Ernest Flammarion (p. 229-232).
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VIII

Ensuite, c’est toute une série de fêtes qui nous tiennent en haleine. Sans elles, les nombreux « dimanches après la Pentecôte » seraient dépourvus de variété. Tu vois bien ces après-midi de Juillet et d’Août, où nous finirions par nous endormir au ronronnement de l’harmonium du frère Théodore. Tu as beau suivre les vêpres dans ton livre : le sommeil serait plus fort que toi. L’église est fraîche, mais le soleil ne l’épargne pas. Ses murs sont épais, mais nombreux sont ses vitraux. Ainsi, fatalement, nous nous ensommeillerions dans l’accoutumance de cérémonies toujours pareilles. Les fêtes ont des coups de trompette qui nous réveillent et entretiennent notre activité spirituelle.

Certes, ce n’est pas les quatre matins de la procession de saint Marc ni des Rogations que nos yeux seraient tentés de se fermer. Ces processions ont été instituées pour détourner de son peuple la colère de Dieu et pour le prier de bénir les fruits de la terre qui commencent alors à croître. Les haies des chemins que nous suivons sont tout humides, comme si elles venaient d’être aspergées d’eau bénite. Le parfum de l’encens domine les senteurs qui montent de la terre rajeunie. Chaque matin nous nous transportons sur un point différent des petits faubourgs, à l’endroit où une croix indique qu’ici c’est la campagne qui commence. Les chantres invoquent tous les saints : Patriarches et Prophètes, Apôtres et Evangélistes, Pontifes et Confesseurs, Docteurs de l’Église, Prêtres et Lévites, Moines et Ermites, Vierges et Veuves. L’officiant bénit et encense les jardins, les prés et les champs. Et ce sont des instants où l’on sent plus que jamais qu’il est six heures d’un matin du beau mois de Mai et que vraiment le ciel visite la terre.

Or, le jeudi de l’Ascension, c’est la terre qui rend visite au ciel. Le Sauveur nous quitte, sous les apparences du corps qu’il emprunta à notre humanité ; mais son esprit demeure avec nous, et son souvenir habite dans nos âmes. Tu es de cœur avec les douze apôtres qui le voient disparaître. Il te semble qu’il ait du mal à se détacher du sol : la pitié qu’il a pour nous suffirait à l’y retenir. Si tu regardais plus attentivement, tu verrais ses yeux se voiler de larmes. Mais il le faut. Et, miraculeusement, et par un prodige dont tu ne doutes pas, il s’élève, par ses propres forces, dans la direction du soleil. Tu ne peux pas le suivre longtemps du regard ; la lumière de Judée t’éblouit. Et voici qu’un nuage le dérobe. Mais, comme tu te tiens non loin des douze, deux jeunes hommes vêtus de blanc vous apparaissent. Vous ne les avez pas vus venir. Vous les découvrez brusquement. Tu ne doutes pas que ce ne soient des anges. Et ils vous disent :

— Que restez-vous ici à regarder dans le ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé d’avec vous dans le ciel, en reviendra de la même manière que vous l’y avez vu monter.

Il en est ainsi. Tu t’inclines devant les deux anges vêtus de blanc, sachant que le Christ vient de monter au ciel pour entrer en possession de la gloire qu’il s’est acquise par ses humiliations, et pour nous y préparer une place, et pour nous servir d’intercesseur auprès de son Père, enfin pour nous envoyer le Saint-Esprit.

Le Saint-Esprit descend le dimanche de la Pentecôte. Ce jour-là tu es encore de cœur avec les douze. Il fait chaud. L’air est calme. Mais tu entends soudain comme un bruit de tempête qui remplit toute l’église. Je ne dirai point que tu reçoives le don des langues parce qu’une langue de feu aurait palpité au-dessus de ta tête. Mais tu sais qu’il en fut ainsi pour les douze, et tu admires l’infinie puissance de Dieu.