Le Taillis (Verhaeren)

Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 242-243).


LE TAILLIS


 

Une vie âpre et sourdement myriadaire

S’y concentre en assauts et s’y disperse en bonds ;
Mille insectes furtifs, grouillants et solitaires,
Sous la mousse dorée v taraudent les troncs.

Carabes bleus, charançons roux, mouches velues,
Et les prestes fourmis et les lents limaçons,
Ailes, pattes, corselets, antennes affluent
Au labyrinthe obscur de l’herbe et des buissons.

Bien que tous les dix ans, sous de larges blessures,
Le taillis amputé semble en janvier mourir,
Sa sève se ranime au suc des moisissures

Et ses moignons saignants s’entêtent à guérir.


Et son fouillis renaît et se reprend à vivre,

Avec ses bourgeons fins et ses feuillages lourds,
Et ses bourdons d’émail et ses guêpes de cuivre
Et l’orgue inapaisé de leurs ronflements sourds.

Et le silence moite et l’ombre spongieuse
Ne s’y replongent plus qu’après les jours d’été,
Quand fleurissent la triste et pourpre scabieuse
Et la rouge bétoine et l’orpin argenté,

Et qu’en sa toile intacte et de lune baignée,
Parmi les feuilles d’or et les rameaux d’argent,
Au coin du bois, près de l’étang,
Attend

La grise et molle et bulbeuse araignée.