Plon (4p. 12-13).


IV


Or, la reine pleura toute la nuit. Mais le lendemain, dès qu’il plut à Dieu que les ténèbres disparussent, elle vint avertir son seigneur que les chevaliers l’attendaient pour entendre la messe. Le roi Artus essuya ses yeux, afin qu’on ne s’aperçût pas du grand deuil qu’il avait mené, lui aussi, à cause du départ de ses amis ; puis il se rendit à l’église avec ceux de la Table ronde, tout armés, hors la tête et les mains.

La messe chantée, les compagnons de la quête se réunirent dans la salle du palais pour prêter serment. Comme maître et seigneur de la Table ronde, Galaad s’agenouilla le premier devant les reliques et jura de ne jamais revenir avant que de savoir la vérité du Graal, s’il pouvait lui être donné de la connaître en aucune manière. Après lui jurèrent Lancelot, messire Gauvain, messire Yvain le grand, Perceval le Gallois, Lionel, Bohor, Hector des Mares, tous les compagnons, au nombre de cent cinquante, dont pas un n’était couard. Ensuite ils déjeunèrent ; puis ils lacèrent leurs heaumes et ceignirent leurs épées.

Cependant la reine s’était retirée dans sa chambre, où elle se laissa choir sur son lit, pleurant si fort, que le plus dur cœur eût eu pitié d’elle. Lancelot vint la voir, mais quand elle l’aperçut tout armé comme il était et prêt à partir, les larmes coulèrent sur son clair visage.

— Ha, dame, dit-il, donnez-moi votre congé !

— Non, vous ne partirez pas avec mon congé ! Mais, puisqu’il le faut, allez en la garde de Celui qui se laissa mettre en croix pour nous ! Qu’Il vous conduise où vous irez !

— Dame, Dieu le veuille en Sa sainte miséricorde !

Là-dessus Lancelot quitta la reine et s’en vint dans la cour, où il trouva ses compagnons dont beaucoup étaient déjà à cheval. Le roi, qui arrivait, s’étonna de voir que Galaad ne portait point d’écu.

— Sire, je ferais mal si j’en prenais un ici.

— Que Dieu vous conseille donc ! dit le roi.

Et il monta lui-même sur un palefroi pour faire compagnie aux chevaliers, qu’il escorta, menant grand deuil, jusqu’au château Vagan. Mais là Galaad, messire Gauvain, Lancelot, tous les compagnons ôtèrent leurs heaumes et ils vinrent, l’un après l’autre, lui donner le baiser d’adieu ; après quoi chacun d’eux partit à son aventure, tandis que le roi, plus dolent qu’on ne saurait dire, regagnait Camaaloth.