Librairie Beauchemin, Limitée (p. 11-17).


I

L’OASIS DU DÉSERT


L’ardent soleil, poursuivant sa course vers le zénith inondait de lumière l’immensité rousse du désert de Libye.

Pour la seconde fois de la journée, les méharistes avaient fait halte et pour la seconde fois ils avaient dit, tournés vers l’Orient :

— Allah seul est Dieu, et Mahomet est son Prophète !…

Puis ils avaient repris leur marche, l’âme remplie de sérénité.

Au milieu des dunes de sable roux défilait lentement une longue suite de chameaux chargés, conduits par des indigènes et escortés de quelques cavaliers blancs.

C’était la caravane de M. de Kervaleck, l’explorateur français qui voyageait en Égypte à la recherche d’antiquités, car il était collectionneur passionné.

Le savant Breton était accompagné de sa fillette Yvaine, jolie petite fille de six ans, qui avait suivi son père dans tous ses voyages depuis la mort de sa mère, survenue trois années auparavant.

L’explorateur consulta soudain une carte qu’il portait au côté et fit signe aux méharistes d’arrêter leurs montures.

— Ali Hassan ! appela-t-il…

Un Arabe bronzé, du plus pur type Kabyle s’avança à l’ordre de son maître et fixa sur lui ses intelligents yeux noirs.

— Sommes-nous bien loin de l’oasis ? demanda M. de Kervaleck, quand l’atteindrons-nous ?

L’Arabe ainsi interrogé, regarda la position du soleil, étendit le bras vers le nord où se dressait une haute colline de sable et répondit :

— Cette dune nous empêche seule d’apercevoir l’oasis ; mais les chevaux et les chameaux la sentent bien… Dans une heure au plus nous l’aurons atteinte…

— C’est bien, dit l’explorateur, congédiant du geste le chef des méharistes.

Ali-Hassan ne s’était pas trompé… Quand la caravane eut contourné la dune, la verte oasis apparut aux regards. Les chevaux hennirent doucement, et les chameaux tendirent leur long col vers l’eau prochaine.

De hauts palmiers, des figuiers touffus, des orangers, entouraient la large nappe d’eau claire, qui donnait la vie aux plantes et le breuvage aux animaux.

La caravane s’arrêta, et le camp fut bien vite établi. S’agenouillant au bord de l’eau, les chameaux burent à longs traits. Les chevaux furent soignés et entravés. Le chef de l’expédition songea alors à prendre du repos.

Pris du désir de visiter son nouveau domaine, M. de Kervaleck se fit accompagner de sa fille et d’Ali Hassan. Les trois voyageurs s’enfoncèrent dans la verte palmeraie.

Ils atteignirent bientôt une sorte de clairière où le plus inattendu des spectacles s’offrit à leurs yeux.

Allongé à terre, dormant profondément, reposait un enfant d’une dizaine d’années, richement vêtu à l’égyptienne. Non loin de lui était solidement, attaché un très beau poney d’Arabie qui donnait toutes les marques de la plus grande frayeur. Les yeux injectés de sang, les naseaux fumants, il tirait sur ses rênes en renâclant et l’effroi seul l’empêchait de hennir.

M. de Kervaleck comprit le premier la cause de la frayeur de l’animal. À quelques pas de l’insouciant dormeur, rampait un des plus venimeux serpents, un aspic, semblable à celui dont la morsure fit mourir la belle Cléopâtre.

— Si cet enfant s’éveille et bouge, dit avec angoisse l’explorateur, il est perdu… L’aspic le mordra et son venin ne pardonne pas.

… Ali-Hassan, s’écria-t-il, soudain pris d’une inspiration, toi qui charmes les serpents, sauve-le…

— Puisque vous le voulez, dit l’Arabe, je vais essayer d’éloigner l’aspic… Si cet enfant s’éveille, dites-lui surtout de ne pas faire un mouvement…

Ali-Hassan tira de sa poche une flûte qui émit un son à la fois étrange et doux… Il joua d’abord une sorte de mélopée lente et bizarre, dont le son monotone attira l’attention du serpent. Il ouvrit la gueule, darda sa langue fourchue et siffla… Ali-Hassan augmenta graduellement la vitesse de sa mélodie… mais en même temps les yeux du dormeur s’ouvrirent…

— Si tu tiens à la vie, ne bouge pas, cria M. de Kervaleck…

L’accent du savant impressionna l’enfant qui aperçut alors le hideux serpent… Sa figure se crispa, mais par un puissant effort de volonté il se dompta, il n’eut pas un tressaillement, mais il referma les yeux et attendit.

Ali-Hassan jouait toujours… la mélopée bizarre devint de plus en plus rapide ; le serpent, charmé, se dirigea vers lui… Marchant lentement sans ôter la flûte de ses lèvres, l’Arabe se fit suivre du reptile et l’entraîna à l’autre extrémité de la clairière. Il continua sa musique jusqu’à ce que l’aspic, engourdi, inconscient n’eût plus d’autre mouvement qu’un long tressaillement… Il saisit alors son revolver et lui fracassa la tête.

Pendant ce temps, M. de Kervaleck et Yvaine s’étaient précipités vers l’enfant que l’explorateur venait de sauver.

Le savant fut favorablement impressionné par la beauté réelle du jeune garçon dont les grands yeux très noirs, la bouche altière, et tout l’air de noblesse empreint sur la physionomie indiquaient la haute naissance.

— Qui es-tu, lui demanda-t-il avec un bon sourire, et pourquoi étais-tu seul ici ?

— À vous qui m’avez sauvé, j’adresse mes remerciements et je vais répondre… dit l’enfant en fixant sur le savant ses yeux brillants, — Mon nom est Sélim ; je suis le fils unique de Férid-Pacha, un des plus puissants Pachas du Caire, continua-t-il fièrement.

Je fais, avec mon précepteur, un voyage d’études en Libye… Trompant sa surveillance, j’ai cru bon de venir, tout seul, jusqu’à cette oasis. Nous campions près de la citerne de la Gazelle… J’ai eu tort, dit-il avec franchise, et je m’en excuserai tout à l’heure…

Gentiment, Yvaine s’approcha de Sélim et lui dit :

— J’ai eu bien peur, tu sais, quand le vilain serpent était si près de toi… puis, éclatant en sanglots, elle se jeta dans les bras de son père dont les caresses seules purent l’apaiser.

Tirant de sa ceinture un court poignard enrichi de pierreries, Sélim l’offrit à Ali-Hassan qui l’accepta.

— Garde cette arme, lui dit-il en arabe, et souviens-toi du fils de Férid-Pacha…

L’explorateur et ses compagnons regagnèrent le camp. M. de Kervaleck envoya un messager à la citerne de la Gazelle, distante d’environ trois milles de l’oasis, pour rassurer le précepteur de Sélim.

Quelques heures après, le messager revint, avec toute l’escorte du fugitif. On peut penser quelle était l’inquiétude du docteur Yacoub-ben-Zeloug, à qui Férid-Pacha avait confié son fils, quand il avait constaté la disparition de son élève.

Quand il sut quel danger il avait couru, et comment il avait été sauvé, il fit à Sélim un long discours en arabe, que celui-ci essuya sans sourciller bien que parfois on eût pu voir ses yeux flamber, quand les reproches étaient particulièrement vifs.

M. de Kervaleck offrit l’hospitalité aux nouveaux venus. Yvaine et Sélim furent bien vite bons amis et ne se quittèrent plus. L’enfance est insouciante et les deux enfants oublièrent bien vite les aventures de la journée.

Quand l’heure du repos eut sonné, ils s’endormirent bientôt et reposèrent avec tout le calme de l’innocence.