

— Non, dit vivement le savant Breton, tu as vu la mort de trop près, ma petite fille… Je ne veux plus rien tenter qui t’expose à de nouvelles représailles… La terre d’Égypte gardera son secret, le Talisman du Pharaon ne reverra jamais la lumière !

Le savant remarqua seulement l’air indéfinissable des jeunes gens : il les regardait sans comprendre quand, tout à coup, Sélim lui tendit la petite amphore avec un encourageant sourire.

Interdit, ne pouvant croire à la réalité, il se croyait le jouet d’un songe, mais quand sa main toucha le petit vase d’argile, il ne douta plus, et comprit tout le mystère de la trouvaille.

Au fond de l’amphore, la bague reposait, intacte. Il l’eut bientôt sortie de sa prison millénaire, et se mit à l’examiner. L’égyptologue réapparaissait en lui… En vérité l’antique bijou était merveilleux ; cet anneau d’or massif, orné tout autour d’hiéroglyphes formant une phrase symbolique, et portant sur le dessus le profil de la Reine était une véritable œuvre d’art.

Pierre de Kervaleck ne put s’empêcher d’exprimer tout haut son ravissement, et son admiration :

— Regardez, disait-il, le fini merveilleux de ce bijou. Quel artiste inconnu a exécuté ces ciselures, poli cet or pur ?… Comme on voit que cette bague a été faite pour être portée par le Pharaon ! On y reconnaît bien la solidité d’un bijou fait pour servir ! Elle n’a pas la ténuité des joyaux funéraires qu’on trouve souvent dans les tombeaux, et qui ornent les momies… si fins et si légers qu’ils ne pouvaient revêtir que des morts…

… Te rappelles-tu, Yvaine, de ce diadème de la Reine Knou-mouît ? Tu as bien admiré ce lacis de fils d’or si légers que réunissaient, à intervalles égaux, des fleurons d’or à cœur de cornaline et à quatre pétales bleus, simulant une croix de Malte… Les fleurettes rouges et bleues semées sur les fils entre chaque fleuron lui donnaient un aspect joli et gracieux au possible mais sa fragilité le rendait impossible à porter[1]… Au contraire, ce Talisman était un bijou solide, bien destiné à un vivant !…

Mais le discours de l’égyptologue intéressait très peu les amoureux, qui n’étaient qu’à leur bonheur. Sélim l’aperçut soudain, tout à la contemplation du bijou, il sourit et regarda Yvaine… Elle comprit la muette demande des beaux yeux noirs, devenus très doux, entre les longs cils, et, souriante à son tour, y accéda… Leurs lèvres s’effleurèrent dans un rapide baiser.

Le Talisman du Pharaon commençait à leur porter bonheur !…

  1. D’après G. Maspero. — L’archéologie égyptienne.