Le Système d’Aristote/Chapitre XIII

Texte établi par Léon RobinFélix Alcan (p. 226-241).

TREIZIÈME LEÇON


LA DIALECTIQUE ET LA SCIENCE

De la logique aristotélicienne, nous avons étudié une partie, celle qu’Aristote appelle l’Analytique, dont le point capital, auquel tous les autres sont subordonnés, est la théorie du syllogisme. Mais le syllogisme a deux emplois principaux : il est l’instrument de la science, quand il est assujetti à employer des prémisses qui expriment entre leur sujet et leur prédicat des rapports particulièrement profonds et, par suite, particulièrement certains ; lorsque, sans changer de nature en lui-même, il s’applique à des propositions qui ne jouissent pas des mêmes privilèges, il est l’instrument de la Dialectique. Par conséquent, pour continuer notre étude de la logique aristotélicienne, nous devons dire ce que sont la science et la dialectique.

Pour définir la dialectique, Aristote, au commencement de l’ouvrage qu’il consacre à cet art, dit qu’il s’agit pour lui, dans l’ouvrage en question, de trouver une méthode grâce à laquelle on soit capable sur tout problème, c’est-à-dire sur toute question posée de telle façon qu’elle demande une réponse par oui ou par non[1], de raisonner d’après des opinions ou prémisses plausibles et, si l’on joue le rôle de répondant, de ne pas se contredire[2]. Avant d’approfondir cette définition, complétons-la en donnant une indication sommaire du contenu de l’ouvrage consacré par Aristote à la dialectique. — La dialectique consiste d’abord pour le répondant, et implicitement pour l’interrogeant lui-même, à ne pas se contredire : or la science de l’analytique nous a appris à rester d’accord avec nous-même, et, sur ce point strictement pris, Aristote n’a rien à ajouter. Mais il reste à nous approvisionner d’opinions pour développer l’opinion fondamentale qui sert de point de départ à la recherche dialectique. Puisqu’il s’agit d’opinions et non pas de la réalité des choses, ce n’est pas dans la nature propre de chaque chose que nous devons chercher nos développements. Ce qu’il faut, c’est que nous ayons des moyens de suggestion pour retrouver ou, au besoin, pour trouver, autour d’un sujet quelconque, une abondance d’opinions. Nous obtiendrons ces moyens de suggestion, si nous parvenons à grouper sous certains chefs généraux tout ce qu’on peut se proposer de dire sur un sujet quelconque. Or toute proposition et tout problème portent, relativement au terme qui est sujet dans la proposition ou dans le problème, sur le genre, le propre ou l’accident qu’on peut donner pour attributs au sujet. On pourrait songer aussi à la différence : comme elle est quelque chose qui touche de près au genre (ὡς οὖσαν γενικήν), on peut la ranger à côté du genre. D’autre part, le propre a deux acceptions : c’est un caractère qui n’appartient qu’à un sujet, sans cependant être essentiel, ou bien c’est l’essence même qui s’exprime par la définition. Nous devons donc considérer tout problème comme se référant en définitive à quatre objets : le propre, la définition, le genre, l’accident (Top. I, 4, jusqu’à 101 b, 25). Si donc nous formulons des propositions très générales se référant à ces quatre objets, telles que celles-ci par exemple[3] : « Quand le contraire d’un accident convient au contraire d’un sujet, l’accident convient au sujet (si la vertu est utile, le vice est nuisible) », ou : « Quand la définition ne convient pas à tout le défini, l’attribut (la définition) ne convient pas au sujet (le défini) », nous aurons ce qu’Aristote appelle des lieux (τόποι). Aristote n’a point défini le « lieu » dans son livre sur la dialectique. Mais il l’a défini en matière de rhétorique, et, malgré certaines différences, l’analogie est étroite entre la dialectique et la rhétorique. Un lieu, dit-il dans la Rhétorique, est ce en quoi coïncident une multitude de raisonnements oratoires, c’est-à-dire leur source commune. Théophraste dit d’ailleurs plus clairement : « Le lieu est un principe ou élément, dans lequel, lorsque nous y appliquons notre réflexion, nous puisons des principes [c’est-à-dire des prémisses] applicables à des objets particuliers ; le lieu est quelque chose de déterminé, en tant qu’il est une circonscription [c’est-à-dire une classe], mais, relativement aux objets particuliers, il est indéterminé[4] ». Pour réduire la dialectique en art, la principale chose à faire, comme on voit, était de la ramener tout entière à certains « lieux », groupés autour de certains chefs. On comprend maintenant quel est en gros le contenu de l’ouvrage consacré par Aristote à la dialectique, et, en même temps, on voit pourquoi cet ouvrage s’appelle les Topiques.

Ces indications données, revenons à la définition de la dialectique et tâchons devoir quel jour elle projette sur les idées d’Aristote relativement à la théorie de la connaissance. La conception aristotélicienne de la dialectique exprime, par opposition, une conception déjà très mûre et, en un sens, définitive de la science, une conception qui peut pécher encore, sans doute, par étroitesse et surtout par cette intransigeance qui s’attache d’ordinaire aux conceptions nouvelles, mais une conception dans laquelle le caractère le plus essentiel de l’objet est nettement saisi. — Les premiers penseurs grecs, jusqu’aux Éléates et aux Sophistes, avaient découvert et affirmé des propositions hardies, et certes ils tenaient ces propositions pour des vérités. Mais il y a bien de la distance entre le fait de poursuivre des vérités et celui de s’interroger sur la nature de la vérité en elle-même. Pour des esprits primitifs, la vérité se confond très probablement avec l’opinion collective ; car cette opinion se présente, non seulement avec une forte autorité, mais encore avec une infaillibilité relative. Prendre conscience de ce qu’est le vrai comme vrai, ce n’est rien de moins que secouer le joug de l’opinion collective et de ses succédanés. L’avènement de la dialectique marque le début de cet affranchissement, et la définition de la dialectique comme radicalement distincte de la science en marque la première et la plus décisive consécration. Interroger et répondre sur une opinion, c’est au moins vouloir la tirer au clair, c’est-à-dire la dégager de tout ce qui n’est pas elle et en démêler les conséquences. Ce n’est pas encore discuter l’autorité, mais c’est se rendre compte de l’étendue et des limites de ses affirmations. De là à les discuter il n’y a qu’un pas, et, en fait, le pas paraît avoir été immédiatement, ou presque immédiatement, franchi. Les entretiens dans lesquels on commentait les prescriptions de la sagesse traditionnelle, par exemple ceux du maître d’école qui commentait les poèmes d’Homère, étaient quelque chose comme de premiers essais de dialectique, et il peut se faire que cette dialectique rudimentaire n’ait eu aucune velléité destructive. Mais le premier dialecticien un peu conscient de lui-même, celui auquel Aristote attribue l’invention de la dialectique, à savoir Zénon[5], celui-là se proposa délibérément, non pas seulement de tirer au clair, mais bien de réfuter, le sens commun. En un sens il fut plus hardi que Socrate, à qui Aristote réserve ailleurs le mérite d’avoir été le premier dialecticien[6]. Socrate, peut-être parce qu’il s’occupait de questions morales, donna, au moins souvent, pour objet à l’art du dialogue de reconnaître l’état exact de l’opinion commune. La conversation régulière devait aboutir à se mettre d’accord sur certains points, ces points étant tenus pour vrais, précisément parce qu’on s’accordait et parce qu’on établissait que l’opinion commune, au moins implicitement, s’accordait à leur sujet. Il est vrai que, d’autre part, Socrate osait parfois se détacher de l’opinion commune et qu’il disait se distinguer en cela des Sophistes : il se qualifiait alors d’αὐτουργὸς τῆς φιλοσοφίας. Mais, lors même qu’il s’assignait un pareil rôle, il ne cessait pas de penser que l’art du dialogue était la méthode unique et suffisante de la philosophie. Chez Platon, la part de la pensée proprement dite, indépendante de l’opinion collective, est beaucoup plus grande que chez Socrate. On se rappelle, par exemple, ce passage du Gorgias (472 ab ; cf. 482 c, 521 de) où le Socrate de Platon dit qu’on réunira facilement contre lui les voix de tous les hommes qui font autorité en Grèce, mais qu’il est, quoique seul, d’un autre avis. Et, à un point de vue plus proprement spéculatif, on sait comment l’Idée de Platon, source de toute science, est loin d’être la notion moyenne et courante, puisqu’elle est même d’un autre monde que l’humanité. Cependant une confusion persiste. Le dialectique est toujours présentée comme la méthode du véritable savoir, et elle est définie à la fois comme l’art de bien interroger et de bien répondre, et, d’autre part, comme l’art de réunir et de diviser dans l’ordre des Idées. Le dialogue, forme extérieure de la dialectique, est d’ailleurs maintenu jusqu’à la fin, bien que non sans atténuation, comme le seul procédé de recherche qui convienne à la philosophie. — La définition de la dialectique, telle que la formule Aristote, met fin à toute hésitation et consacre, par opposition, la rupture entre la science et les thèses fondées sur l’autorité. La dialectique est fondée sur l’opinion, sur l’opinion qui est reconnue pour ce qu’elle est. Par suite il n’y a plus rien de commun, au moins directement, entre la recherche de la vérité et la dialectique. La méthode unique de Socrate et de Platon se dédouble définitivement. La méthode scientifique ne consiste plus en aucune façon à dégager entre interlocuteurs un point sur lequel on s’accorde. Elle n’a plus rien à voir avec l’art du dialogue. Et de son côté l’art du dialogue, et plus généralement l’art de raisonner sur des opinions, n’a plus pour but la découverte de la vérité.

Mais à la dialectique, ainsi restreinte à sa véritable notion, Aristote, et c’est ce qui nous reste à montrer, ne laisse pas de reconnaître un rôle encore considérable. Elle n’a pas directement pour objet la découverte de la vérité. Nous allons voir cependant qu’elle y contribue. Pour pouvoir jouer ce rôle, il faut d’abord que, si elle n’a pas le vrai pour objet propre, elle participe pourtant d’une certaine manière à la vérité. C’est effectivement ce qui a lieu. Aristote distingue avec soin la dialectique de l’éristique et de la sophistique, deux arts faux qui n’en font qu’un ; car Aristote définit le sophisme en l’appelant précisément « raisonnement éristique[7] ». Il y a presque la même distance entre un dialecticien et un éristique qu’entre un géomètre et un faiseur de fausses figures[8]. Qu’est-ce en effet qu’un discours éristique ou sophistique ? C’est celui qui raisonne juste en partant de prémisses qui n’ont que l’apparence d’être des opinions, car le plus léger examen découvre d’ordinaire que personne ne saurait sérieusement les professer ; ou bien c’est le discours qui, en partant d’opinions ou de soi-disant opinions, raisonne faux (Top. I, 1, 100 b, 23-101 a, 1 ; cf. IX, ch. 2). La dialectique participe donc de la vérité en ce qu’elle raisonne juste, et on peut même dire encore qu’elle en participe, ou approche d’en participer, en tant qu’elle a pour prémisses des propositions qui sont au moins plausibles[9].

Avant ainsi sa vérité partielle et relative, la dialectique, par ses trois usages, peut contribuer à la recherche ou, d’autres fois, à la transmission de la vérité. Les trois usages de la dialectique selon Aristote sont de s’exercer à la pensée, d’apprendre à redresser son interlocuteur en prenant pour prémisses des opinions qu’il admet lui-même, enfin de venir en aide, dans certains cas, aux sciences véritables, à celles qui entrent dans l’encyclopédie du savoir ou, autrement dit, dans la philosophie[10]. — Pour ce qui est du second usage nous venons de l’indiquer assez clairement, et il n’y a pas lieu de rien ajouter (cf. Métaph. Γ, 5, 1009 a, 16 sqq.). — Il n’y aurait pas non plus beaucoup de développements à donner au sujet du premier usage, si Aristote n’avait vraiment considéré sous ce chef que des exercices de pensée. On devrait se contenter de dire avec lui, dans ce passage des Topiques où il définit, comme on l’a vu, les fonctions de la dialectique : « Qu’elle soit utile pour s’exercer à penser, cela est évident de soi ; car, si nous sommes en possession d’une méthode, nous pourrons raisonner avec plus de facilité sur une question proposée. » Mais à la γυμνασία, à l’exercice, Aristote attache étroitement la πεῖρα, l’examen (Top. VIII, 5, déb. et 11, 161 a, 25)[11]. Cette partie, ou cette fonction, de la dialectique, qui mérite le nom de πειραστική, consiste à examiner celui qui se donne comme possédant une science, et cette épreuve peut être faite même par quelqu’un qui ne sait pas, puisqu’elle procède à la manière de toute opération dialectique, sans se référer au contenu propre de la science dont il s’agit (cf. Top. IX (Soph. el.), 8 déb. ; 11, 171 b, 4 et 172 a, 21). Cette fonction, parente de la réfutation socratique, est évidemment très importante. — Elle ne le cède en importance qu’au troisième usage de la dialectique, qui est relatif aux sciences. Cet usage se dédouble : d’une part, nous dit Aristote[12], la dialectique sert à poser les ἀπορίαι et, d’autre part, elle aide à découvrir les premiers principes de chaque science. Une ἀπορία, c’est la mise en présence de deux opinions, contraires et également raisonnées, en réponse à une même question[13]. On sait que, pour Aristote, toute recherche scientifique doit être précédée d’un exposé des ἀπορίαι ; d’autant que la solution des difficultés (εὐπορία), suggérée par les difficultés, est la vérité même (Métaph.} Β, 1, déb.)[14]. De fait, on sait que les ouvrages d’Aristote commencent le plus souvent par une introduction consacrée aux ἀπορίαι : tels le livre I de la Physique, le livre I du De anima et le livre Β de la Métaphysique ou, pour mieux dire, tels les deux premiers livres de la Métaphysique, car l’histoire des doctrines dans le livre Α n’est pas autre chose qu’un premier recueil d’ἀπορίαι. D’une manière générale, l’historien chez Aristote est subordonné au dialecticien : il n’expose les doctrines de ses devanciers que pour en extraire les ἀπορίαι dont il a besoin pour préparer ses solutions. Cette fonction de la dialectique est, cela va sans dire, d’une extrême importance dans l’Aristotélisme. Et on peut dire qu’elle est importante aux yeux de l’esprit humain. En effet, nous avons ajouté à la critique dialectique d’Aristote une autre manière de mettre à l’épreuve les concepts scientifiques. Nous admettons que des concepts, qui ne sont pas seulement à la porte, mais à l’intérieur de la science, peuvent être insuffisants et sujets à réforme : c’est le développement même de la science et l’usage scientifique de ces concepts qui en décèle les imperfections. Aristote se faisait de la science une conception trop idéale et trop rigide pour songer à cette sorte de critique des concepts. Mais sa critique dialectique, non seulement a joué un rôle considérable à une époque où, n’inventant pas, on n’avait pas autre chose à faire que de pratiquer cette critique ; mais elle a peut-être encore un rôle à jouer. Après tout, manier convenablement cette critique, c’est ce que nous appelons aujourd’hui savoir penser. — Le dernier usage attribué par Aristote à la dialectique n’a qu’une importance plus étroitement aristotélique ; mais il ne laisse pas de soulever une question intéressante sur les fondements de la doctrine. Ce dernier usage, on l’a vu, consiste en ce qu’elle nous aide à découvrir les principes des sciences. En effet, dit Aristote, chaque science est spéciale, et les principes sont en chacune ce qui est rationnellement antérieur à tout le reste. Il est donc impossible de raisonner sur les principes d’une science en se fondant sur des prémisses empruntées à cette science. Par conséquent, nous ne saurions raisonner sur les principes qu’en nous servant de la dialectique, qui n’a aucun objet déterminé[15]. En fait, c’est en raisonnant dialectiquement, fait observer Thurot, qu’Aristote, au livre Γ de la Métaphysique, établit le principe de contradiction. Par la même voie, Zeller va jusqu’à dire que les opinions comblent pour Aristote les lacunes et abrègent les longueurs interminables de l’induction[16]. C’est-à-dire qu’Aristote puiserait les principes des sciences dans les opinions, et non dans les choses. Mais, ainsi entendue, la pensée d’Aristote nous paraît dénaturée. Il n’est pas permis d’oublier que l’induction ne se fonde pas toujours, pour Aristote, sur une énumération ; qu’elle est au contraire, comme l’établit le dernier chapitre, si connu, des Seconds analytiques, une intuition qui saisit l’universel dans la sensation. Si donc la dialectique sert à l’établissement des principes, ce ne peut être qu’indirectement. Le principe de contradiction lui-même, pour lequel, en raison de son extrême généralité et de sa compréhension extrêmement réduite, la thèse de Zeller serait plus spécieuse que pour aucun autre, ne fait pas exception. Au chap. 4 du livre Γ (1006 a, 11) de la Métaphysique, Aristote parle d’établir le principe de contradiction par réfutation (ἀποδεῖξαι ἐλεγκτικῶς) : par réfutation, c’est assurément d’une manière indirecte. La dialectique, à propos de chaque principe, nous apprend surtout où il ne faut pas le chercher. Les éliminations convenables étant opérées par elle, l’œil de la pensée ne s’égare plus ; il va droit, dans la sensation, au principe qui servira de base à la science. Mais, en l’absence de cette sensation et de l’intuition intellectuelle qui s’y applique, le principe n’existerait pas pour nous. C’est une proposition célèbre des Seconds analytiques[17] que, si une espèce de sensation nous manque, une science disparaît avec elle. Au reste il est vrai qu’une opinion a toujours chance d’être une vérité, et qu’elle a d’autant plus de chances qu’elle est plus répandue ; car l’esprit humain va naturellement vers la vérité[18]. Mais les opinions ne remplacent pas pour cela l’intuition intellectuelle, et la vraie doctrine d’Aristote sur les principes sera toujours celle que résume la proposition célèbre : λείπεται νοῦν εἶναι τῶν ἀρχῶν (Éth. Nic. VI, 6 fin). Si Aristote avait professé la doctrine que lui prête Zeller, il aurait contredit la distinction capitale qu’il a si définitivement aperçue et posée entre la dialectique et la science.

Nous venons de voir combien la science se distingue de la dialectique. La dialectique ne touche pas directement les choses et peut, tout au plus, procurer sur le vrai des vues probables, probables parce qu’après tout il y a des chances pour que le coup d’œil de la majorité des hommes ou celui des habiles gens ne portent pas entièrement à faux. La science au contraire est caractérisée par une certitude complète et immuable[19]. Cependant la science, selon Aristote, n’est pas ou ne veut pas être d’un autre monde que le monde sensible. En effet, d’abord, elle part des phénomènes, et, si elle ne les prend pas pour objet, elle trouve du moins son objet en eux, puisque les formes intelligibles sont immanentes dans le sensible et non pas séparées. Ensuite, la science part des pensées de l’individu ; car c’est de l’expérience et de la routine que se dégagent l’art et la science (An. post. II, 19, 100 a, 6 et Métaph. Α, 1, 981 a, 2).

Mais la science et son objet, bien qu’ayant des attaches avec le monde sensible, sont, malgré tout, d’un autre ordre, sinon d’un autre monde. Si la science est, quant au sujet pensant, une suite de jugements qui s’imposent à la conviction, c’est qu’elle est, en elle-même, la connaissance par raison ou médiation et, par conséquent, la connaissance de l’ordre de dépendance ou de la nécessité des choses. Ce caractère dominateur de la science, déjà aperçu, au moins à l’arrière-plan, par Platon, est définitivement saisi et fixé par Aristote, grâce à la notion nouvelle et supérieure qu’il s’est faite de la preuve et de l’explication. Toutefois il est manifeste qu’il ne reste encore que trop platonicien et qu’il mêle à sa notion propre de la science un élément qui lui vient de son maître et de Socrate. Aristote définit ordinairement la science en disant qu’elle consiste à connaître par la cause. Il professe aussi qu’elle est la connaissance du nécessaire. Mais, d’un autre côté, il dit qu’elle est la connaissance de l’universel, et il identifie la cause avec l’universel. Nous allons voir que cette façon de présenter les choses révèle une véritable dualité dans la pensée d’Aristote et qu’elle jette l’incertitude et l’obscurité sur sa conception de la science, qui était en principe et qu’il aurait pu maintenir si nette.

Il n’y a en effet pour lui de science que de l’universel, et il n’y en a point de l’individuel. Si on prend ces termes dans leur sens extensif, cela signifie donc qu’il ne peut y avoir de connaissance scientifique d’une chose ou d’un fait qui ne se répéterait pas et que, par cela qu’une chose ou un fait est unique, il est exclu de la science. Corrélativement, il faut alors que ce qui rend une chose ou un fait connaissable scientifiquement, ce soit la constance avec laquelle ils se répètent : manière aussi empirique que platonicienne de comprendre la science ; car, en dépit d’intuitions plus profondes, les mêmes que chez Aristote avec cette différence qu’elles sont encore moins dégagées, la conception de la science chez Platon est encore primitive, rudimentaire et extérieure. Cette conception tout extensive paraît bien compter sérieusement dans la pensée d’Aristote, puisque nous le voyons admettre que, s’il n’y a de science, au plus haut sens du mot, que de l’universel, il y a pourtant aussi une certaine science de ce qui arrive le plus souvent, c’est-à-dire, à ce qu’il semble, de ce qui, sans atteindre à la constance, en approche[20]. C’est par une double conséquence de cette part considérable faite à l’universel dans la définition de la science, que la science, telle que la conçoit Aristote, est à peu près bornée au point de vue statique et qu’elle risque, en opposition avec le fond même de l’esprit aristotélicien, d’expliquer le supérieur par l’inférieur. — Le premier point est évident. L’universel, dégagé de la comparaison de tous les cas, est un résidu mort. L’explication des cas particuliers revient à reconnaître en eux la présence de ce résidu inerte. Pourquoi tel être ou tel fait est-il ou arrive-t-il de telle ou telle façon ? C’est parce que le type de tel être a toujours été tel, ou la place de ce fait parmi d’autres toujours telle. Le devenir est par là éliminé, non expliqué. De fait, chez Aristote comme chez Platon, l’essence est éternelle, et, la cause motrice se ramenant elle-même à l’essence, ce qui se produit s’explique en disant que, quant à ce qu’il y a en elle d’universel, la chose produite a toujours été. En prenant donc la pensée d’Aristote sous cet aspect, on trouve qu’elle ne rend aucun compte du mouvement et du progrès des choses. — Elle ne rend pas compte davantage de leur diversité, et c’est là ce qui nous faisait dire tout à l’heure qu’Aristote risquait d’expliquer le supérieur par l’inférieur. En effet le plus général est aussi le plus simple et le plus vide, de sorte que, s’il faut expliquer par le plus général, ce qu’il y a de spécifique dans les choses ne recevra en somme aucune explication. Bien entendu, cette tendance est sans cesse tenue en échec par la tendance opposée. — Cette lutte des deux tendances apparaîtra dans deux commentaires assez différents qu’Aristote donne lui-même de sa formule, que savoir c’est connaître par la πρώτη αἰτία ou, comme il dit aussi, par l’ἀκρότατον αἴτιον (Phys. II, 3 déb. et 195 b, 21). Il est admis que, afin de pouvoir servir de moyen-terme dans la démonstration, la cause doit être antérieure à ce qu’il s’agit d’expliquer et qu’elle ne doit pas être médiatisée par d’autres causes (An. post. I, 2, 71 b, 19 et 9, 76 a, 19). Mais ce qu’il s’agit de savoir, c’est si la cause qui est antérieure et non médiatisée est la cause la plus élevée possible dans la hiérarchie de l’extension, ou si, au contraire, ce doit être la cause la plus riche possible en compréhension, celle qui rend compte sans autre condition du plus grand nombre possible des caractères de l’objet. L’incertitude est grande. Aristote entend certainement, quelquefois au moins, par causes premières les causes les plus éloignées des faits à expliquer : telles les premières causes de la nature, dont il est question au début des Météorologiques. Ne dit-il pas d’ailleurs que l’universel, objet de la science et identique à la cause, est-ce qui est le plus loin de la sensation, c’est-à-dire du particulier (An. post. I, 2, 72 a, 1) ? Mais il y a une contre-partie. Voici en effet ce que nous lisons dans la Métaphysique : « Lors donc qu’on cherche la cause, comme la cause se dit en plusieurs sens, il faut indiquer toutes les causes possibles. Par exemple, quelle est la cause matérielle de l’homme ? Ne sont-ce pas les menstrues ? Quelle est sa cause motrice ? N’est-ce pas la semence ? Quelle est sa cause formelle ? La quiddité de l’homme. Quelle est la cause finale ? La fin de l’homme. Ces deux dernières causes n’en font d’ailleurs peut-être qu’une seule. Quoiqu’il en soit, il faut indiquer les causes les plus rapprochées. Quelle est la matière ? Ce n’est pas le feu ou la terre, c’est la matière propre. Voilà comment il faut procéder au sujet des substances naturelles et générables, si l’on veut procéder correctement, puisque tels sont le nombre et la nature des causes et qu’on doit chercher les causes[21]. » — On voit comment Aristote est poussé dans deux directions opposées, pour n’avoir pas dégagé son propre point de vue de celui de son maître. Il est à croire qu’il les concilie tous les deux, autant que faire se peut, en admettant que l’universel, qu’il s’agit d’invoquer comme cause d’une classe de phénomènes, est pourtant restreint aux limites de cette classe : c’est le terme le plus universel, mais parmi des termes spécifiquement déterminés. Cela s’accorde avec la doctrine fameuse, qu’il n’est pas possible de passer d’un genre à un autre et de démontrer une science plus concrète par les principes d’une science plus abstraite sans rien ajouter à ces principes (An. post. I, 7), propositions dans lesquelles s’affirme le plus véritable esprit d’Aristote. L’universel d’où part la démonstration scientifique n’est jamais que la définition, laquelle est, par construction, spécifique et contient au besoin les caractères de l’espèce dernière elle-même. Cela n’empêche pas que le point de vue de l’extension tendait à orienter dans un autre sens la théorie aristotélicienne de la science.

Mais il faut reconnaître, non seulement que le point de vue de la compréhension s’est imposé en majeure partie à Aristote, mais encore qu’il devait s’imposer à lui. Sans doute, au-dessous de l’espèce dernière il reste encore l’individu, et décidément la science aristotélicienne ne l’atteint pas : exception grave, car à vrai dire le déterminisme de la nature est individuel, ou du moins les notions qu’il enchaîne et l’enchaînement qu’il met entre elles sont sans extension, ou bien encore n’ont de l’extension qu’à titre tout à fait accessoire. Il est donc fâcheux qu’Aristote s’en soit tenu à la théorie platonicienne de l’individuation et n’ait pas essayé de traiter l’individu comme une espèce dernière. Néanmoins, si les faits élémentaires et les lois élémentaires qui constituent les individus sont hiérarchiquement superposés, et si même souvent ils peuvent, au moins par abstraction, être considérés comme se répétant en plusieurs exemplaires, il y a là, sous forme d’universaux, toute une partie du savoir que la doctrine d’Aristote n’excluait pas. Connaître la réalité jusqu’aux espèces dernières, c’est déjà en connaître une très grande partie. Or la théorie d’Aristote, et plus encore l’esprit de l’Aristotélisme, assurent à la science la possession de ce domaine. Au fond Aristote sent très bien que le plus complexe est le plus réel, et c’est bien le complexe, jusqu’à l’individu exclusivement, qu’il propose à la science de connaître. Les universaux qu’elle prend pour objets sont, comme nous l’avons vu, des universaux très chargés de contenu. La définition même de l’universel, telle que la donne Aristote, introduit explicitement le nécessaire, puisque l’universel n’est pas seulement le κατὰ παντός, mais en plus le καθ’ αὑτό[22]. La vraie définition de la science n’est donc pas connaissance de l’universel, mais connaissance par les causes[23] ; de même, la rareté est plutôt le signe que le fond de l’accident[24].

En définitive, par conséquent, l’Aristotélisme, lorsqu’on le considère dans son esprit et dans sa vérité, enveloppe une théorie de la science qui ne le réduit pas à se payer d’abstractions creuses, comme on pouvait le craindre chez Platon. Reste seulement, mais ce sont là des reproches d’un autre ordre, que la science aristotélicienne est conçue exclusivement sur le type des mathématiques, seule science explicative qu’Aristote ait pu voir fonctionner, que l’idée de cause proprement dite est absente de la science d’Aristote, remplacée qu’elle est par l’idée de raison ; qu’enfin Aristote n’a guère la notion d’une science inductive : la connaissance inductive ne lui apparaît certainement que comme quelque chose de provisoire, et la science est coextensive à la démonstration.


  1. Top. I, 4, 101 b, 28 : διαφέρει δὲ τὸ πρόβλημα καὶ ἡ πρότασις τῷ τρόπῳ. οὕτω μὲν γὰρ ῥηθέντος, ἆρά γε τὸ ζῷον πεζὸν δίπουν ὁρισμός ἐστιν ἀνθρώπου ; καὶ ἆρά γε τὸ ζῷον γένος τοῦ ἀνθρώπου ; πρότασις γίνεται. ἐὰν δὲ πότερον τὸ ζῷον πεζὸν δίπουν ὁρισμός ἐστιν ἀνθρώπου ἢ οὔ; πρόβλημα γίνεται.
  2. Ibid. I, 1 déb. : ἡ μὲν πρόθεσις τῆς πραγματείας μέθοδον εὑρεῖν, ἀφ’ ἧς δυνησόμεθα συλλογίζεσθαι περὶ παντὸς τοῦ προτεθέντος προβλήματος ἐξ ἐνδόξων, καὶ αὐτοὶ λόγον ὑπέχοντες μηθὲν ἐροῦμεν ὑπεναντίον. Cf. pour d’autres textes Bonitz, Ind. 183 a, 27.
  3. Cf. Ch. Thurot, Études sur Aristote (IVDe la Dialectique et de la Rhétorique), p. 164.
  4. Aristote, Rhét. II, 26, 1403 a, 18 : τὸ γὰρ αὐτὸ λέγω στοιχεῖον καὶ τόπον· ἔστιν γὰρ στοιχεῖον καὶ τόπος, εἰς ὃ πολλὰ ἐνθυμήματα ἐμπίπτει. Cf. Bonitz, Ind. 767 a, 51, où la référence à Théophraste est indiquée. Voici la définition de celui-ci : ἔστι γὰρ ὁ τόπος ἀρχή τις καὶ στοιχεῖον ἀφ’ οὗ λαμβάνομεν τὰς περὶ ἔκαστον ἀρχάς, ἐπιστήσαντες τὴν διάνοιαν, τῇ περιγραφῇ μὲν ἐρισμένως, τοῦ δὲ καθ’ ἔκαστα ἀορίστως (Alex. Top. 5, 2126 ; 426, 13, éd. Wallies (Schol. 252 a, 12]).
  5. Fr. 54, 1484 b, 28 et 36.
  6. Métaph. Α, 6, 987 b, 32 : οἱ γὰρ πρότεροι διαλεκτικῆς οὐ μετεῖχον.
  7. Top. VIII, 11, 162 a, 16 : σόφισμα δὲ συλλογισμὸς ἐριστικός. Toute la différence est que l’éristique poursuit seulement la victoire dans la dispute, tandis que le sophiste vise la gloire ou la richesse. Top. IX (Soph. el.), 11, 171 b, 23-31.
  8. Ibid. 171 b, 34 : ὁ δ’ ἐριστικός ἐστί πως οὕτως ἔχων πρὸς τὸν διαλεκτικὸν ὡς ὁ ψευδογράφος πρὸς τὸν γεωμετρικόν.
  9. Top. I, 1, 100 b, 21 : ἔνδοξα δὲ τὰ δοκοῦντα πᾶσιν ἢ τοῖς πλείστοις ἢ τοῖς σοφοῖς…
  10. Ibid. 2, 101 a, 26 : ἔστι δὴ πρὸς τρία, πρὸς γυμνασίαν, πρὸς τὰς ἐντεύξεις, πρὸς τὰς κατὰ φιλοσοφίαν ἐπιστήμας· ὅτι μὲν οὖν πρὸς γυμνασίαν χρήσιμος, ἐξ αὐτῶν καταφανές ἐστι· μέθοδον γὰρ ἔχοντες ῥᾷον περὶ τοῦ προτεθέντος ἐπιχειρεῖν δυνησόμεθα. κτλ. Cf. infra, n. 3 et p. 234, n. 1.
  11. ἔστι δὲ ἡ διαλεκτικὴ πειραστικὴ περὶ ὧν ἡ φιλοσοφία γνωριστική, dit un texte connu de la Métaphysique, Γ, 2, 1004 b, 25.
  12. Top. I, 2, 101 a, 34 : πρὸς δὲ τὰς κατὰ φιλοσοφίαν ἐπιστήμας, ὅτι δυνάμενοι πρὸς ἀμφότερα διαπορῆσαι ῥᾷον ἐν ἑκάστοις κατοψόμεθα τἀληθές τε καὶ τὸ ψεῦδος. ἔτι δὲ πρὸς τὰ πρῶτα τῶν περὶ ἑκάστην ἐπιστήμην ἀρχῶν.
  13. Top. VI, 6, 145 b, 17 : … τῆς ἀπορίας δόξειεν ἂν ποιητικὸν εἶναι ἡ τῶν ἐναντίων ἰσότης λογισμῶν· ὅταν γὰρ ἐπ’ ἀμφότερα λογιζομένοις ἡμῖν ὁμοίως ἅπαντα φαίνηται καθ’ ἑκάτερον γίνεσθαι, ἀποροῦμεν ὁπότερον πράξωμεν. Cf. VIII, 11, 162 a, 17 (à la suite du texte cité au début de la n. 1, p. 231) : ἀπόρημα δὲ συλλογισμὸς διαλεκτικὸς ἀντιφάσεως.
  14. Voir les textes cités par Waitz dans son commentaire à An. post. II, 3, 90 a, 38 (Org. II, p. 381 sq.).
  15. Top. I, 2, 101 a, 36 : la dialectique, dit Aristote, a encore pour objet, dans son troisième usage, les principes des sciences (pour le texte, cf. p. 232, n. 3 fin) : ἐκ μὲν γὰρ τῶν οἰκείων τῶν κατὰ τὴν προτεθεῖσαν ἐπιστήμην ἀρχῶν ἀδύνατον εἰπεῖν τι περὶ αὐτῶν, ἐπειδὴ πρῶται αἱ ἀρχαὶ ἁπάντων εἰσί, διὰ δὲ τῶν περὶ ἕκαστα ἐνδόξων ἀνάγκη περὶ αὐτῶν διελθεῖν. τοῦτο δ’ ἴδιον ἢ μάλιστα οἰκεῖον τῆς διαλεκτικῆς ἐστιν· ἐξεταστικὴ γὰρ οὖσα πρὸς τὰς ἁπασῶν τῶν μεθόδων ἀρχὰς ὁδὸν ἔχει.
  16. Thurot, op. cit. (III. De la Dialectique et de la Science), p. 132-134 ; Zeller, p. 242 sq.
  17. I, 18 déb. : … εἴ τις αἴσθησις ἐκλέλοιπεν, ἀνάγκη καὶ ἐπιστήμην τινὰ ἐκλελοιπέναι…
  18. Cf. les textes cités par Zeller, p. 343, n. 3.
  19. Top. V, 2, 130 b, 15 : … ἐπιστήμης ἴδιον ὑπόληψιν ἀμετάπειστον ὑπὸ λόγου… Cf. 4, 133 b, 29 ; 134 a, 1-4 et Éth. Nic. VI, 6 déb. Voir Rodier, Aristote, Traité de l’Âme, II, p. 404 s. med.
  20. Métaph. Κ, 8, 1065 a, 4-6 ; An. post. I, 30, 87 b, 22-25. Cf. Zeller, p. 232, n. 5 et supra, p. 126, n. 3.
  21. Η, 4, 1044 a, 32 : ὅταν δὴ τις ζητῇ τὸ αἴτιον, ἐπεὶ πλεοναχῶς τὰ αἴτια λέγεται, πάσας δεῖ λέγειν τὰς ἐνδεχομένας αἰτίας. οἷον ἀνθρώπου τίς αἰτία ὡς ὕλη ; ἆρα τὰ καταμήνια. τί δ’ ὡς κινοῦν ; ἆρα τὸ σπέρμα. Τί δ’ ὡς τὸ εἶδος ; τὸ τί ἦν εἶναι. τί δ’ ὡς οὗ ἕνεκα ; τὸ τέλος. ἴσως δὲ ταῦτα ἄμφω τὸ αὐτό. δεῖ δὲ τὰ ἐγγύτατα αἴτια λέγειν. τίς ἡ ὕλη ; μὴ πῦρ ἢ γῆν, ἀλλὰ τὴν ἴδιον. περὶ μὲν οὖν τὰς φυσικὰς οὐσίας καὶ γενητὰς ἀνάγκη οὕτω μετιέναι, εἴ τις μέτεισιν ὀρθῶς, εἴπερ ἄρα αἴτιά τε ταῦτα καὶ τοσαῦτα καὶ δεῖ τὰ αἴτια γνωρίζειν.
  22. An. post. I, 4, surtout 73 b, 25 sqq. ; pour les textes, voir plus haut p. 125, n. 1 et p. 126, n. 2.
  23. Ibid. 31, 88 a, 5 : τὸ δὲ καθόλου τίμιον, ὅτι δηλοῖ τὸ αἴτιον.
  24. Ibid. 6 déb. et fin, par ex. 74 b, 6, 12 : … τὰ δὲ καθ’ αὑτὰ ὑπάρχοντα ἀναγκαῖα τοῖς πράγμασιν… τὰ δὲ συμβεβηκότα οὐκ ἀναγκαῖα..