Le Système d’Aristote/Avant-propos

Texte établi par Léon RobinFélix Alcan (p. i-iii).

AVANT-PROPOS


Il serait superflu de rien ajouter à ce qu’écrivait M. Durkheim, dans la préface du Système de Descartes, sur ce qu’a été la partie proprement historique de l’enseignement d’Octave Hamelin. Ce qu’on doit dire cependant, c’est que l’étude de la pensée d’Aristote en est, sans nul doute, l’exemple privilégié. L’intelligence toujours pénétrante des doctrines s’y appuie en effet sur l’érudition la plus substantielle et la plus étendue, acquise par vingt-cinq années de constante familiarité avec les œuvres du maître et avec les interprétations qu’en ont données ses commentateurs. Il n’est pas un élève d’Hamelin qui ne garde le souvenir de ses explications d’Aristote, et pour eux c’est un regret que le public philosophique n’en possède pas d’autre témoignage que sa traduction, avec commentaire, du livre II de la Physique. Ce qui donnait à sa méthode son originalité profonde c’est qu’elle conciliait, avec une incomparable maîtrise, l’analyse philologique du texte, la détermination exacte du sens, où avaient excellé un Trendelenburg, un Waitz, un Bonitz, avec l’effort d’un penseur qui cherche, en vue de la culture philosophique, à dégager l’esprit des doctrines, à en mesurer la part l’efficacité.

Les leçons sur Aristote que contient le présent volume, professées à l’École Normale Supérieure en 1904-5, sont une synthèse de ces travaux particuliers. Aussi M. Durkheim en avait-il souhaité la publication, dès l’époque où il me confiait le soin d’éditer le cours sur Descartes. En 1914 cette publication était décidée et déjà préparée. La guerre, puis les difficultés présentes que personne n’ignore, lui ont imposé un long retard. Au moment où elle va enfin se faire, élève d’Hamelin et de Durkheim, je veux apporter à la chère mémoire de ces deux maîtres de ma jeunesse, qu’a unis la plus noble et la plus confiante amitié, le pieux hommage d’une gratitude et d’un respect infinis.

Il me reste à dire quelques mots du manuscrit que j’ai été chargé d’éditer et des principes qui ont guidé mon travail. D’une manière générale, ceux-ci devaient être les mêmes que pour le Descartes (voir Préface, p. X). Hamelin avait, en effet, selon sa coutume, entièrement rédigé avec un soin minutieux la plupart de ses leçons. En outre il avait, de son vivant, donné la neuvième (L’opposition des concepts) à L’Année philosophique (XVI, 1905), en l’adaptant par quelques retouches à cette publication[1]. Ma principale tâche était donc d’établir les notes d’après les indications du manuscrit, et en vue de l’utilisation pratique du livre comme instrument de travail. En revanche, pour la septième et la quatorzième leçon, la rédaction était incomplète, et la première leçon surtout ne comportait qu’un plan détaillé avec des références. Pour restituer l’une et compléter les autres, j’ai utilisé les notes, remarquablement fidèles (là où elle était possible, la comparaison avec le texte le prouvait), d’un des auditeurs du cours, Antoine Bianconi, tombé glorieusement à Mesnil-les-Hurlus, au cours d’une attaque, le 5 mars 1915, et dont la mort, à trente-deux ans, demeure un sujet d’affliction pour tous ceux qui savent ce qu’il avait déjà fait et ce qu’il promettait encore. Ai-je besoin d’ajouter que le travail délicat de complément ou de restitution, qui m’était ainsi imposé, a été accompli avec tout le respect dû à la pensée d’un maître ?

On remarquera enfin que ce cours sur Aristote ne traite pas avec une égale ampleur toutes les parties de sa philosophie et que ni la morale, ni la politique n’y sont abordées. C’est à la logique qu’est consacrée l’étude la plus approfondie ; sans doute les logiciens ne se plaindront-ils pas que j’aie conservé dans son intégralité[2], bien qu’elle fût hors de proportion avec le reste, la leçon sur les syllogismes modaux. Mais, tel qu’il est, ce livre n’en apporte pas moins un exposé vraiment systématique de la pensée d’Aristote. En dépit même des lacunes dont j’ai parlé, il méritait donc de recevoir le titre sous lequel il paraît aujourd’hui. Il donne en effet la clef qui ouvre la doctrine entière, et il apporte la lumière dans les parties même de ce vaste édifice qu’il n’a pas parcourues.

L. R.
  1. Je me suis au contraire conformé à la rédaction primitive, qui s’accorde mieux avec celle des autres leçons.
  2. Dans cette leçon j’ai fait quelques emprunts à des brouillons liés élaborés que Hamelin avait joints à la rédaction.