XII


Il n’avait pas beaucoup cheminé, lorsqu’il rencontra deux partis de chevaliers, les uns vêtus d’armes noires, les autres d’armes blanches, qui combattaient. Il courut à la rescousse du parti noir qui était le plus faible et commença de faire des merveilles d’armes contre les chevaliers blancs, en sorte que tout le monde lui eût donné le prix du tournoi. Et pourtant il ne pouvait abattre aucun de ceux auxquels il s’adressait ; vainement frappait-il sur eux comme dessus une pièce de bois, ils ne semblaient pas même sentir ses coups : si bien qu’à la fin, il se trouva las au point qu’il ne pouvait plus supporter le poids de ses armes, ni tenir son épée. Alors les chevaliers blancs s’emparèrent de lui et ils le gardèrent toute la nuit ; puis, quand le jour fut clair et beau, ils le laissèrent aller.

Il s’éloigna, songeant tristement qu’il avait perdu jusqu’au pouvoir de son corps, puisqu’il s’était vu prisonnier, lui qui n’était jamais venu à un tournoi sans en remporter l’honneur. Et il chevaucha de la sorte, si dolent qu’il ne savait plus qu’à peine ce qu’il faisait, jusqu’à l’heure de none qu’il sentit son cheval s’arrêter : à ses pieds coulait une large et tumultueuse rivière. Il regarda : il était dans un profond vallon, encaissé entre deux roches à pic. Il se préparait à retourner sur ses pas, lorsqu’un noir chevalier sortit soudain de l’onde et vint tuer son destrier. Alors Lancelot s’avança jusqu’au bord du fleuve, et là il s’arrêta : devant lui, l’eau infranchissable ; à sa droite et à sa gauche, des roches inaccessibles ; derrière, la forêt déserte où il devait cent fois mourir de faim. Il ôta ses armes, s’étendit sur le sol, les bras en croix, la tête tournée vers l’orient, et il se mit en prières, résolu d’attendre là que Notre Sire lui envoyât secours. Mais le conte le laisse à présent et devise de monseigneur Gauvain, le neveu du roi Artus, dont il n’a point parlé depuis longtemps.