Plon (4p. 3-4).

I


Il y a longtemps que j’ai pris connaissance des merveilleuses aventures et faits étranges dont devise la haute histoire du Saint Graal. J’ai mis à les entendre et rapporter le sens que Nature m’a donné, car ces contes sont plaisants et de grande signifiance, et je pense que les bonnes gens (pourvu qu’ils aient pouvoir et loisir de les lire) s’en réconforteront et, grâce à eux, ôteront de leur cœur divers soucis et lourdes pensées. Certes, si ces récits sont peu prisés, ce sera de ceux qui ne savent pas ce qui a du prix en ce monde, et peu me chaut du blâme de telles gens ! En terre aride le bon grain ne peut pousser.

Aujourd’hui, je veux parler des grandes merveilles que plusieurs prud’hommes, chevaliers célestiels, les meilleurs qui furent jamais, accomplirent dans l’ancien temps. Des bons, on ne saurait jamais trop écrire ; mais, si peu de mal qu’on dise des mauvais, c’est toujours pénible à entendre ; aussi ai-je laissé les mauvais de côté : qu’ils soient loin de moi toujours ! que Dieu ne permette jamais qu’ils s’en approchent ! Or, écoutez : car pour ce que je vois que le temps est beau et clair, l’air pur, que la grande froidure de l’hiver est partie, et que nous sommes au commencement de la douce saison qu’on nomme printemps, je veux commencer mon livre, au nom de Dieu et de la Sainte Trinité, de la manière que voici :