Plon (4p. 47-48).

XIV


Dans la forêt, il rencontra un religieux qui cheminait humblement sur son âne, sans nulle compagnie de sergents ni de valets, et, après avoir demandé au prud’homme s’il était prêtre, il lui requit confession : car Bohor n’était pas si fou que de se mettre en quête du Saint Graal tout sale et noir de péchés.

— En nom Dieu, répondit le religieux, si je refusais et que vous mourussiez en péché mortel par faute d’aide, vous me pourriez appeler au grand jour du Jugement devant la face de Jésus-Christ. Aussi vous conseillerai-je du mieux que je pourrai. Qui êtes-vous ?

— Bohor de Gannes, fils du roi Bohor et cousin de Lancelot du Lac.

— Certes, Bohor, vous devez être bon, si, comme dit Notre Sire, le bon arbre fait le bon fruit, car votre père fut un très prud’homme, et la reine Evaine, votre mère, une des meilleures dames du monde. Le fils du chat doit bien prendre souris.

— Sire, un homme extrait de mauvaise souche est changé d’amertume en douceur sitôt qu’il a reçu le baptême : c’est pourquoi il m’est avis que sa bonté ou sa méchanceté ne dépend pas de son père et de sa mère, mais de son cœur. Le cœur de l’homme est semblable aux avirons qui conduisent la nef soit au port ou au péril.

Tout en causant ainsi, ils étaient arrivés à la maison de l’ermite, où Bohor se confessa des offenses qu’il avait faites à son Créateur ; mais, bien qu’il eût vécu dans les folies du monde, il n’était souillé d’aucun autre péché de chair que celui qu’il avait commis jadis avec la fille du roi Brangore d’Estrangore, de qui était né son fils Hélain le blanc, et le prêtre s’en émerveilla ; pourtant il lui enjoignit de ne manger que pain et eau et de porter, en guise de chemise, une rude bure blanche sous un manteau vermeil jusqu’à la fin de la quête du Graal. Et Bohor reçut le Corpus Domini ; puis il reprit sa route, armé comme doit l’être un chevalier célestiel et bien défendu contre l’Ennemi.