Imprimerie de Tiger (p. 65-76).



§ V.

Elisca, ou le nouveau Gabriel.


L’enchanteresse que vous voyez, et qui tournerait la tête à tous les pairs d’Angleterre, se nomme Elisca. Son début dans la carrière amoureuse est neuf et plaisant : elle avoit à peine quatorze ans, que, grace à l’influence du tempérament le plus amoureux, elle rêvait déjà confusément un bonheur dont elle devait avoir la réalité à la première occasion ; une mère sévère et dévote, faisant force oraisons à monsieur Saint-André, l’éloignait par les moyens les mieux combinés. Cependant Verteuil, voisin d’Elisca, la vit et en devint éperduement amoureux ; mais comment déclarer son amour, comment s’approcher de celle qui l’a inspiré, et franchir toutes les barrières qu’une dame honnête a élevées entre sa fille et le plaisir ; l’amour est un grand maître, a dit Lafontaine ; il servit Verteuil, qui, sous des habits de femme, s’introduisit dans la maison de son amante, où il fut découvert avant le dénouement. Elisca, d’abord grondée, prêchée, menacée de tous les habitans de l’infernal séjour, fut ensuite conduite dans un couvent, et bien invitée à y oublier Satan, ses pompes et ses œuvres. Verteuil, dont l’amour croissait avec les obstacles, ne perdit point l’espérance, et, après de longues et pénibles recherches, fut assez heureux pour découvrir la prison d’Elisca. — Ah ! je respire, dit alors Bel-Rose Mais attendez, répondit le diable, nous ne sommes pas au dénouement : découvrir le couvent, ce n’était rien ; y pénétrer était le point important et principal. Imaginez un de ces vilains châteaux décrits par la lugubre R**. ; des tours bien antiques dans une espèce de désert, un pont-levis, des souterrains consacrés aux plus affreux mystères, des grilles, une tourrière bien vieille, point bavarde, point sensible, point gourmande et buvant de l’eau ; enfin, deux chiens cent fois plus terribles que les gardiens de la toison fameuse livrée par Médée à l’infidèle Jason (9). Tels étaient les obstacles dont il fallait triompher : Verteuil n’en fut pas effrayé. Secondé par le plus coquin comme le plus ingénieux des Frontins, il se trace un plan, et s’écrie, avec cet enthousiasme qui donne le pressentiment du succès : la place est à moi ! Cerbères, religieuses, tourrières, vous serez tous vaincus ; et toi, mon Elisca, tu verras enfin ta couche solitaire et si long-tems mouillée de larmes, devenir le théâtre et le témoin des plaisirs qu’appelle sans doute, que devine ton instinct virginal, et pour lesquels la bienfaisante nature paraît avoir formé tes charmes et ton cœur. — Il dit et part. — Mais quels étaient ses moyens et son appareil de siège ? — Patience : ni canons, ni tambours, ni trompettes ; mais un léger esquif, une échelle de cordes, deux gigots de mouton et un costume de diable, complété par une lanterne qui servait de coëfure, et contenant elle-même plusieurs lampions renfermés dans des verres diversement colorés et taillés à facettes. Ce que Verteuil avait prévu, ce que vous devinez arriva : avec l’esquif, il suppléa au pont-levis et parvint dans la cour du couvent ; les gigots de mouton, livrés en entrant aux deux cerbères, les occupèrent trop, pour leur laisser le tems de mordre ou d’aboyer, et cette première séduction fut complette ; à l’aide de l’échelle de soie, fixée avec un crochet au sommet du rampart d’un second bâtiment, le mur fut franchi ; et après avoir disposé convenablement toute son illumination, Verteuil, en habit couleur de feu, muni d’aîles diaboliques et de sa coëfure en lampions, se présente à la tourrière, lui ordonne, au nom du Ciel, d’ouvrir à son ministre Gabriel, tout illuminé des feux de la vérité, pour éclairer sœur Saint-Agathe : (c’était le nouveau nom d’Elisca) la vieille tourrière, transie de peur, stupéfaite d’admiration, fléchit le genou devant le ministre du très-haut, et le conduit elle-même à la cellule de la sœur que le Dieu tout-puissant veut mettre dans la grande route du salut et de la vie éternelle.Au nom du Ciel, ouvrez à son ministre Gabriel, tout illuminé des feux de la vérité, pour éclairer Sœur Ste. Agathe.
Au nom du Ciel, ouvrez à son ministre Gabriel,
tout illuminé des feux de la vérité, pour éclairer
Sœur Ste. Agathe
.
— Qui fut surpris de la visite de l’ange ? ce fut la charmante Elisca. Au moment de son entrée, elle se disposait à placer entre deux draps des charmes que préliminairement elle cherchait à défendre contre les puces, et qu’en même tems elle admirait en songeant au plaisir que leur possession donnerait à son amant. Verteuil, heureux Verteuil, il surprend Elisca occupée de cet exercice enchanteur : Elisca, effrayée, éperdue, ne le reconnaît pas au premier aspect ; mais bientôt sa crainte et ses inquiétudes se dissipent, l’amant est reconnu et applaudi ; cependant sa victoire n’est pas obtenue sans combats : Elisca, abusée par de vains préjugés, veut lutter contre son amant et contre ses désirs ; une robe envieuse, rapidement saisie, cache ses charmes au regard indiscret, et une prière fervente est adressée à Verteuil, pour l’engager à des respects et à une retenue que la violence de son amour lui rend impossibles. Non, s’écrie-t-il avec force ; ce bonheur qu’appellent tes veux et les miens, ne peut être un crime : ne résiste pas à mes tendres efforts, rends-moi caresses pour caresses, et loin de placer entre nous ce rampart de vêtemens que je déteste, sois sans voile comme sans crainte, et ne connais plus d’autre pouvoir que celui de l’amour. Elisca ne répond pas, mais veut encore résister : cette robe, qu’elle a reprise, est entr’ouverte malgré ses efforts ; sa bouche, qu’elle ne peut plus dérober à celle de Verteuil, reçoit le premier baiser de l’amour. Alors plus de résistance, tout son être a changé : son ame s’est confondue avec celle de l’amant le plus tendre ; moins timide, sa langue voluptueuse cherche le trait enflammé qui l’a touchée, l’irrite, l’irrite encore, et conduit, par les plus douces agitations, à une première convulsion de volupté. Dès ce moment, plus de retenue ; Elisca elle-même laisse tomber sa tunique, s’affranchit des voiles qui la couvrent ; et Verteuil, fortement armé par la nature, met dans la main de sa maîtresse l’instrument de leurs nouveaux plaisirs ; Elisca détourne les yeux ; mais au même instant elle est précipitée sur sa couche : sa chemise, le seul voile qui lui reste, est entièrement soulevé ; placé entre ses cuisses, qu’il écarte et soutient, son amant se présente à l’entrée d’un azyle dont le contour se couvrait à peine d’un léger duvet, et dont l’ouverture virginale fut pourtant déjà disposée au plaisir, par les essais d’un bonheur solitaire. Aucun moment, aucun effort n’est perdu : Elisca répond aux transports de son amant ; ses tétons, sa bouche, ses jolies fesses, excitées par des carresses stimulantes, tout est de la partie : l’intrépide Verteuil fait des progrès ; il avance, Elisca souffre ; mais, courageuse, son sang qu’elle voit couler redouble son ardeur, et, au même instant, un coup nerveux fait entrer le couteau sacré qui la déchire. La douleur et le plaisir se succèdent alors ; mais le dernier demeure, la douleur est oubliée, et, après des secousses plus vives et plus faciles, Verteuil et Elisca, confondus, pamés, sentent les approches du bonheur, les proclament par leurs accens entrecoupés, répandent la liqueur enchanteresse, et terminent enfin avec cette plénitude de volupté qui caractérise les premières jouissances de l’amour. Grace à l’heureux stratagême de Verteuil, la cellule de sœur Sainte-Agathe fut, pendant plusieurs mois, un temple d’amour et de plaisirs. Cependant, toutes les sœurs, quoiqu’honorées de la visite fréquente d’un ange, parurent avoir quelques soupçons, et, pour ne pas s’exposer aux suites fâcheuses qu’ils pouvaient avoir, Elisca fut enlevée et conduite à Paris, où elle a vécu pendant deux ans avec son amant. Plusieurs lui ont succédé, et la belle Elisca, presqu’aussi aventureuse que cette Aline dont Bouflers a crayonné l’histoire, est arrivée, après avoir dépensé plusieurs millions, au point de se trouver placée parmi les très-publiques prêtresses de Vénus, dont elle exerce la profession avec autant de gaîté que de philosophie.

Après avoir terminé ces deux intéressantes histoires, non moins dignes de la plume éloquente et sacrée de Laharpe, que le cantique des cantiques, le diable voulut quitter Bel-Rose ; mais pressé par ses vives sollicitations, il consentit à continuer ses voyages, dont voici quelques nouveaux résultats.