Le Talisman, morceaux choisis/Texte entier

A. Levasseur et F. Astoin, éditeurs — Giraldon-Bovinet (p. --341).
LE
TALISMAN.
IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,
PASSAGE DU CAIRE, N° 54.
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AVIS DES ÉDITEURS.


Nous devons à ceux qui favorisent habituellement nos publications une excuse sur la métamorphose du titre de ce Recueil. L’année précédente nous intitulâmes notre premier volume Keepsake américain, parce que nos gravures venaient de New-York. Cette fois-ci, nous avons fouillé dans le porte-feuille des artistes de Londres, et notre intention était de nous en tenir au titre de Keepsake. Deux faits importons pour nous seuls ont modifié cette résolution. Un Keepsake que l’année 1831 n’a pas épuisé reparaît à la faveur du millésime de 1832, puis un autre éditeur s’est emparé d’inspiration du titre de Keepsake Français, que possédait un recueil en faveur depuis deux ans, en y ajoutant toutefois l’épithète de Nouveau. Comme on voit, le mot de Keepsake luit aujourd’hui pour tout le monde. Il ne nous restait plus à prendre que le titre de Véritable Keepsake ou celui de Keepsake des Keepsakes ; quelque piquantes que nous aient paru ces dénominations, nous n’avons pas cru devoir nous en servir ; nous ne voulons point, d’ailleurs, réussir de compte à demi sur les entreprises de nos voisins. Les Anglais, auxquels nous avons emprunté le mot de Keepsake, qui ne se traduit pas, nous en ont rendu un autre qui appartient à notre langue, et qu’il appliquent également à ces ouvrages annuels, mélange de gravures et de fragmens littéraires. Le Talisman ne nous a semblé ni moins élégant ni d’une prononciation moins facile. Nous avons mieux aimé adopter ce nouveau titre, et créer ainsi un nouveau débouché à l’industrie des imitateurs futurs, que de singer nos copistes ; sauf à nous réfugier sous une dénomination nouvelle si

nous sommes encore débusqués dans celle-ci.

LISTE
Des Vignettes.


1° 
Le Départ pour la Messe, d’après Tony Johannot, gravé par Porthury. 
 5
2° 
Allegra, d’après Chalon, gravé par Ensom. 
 35
3° 
La Saint-Juan d’Alcatras, d’après A. Devéria, gravé par Sangster. 
 61
4° 
Oberwesel, d’après Roberts, gravé par Goodall. 
 92
5° 
a CarrMclla, d’après Monlvoisin, gravé par Greathatch. 
 126
6° 
Jeannc Grey, d’après Northeote, gravé par Mitchell. 
 154
7° 
La Marquise de Salisbury, d’après Lawrence, gravé par Ensom. 
 181
8° 
Le Soir, d’après Baxall, grave par Watt. 
 200
9° 
La Tour de Londres, d’après Turner, gravé par Miller. 
 238
10° 
Le Souper, d’après Soutbard, gravé par Englebeard. 
 289

TABLE

Des Pièces contenues dans ce Reccueil




Pages
Abrantès (la duchesse d’).
 169
Anglemost (Édouard d’).
Aubert (Mme Constance).
 29
Barbier (Auguste).
Barthélémy.
Belmontet.
 149
Berthoud (H.)
Boitel (Léon).
 279
Brizeux (A.).
Brucker (Raymond).
Buquet (Léon).
 289
Chateaubriand (le vicomte de).
Cosnard (A.).
Custines (le marquis de).
Delacroix (Eugène).
 181
Deschamps (Emile).
Drouineau (Gustave).
 269
Ducrest (Georgette).
Dumas (Alexandre).
Émile de Girardin (Mme)(Delphine Gay).
Épinay (Mme Marie de L’).
Fontaney (A.).
 330
Forges (A. de).
Foucher (Paul).
Gay (Mme Sophie).
Gozland (Léon)
Hugo (Victor).
Janin (J.)
Lacroix (Paul.)
Lamarque (Nestor de)
Lamartine (Alphonse de).
Latouche (H. de).
 200
 320
Luchet (Auguste).
 35
Masson (A. Michel).
Menessier (Mme Marie Nodier).
 1
 282
Méry.
Michaud.
 207
Montrol.
 154
Moreau (Louis).
Musset (Paul de).
Nodier (Ch.).
Paulin.
 294
Pichot (Amédée).
Régnier (Destourbet).
Rességuiek (Le comte Jules de).
Royer (Alphonse).
Saint-Félix (Jules de).
 9
Saint-Valry.
Soumet (Alexandre)
Sue (Eugène).
 303
Tastu (Mme Amable).
 234
Valmore (Marceline Desbordes).
Villemarest (Max. de).
Waldor (Mme Mélanie)
 116
Walter-Scott.


FIN DE LA TABLE.


REPROCHES.


Pour la première fois vous avez fui mon cœur,
Ce cœur où vous pleuriez, où vous versiez votre ame,
Vous avez un secret qu’en vain moi je réclame ;
Moi, que vous aimiez tant, mon regard vous fait peur,
Pour la première fois vous avez fui mon cœur.

Vous avez oublié qu’il est doux de pleurer,
Quand on a bien long-temps voulu cacher ses larme ;
Contez-moi vos chagrins, vos secrètes alarmes,
Tout ce qui vous fait craindre ou vous laisse espérer ;
Vous avez oublié qu’il est doux de pleurer.

Oh ! pleurez avec moi votre bonheur perdu,
Et nos rêves d’enfans trop fragile, chimère ;
Pleurez pour que vos yeux retrouvent leur lumière,
Et pour que le repos au moins vous soit rendu.
Oh ! pleurez avec moi votre bonheur perdu.

De votre lourd secret donnez-moi la moitié ;
Soulagez votre cœur de ce poids qui l’oppresse ;
Cachez entre mes bras un aveu qui vous blesse,
Je vous conjure, enfant, de vous ayez pitié !
De votre lourd secret donnez-moi la moitié.

Mon ame est à la vôtre attachée à toujours,
3Ialgré le ciel contraire, et malgré vous peut-être ;
Ainsi qu’une ombre amie elle doit apparaître
Dans votre vie amère et dans vos heureux jours.
Mon ame est à la vôtre attachée à toujours.

Hélas ! si vous vouliez un peu vous souvenir
De ce temps où mon cœur réfléchissait le vôtre,
Où nous marchions ensemble en pensant l’une à l’autre,
Vous verriez le passé plus beau que l’avenir,
Hélas ! si vous vouliez un peu vous souvenir.

Le printemps est fini, n’effeuillons pas les fleurs
Qu’il a laissé tomber de sa fraîche couronne,
Car l’hiver vient si vite et sa main les moissonne,
Et nos pleurs les suivront, mais que lui font nos pleurs ?…
Le printemps est fini, n’effeuillons pas les fleurs.

Marie Nodier-Mennessier.
Illustration
Illustration


Le Départ pour la Messe.


Je l’ai connue, cette jeune Marie ! Oui, c’est elle ! Voilà bien cette pureté toute virginale que j’aurais crue insaisissable avec toutes ses nuances ! Simple cornette, cheveux blonds, lisses, partagés sur le front, et dont le chignon se cache sous la baptiste ; peau blanche et légèrement brunie aux joues et sur le cou demi-nu ; corsage ravissant et dont la chute est harmonieuse ; une ignorance piquante et des saillies naturelles ; un cœur qui commence à s’agiter, et qui la fait rêver quand les pigeons roucoulent et s’ébattent devant elle ; le dimanche, des bas blancs, des souliers fins et petits… Oh ! que c’est bien elle ! Est-ce ma jolie villageoise que vous avez peinte, M. Johannot ? ou votre imagination, douée de la seconde vue, va-t-elle de salons en salons, des villes aux villages, saisissant les beautés originales et vraies qu’elle reproduit incessamment. Je ne sais ; toujours est-il que votre Marie et la mienne se ressemblent beaucoup, et que, si vous avez eu l’honneur de la créer en vivifiant des souvenirs, j’ai eu, moi, le plaisir de la voir.

Elle habitait et habite encore sans doute un village auprès de Paris. Elle n’avait ni père ni mère ; et, si sa grand’maman n’eût dit l’avoir vue toute petite et dormeuse en un berceau, on aurait pu s’imaginer qu’elle était une de ces poésies vivantes qui aiment, souffrent, consolent et passent sur cette terre pour nous l’embellir. S’ils ne nous apparaissaient pas, ces êtres angéliques, ces femmes qui semblent à peine participer de notre misérable vie ; s’ils ne venaient pas vers nous comme de charmans fantômes, comme ces fées, ces Titanias, sorties de l’imagination de Shakspeare, il faudrait prendre en dédain ce monde fangeux, et n’avoir d’amour que pour ce qui n’est pas. Mais ces jeunes filles, ces femmes, idéalités palpables, rapprochent notre réel de notre espérance, et la terre du ciel où elles sont placées comme des intermédiaires.

Ma jeune orpheline vivait du travail de ses aiguilles et du lait de deux vaches, seul revenu de cette pauvre famille ; elle cousait et faisait les robes des filles du village. On l’appelait même au château de la comtesse de C*** pour réparer le linge : son adresse y était vantée. La comtesse désirait vivement la prendre à son service ; une jolie femme de chambre est un meuble nécessaire pour un appartement de noble dame, comme une causeuse et de riches écrans sur la cheminée : mais il était quelqu’un qui le désirait plus encore, et c’était son fils, le jeune comte de C***, un de ces fashionnables que vous avez pu rencontrer au balcon des Bouffes, et dans le bois de Boulogne où ils se plaisent à lancer leurs chevaux ; un de ces foux brillans qui s’imaginent que les chevaux et les femmes ont été créés pour l’amusement et les plaisirs des élégans privilégiés tels qu’eux. 11 épiait le passage de Marie, l’arrêtait par quelques causeries tendres et gaies, tandis que la pauvre fille, toute rouge, tournait entre ses jolis petits doigts un coin de son tablier ; il la pressait de venir demeurer au château… mais il était presque toujours interrompu par l’arrivée soudaine d’an jeune jardinier qui rôdait obstinément autour d’eux en ces momens-là.

Le jeune jardinier avait un cœur tout aussi bien que M. le comte ; et il aimait mieux ; il offrait, le dimanche, son bras à la ravissante fille, à la fois laitière et couturière du village ; dansait avec elle après vêpres, et l’accompagnait chez sa grand’mère, ce qui lui attirait bien des envieux. Un jour que Marie sortait du château avec un paquet de linge, le comte la suivit, et, la pressant de se rendre aux instances de sa mère, la pria d’accepter une bague où étiucelait un diamant… Embarras de la jeune fille, refus timide ; mais le jardinier parut, et malgré les ordres du séducteur, il ne voulut pas s’éloigner : le soir même il fut chassé.

Le dimanche suivant, la cloche tintait, les paysans se rendaient à cette modeste église, où leurs genoux se pliaient devant un autel paré des vertus évangéliques de leur bon curé. La messe sonne encore, mais d’un son plus vif et plus affaibli ; Marie sort de sa cabane avec sa vieille grand’mère ; a la porte, elle rencontre la petite Jeannette, sa sœur, qui n’a que cinq ans, et promet d’être belle aussi ; c’est dans le sang !… Elle joint ses petites mains élevées, et dit : « Marie, je veux, moi aussi, aller à la messe ; grand’maman, emmène-moi. » La vieille sourit en secouant la tête : « — Promets-tu d’être bien sage ? — Oh ! oui. » Et elles cheminent lentement toutes les trois, l’enfance qui s’ignore, la jeunesse qui espère, la vieillesse qui s’éteint.

Marie était toute soucieuse, et la bouderie sur ses lèvres était un charme de plus : mais elle pensait au jeune jardinier qui s’était fait chasser pour elle ; il possédait quelques arpens de terre, et il était rangé économe, beau garçon — Le comte brillait, riche et séduisant : Il parlait de Paris, d’équipages, d’un somptueux appartement !… Marie était toute soucieuse.

Quand elle entra dans l’église, elle répondit à peine aux saints des garçons et aux signes de ses bonnes amies, elle se mit à genoux dans une allée ; sa grand’mère et la petite Jeannette à côté d’elle… Quelle fat sa surprise en voyant, bientôt après, le jeune comte de l’autre côté ! — Marie était agenouillée devant sa chaise où elle avait jeté son blanc mouchoir ; elle priait Pendant l’élévation, quand tous les fronts s’inclinent, vers le pavé de l’église, le jeune homme montra la bague à Marie, et la glissa vivement dans les plis du mouchoir.

La charmante fille, toute émue, entendit bientôt après un soupir étouffé ; c’était le pauvre jardinier, à genoux derrière Jeannette ; il frémissait, et regardait le comte d’un œil menaçant. La sainte lithurgie se poursuivait ; le bon prêtre, se retournant vers ses humbles paroissiens, leur disait : « — Allez, la messe est dite : que le Seigneur soit avec vous. » — Le jeune jardinier montra, d’une main tremblante, à la petite Jeannette une image à mettre dans un livre pieux : elle représentait la cérémonie du mariage Son regard suppliant interrogeait celui de Marie, et semblait dire : « — Prenez, car je n’ose vous l’offrir. »

Elle ouvrit alors sou livre d’Heures a la messe du mariage, et y plaça la gravure ; puis, saisissant un des coins de son mouchoir, elle le secoua dédaigneusement, et la bague alla rouler aux pieds du comte.

Un mois après, Marie était la femme du jardinier, et le comte n’allait plus au château.

Voilà tout ce que je sais de Marie ; sans doute si je la voyais aujourd’hui qu’elle est mère de trois enfans, m’apparaîtrait-elle moins poétique, moins svcltc, moins idéalisée ! N’importe, le souvenir m’en est resté, et je vous l’ai conté. Lisez-le comme une page écrite au coin du feu, un malin, en se souvenant d’une jeune et jolie femme.


Gustave Drouineau.
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PENSÉE.


Non, ce n’est pas une vaine illusion que la magie de souvenirs ; non, l’ame ne se ferme pas à ce qui s’éloigne d’elle après l’avoir fait vivre de bonheur. Mais ce souvenir est-il toujours un bien ? — Si doux !… si amer !… si doux quand on est heureux, — lorsqu’au souvenir se mêle l’espoir, lorsqu’on peut se dire : C’était hier, — ce sera demain ! — Si doux, quand l’ame tranquille est encore pleine des émotions qu’il retrace, quand il provoque un soupir qui n’amène pas de larmes ! — Si amer, lorsqu’il apparaît comme le spectre de ce qui n’est plus, après l’avoir évoqué doux et consolant ; si rien ne répond ; s’il faut se traîner à genoux devant une ombre qui fuit, lui tendre les bras sans pouvoir la saisir, et se retrouver seule !…

C’est là ce souvenir dont le poids écrase ! — c’est là ce souvenir qui tue !

J’ai été heureuse aussi, — et la vie passait courte et légère ; tout était riant ; je n’avais pas été ébranlée par ces coups qui frappent de mort ! — J’étais heureuse ! — Mais l’avenir n’a plus de promesses quand le passé a été décevant. — Du bonheur ! où y en a-t-il ?

Oh ! si vous savez quelque chose qui froisse le cœur plus que l’oubli ! si vous savez ce qui le rend indifférent à ces blessures profondes dites-le, toutes les âmes fatiguées vous comprendront, car la mémoire est le pire de tous les maux quand on a tout perdu.

Tant de jours délicieux ! tant de joies ! Puis… rien ! — L’attendre sans agitation ! le revoir sans délire !

Qu’il vienne ! et qu’il me dise encore : Je t’aime… je te rends ma vie… Et moi, j’oublierai tout, je pardonnerai tout. Qu’il vienne ! et, s’il a encore pour moi des paroles de tendresse, je les croirai, et je le bénirai comme si je n’étais pas offensée.

Erreur ! illusion ! Qui pourrait combler l’abîme que le temps a mis entre nous ? Que puis-je contre lui ? Vous rappeler ces jours qui, pour vous, ne sont pins que songes importuns ? vous dire que je vous aimais ? Non, l’amour ne s’adresse qu’à l’amour, et le désaccord est blessant quand un cœur seul se souvient. Tous dire que je vous aime encore. Eh ! vous en douteriez !… Vous ne m’avez jamais comprise !

Il y a entre la passion et la tendresse une différence que les hommes ne sentent pas. — En eux, l’une ne succède pas à l’autre : la passion détruite, — c’est le néant. Entre nous, rien désormais !

Amour ! tu es bien petit dans un cœur d’homme, puisque, même quand tu es vrai, tu es si prompt à oublier !

Celle qu’il aime ! elle est jeune sans doute, belle, radieuse ; — dans ses yeux, la joie et son ivresse ; sur sa bouche, le sourire et son charme Mais bientôt après la satiété, — elle deviendra pâle aussi, languissante et triste ; — ses yeux seront rouges, ses joues creuses, sa voix tremblante, les larmes la tueront aussi.

Oh ! qu’elle le sache de moi, si je la connais un jour ! qu’elle éprouve d’avance la torture de la crainte ; qu’elle connaisse la dureté avec laquelle il rejette un cœur dont il ne veut plus, et qu’elle tremble ; car son avenir est le mien. Elle rit de moi, l’insensée ! ignorante qu’elle est de ce qui la menace ! Elle vit d’illusions : les illusions sont si douces ! Et le réveil, qui vient toujours, viendra pour elle ; il l’oubliera aussi !

Il l’oubliera… et que m’importe ? Il ne reviendra pas à moi. Il ne sait pas que rien n’altère une vraie tendresse de femme, et qu’à sa voix, à son regard, à son seul désir, ma vie serait encore toute à lui. Il ne sait pas qu’un ressentiment est impossible à l’ame qui aime ; que je voudrais pouvoir le haïr ; — car alors je ne pleurerais plus.

De la haine ! si j’en puis avoir ! c’est pour celle qu’il m’a préférée, — pour celle qui est heureuse de ces paroles dont j’étais heureuse ; — elle qui peut fixer sur ses yeux ardens des yeux attendris et pleins d’amour !

Oh ! folie de se briser le cœur avec ces tristes pensers !

À lui ! toujours et malgré tout, du bonheur ! À elle, malheur et malédiction !!

Mme Constance Aubert.
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UNE HISTOIRE.


Ne croyez pas que ce soit mon histoire ; non, c’en est une, mais ce n’est pas la mienne. Elle est triste, mais elle est vraie ; c’est une histoire du monde, c’est tout dire. Laissez parler celle qui sentit ce que je vais peindre ; elle nous exprimera mieux que moi ces douleurs, ces joies, ces larmes d’amour et de désespoir qui donnent la mort. « Je l’aimais tant !… et lui rien. Un caprice de huit jours ! Comprenez-vous une passion sentie par un seul ? Une passion à laquelle rien ne répond ! Qu’on a fait naître dans notre cœur, puis qu’on y a laissée isolée, se débattant avec elle-même ! Comprenez-vous cette émotion violente, causée par le bruit du marteau retombant sur la porte, annonçant l’arrivée de celui qui ne vient pas ; puis, qui finit par arriver tard, d’un air ennuyé, nous saluant la première, nous disant le temps qu’il fait ? N’ayant pas deviné, ou ne s’étant pas soucié de ce que l’attente nous a fait souffrir ? À présent, pour elle tout a changé. Dans ce salon tout est beau, il y fait clair, il y fait gai. Elle commence à respirer, à écouter ; tout le monde a de l’esprit Mais le prisme s’obscurcit, ses yeux se couvrent d’un nuage ; tout son sang se retire vers son cœur ; son front se glace ; lui est près d’une autre, comme à pareil jour il fut près d’elle ; une autre respire le parfum de ses cheveux, sa taille souple se penche vers cette autre. Que lui dit-il ? il lui dit ce qui me fera mourir, et elle après moi peut-être… Non, elle ne l’aimera jamais comme moi, moi seule pouvais l’aimer ainsi ! »

. . . . . . . . . . . . . . .

Madame de *** était assise dans son grand salon, au coin de la cheminée, les yeux fixés sur l’immense brasier qui la remplissait ; elle paraissait livrée à de profondes réflexions ; ses beaux sourcils se contractaient, et aucun des bruits qui se faisaient autour d’elle ne pouvait la tirer de sa préoccupation : à peine faisait-elle un mouvement à l’arrivée de chaque nouveau venu. Cependant on annonça un nom et elle tressaillit ! Ah ! vous voilà, Monsieur, dit— elle, avec un sourire amer, puis ce fut tout. Dans un groupe d’hommes, on parlait bas ; on y regardait ce jeune homme, de la tournure la plus élégante, qui s’était assis à une table d’écarté. Madame de *** paraît en être très-affligée, dit tout haut un vieillard d’un air triste ; mourir si jeune ! si belle ! Pauvre Octavie !… Je l’ai vue naître… On l’a enterrée ce matin…

— Qui donc ? qui donc ? demanda le jeune homme en passant sa main dans ses beaux cheveux. Le nom lui fut dit à l’oreille. Ah ! oui, reprit-il, j’ai vu le corbillard à la grille de l’Assomption, ce matin, en allant au bois… Monsieur, je suis désolé… Le roi et la vole !

Mme Marie de l’Épinay.


FRAGMENT D’UNE COMÉDIE


. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le front pâle, et les doigts chargés d’anneaux gothiques,
Voyez, dans nos salons, ces jeunes romantiques
Qui, pour singer Lara, se faisant mille efforts,
Incapables du crime, affectent le remords.
Un cœur pur les condamne à des vertus faciles,
Mais contre leur destin follement indociles
Chacun d’eux, à l’entendre, est indigne du jour ;
Il méprise la vie et déteste l’amour.
Jeune, en proie aux tourmens d’un éternel veuvage,
Le monde n’est pour lui qu’une mer sans rivage
Où, bravant tour à tour la tempête et le sort,
Il se plaît à souffrir en attendant la mort.

C’est ainsi qu’étendu mollement sur la soie,
Dans ces fêtes du soir où préside la joie,

Entoure de parfums, de femmes et de fleurs,
Un nouveau misantrope exhale si s douleurs.
Mais de ses longs ennuis la triste litanie
S’interrompt tout à coup ; une vive harmonie,
De la danse et des jeux vient donner le signal.
Alors, d’un air distrait, il cherche dans le bal
La beauté qui pourrait fléchir son àme altière —
Et va droit inviter la plus riche héritière.
Car pour ces cœurs voués au remords, au regret,
Les seuls dons de Plutus ont encor quelque attrait.
J’en connais dont le front s’abîmait sous l’orage,
Qu’une planche dorée a sauvé du naufrage ;
Mais sans bénir le ciel du secours généreux,
Il traîne dans le faste un exil douloureux ;
En vain sa femme est belle, et voudrait le distraire ;
Aux maux qu’il s’est promis rien ne peut le soustraire ;
Fidèle imitateur d’un sombre original,
Il suit, d’un pas hardi, le sentier infernal,
Y rencontre Lara, s’égare sur ses traces,
Et perdant, sans retour, le naturel, les grâces,
De son jeune âge enfin le charme tout puissant,
Il succombe au regret de mourir innocent.

Mme Sophie Gay.


Chanson Villonienne.


Las ! qui veut être heureux,
Heureux en amourette,
Doit être généreux,
Et porter riche aigrette.
Ce qui dames émeut,
C’est train de seigneurie ;
Oh ! par sainte Marie,
N’a pas ce train qui veut.


D’une gentille brune
Je devins amoureux,
Mais las ! pour être heureux
Amour ne vaut pécune.

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Laisse-moi t’aimer.


Quand tu souris en homme à ces tendres orages
Qui troublent dans l’amour de plus faibles courages,
Que j’aime, de ta voix démentant la gaîté,
Ce nuage qui passe à ton front attristé !

Après que je t’ai dit ma plainte tout entière,
Calmée à ton silence éloquent et rêveur,
Quand je sens tes doux yeux brûler sur ma paupière
Dis ! N’est-ce pas ton cœur qui regarde mon cœur !

Il m’éblouit de joie ! il endort mes alarmes :
Sais-tu de quel espoir il relève mon sort ?
J’y vois toute une vie, et je la vois sans larmes ;
Et je n’ai plus peur de la mort !


Toi, qui m’as seul aimée, écoute : si tu changes,
Je te pardonnerai sans t’imiter jamais ;
Car, de cet amour vrai dont s’adorent les anges,
Je sens que je t’aimais !

Et sans ton cœur, mon cœur comme un poids inutile,
Tel qu’en ce froid cadran palpite un plomb mobile,
De la nuit à l’aurore, et de l’aurore au soir,
Battra jusqu’au tombeau sans joie et sans espoir !
Et, j’en demande à Dieu pardon plus qu’à toi-même,
Je ne veux pas revivre où l’on dit que l’on aime,
Si tu dois y venir pour une autre que moi,
Et si Dieu m’y destine un autre ange que toi !

Le néant me plaît mieux ; son horreur me soulage ;
Te voir, ou ne rien voir ! hors toi, ne rien sentir ;
De toi, dont sur mes sens il imprima l’image,
Dieu me doit d’être aimée ou de m’anéantir.

Tu n’y peux rien changer. Ma vie est ton partage.
Jamais je ne t’ai vu sans t’aimer davantage ;
Et jamais, plus rêveuse en te quittant le soir,
Sans pâlir dans l’effroi de ne te plus revoir !

C’est que Dieu pour nos jours n’alluma point deux flammes
C’est qu’un même baiser fit éclore deux ames ;
Que partout où je passe en appelant ta main,
Le doux poids de tes pieds a creusé mon chemin.


Enfin, que ma pensée orageuse ou calmée,
Se dévoile riante ou s’enferme alarmée,
Comme on voit la cigale au front tremblant des blés,
Craintive, au moindre bruit tarir ses chants troublés,
Toujours teinte de ton image
C’est l’eau qui tremble et joue en mirant ton amour ;
Et si pour d’autres yeux, tes yeux ont un hommage,
C’est l’eau, l’eau sans reflets qu’abandonne le jour !

Toi ! me hais-tu ? Dis vrai ? t’ai-je offensé, mon ame ?
Dis ? quelque mot amer dans un pli de ton cœur,
Parle-t-il contre moi ta sœur, ta faible femme ?
Oh ! parle ! as-tu jamais compris une autre sœur ?

Non… J’ai froid d’y penser, tendresse inexprimable !
Ignores-en toujours les effrois douloureux :
Ne prends de mon amour que ce qu’il a d’aimable,
Et ne garde du tien que ce qui rend heureux !

Mais laisse-moi t’aimer ! Laisse-moi vivre encore !
Laisse ton nom sur moi, comme un rayon d’espoir ;
Mais dans le mot demain, laisse-moi t’entrevoir,
Et si j’ai d’autres jours, viens me les faire éclore.


Marceline Valmore.


*
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LE BAL


Heureux temps où j’aimais la danse pour la danse ;
Où, la veille d’un bal, durant la nuit, mes yeux
Voyaient demi-fermés se former en cadence
    Mille groupes joyeux !

Où mon réveil était un bonheur, un délire,
Où la première alors j’étais toujours debout,
Où mon cœur battait d’aise, où par un long sourire
    Je répondais à tout !

Où sans savoir encor, si j’étais laide ou belle,
J’ornais mes noirs cheveux d’une riante fleur,
Sans que mon front gardât, riant et pur comme elle
    Des traces de douleur !


Car j’ignorais alors que le Ciel à la femme
Eût dit : « Tu grandiras pour aimer et souffrir ! »
Et qu’aimer et souffrir fût même chose à l’ame,
    Et fît toujours mourir !

Heureux temps où mes pieds, dans leur folle vitesse,
Semblaient ne pas poser sur le parquet glissant,
Où mes regards, n’ayant ni langueur ni tristesse,
    Trouvaient tout ravissant.

Où je ne cherchais pas, jalouse et soucieuse,
Du regard un regard, d’une main une main ;
Où le bal le plus beau, pour mon ame oublieuse,
    Était sans lendemain.

Où jamais au retour, une pensée amère
N’ayant entremêlé de pleurs un court adieu,
Je m’endormais, donnant un baiser à ma mère,
    Une prière à Dieu !

Car j’ignorais qu’il compte et nos jours et nos larmes
Avant de leur donner de la réalité,
Et je n’avais alors, étrangère aux alarmes,
    De foi qu’en sa bonté !


Heureux temps, à jamais retranché de ma vie,
Jours, dont je garde encore un si doux souvenir ;
Oh ! que vous promettiez à mon âme ravie
    D’autres jours à venir !

Et que je savais peu, dans mon insouciance,
Que l’Amour se jouait de nous, comme l’enfant
Fait des fleurs qu’il rejette avec impatience,
    Et cueillait triomphant,

Que l’on m’eût dit alors : tu deviendras rêveuse,
Puis triste, toujours triste, et j’aurais ri long-temps,
Sans comprendre qu’on pût se trouver malheureuse,
    Plus de quelques instans !

Car ma jeune ame était paisible comme l’onde,
Sur laquelle un beau jour avant l’orage a lui,
Et souriait au monde, hélas ! tant que ce monde
    Pour moi n’était pas lui !


Madame Mélanie Waldor.
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DERNIERS MOMENS D’UNE AMIE.


Il est minuit !… Assise près de son lit, je regarde en frémissant, ses traits se décomposant de minute en minute ; j’écoute avec anxiété sa respiration devenant de plus en plus pénible ; et je recueille avec désespoir, le peu de mots touchans, que sa faible voix nous adresse encore, malgré ses vives douleurs, qui se peignent sur son doux visage ; et dont elle ne se plaignit pas une fois !… il est minuit !… et dans deux heures, les battemens de ce cœur noble et généreux auront cessé !… Cette sentence terrible, une sœur de charité nous l’a prononcée avec ce calme que donne l’habitude de pareilles scènes, lui offrent des exemples nouveaux de notre néant ! Préparant une potion qui doit adoucir des maux cruels, mais qui ne saurait les guérir, cette bonne sœur nous détaille paisiblement les crises qui amèneront la dernière ; et auxquelles le repos éternel succédera !… Elle ne conçoit pas nos larmes ; la résignation est pour elle une chose si simple, qu’elle s’étonne de ne la pas voir pratiquer autour d’elle. Vouée à ses saints devoirs depuis son enfance, séparée d’une famille qu’elle a quittée volontairement pour suivre une vocation qui lui ordonne de tout oublier, hors Dieu et le malheur du prochain, sœur Ursule ne peut savoir tout ce qu’il y a de déchirant dans la perte d’une amie parfaite, qui partagea nos peines et se réjouit de nos rares plaisirs ! Cependant son amc angélique ne blâme pas des pleurs qui l’élonnent ; ses lèvres pures n’articulent que des paroles consolantes ; mais dans un tel moment, elles sont sans effet ! Plus tard, nous nous les rappellerons sans doute, pour nous aider à supporter une séparation sans fin ; en présence de l’agonie d’un être chéri, conservant cette sensibilité exquise qui la fit aimer et troubla sa vie, rien ne peut donner la force que le temps accorde : il faut pleurer !

Comment peindre ce qui se passait en moi, lorsque, pour la première fois, j’étais témoin d’un spectacle si pénible et si solennel !… cette mourante, si courageuse, si soumise à l’arrêt qu’elle a voulu connaître, a été constamment pour moi bonne, obligeante et dévouée ! Peu de jours avant, elle était encore brillante, et recherchée pour son esprit piquant, dans le salon de madame la comtesse de Balbi, où la médiocrité ne saitrait être admise ; tant de grâce, d’amabilité et de douceur ne seraient bientôt plus qu’un souvenir !… Lady Edouard Fitzgerald citée pour sa ravissante beauté, son élégance, et son courage lors des premiers troubles d’Irlande, où elle exposa ses jours pour porter à son époux, prisonnier, les consolations du plus tendre amour, et les conseils du caractère le plus ferme, lady Fitzgerald, pleine de talens et des qualités les plus attacliantes, ne serait dans deux heures qu’un cadavre effrayant !… Oh ! que de réflexions devaient faire naître ces instans fugitifs, où, un pied dans la tombe, elle était encore parmi nous, un modèle de la piété la plus sublime !

Éclairée sur son état, par nos larmes, elle voulut recevoir les sacrera eus, et demanda avec instance un ecclésiastique qui put, disait-elle, lui inspirer la force de nous quitter. Ce fut moi qu’elle chargea du triste soin de le lui amener. L’homme respectable qui possédait sa confiance était à Montauban, d’où elle arrivait comme pour exhaler son dernier soupir au milieu de ce qu’elle aimait. L’abbé Madeleine, si religieux, si sévère pour lui, si indulgent pour tous, me parut appelé plus que tout autre au bonheur de réconcilier la plus belle ame avec son Créateur. Il vint !… Son zèle, sa persuasive éloquence, l’onction si simple de ses discours, firent plus que nous n’osions espérer. Il donna à notre malade un véritable bonheur de quitter ce monde où elle avait tout souffert des peines des autres ; et elle courut le plus vif désir d’habiter celui où elle pourrait intercéder pour nous. Heureuse, tranquille, elle nous exhortait à ne pas gémir sur la fin de longues souffrances. En contemplant l’admirable sérénité répandue sur son angélique physionomie, nous eussions dû, en effet, nous réjouir ; mais nous ne la verrions plus, l’égoïsme arrachait des sanglots de nos cœurs brisés.

Absorbée dans une douleur, partagée par tout ce qui l’entourait, le temps fuyait, sans que je calculasse qu’il ne m’en restait guère, pour entendre cette voix si touchante. Je lus brusquement tirée de cet engourdissement du malheur, parla sœur Ursule, qui commençait les prières sublimes des agonisans La malade y répondit d’abord ; mais insensiblement ses accens devinrent entrecoupés, inintelligibles, puis ils cessèrent ; et ses regards seuls exprimèrent sa foi vive et confiante. Bientôt ils se ternirent ; un voile s’étendit sur ses yeux levés vers le ciel, sa main pressa le crucifix placé sur sa poitrine… elle expira… et nous restâmes anéantis de celle perle irréparable, comme si nous eussions été frappés d’un coup inattendu.

Qu’il me soit permis de retracer ici, quelques-unes des actions qui méritèrent à milady Fitz Gérald, l’enthousiasme qu’elle inspira en Angleterre.

Lord Édouard avait une imagination trop ardente, un cœur trop grand, des idées trop justes pour ne pas gémir sur l’abus d’un pouvoir arbitraire ; aussi adopta-t-il avec ardeur les principes de noire première révolution, qui lui parut devoir procurer une réforme utile, il ne voulut voir que ce qu’elle avait de généreux, et résolut de faire tourner au profit de son pays un système qui lui semblait promettre le bonheur à ses concitoyens. Lorsque les crimes de 93 vinrent lui apprendre combien le peuple français avait pu être égaré et entraîné hors de son caractère, lord Édouard n’en persista pas moins à croire que les agents d’un parti étaient criminels, mais que leurs opinions premières pouvaient amener une régénération favorable en Irlande, et il se déclara chef d’une insurrection qu’il croyait pouvoir maîtriser au point de n’amener que les résultats les plus avantageux.

Ses projets furent découverts, on l’arrêta. Sa jeune compagne venait d’accoucher lorsqu’elle apprit cet événement. Sans calculer tout le danger auquel elle s’exposait, elle chercha les moyens de s’introduire dans la prison de son mari, pour lui annoncer que les papiers qui devaient le compromettre étaient brûlés. Ne pouvant réussir, elle ne se découragea pas. Ses démarches étant surveillées, elle feignit un voyage et resta cachée trois jours dans une tourbière pour attendre un fidèle serviteur ; il devait lui apporter une somme en or assez considérable pour séduire le geôlier ; lorsqu’elle eut reçu ce qu’elle attendait si impatiemment, elle sortit du cloaque infect qui lui servait il asile, se déguisa en homme, parvint jusqu’à son époux, et sachant que son jugement ne pouvait être que terrible[1], les aveux de ses complices ayant été positifs et accablans, lady Édouard lui apportait deux pistolets, et elle lui déclara que, ne pouvant supporter la vie sans lui, elle le suppliait de tirer sur elle, et de se tuer ensuite, pour éviter de périr par la main du bourreau !

Lord Édouard, brave, résolu quand il ne s’agissait que de lui, manqua de courage lorsqu’il était question de la femme pour laquelle il éprouvait le plus ardent amour ; cette hésitation se prolongeant malgré les instances de lady Fitz Gérald, les gardiens de la prison, instruits par un espion, vinrent séparer ces deux époux qui ne devaient plus se revoir !…

Lady Édouard se vit forcée de s’expatrier. Elle se rendit à Hambourg où son éclatante beauté et son adorable caractère lui valurent de nombreux admirateurs. Suivie dès qu’elle se montrait, elle ne fut jamais enorgueillie d’hommages unanimes, et conserva toujours une simplicité, une indulgence et une bonté incomparables.

L’opposition en Angleterre afficha pour elle les sentimens d’enthousiasme les moins équivoques ; son portrait se vendait de mille manières différentes ; elle était représentée dans toutes les circonstances les plus touchantes de sa vie, et les ennemis de la cour la vengèrent d’une injuste proscription. Elle fut exilée comme compagne de lord Edouard ; on lui fit aussi un crime d’avoir été élevée à Bellecliasse avec les enfans du duc d’Orléans.

Revenue et fixée en France depuis quinze ans, elle habitait une jolie terre auprès de Montauhan, et y répandait de nombreux bienfaits. Son nom sera toujours prononcé avec admiration dans la société, et dans les chaumières il le sera avec respect et reconnaissance. Les gens du monde se souviendront de la belle et héroïque lady Fitz Gerald ; les pauvres garderont le souvenir de la bonne et bienfaisante Paméla[2].

Georgette Ducrest.
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La Maniote.


Les Grecques habitant les hauts sommets du Taygète sont les mêmes qui jadis sur les bords de l’Eurotas, disaient à leurs fils :

« Avec ou dessus ! »

Je vais en donner un exemple, il est pris dans ma famille :

Ækatarina Stephanopoly, était mariée à Nicolaos Benoni, riche négociant du canton de Kalamata, établi à Coutchoucoumani. Ækatarina était heureuse, elle avait une belle fortune, une famille nombreuse composée d’enfans beaux et braves, et pour elle l’avenir n’aurait eu que des joies si la Grèce eût été libre.

Le chant nuptial redisait encore ses refrains pour les noces de Georges Benoni, le fils aîné d’Ækatarina, et de la jolie Panoria Mikaëly, lorsque le canon d’alarme retentit à Coron où les Russes venaient de débarquer le 10 mars 1770. Aussitôt tous les Grecs se levèrent en criant Liberté ! Benoni, que ses grandes richesses exposaient à plus de vexations que ses compatriotes, attendait depuis trop long-temps l’heure de la vengeance pour ne pas répondre au premier appel fait à l’ancien courage Spartiate. Il leva à ses frais une compagnie dont ses fils et lui furent les principaux officiers, et pendant trois mois cette valeureuse troupe fit seule le service militaire de la contrée.

Ækatarina était une vraie Maniote, elle ne quittait jamais son mari. Bien qu’il eût de nombreux serviteurs, c’était elle qui chargeait son fusil et pansait ses blessures. Elle-même, armée d’une légère carabine, d’un cangiar affilé et de deux pistolets, elle gravissait les rochers du Magne à côté de son mari, et donnait la mort à un Turc, d’un cœur aussi résolu, d’une main aussi assurée, que pas un des chefs de l’armée russe ; de cette armée apportant aux Grecs la liberté, disait-elle, et qui riva leur esclavage.

Panoria Mikaëly suivait partout sa belle-mère ; elle était sœur de Mavro-Mikaëli, de ce chef qui disait à Alexis-Orloff :

« — Quand tu serais à la tête de toutes les armées de ta souveraine, tu ne serais encore qu’un esclave, et moi le chef d’un peuple libre ; et quand le sort m’en rendrait le dernier homme, ma tête vaudrait encore plus que la tienne. » Telles étaient aussi les nobles pensées de Panoria. Comme les filles de Misitra elle avait de blonds cheveux, de doux et beaux yeux bleus, mais comme Ekatarina elle savait aussi charger et porter un fusil, et donner la mort à un ennemi.

Dans une de leurs excursions, Ekatarina fut assez dangereusement blessée pour être dans l’obligation de se faire transporter chez elle. Le pays était tranquille. Repoussés vers Tripolizza, les Turcs n’inquiétaient plus la contrée ; ce fut donc sans aucune crainte qu’Ekatarina se sépara de son mari, de ses fils et de Panoria, pour revenir seule dans sa maison de Coutchoucoumani.

La journée fut triste pour elle ; c’était la première fois qu’elle se voyait ainsi isolée. La nuit fut également solitaire et pénible ; il semblait à Ækatarina, que quelques heures devaient suffire pour achever la reconnaissance que faisait son mari lorsqu’elle se sépara de lui. Son cœur toujours si ferme se trouvait attendri. La matrone spartiate était sous la puissance d’un de ces pressentimens qui troublent l’ame d’une faible femme. Enfin, vers le matin, la nature fut vaincue. — Ekatarina s’endormit ; mais non de ce repos réparateur qui recrée nos forces. C’était un cauchemar prolongé ; un fièvreux sommeil, qui produit des rêves effrayans et ne laisse après lui qu’une triste fatigue. Au milieu de l’un des songes bizarres, qui se succédaient devant elle. EkaPage:Le Talisman morceaux choisis 1832.djvu/206 Page:Le Talisman morceaux choisis 1832.djvu/207 Page:Le Talisman morceaux choisis 1832.djvu/208 Page:Le Talisman morceaux choisis 1832.djvu/209 Page:Le Talisman morceaux choisis 1832.djvu/210 toutes ses forces pour la défendre. — Enfin, voyant que les portes ne pourraient résister, elle mit elle-même le feu au couvent ; et, lorsque les Dulcignotes, irrités de la longue résistance qu’ils avaient trouvée, se précipitèrent dans le saint asile pour y porter à la fois le déshonneur et la mort, ils ne trouvèrent que des cadavres et des cendres.


la duchesse d’Abrabantès.
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À Lucretia Davidson,
jeune américaine morte à dix-sept ans.


« Je relus ces chants avec quelque chose de l’émotion que donnent l’écrit d’une main chérie et les affections les plus près de notre cœur. Il est si beau de mourir jeune. »

H. de Latouche.


Muse à la voix d’enfant ! quelle route épineuse
Déchira tes pieds d’ange égarés loin des cieux ?
Quels épis indigens, fugitive glaneuse,
Nourrissent tes destins frêles et précieux.

Fleur étrangère ! en vain l’eau roule entre ta rive
Et mon rivage ; un flot m’attire aux malheureux :

Je suis leur écho triste, et leur plainte m’arrive ;
Près de moi, loin de moi, j’ai des larmes pour eux !

Ô que d’êtres charmans, étonnés de la terre,
Ne sachant où porter leur ame solitaire,
Malades de la vie, altérés d’en guérir,
Au milieu de leurs jours s’arrêtent pour mourir

Tu pleurais de l’entrave attachée à tes ailes ;
Toi ! la nuit suppliante en regardant les cieux,
Sur ton astre tremblant aux pâles étincelles.
D’un sommeil envolé tu consolais tes yeux ?

Eh bien ! ton front poète est éteint sous l’argile ;
Ton ame est échappée à sa prison fragile ;
Un tissu délicat se brise sans effort :
Ainsi l’œuf au soleil éclate après l’orage,
L’ange qu’il enfermait a ressaisi l’essor,
Et ton dernier soupir fut un cri de courage !
Ne demandais-tu pas ce repos virginal ?
Sur ta tombe attirante un oiseau matinal
Ne va-t-il pas verser quelque suave plainte,
Douce comme ta voix ! ta douce voix éteinte !
La rosée en tombant de ton jeune cyprès
Ne baigne-t-elle pas ton sommeil calme et frais ?


Dis ! ne souris-tu pas quand ta rêveuse étoile,
Le soir dans ses rayons humides et flottans,
Glisse un chaste baiser sous la pudique toile
Où le ciel qui t’aimait plongea tes beaux printemps ?

Non ! tu ne voudrais plus cueillir ces fleurs avares
Dont les acres parfums tourmentaient ta raison ;
De nos rangs consternés, libre, tu te sépares,
Et tu ne bois plus l’air où roule le poison.
Le monde t’a fait peur ! à ses cris alarmée,
Tu te penchas soumise et vierge sous la mort,
Et tu t’envolas, fleur fermée,
T’épanouir aux feux qui n’ont pas de remord !
Et tu laissas tomber tes larmes poétiques,
Comme un cygne qui meurt ses sons mélodieux ;
Prestige ! ils font vibrer les feuilles prophétiques
Où s’épanchaient tout bas tes précoces adieux.

Tu ne vins pas, d’un jour prolongeant ton voyage.
Tenter de nos climats l’air tiède et transparent ;
Sous le voile d’encens où brûle leur bel âge
Regarder tes sœurs en mourant :
Delphine ! dont le vol annonça ta naissance,
(Car vos ames peut-être ont eu la même fleur),
Sur son front couronné de gloire et d’innocence,
Tu n’as pu, doux martyr ! appuyer ta douleur !

Elle est douce à qui l’aime, et tu l’aurais aimée !
Belle comme sa renommée,
Ta divine pâleur eût ému ses beaux jours :
Je l’ai vue une fois, et je l’aime toujours.

De celle dont le cœur s’enferme et bat si vite[3],
Toi ! tu pouvais prétendre à rencontrer la main ;
L’ange blessé l’attire au bord de son chemin,
Et sa grâce peut-être eût enchaîné ta fuite.
À ta souffrance pure elle eût jeté ses fleurs,
De sa lyre voilée elle eût touché ta lyre ;
Et dans ses vers brillans, que de loin j’ose lire,
Ton nom jeune eût vécu baptisé de ses pleurs !

Mais ta lampe fuyait. Ton oreille enfantine
Doucement rappelée au mouvement des flots,
N’aura pas entendu rouler la brigantine
D’une exilée aussi qui chante ses sanglots[4].

Non ! tu tremblais de vivre, et tu cherchais ta tombe
Seule, sous un rameau qui n’a pas vu l’hiver ;

D’une vie effleurée, inquiète colombe,
Tu laissas le livre entr’ouvert.

Que de chants étouffés ! Que de pages perdues !
Que d’hymnes au silence avec toi descendues !
Tu sortais d’être enfant, Lucretia… tu meurs !
Et tu le voulus bien ! Pardonne à nos clameurs.

Non ! je n’ose pleurer dans ma pensée amère,
Non ! je ne te plains pas… mais que je plains ta mère !


Marceline Valmore
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  Assez de fleurs qui, le matin, sont nées,
  Le jour enfui, sur leur tige inclinées,
      Vont s’endormir et se fermer ;
  D’autres aussi pour la nuit vont éclore ;
  L’ombre du soir est pour elles l’aurore.
      Éveillez-vous, venez aimer.


  Bien que la lune argente la clairière,
  Vos yeux n’ont pas éclairé sa lumière ;
      Dans les lilas pour s’embaumer,
  Bien que la brise ait soufflé sur la plaine,
  À ses parfums il manque votre haleine.
      Éveillez-vous, venez aimer.


A. Fontaney.
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  1. Il devait être décapité et traîné sur la claye. Il mourut dans sa prison à la suite d’horribles douleurs d’entrailles.
  2. Il est impossible de ne pas citer ici, comme preuve de l’attachement passionné qu’inspirait lady Édouard à tout ce qui l’approchait, le dévouement de sa femme de chambre, qui a passé vingt et une nuits près de son lit, sans vouloir prendre un instant de repos.
  3. Madame Tastu.
  4. Madame Duchambge.