Le Souper de Beaucaire et Lettre à Matteo Buttafoco/0

L’Éditeur poursuivra, suivant toute la rigueur des lois, les contrefacteurs et vendeurs des Œuvres qu’il publie.

Afin de satisfaire l’impatience des nombreux souscripteurs des Œuvres de Napoléon Bonaparte, nous joignons au tome troisième de la collection deux pièces originales qui appartiennent au tome premier, et qu’il faudra plus tard faire relier à la fin de ce premier volume.

Les plus habiles bibliographes savaient très-bien que Bonaparte avait publié au commencement de la révolution les deux brochures que nous plaçons ici ; mais on croyait impossible de se procurer ces deux écrits de la jeunesse d’un sous-lieutenant d’artillerie, devenu depuis le souverain maître de l’Europe. Le style et les idées du jeune soldat à la naissance de la révolution, comparés aux discours de l’empereur, offriront sans doute des rapprochemens intéressans ; on y trouvera peut-être déjà quelques points de départ de cette carrière où la fortune, après avoir comblé un mortel de tous ses dons les plus brillans, semble s’être plu à les lui ravir en un instant, pour le frapper, à la fin de sa carrière, de ses coups les plus déchirans.

Après beaucoup de recherches que nous avions même cru désormais infructueuses, nous sommes parvenus à ces découvertes importantes dans la collection des œuvres d’un homme aussi extraordinaire

La lettre à M. Buttafoco, député de la Corse à l’Assemblée nationale, nous a été communiquée par l’imprimeur même de cette brochure, qui en conservait un exemplaire précieusement : nous en devons la communication à M. J. B. Joly, imprimeur à Dôle[1].

Bonaparte était alors lieutenant d’artillerie à Auxonne. Il vint trouver M. Joly avec son frère Louis, auquel il enseignait les mathématiques : l’ouvrage fut imprimé à ses frais au nombre de cent exemplaires, et il les fit passer dans la Corse.

Bonaparte avait aussi composé un ouvrage qui aurait pu former deux volumes, sur l’histoire politique, civile et militaire de la Corse. Il engagea M. Joly à aller le voir à Auxonne pour traiter de l’impression de cet ouvrage. M. Joly s’y rendit en effet. Bonaparte occupait, au pavillon, une chambre presque nue, ayant pour tous meubles un mauvais lit sans rideaux, une table placée dans l’embrasure d’une fenêtre, et chargée de livres et de papiers, et deux chaises : son frère couchait sur un mauvais matelas, dans un cabinet voisin. On fut d’accord sur le prix d’impression ; mais il attendait d’un moment à l’autre une décision pour quitter Auxonne ou pour y rester. Cet ordre arriva en effet quelques jours après : il partit pour Toulon, et l’ouvrage ne fut pas imprimé. Il est douteux que l’on puisse jamais retrouver cet écrit dont il ne reste aucune trace. On lui avait confié le dépôt des ornemens d’église de l’aumônier du régiment, qui venait d’être supprimé. Il les fit voir à M. Joly, et ne parla des cérémonies de la religion qu’avec décence : Si vous n’avez pas entendu la messe, joutât-il, je puis vous la dire.

Pour constater davantage l’authenticité de cette lettre, nous citerons le passage suivant du Journal de Dijon, du 4 août 1821.

« L’exemplaire que nous possédons nous a été donné, il y a environ dix-neuf ans, par une personne d’Auxonne, qui le tenait elle-même ex autoris dono.

« Deux fautes d’impression, l’une à la première ligne de la page 8, et l’autre à la fin de la sixième ligne de la page 9, sont corrigées de la main de l’auteur.

« II n’y avait pas long-temps que nous étions en possession de notre exemplaire, lorsque dans un voyage à Dole (Jura) nous eûmes occasion de visiter M. Joly (Jos.-Fr.-Xav.), imprimeur en cette ville, possesseur d’une bibliothèque qui atteste ses connaissances et son bon goût. Nos yeux se promenaient avec complaisance sur les richesses bibliographiques de son cabinet ; ils s’arrêtèrent sur un volume fort mince, qui se faisait distinguer, au milieu d’une quantité de reliures de luxe, par la recherche qui avait été mise à la sienne : c’était la Lettre de M. Buonaparte à M. Matteo-Buttafoco. Nous apprîmes alors, de la bouche de M. Joly, que cette brochure était sortie de ses presses, en 1790 ; que Bonaparte, qui était alors lieutenant au régiment de la Fère, artillerie, en garnison à Auxonne, en avait revu lui même les dernières épreuves ; qu’à cet effet il se rendait à pied à Dole, en partant d’Auxonne à quatre heures du matin ; qu’après avoir vu les épreuves il prenait, chez M. Joly, un déjeûner extrêmement frugal, et se remettait bientôt en route pour rentrer dans sa garnison, où il arrivait avant midi, ayant déjà parcouru dans la matinée huit lieues de poste. »

« Bonaparte entra dans le corps royal de l’artillerie en 1785. Du régiment de la Fère, où il fit ses premières armes, il passa dans celui de Grenoble, en garnison à Valence, où il était en 1791, le quatrième des premiers lieutenans de première classe (Voyez l’État militaire du corps de l’artillerie de France pour l’année 1791, imprimé chez Firmin Didot, petit in-12 de 166 pages). Nous remarquons que le nom de Bonaparte qui est employé trois fois dans l’État militaire cité, y est écrit, page 60, Buonaparté, tandis qu’on lit, pages 94 et 139, Buona parté. »

La petite brochure intitulée : Le souper de Beaucaire, semblait devoir ne pas échapper à l’oubli. Bonaparte passait, en 1793 à Beaucaire ; il s’y trouva à souper dans une auberge le 29 juillet, avec plusieurs commerçans de Montpellier, de Nîmes et de Marseille. Une discussion s’engagea sur la situation politique de la France : chacun des convives avait une opinion différente.

Bonaparte, de retour à Avignon, profita de quelques momens de repos pour consigner ce dialogue dans une brochure qu’il intitula : Le souper de Beaucaire. Il fit imprimer cet opuscule chez Sabin Tournai, rédacteur et imprimeur du Courrier d’Avignon.

L’ouvrage ne fit alors aucune sensation ; ce ne fut que lorsque Bonaparte devint général en chef, que M. Loubet, secrétaire de feu M. Tournal, qui en avait conservé un exemplaire, y attacha quelque prix, parce que cet exemplaire était signé de la main de son auteur. Il le montra alors à plusieurs personnes d’Avignon. M. Loubet étant mort, on s’est adressé à son fils par l’intermédiaire de M. M…, et on a obtenu la copie exacte de cet opuscule, dont il n’existe plus sans doute que ce seul exemplaire.

  1. Nous avons depuis eu connaissance d’un autre exemplaire de la lettre à M. Buttafoco, qui se trouve dans la bibliothèque d’un de nos jurisconsultes les plus distingués : une faute d’impression y est corrigée de la main même de Bonaparte.