Librairie Beauchemin, Limitée (p. 45-47).


VII

DERBA


En quittant la volière, les jeunes gens retournèrent à la maison. Le soleil allait bientôt disparaître, dans une gloire de rayons d’or, à l’horizon resplendissant.

M. de Kervaleck les attendait dans le grand salon, vaste pièce toujours si froide qu’à cette époque printanière on y endurait la chaleur que répandait une grosse bûche flambant dans la monumentale cheminée.

Rien dans l’attitude des deux cousins ne révélait l’entretien qu’ils venaient d’avoir. Hervé se mit à causer avec son oncle, pendant qu’Yvaine, vive et gracieuse servait le thé.

Tout à coup, le marin se tut et fixa la cheminée devant laquelle, sur une superbe peau de panthère, le grand lévrier venait de se coucher. Sa belle tête fine au museau allongé dressé sur son long cou, ses yeux d’or fixés sur sa jeune maîtresse, Derba était remarquable.

La flamme teintait de taches mouvantes son court poil fauve strié de noir et se jouait jusqu’au bout de ses longues pattes agiles.

— Mon oncle, dit Hervé, vous avez un bien beau chien… Couché ainsi sur cette fourrure, il a une pose à tenter un peintre…

— J’y tiens beaucoup, dit le savant, mais pas seulement à cause de sa beauté…

Et le père d’Yvaine, qui venait d’offrir à son neveu une odorante cigarette de tabac blond, continua posément :

— Il y a quelques années, j’étais en Algérie où je chassais les grands fauves. Un matin, je partis avec ma levrette pour seule compagne, et je commis l’imprudence de m’éloigner du camp, tout seul, en pleine brousse…

Je marchais sans soupçonner de danger, quand soudain ma chienne gronda. Son flair merveilleux lui avait fait découvrir la présence d’une panthère, tapie dans les broussailles et qui se ramassait pour bondir.

La panthère, qui saute sur tout ce qui bouge, dans une rage aveugle de férocité s’était élancée, mais ma chienne s’était précipitée, aboyant avec fureur. Un instant les deux bêtes furent aux prises, mais le fauve fut le plus fort. Ma chienne fut cependant sa dernière victime, car l’instant m’avait suffi… Je l’abattis. Au camp, la levrette avait un petit de quelques semaines : Derba… Je l’ai ramené et, depuis, il est mon fidèle compagnon…

Le savant appela le chien qui se leva aussitôt et vint poser sur le genou de son maître sa belle tête affectueuse.

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Quand Hervé de Kerleven quitta la demeure de son oncle, il était encore sous l’impression de son grand amour refusé.

Lorsqu’il partit, Yvaine lui dit, en lui serrant la main :

— Adieu, Hervé, oubliez-moi.

— Je vous promets d’essayer, Yvaine… je ne veux pas faire envoler votre rêve, votre beau rêve couleur d’ibis !…