Le Sahara souvenirs d’un voyage d’hiver/01

Le Sahara souvenirs d’un voyage d’hiver
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 52 (p. 295-322).
II  ►
LE SAHARA
SOUVENIRS D’UN VOYAGE D’HIVER.

I.
LA RÉGION MÉDITERRANÉENNE. — LE SAHARA ORIENTAL ET LA VÉGÉTATION DU DÉSERT.

Les géographes distinguent à la surface du globe des régions naturelles caractérisées par la constitution physique et géologique du sol, le climat, la végétation, le règne animal et la physionomie des populations qui les habitent. La région méditerranéenne est une de ces régions, la région saharique en est une autre. La première embrasse tout le pourtour de la Méditerranée depuis la Cyrénaïque jusqu’en Syrie, comprenant un mince liséré de l’Afrique septentrionale, l’Espagne orientale, la France méditerranéenne, l’Italie, la Grèce, les côtes de l’Asie-Mineure et de la Syrie jusqu’à Beyrouth. Pour que le circuit fût complet et embrassât tout le pourtour de la Méditerranée, cette liste devrait se terminer par la Palestine et l’Égypte ; mais la Palestine participe déjà des régions tropicales, et l’Égypte est une grande oasis. — La région saharique, c’est l’immense désert qui s’étend en longitude à travers toute l’Afrique et une partie de l’Asie depuis le Sénégal jusqu’à l’Indus, et en latitude depuis l’Atlas jusqu’au Soudan, à 12 degrés au nord de l’équateur. Ces deux régions, la première, emblème de la fertilité et berceau de la civilisation du monde, la seconde, type de la stérilité et asile séculaire de la barbarie, se rencontrent dans le nord de l’Afrique : elles partagent l’Algérie en deux moitiés. Une chaîne de montagnes, celle de l’Atlas, qui court parallèlement à la côte depuis le Maroc jusqu’en Tunisie, forme la limite de ces deux régions. Jusqu’à l’Atlas, l’Algérie fait partie de la région méditerranéenne ; elle est un prolongement de la Provence et du Languedoc, car la Méditerranée n’est point une mer, c’est un golfe, et, grâce à la vapeur, un moyen d’union ; entre les pays qu’elle isolait autrefois. Ce n’est donc point la mer, c’est le mal de mer qui sépare réellement l’Algérie de la France. Cette déplorable infirmité, dont si peu d’hommes sont exempts, est la barrière qui s’élève entre la vieille France européenne et cette jeune France africaine où toutes les activités trouveraient leur emploi et toutes les curiosités leur aliment. L’unité de la France méditerranéenne, que j’affirme, n’est point une fiction, c’est une réalité. Les preuves surabondent, examinons-les. Avant de pénétrer dans le Sahara, étudions-en les abords.


I. — LA RÉGION MÉDITERRANÉENNE.

Ce nom est le meilleur ; toutefois on l’appelle aussi la région des oliviers, l’existence de cet arbre caractéristique distinguant cette région de toutes celles qui l’environnent. La reconnaissance des naturalistes l’avait acclamée le royaume de Candolle en souvenir du botaniste qui en a le mieux connu les productions végétales : il les avait étudiées sur place pendant ses huit années de professorat à la faculté de médecine de Montpellier, où il occupait la chaire de botanique, et dans les voyages agronomiques qu’un ministre éclairé, le baron Chaptal, le chargea de faire dans les différentes parties de l’empire français. La botanique et l’agriculture ont également profité de ces tournées, si faciles aujourd’hui, si pénibles au commencement du siècle. Un illustre agronome anglais, Arthur Young, qui parcourut la France pendant quatre étés, de 1787 à 1790, reconnut le premier l’existence de la région des oliviers[1], dont l’un de ses plus dignes successeurs, M. de Gasparin, fixa plus rigoureusement les limites. Nulle part le contraste entre cette région et celle qui la précède n’est plus frappant qu’à la descente du Rhône ou sur le chemin de fer de Lyon à Marseille. À partir de Valence, la voie suit à distance la rive gauche du fleuve dans le large bassin dont Montélimart est la ville principale. Peu à peu la vallée se resserre, Viviers apparaît sur la rive droite du Rhône, surmonté de sa vieille cathédrale ; les bords se rapprochent, et le fleuve traverse une cluse étroite où l’art, entamant la roche, a tracé une route et une voie ferrée superposées l’une à l’autre. Au sortir de la gorge, la vallée s’ouvre de nouveau, et l’olivier apparaît sur les collines qui dominent le village de Donzères : on entre dans la région méditerranéenne, Nulle part le contraste n’est plus saisissant, il frappe le voyageur le plus inattentif : la gorge de Donzères sépare le nord du midi de la France. La limite de la culture de l’olivier est celle de la région méditerranéenne. Partant de Perpignan, la courbe qui la circonscrit passe par Arles sur Tech et Olette dans les Pyrénées-Orientales, Carcassonne dans l’Aude, puis, pénétrant dans les vallées abritées des Cévennes, elle, traverse Saint-Chignan, Saint-Pons et Lodève dans l’Hérault, le Vigan et Alais dans le Gard, Joyeuse, Aubenas, Beauchastel dans l’Ardèche, où elle atteint son point le plus septentrional par 44° 50’ de latitude ; elle redescend ensuite vers le sud, coupe le Rhône à Donzères, descend à Nyons dans la Drôme, puis à Sisteron et à Digne dans les Basses-Alpes, à Bargemon et Grasse dans le Var, et à Saorgio dans les Alpes-Maritimes. Nous ne la suivrons pas plus loin ; disons seulement qu’elle longe le pied méridional de l’Apennin, passe au nord de Florence, traverse la Dalmatie, coupe le méridien un peu au sud de Constantinople, et se termine dans l’Asie-Mineure, sa patrie originelle. De là, l’olivier s’est successivement étendu, dès la plus haute antiquité, en Syrie, en Palestine, en Grèce et dans le nord de l’Afrique, où il prospère admirablement depuis la Cyrénaïque jusqu’au Maroc. En Espagne, cet arbre est cultivé sur toute la côte orientale depuis les Pyrénées jusqu’au détroit de Gibraltar. L’olivier entoure ainsi le pourtour de la Méditerranée d’une ceinture continue qui n’est interrompue que par l’Égypte, où d’autres cultures plus fructueuses l’ont remplacé sans l’exclure totalement. C’est donc avec raison que les dénominations de région méditerranéenne ou région des oliviers sont admises comme synonymes par les naturalistes et les géographes modernes.

La constitution météorologique de la région méditerranéenne présente une grande uniformité. Elle est en outre complètement différente du régime météorologique de la France et de l’Europe occidentales. Depuis les côtes de Portugal jusqu’à celles de Norvège, l’influence de l’Océan domine toutes les autres. Les contrées intermédiaires ont un climat que j’appellerai océanien par opposition au climat méditerranéen, qui règne autour de cette mer intérieure. L’Océan agit non-seulement par sa masse et son étendue pour dominer souverainement le climat de l’Europe occidentale ; il y a plus : un courant d’eau chaude, le gulf-stream, parti du golfe du Mexique, vient baigner toutes les côtes européennes. Une de ses branches longe le Portugal ; l’autre pénètre entre l’Angleterre et l’Irlande, et contourne les archipels de l’Ecosse ; une troisième, passant entre les îles britanniques et l’Islande, gagne les attérages de la Norvège et se perd dans la Mer-Blanche et sur la côte occidentale du Spitzberg. Ce courant d’eau tiède réchauffe donc toutes les côtes de l’Europe, et en même temps il engendre les vents d’ouest et de sud-ouest, qui sont dominans dans la région océanienne. L’évaporation du gulf-stream étant très active, ces vents poussent sans cesse vers l’Europe des nuages qui se résolvent en pluie à mesure qu’ils pénètrent dans l’air plus froid du continent. De là un ciel habituellement couvert et des pluies fréquentes ; de là un climat assez égal, les vents de sud-ouest réchauffant l’atmosphère en hiver et la rafraîchissant en été. Le ciel couvert s’oppose au rayonnement du sol en hiver et à réchauffement en été ; de là des hivers relativement doux et des étés sans grandes chaleurs, un air chargé d’humidité, c’est-à-dire un climat égal ou marin. C’est en Irlande, dans le sud de l’Angleterre, dans les deux presqu’îles du Cotentin et du Finistère, dans les îles de la Manche et les Feroe, que ce climat est le mieux caractérisé. À mesure qu’on s’éloigne de la mer et qu’on pénètre dans le continent, l’influence océanienne est moins prépondérante ; les hivers deviennent plus rudes, les étés plus chauds et l’air plus sec. Dans toute la région, les vents du nord et du nord-est, antagonistes de ceux du sud-ouest, sont les vents du froid et du beau temps, car ils prennent naissance dans les plaines de la Russie, et éclairassent le ciel en refoulant les nuages issus de l’Atlantique et poussés incessamment vers la côte par les vents occidentaux.

La constitution météorologique de la région méditerranéenne est complètement différente. Le vent dominant est celui du nord-ouest, le mistral du midi de la France : c’est le vent du beau temps. Son antagoniste est le sud-est ou marin : c’est le vent de la pluie. Contrairement à ce qui se passe dans le reste de la France, les vents d’est y sont pluvieux ; ceux de l’ouest ne le sont pas. La pluie, au lieu d’être distribuée assez également entre les diverses saisons, tombe surtout en automne et au printemps ; l’été est toujours sec et l’hiver variable. Les pluies sont torrentielles comme les averses orageuses du nord de la France, et la quantité d’eau que la terre reçoit en un an est plus considérable que dans l’Europe océanienne, quoique le nombre des jours de pluie soit beaucoup moindre. De là des alternatives de sécheresse et d’humidité inconnues dans le nord, et, à la suite des pluies abondantes du printemps, une végétation activée par les chaleurs de l’été ; avec le nord et le nord-ouest, un ciel serein et un rayonnement nocturne d’autant plus intense que l’air est plus sec et plus transparent. Ainsi des nuits fraîches succèdent à des journées chaudes, et des hivers relativement froids sont suivis d’étés dont la moyenne égale celle des pays tropicaux. On conçoit combien un pareil régime atmosphérique est différent de celui de l’Europe occidentale. La prédominance des vents de nord-ouest et de sud-est en est le trait dominant. Aussi, tandis que les naufrages de l’Océan ont lieu principalement par les vents, de sud-ouest, ce sont ceux de nord-ouest qui poussent les navires vers les côtes d’Afrique, où les rades de l’Algérie, toutes ouvertes dans cette direction, n’offrent aucun abri assuré aux navires qui viennent y chercher un refuge. D’un autre côté, ce sont les vents de sud-est qui tous les hivers font échouer sur les plages sablonneuses de la Camargue ou du Languedoc les navires surpris sur les côtes de France par des coups de vent du sud-est accompagnés de pluies diluviennes. L’unité météorologique de la région est donc aussi évidente que celle des côtes occidentales de l’Europe, et ces deux unités sont séparées par des différences dont il me serait facile d’augmenter le nombre.

Sous le point de vue géologique, les rivages de la Méditerranée ont un relief caractéristique. Les chaînes de montagnes courent parallèlement à la côte ; une bande de terre assez étroite les sépare de, la mer. Ainsi les chaînes des Cévennes, des Alpes-Maritimes, des Apennins, des Alpes-Dinariques, du Taurus, du Liban, de l’Atlas et de la Sierra-Nevada présentent toutes ce caractère remarquable. lia en résulte que, le trajet des cours d’eau de la source à l’embouchure étant très court, peu de grands fleuves se versent dans la Méditerranée. L’Èbre, le Rhône et le Nil sont les seuls navigables, et sur toute la côte d’Afrique, depuis le Maroc jusqu’en Égypte, la Seybouse, près de Bone, est la seule rivière qui mérite ce nom. Les autres cours d’eau ne sont que des torrens ou des ruisseaux éphémères.

Je ne saurais insister ici sur les rapports géologiques des côtes de la France, de l’Italie, de la Grèce, de l’Asie-Mineure et de l’Afrique septentrionale. Je me hâte d’aborder l’étude de l’a végétation, dont l’uniformité a depuis longtemps frappé les yeux des naturalistes. Elle est telle que la région méditerranéenne forme réellement un centre de création distinct de ceux qui l’entourent, comme si les bords de cette mer intérieure n’étaient que les restes d’une vaste région disparue sous les eaux, ou bien comme si la végétation, expression de la composition du sol et du climat, traduisait fidèlement l’unité physique et météorologique dont nous avons parlé.

Lorsque sur l’un de ces beaux bateaux à vapeur des Messageries impériales qui parcourent avec une si merveilleuse régularité les échelles du Levant on fait le tour de la Méditerranée, il est impossible de ne pas être frappé de l’étonnante uniformité de la végétation : elle ne cesse, pour ainsi dire, que sur les côtes de Syrie, où l’influence tropicale commence à se faire sentir ; mais toujours les terrains stériles sont occupés par les mêmes plantes, et la garrigue du midi de la France offre partout son aspect caractéristique. Le chêne vert, le chêne-liège, le micocoulier[2], le peuplier blanc, le pin d’Alep, le figuier, l’amandier, le laurier d’Apollon, l’olivier, le jujubier, le caroubier[3], tantôt à l’état sauvage, tantôt à l’état cultivé, les deux espèces d’arbousiers[4], deux genévriers[5], les phyllirea[6], le myrte, le grenadier, les lentisques et les térébinthes[7], le sumac des corroyeurs[8], les cytises[9], les genêts[10], le redoul[11], l’épine du Christ[12], l’anagyre fétide[13], le palmier nain[14], les cistes[15] et les labiées odorantes à tige ligneuse, thym, romarin, sauge et lavande, forment le fonds commun de la végétation arborescente. Les lauriers-roses ornent de leurs touffes fleuries le lit des torrens, et les tamaris[16] se maintiennent sur les plages sablonneuses de la mer, où la scille maritime[17] et le lis-narcisse[18] étalent leurs larges feuilles. Si tant d’arbres et d’arbrisseaux sont communs à la France et à l’Algérie, on comprend combien de végétaux herbacés doivent se trouver sura les deux rivages de la Méditerranée : je ne saurais les énumérer sans effrayer le lecteur par une longue liste de noms latins, qui n’ont de sens que pour le botaniste européen. Une surprise, preuve nouvelle d’une végétation uniforme, l’attend sur la rive africaine. À peine débarqué, il croira reconnaître à chaque pas des espèces qui lui sont familières : il s’approche, certaines différences invisibles de loin, visibles de près, éveillent dans son esprit quelques soupçons. Ces espèces sont nouvelles pour lui, mais si semblables à leurs congénères d’Europe, qu’il hésite à les en séparer. Ainsi la flore de la région littorale de l’Algérie n’est qu’un prolongement de celle du midi de la France et chaque province participe de la végétation du rivage européen le plus voisin. La flore de la province d’Oran rappelle celle de l’Espagne ; la végétation de la province d’Alger est celle qui offre le plus de ressemblance avec la végétation de la Provence et du Languedoc, et le voisinage de la Sicile se fait sentir dans celle de Constantine. M. Cosson, dont le monde savant attend avec impatience la flore d’Algérie, confirme ces aperçus par les résultats irrécusables de la statistique végétale. Ainsi, sur 1,428 plantes qui forment le total des espèces qui croissent dans la province de Constantine, 1,056 se retrouvent dans l’Europe méditerranéenne ; les autres existent en Orient ou sont spéciales à la province. Deux végétaux américains, mais naturalisés sur tout le pourtour de la Méditerranée, frappent les yeux les plus inattentifs par l’étrangeté de leurs formes, et ce sont eux que les peintres choisissent de préférence pour caractériser la physionomie d’un pays qui n’est pas le leur ; ce sont l’aloès-pitte[19] et la ligue d’Inde[20]. Le dattier lui-même ne devrait jamais figurer dans les paysages du littoral algérien ; le désert, où ses fruits mûrissent, voilà sa véritable patrie, et non pas le Tell, où il n’est qu’un arbre d’ornement improductif.

L’uniformité de la végétation ou l’unité botanique de la région méditerranéenne ne saurait donc être mise en doute. Préservés par la chaîne de l’Atlas du souffle brûlant des vents du désert, les végétaux retrouvent sur le rivage africain le climat de la Provence ; mais bientôt ils rencontrent la barrière de l’Atlas, où ils ne résistent pas à la rigueur des hivers. Cependant quelques-uns franchissent la chaîne, mais s’arrêtent au bord du désert, où la chaleur et la sécheresse de l’air, jointes à la salure du sol, créent des conditions incompatibles avec leur existence. Un petit nombre pénètrent plus ou moins loin dans le Sahara, ce sont surtout des plantes salines, plus sensibles à la présence d’une certaine quantité de sel marin dans la constitution du sol qu’aux influences météorologiques si puissantes sur la plupart des végétaux.

Si nous interrogeons la zoologie, elle nous répondra comme la botanique. Une foule d’oiseaux émigrent de France en Algérie ; un grand nombre d’animaux et d’insectes se retrouvent dans les deux pays. Mais, dira-t-on, le lion, la panthère, le serval[21], la hyène, le chacal, le renard doré[22], la genette de Barbarie[23], n’ont jamais existé dans le midi de la France. Acceptable il y a quelques années, ce jugement ne l’est plus aujourd’hui. On trouve dans les nombreuses cavernes de nos contrées méridionales des ossemens de ces grands carnassiers. Dire que les espèces étaient identiques à celles de l’Algérie serait impossible, car comment reconstituer complètement un animal avec quelques fragmens osseux ? mais on peut affirmer que l’espèce fossile et l’espèce vivante sont très semblables et très voisines l’une de l’autre dans le même groupe générique. D’ailleurs toutes ces distinctions d’espèces ont beaucoup perdu de leur importance depuis que les naturalistes sont à peu près d’accord pour admettre avec M. Darwin qu’il n’y a point d’espèces, mais seulement des formes animales ou végétales modifiables par le temps et les influences extérieures. Que les ossemens des carnassiers trouvés dans les cavernes du midi de la France diffèrent un peu de ceux des carnassiers vivans de l’Algérie, qui s’en étonnerait ? On ne saurait affirmer que ceux-ci ne sont pas les mêmes animaux modifiés par l’action lente du temps dans un milieu analogue, mais différent de celui des bords septentrionaux de la Méditerranée. Ainsi on trouve des ossemens de lion, d’hyène, de panthère, de cerf et de daim dans les cavernes du midi de la France ; mais on y trouve aussi des ossemens d’ours, de renne et d’aurochs, animaux inconnus en Afrique. Ces ossemens nous expliquent la disparition des singes, des lions, des panthères et des hyènes : ceux-ci ont péri pendant la période de froid, conséquence de l’extension des glaciers, qui a permis aux ours, aux rennes et à l’aurochs, animaux appartenant exclusivement aux pays septentrionaux, de vivre et de se perpétuer dans les plaines de la France méridionale. Nous savons maintenant, grâce aux haches et aux couteaux en pierre trouvés avec ces ossemens, grâce aux dessins très reconnaissables dont les bois de renne et de cerf sont ornés, que l’homme a été contemporain de ces animaux éteints. Eussent-ils résisté au froid, ils auraient fui devant la civilisation. Le lion, la hyène, la panthère, pourraient vivre dans les Cévennes comme dans le Tell et dans l’Atlas : le climat est à peu près le même dans les deux chaînes de montagnes ; mais l’homme civilisé ne tolère pas la présence de ces hôtes incommodes. Ainsi l’on peut dire que les grands carnassiers ont été contemporains de l’homme dans la France méridionale ; ils ont disparu à l’époque glaciaire. Les progrès de la civilisation européenne eussent suffi pour les anéantir, tandis que la barbarie musulmane favorisait leur multiplication dans une contrée peu habitée, mais parcourue par de grands troupeaux de moutons mal gardés et mal défendus. En Algérie, les grands destructeurs de lions, ce sont les Français. En résumé, l’unité zoologique de la région méditerranéenne est aussi évidente que l’unité botanique, et, en soutenant cette thèse, je suis heureux de m’appuyer sur l’autorité d’un savant trop modeste, le docteur Lartet, continuateur autorisé de ces études paléontologiques à la fois rigoureuses, sagaces et hardies, dont Cuvier, Laurillard et de Blainville nous ont laissé le modèle.

La santé de l’homme est le reflet du milieu où il vit, et ses maladies varient suivant les causes qui les produisent. La région méditerranéenne différant de l’Europe moyenne par le climat, la constitution physique du sol, la flore et la faune, les maladies dont les peuples méditerranéens sont affectés doivent différer et diffèrent en effet de celles des contrées océaniennes. L’influence de la race vient s’ajouter aux agens extérieurs : c’est la race latine qui domine sur les rivages de la Méditerranée, et l’Arabe lui-même tire son origine de la contrée asiatique la plus rapprochée de l’Afrique. Enfant du désert, il s’est avancé d’orient en occident dans ces vastes régions inhabitées où son humeur nomade ne rencontre pas de barrières et où la terre appartient à celui qui l’occupe. Hippocrate, le père de la médecine, a tracé le tableau des maladies de la région méditerranéenne. Les maladies de la Grèce antique sont encore celles de toute cette région. C’est dans les observations prises en Afrique par nos médecins militaires que le savant commentateur d’Hippocrate, M. Littré, a trouvé le portrait le plus ressemblant des maladies hippocratiques. C’est également la raison d’être de l’école de médecine de Montpellier : placée au centre d’une région médicale différente de celles des écoles de Paris et de Strasbourg, elle étudie des formes de maladies rares ou inconnues dans le nord. Aussi les médecins de nos armées de terre et de mer, que les nécessités du service appellent presque toujours dans des contrées plus chaudes que la France septentrionale, retrouvent-ils dans ces pays, et spécialement en Algérie, toutes ces affections intermittentes, bilieuses et dyssenteriques, qui forment le trait dominant de la nosologie méditerranéenne. Observant d’autres maladies, de même que le météorologiste observe un autre climat, le botaniste d’autres plantes et le zoologiste d’autres animaux, le médecin de Montpellier se rattache à une doctrine médicale différente de celle de Paris et des écoles du nord de l’Europe. Constatant chaque jour l’influence prodigieuse de l’air, de l’eau et des lieux, il admire Hippocrate et inscrit sous son buste cette épigraphe légèrement ambitieuse : Olim Cous, mine Monspeliensis Hippocrates[24]. Le médecin du nord, ne reconnaissant pas dans les descriptions d’Hippocrate l’image des symptômes qu’il observe tous les jours, n’accorde au vieillard de Cos qu’un tribut d’estime traditionnelle ou d’admiration mitigée. Leurs doctrines médicales sont différentes, et tous deux ont partiellement raison. En médecine, les théories, généralisations prématurées et passagères, varient suivant les lieux et changent avec le temps. Je n’insiste pas davantage, je me résume, et je conclus à l’unité du bassin méditerranéen comme à la mieux établie de toutes celles qu’on a reconnues jusqu’ici à la surface du globe, car elle se déduit du climat, des conditions physiques du sol, de la faune, de la flore et de la nosologie comparées.


II. — SOUS-RÉGION DES HAUTS PLATEAUX. — SAHARA ORIENTAL.

En Algérie, la région méditerranéenne n’est point en contact immédiat avec la région saharienne ou désertique. Une chaîne de montagnes, l’Atlas, l’en sépare ; mais l’Atlas ne s’élève pas brusquement de la plaine, une série de gradins successifs s’échelonne sur l’un et l’autre versant de la chaîne, et nous appellerons, avec M. Cosson, cette zone la sous-région des hauts plateaux. Dans la province de Constantine, elle se continue avec la région montagneuse de la Kabylie et le massif des Ouled-Sultan. De vastes surfaces dénudées, semées de chotts ou lacs salés, dépourvues de végétation arborescente, parcourues en été par d’immenses troupeaux dont la dent ronge les plantes jusqu’à la racine, des montagnes pelées s’élevant brusquement de ces surfaces horizontales, tel est l’aspect général. Les cultures variées de la région méditerranéenne ont disparu ; l’orge est la seule céréale qui mûrisse sûrement ses grains. La vigne et l’olivier réussissent sur beaucoup de points, et sont destinés à couvrir un jour la nudité de ces plateaux que le libre parcours des troupeaux et l’incurie arabe ont dépouillés de leur verdure. Cependant, posées sur ces montagnes comme sur un piédestal, on retrouve encore quelques forêts de cèdres oubliées par les indigènes. Les plus belles ornent les crêtes et descendent dans les gorgés du Chellalah, près de Batna ; on en voit également dans le Djurjura et autour de Teniet-el-Had, au sud de Miliana. Quel contraste entre ces magnifiques forêts et les plateaux stériles qui y conduisent ! Jeunes, les cèdres de l’Atlas ont une forme pyramidale ; mais quand ils s’élèvent au-dessus de leurs voisins ou du rocher qui les protège, un coup de vent, un coup de foudre, un insecte qui perce la pousse terminale, les privent de leur flèche ; l’arbre est découronné : alors les branches s’étalent horizontalement et forment des plans de verdure superposés les uns aux autres dérobant le ciel aux yeux du voyageur, qui s’avance dans l’obscurité sous ces voûtes impénétrables aux rayons du soleil. Du haut d’un sommet élevé de la montagne, le spectacle est encore plus grandiose. Ces surfaces horizontales ressemblent alors à des pelouses du vert le plus sombre ou d’une couleur glauque comme celle de l’eau, sur lesquelles sont semés des cônes violacés ; l’œil plonge dans un abîme de verdure au fond duquel gronde un torrent invisible. Souvent un groupe isolé attire les regards ; on s’approche, et au lieu de plusieurs arbres, on se trouve en face d’un seul tronc coupé jadis par les Romains ou les premiers conquérans arabes : l’arbre a repoussé du pied, des branches énormes sont sorties de la vieille souche ; chacune de ces branches est un arbre de haute futaie, et les vastes éventails de verdure étalés autour du tronc mutilé ombragent au loin la terre. Quelques-uns de ces cèdres sont morts debout, leur écorce est tombée, et, squelettes végétaux, ils étendent de tous côtés leurs bras blancs et décharnés. Les cèdres d’Afrique attendent encore leur peintre. Marilhat seul nous a fait admirer ceux du Liban ; mais ses successeurs, campés à Barbizon, s’acharnent après l’écorce de deux ou trois chênes de la forêt de Fontainebleau, toujours les mêmes, que l’amateur salue comme de vieilles connaissances à chacune de nos expositions. Des artistes éminens dépensent une somme considérable de talent à reproduire les mêmes arbres, tandis que des cèdres séculaires vivent et meurent ignorés dans les gorges de l’Atlas, où leur beauté n’est admirée que par les rares voyageurs qui s’aventurent dans ces montagnes. Un autre arbre des hauts plateaux, c’est le betoum ou pistachier de l’Atlas[25]. Au lieu de vivre en forêts comme le cèdre, celui-ci est solitaire ; de loin en loin on en aperçoit la cime arrondie, dont les Arabes cueillent les fruits. Un frêne spécial[26], deux genévriers[27], des tamaris sur les bords des lacs salés, sont également communs dans cette zone, où l’on retrouve la plupart des arbres forestiers, de la région méditerranéenne. Deux herbes, l’alfa[28] et une armoise blanchâtre[29], recouvrent souvent d’immenses surfaces d’un tapis uniforme.

Il est temps d’aborder le Sahara. Transportons-nous à Batna, à 120 kilomètres au sud de Constantine. Nous avons franchi la région des hauts plateaux ; la ville de Batna est placée à l’extrémité du dernier de ces plans successifs, à 1,060 mètres au-dessus de la mer. Au nord-ouest s’élèvent les crêtes de l’Atlas, couronnées de cèdres qui se découpent sur le ciel. La pyramide du Djebel-Tougour, semblable aux pics des Pyrénées et désignée par les colons algériens sous le nom de Pic-des-Cèdres, domine tout le massif. Vers le sud-est s’étendent les montagnes de l’Aurès, aux formes arrondies et revêtues de bois de chênes verts et de pins d’Alep. L’ancienne Lambesse se cache dans un repli de la montagne. Les enceintes du camp romain sont parfaitement visibles ; la masse cubique du prétoire antique en occupe le centre. Quatre portes triomphales encore debout, des temples, un aqueduc, des mosaïques, des pierres tumulaires sans nombre, des postes avancés, plus de sept cents inscriptions relevées par M. Léon Renier, tels sont les restes d’une ville couvrant une surface immense, et dont la population ne devait pas être au-dessous de 30,000 âmes. En sortant du camp de Lambesse, vers le nord-ouest, on suit une longue ligne de tombeaux. À l’extrémité, au milieu des champs d’orge d’où s’élevaient des nuées d’alouettes, je m’acheminai vers la pyramide de Flavius Maximus, préfet de la troisième légion auguste. Ce monument tombait en ruine ; M. Carbuccia, colonel et antiquaire, le fit relever, et le 4 mars 1849 la garnison de Batna défila devant la pyramide, restaurée, qui recouvre depuis tant de siècles le corps du chef de la troisième légion. Certes, si jamais soldats furent dignes de rendre des honneurs à un général romain, ce sont les soldats de cette armée d’Afrique qui ont conquis sur la barbarie une nouvelle France située en face de la première, au bord de la Méditerranée, redevenue la grande route du monde. Contenant les Arabes par leur fermeté, ils ont ouvert des routes, construit des ponts, élevé des aqueducs, fondé des villes comme leurs devanciers. Quand on voit le camp romain de Lambesse, contigu à la ville civile, et Batna, bâtie sur le même plan, on reconnaît l’œuvre du même génie politique et militaire. En Afrique, l’armée, utile, active, laborieuse, a une haute signification morale : elle est à la fois conquérante et civilisatrice, protectrice des populations sédentaires et laborieuses, redoutable seulement pour l’Arabe vagabond, pillard et fanatique, race rebelle à toute civilisation, comme les Indiens de l’Amérique du Nord, et destinée fatalement à disparaître du pays qu’elle ruine depuis si longtemps.

À six kilomètres au sud de Batna est un large col surbaissé qui se confond avec le plateau au-dessus duquel il s’élève de cent mètres seulement. Là se trouve le point de partage des eaux qui coulent au nord vers la Méditerranée, au sud vers une autre mer qui n’existe plus, celle qui couvrait jadis le désert du Sahara. Le Pic-des-Cèdres semble placé sur la limite comme une borne gigantesque ; les eaux de son versant septentrional descendent à travers le Ravin-Bleu vers le Rummel et la Méditerranée, celles du versant méridional par le Ravin-des-Cèdres dans le torrent qui passe sous le pont d’El-Kantara. Après avoir franchi le col, un caravansérail, celui de Ksour, est le premier poste que l’on rencontre. De magnifiques sources s’échappent des marnes crétacées, conservant, le 18 novembre 1863, une température de 17 degrés, quoique celle de l’air fût seulement à 10 degrés. D’immenses troupeaux de moutons blancs et de chèvres noires, suivis de leurs bergers arabes, descendaient dans le ravin sans se confondre, et des femmes sahariennes, portant à leurs oreilles de grands anneaux circulaires, remplissaient des outres qu’elles chargeaient sur des ânes ; c’était une scène biblique encadrée dans un paysage grandiose et sévère : au loin, vers l’ouest, les cimes abaissées de l’Atlas, et à l’est, celles de l’Aurès, qui fuyaient à l’horizon ; devant nous, une plaine nue parsemée de maigres champs de céréales et terminée par le Col-des-Juifs. Après l’avoir franchi, nous arrivâmes au poste des Tamarins. Le torrent issu du Pic-des-Cèdres, grossi des sources du Ksour, coule toujours dans des marnes où il s’est creusé un lit profond à berges verticales. De grandes pierres taillées, les unes debout, marquant les pieds-droits des portes ; la plupart gisant sur le sol signalent un ancien poste romain, et le caravansérail français porte le nom des Tamarins à cause des nombreux tamaris[30] qui bordent les rives du torrent. Les Tamarins sont encore à 790 mètres au-dessus de la mer. Le ciel était noir du côté de Batna, bleu du côté du- Sahara ; un air tiède nous arrivait du sud, nous sentions les approches du désert. Après les Tamarins, la route descend les pentes ravinées de montagnes dénudées, sans arbres, sans végétation autre que les souches des arbrisseaux défendus par leurs épines ou leur dureté contre la dent des moutons et des chameaux. Partout les eaux éphémères des pluies hibernales ont raviné le sol et mis à nu les marnes aux couleurs variées. Nulle végétation ne peut s’établir sur ces terres argileuses craquelées par le soleil. C’est un aspect désolant qui rappelle les descriptions de l’Arabie-Pétrée. Bientôt le chemin arrive à la jonction des deux torrens ; un poste romain, ad duo flumina, est placé au confluent. Une puissante montagne, le Metlili, composée de feuillets concentriques comme ceux d’un immense artichaut, est devant nous ; à gauche se dresse une muraille continue de rochers, le Djebel-Gaouss. Tout à coup une fente apparaît au milieu de la muraille, c’est une cluse des Alpes, un port des Pyrénées, la brèche de Roland transportée en Afrique ; pour les Arabes, c’est la bouche du désert. Le torrent et le fil du télégraphe électrique se glissent dans la gorge ; quelques palmiers rabougris apparaissent sur les bords de l’eau, un pont romain d’une seule arche traverse le torrent au point le plus resserré, des rochers verticaux couleur-de bitume semblent menacer le voyageur. Après quelques sinuosités qui en cachent l’issue, le défilé s’ouvre, et l’oasis d’El-Kantara, la première des oasis, apparaît à nos yeux. Une forêt de dattiers s’étend devant nous : couronné d’un panache de palmes vertes sous lesquelles pendaient des régimes d’un jaune rougeâtre chargés de dattes presque mûres, chaque arbre semblait une svelte colonne élevant dans les airs son élégant chapiteau formé de feuilles et de fruits. À l’ombre de ces palmiers, des abricotiers, des figuiers, des grenadiers, des figues d’Inde formaient un épais fourré. C’était un monde nouveau éclairé par un soleil splendide brillant dans un ciel d’azur, car, disent les Arabes, le Djebel-Gaouss arrête les nuages qui viennent de l’Atlas. L’air chaud et sec du désert, s’élevant le long des parois de la montagne, dissout la vapeur d’eau qui compose les nuages formés dans des régions plus froides, dit la science moderne. Le ciel, le sol, la végétation, ont changé, et avec eux les demeures des habitans. Les maisons, entourant une tour carrée, sont bâties en briques grises séchées au soleil, basses, surmontées d’une terrasse et percées de meurtrières étroites. Les anciennes tours de garde tombent en ruine. Jadis, avant que la France ne protégeât le paisible Berbère cultivateur de l’oasis, elles servaient à signaler de loin les Arabes nomades qui deux fois par an traversaient la bouche du désert pour gagner en hiver les pâturages du Sahara et en été ceux des montagnes. Située sur les limites de la région désertique, cette oasis a environ 5 kilomètres de longueur, et compte 76,000 palmiers. M. Henri Fournel, le premier géologue qui ait pénétré dans ces contrées, au printemps de 1844, avec la colonne expéditionnaire commandée par M. le duc d’Aumale, appelle avec raison El-Kantara l’Hyères du Sahara. Par 35° 16’ de latitude, les dattes y mûrissent à peine, de même que le bassin d’Hyères est le point le plus septentrional où l’arbre puisse être cultivé et passer l’hiver sans abri. Les 60,000 dattiers d’Elche, dans le royaume de Valence, en Espagne, par 39° 44 ! de latitude, forment la seule oasis, européenne : la nature du sol, la rareté des pluies, l’exposition, la chaleur du climat, la présence d’un certain nombre de plantes sahariennes, rendent compte de cette culture exceptionnelle ; mais pour que le dattier, mûrisse complètement ses fruits, il faut s’avancer dans le Sahara jusqu’au 33e degré de latitude. Là se récoltent les fruits que nous recevons sous le nom de dattes de Tunis. Les meilleures viennent de l’oasis de Touat, latitude 27° 15’, c’est-à-dire à 8 degrés au sud d’El-Kantara et au niveau de la mer.

D’après les observations et les calculs de M. Paul Mares, le caravansérail d’El-Kantara est encore à 517 mètres au-dessus de la Méditerranée. Il occupe l’extrémité d’un vaste plateau circonscrit par des montagnes tabulaires. Abandonnant la route ordinaire, nous passâmes aux eaux chaudes d’Hammam-Sid-el-Hadj, dont la température est de 41 degrés, et longeâmes le pied d’une montagne, le. Djebel-el-Mela, contenant des couches de sel exploitées par les Arabes. Pendant quelque temps, nous marchâmes au milieu des. tufs ou travertins déposés par des eaux minérales qui jadis coulaient comme celles d’Hammam ; elles ont tari en laissant ces traces irrécusables de leur existence. Nous entrâmes ensuite dans un terrain composé de marnes grises, bleues, jaunes, rouges, entremêlées de poudingues et de calcaires, raviné par les eaux qui descendent, à l’époque des pluies, de la montagne de sel. Les ravins, de 50 à 60 mètres de profondeur, étaient si rapprochés qu’il aurait fallu plusieurs jours pour gagner directement le pied de la montagne, distante de quelques kilomètres seulement, à travers ce dédale de coupures profondes séparées par des arêtes tranchantes. Ce sont des pluies d’hiver, tombant quelquefois à des années d’intervalle, qui produisent de pareils effets. Que les géologues qui veulent parler de l’action érosive des eaux pluviales laissent de côté les exemples mesquins qu’ils citent à l’appui de leurs démonstrations, qu’ils visitent l’Algérie et s’inspirent de la contrée ravinée du Djebel-el-Mela et des montagnes de la Kabylie : c’est là qu’ils verront comment la puissance érosive des eaux transforme sous nos yeux un plateau uni en un massif de montagnes aussi accidentées que celles qui sont dues au relèvement et à la rupture des couches.

La nuit nous surprit au milieu de ces ravins, mais nos mulets suivaient instinctivement la trace de ceux qui les avaient- précédés. Nous arrivâmes fort tard au bord de l’immense lit caillouteux de l’Oued-el-Kantara, qui prend ici le nom d’Oued-el-Outaïa, suivant la coutume des Arabes, qui donnent successivement à une même rivière les noms des localités qu’elle traverse. De l’autre côté, nous trouvâmes le caravansérail d’El-Outaïa, situé près d’une ancienne oasis dont les palmiers ont été coupés vers 1830, pendant les guerres civiles des Arabes. Grâce à la domination française, l’oasis renaît, et la fertile plaine d’El-Outaïa n’attend que la main de l’homme pour se couvrir des plus riches moissons. En grand industriel, M. Jean Dollfus, se propose d’y tenter sur une vaste échelle la culture du coton. La question de l’irrigation est la seule à résoudre, le ciel et le sol ne laissant rien à désirer. La plaine d’El-Outaïa est entourée de montagnes qui la circonscrivent complètement, sauf une échancrure qui conduit dans le bassin du Hodna, dont le centre est occupé par un grand lac salé. Lorsque nous partîmes d’El-Outaïa le 21 novembre, au lever du soleil, le ciel était pur, l’air calme, la température à 10 degrés au-dessus de zéro. La fumée des bivacs arabes, dispersés dans la plaine, s’étendait horizontalement à une faible hauteur du sol, et formait une bande bleuâtre le long des montagnes qui nous séparaient du Sahara. L’échancrure qui mène dans le Hodna n’existait plus, la muraille qui entoure la plaine paraissait complète. Cependant bientôt, à notre grand étonnement, nous distinguâmes des trous dans les rochers du nord-ouest ; ces trous s’agrandissaient sans cesse et tendaient à se rejoindre ; les montagnes prenaient la forme d’arbres ou de pyramides renversées ; peu à peu les trous se confondirent, et des brèches apparurent ; ces brèches s’élargissaient à vue d’œil, les pans de rochers qui les séparaient s’évanouissaient l’un après l’autre. Enfin la chaîne de montagnes de ce côté disparut, l’ouverture qui conduit dans le Hodna était rétablie : nous avions été dupes d’un mirage latéral. L’image du sol plat de l’ouverture, réfléchie par une couche d’air raréfié, simulait une chaîne de montagnes terminée par une crête horizontale. Enfin nous arrivâmes au bout de cette plaine monotone, derrière laquelle le Sahara devait nous apparaître. Nous traversons un torrent dont les berges sont tapissées par les tiges rampantes de la coloquinte, et nous montons le col de Sfa en suivant la belle route tracée par l’armée française. Des plantes en fleur se balançaient çà et là sur les rochers ; nous avions mis pied à terre pour les cueillir. Arrivés au sommet, nous nous arrêtâmes : un grand arc de cercle s’étendait devant nous, limitant une surface violacée, unie comme la mer, et se confondant à l’horizon avec le ciel bleu : c’était le Sahara. L’arc s’appuyait à l’est contre la chaîne de l’Aurès, à l’ouest contre celle des Zibans, dont quelques ressauts, voisins de Biskra, surgissaient comme des écueils sur cette mer qui semblait avoir été figée dans un moment de calme. La mer réelle frissonne toujours à la surface ; un léger balancement imperceptible à la vue pousse vers le rivage le flot expirant bordé d’un liséré d’écume. Ici rien de semblable ; c’est une mer immobile, une mer pétrifiée, ou plutôt c’est le fond uni d’une mer dont les eaux ont disparu. La science nous l’enseigne, et, comme toujours, l’expression de la réalité est plus pittoresque, plus saisissante que toutes les comparaisons créées par l’imagination. À nos pieds, une plaine caillouteuse, ravinée, dont le bord relevé nous dérobait la vue de Biskra ; de longues caravanes noires dessinaient les sinuosités de la route et se détachaient fortement sur le fond jaune du terrain. Nous traversâmes à notre tour ce plateau sous les feux d’un soleil de novembre qui pouvait rivaliser avec ceux du soleil d’août de la belle France, et à midi nous arrivâmes à Biskra.

La ville de Biskra, située sous le 35e degré de latitude et à 125 mètres au-dessus de la mer, est la capitale d’un district étendu qui renferme de nombreux villages dont chacun s’appelle un zab, au pluriel ziban. C’est de là que le district a tiré son nom. Biskra était un poste romain qui se nommait ad Piscinam, du nom d’une source d’eau chaude distante de 6 kilomètres et désignée par les Arabes sous le nom d’Aïn-Salahin. Salomon, vainqueur des Maures de l’Aurès au IVe siècle, rendit cette province tributaire des Romains : Vectigalem Romanis fecit idem provinciam Zabam tram montem Aurasium sitam, dit Procope[31]. Le chef du district prenait le titre de prœfectus limitis Zabensis. La province, avec tout le pays, passa sous la domination arabe, puis sous celle des Turcs, dont le fort ruiné se voit encore sur un monticule au nord de la ville. Le 18 mai 1849, elle fut occupée par M. le duc d’Aumale. Biskra se compose maintenant d’une ville française groupée près du fort Saint-Germain, ainsi nommé en l’honneur d’un commandant du cercle de Biskra tué en 1849, à la suite de l’insurrection de Zaatcha. Au sud de la ville, l’oasis, c’est-à-dire la forêt de palmiers, s’étend sur la rive droite du fleuve. Le nombre des dattiers s’élève à plus de cent dix mille, et plusieurs villages sont cachés au milieu des jardins. Le canal de dérivation, construit par les soins du génie militaire, emprunte à l’Oued-Biskra les eaux nécessaires à l’irrigation. Près du fort, une grande place carrée est entourée de galeries couvertes ; l’église s’élève d’un côté, et en face le cercle militaire, dont le jardin, emprunté à l’oasis, est planté de palmiers au milieu desquels on a tracé des allées sinueuses bordées de fleurs. Un marché couvert où les Arabes exposent leurs denrées, quelques rues à angle droit bordées de maisons composées d’un rez-de-chaussée ou à un étage seulement, telle est l’image de la ville française la plus méridionale de la province de Constantine. Le fil télégraphique, la poste aux lettres et les diligences ne vont point au-delà de Biskra ; mais, le croirait-on ? il y existe un bureau de douane, d’entrée et de Sortie, et des préposés à cheval sont censés empêcher dans les solitudes du Sahara une contrebande imaginaire. Ce qu’ils empêchent en réalité, c’est que les caravanes ne prennent la route de Philippeville au lieu de se diriger vers Tunis ou Tripoli.

Une institution plus utile, c’est un jardin d’essai, le jardin de Beni-Mora, fondé en 1852, dirigé d’abord par M. Jamin et actuellement par M. Bechu. Situé dans une plaine découverte, séparé de l’oasis, composé de terrains qu’il faut dessaler avant de les mettre en culture, sans abri contre les vents, il ne réalise pas toutes les conditions d’un établissement de ce genre ; mais d’un autre côté il offre cet avantage, que toute culture qui réussira à Beni-Mora doit être considérée comme acquise au Sahara. M. Cosson visita ce jardin en 1853, et y trouva déjà un certain nombre de plantes qu’on peut regarder comme naturalisées. Je citerai les différentes espèces d’acacia qui fournissent la gomme arabique en Égypte et au Sénégal[32], le bel arbre qui orne les promenades du Cake[33], le cassis[34], si employé en parfumerie, les mûriers, le peuplier blanc, le saule pleureur, le cyprès, l’azedarach, plusieurs espèces de bambous[35], et le bananier. J’y ai vu, dix ans après M. Cosson, le papayer[36], qui donne des fruits dans le Soudan, précieuse acquisition, s’il résiste aux légères gelées de l’hiver, l’acacia d’Adanson, formant une magnifique allée, le cotonnier en arbre, s’élevant à 3 mètres, le bois à chique[37], le baquois[38], et deux beaux arbres de la famille des Légumineuses, le Moringa[39]), voisin des féviers, et leSesbania du Sénégal, à fleurs jaunes tachetées de noir[40]. Ces essais méritent d’être encouragés, car, si la culture des plantes tropicales a peu de chances de réussite dans la région littorale de l’Algérie, le succès est probable dans les Zibans pour toutes celles qui peuvent s’accommoder d’un terrain salé et supporter les longues sécheresses du Sahara.

Biskra devait être le terme de mon voyage, je voulais réaliser un désir qui m’obsédait depuis longtemps : voir le désert. Au milieu des montagnes de l’Engadine[41], — sans doute par un effet de contraste, — ce désir était devenu un projet bien arrêté ; je le communiquai à deux amis, M. Desor, professeur de géologie à Neuchâtel, et M. Escher de la Linth, fils du célèbre ingénieur, qui, rectifiant le cours de la Linth pour la jeter dans le lac de Waldenstadt, a assaini tout le pays compris entre ce lac et celui de Zurich. Ces deux savans voulurent bien se joindre à moi. Nous nous embarquâmes pour Alger, et de là, par Bone et Guelma, nous arrivâmes à Constantine. Deux naturalistes qui ont bien mérité de l’Algérie, MM. Cosson et Coquande, m’avaient donné des lettres pour le général Desvaux, qui commande la province. S’intéressant à tout ce qui peut tourner à l’avantage de la colonie, favorisant toutes les études, secondant tous les efforts qui tendent à faire connaître la constitution physique du sol et ses produits naturels, convaincu que les recherches désintéressées de la science préparent et éclairent les conquêtes fécondes de l’agriculture et de l’industrie, le général Desvaux voulut bien nous engager à dépasser Biskra, à pénétrer dans le désert et à visiter le Souf : il fit plus, il nous donna pour guide le capitaine d’artillerie Zickel, directeur des forages artésiens du Sahara oriental, qui devait faire une tournée pour visiter les puits creusés dans le désert. Naturaliste lui-même, connaissant le pays et connu des populations, le capitaine appelait notre attention sur tous les faits, sur tous les phénomènes qui l’avaient frappé, et nous communiquait les résultats de ses observations antérieures. Nous formions ainsi une petite commission scientifique, cherchant, examinant, collectionnant et discutant. Quatre soldats français, dont trois zouaves, un spahi ou gendarme indigène, sept Arabes conduisant six chameaux qui portaient trois tentes avec nos provisions, enfin les mulets qui nous servaient de monture, complétaient notre caravane. Nous avons parcouru le désert pendant l’hiver de 1863, du 19 novembre au 14 décembre. À la monotonie d’un journal de’ voyage je substitue un tableau physique du Sahara, résultat de nos recherches communes, complétées par celles des voyageurs qui cous ont précédés, MM. Fournel, Dubocq, Ch. Laurent, Ville, Vatonne, Coquand, Tissot et Paul Mares, géologues, Cosson, Letourneux, Henon, Loche, Aucapitaine et Reboud, botanistes et zoologistes.

C’est à l’exploration d’un fond de mer mis à sec que le lecteur est convié. L’événement est récent géologiquement parlant, il remonte peut-être à cent mille ans seulement. Le nombre des années,on ne saurait le préciser ; mais l’événement a une date relative, il est postérieur au dépôt des terrains tertiaires. Quand il a eu lieu, la Méditerranée existait déjà, car l’on trouve dans le Sahara des coquilles ; de mollusques qui habitent encore sur ses bords : le sol est imprégné de sel marin ; il est formé de gypse ou sulfate de chaux qui se dépose probablement encore dans les mers actuelles, et de sables amenés par les rivières qui se versaient dans le golfe saharien ; maintenant ces rivières se perdent dans le désert, et leurs eaux disparaissent en s’infiltrant dans le sol. Des chotts ou lacs salés, dont le niveau est plus bas de quelques mètres que celui de la Méditerranée, sont les restes de cette mer intérieure. Une série de ces lacs salés nous conduit jusqu’au golfe de Gabès, la Petite-Syrte des anciens, sur les côtes de la Tunisie. Le dernier de ces chotts, l’immense lac Fejej, s’arrête à 16 kilomètres seulement de la mer : que cet isthme se rompe, et le Sahara redevient une mer, une Baltique de la Méditerranée. Un phénomène semblable se produit dans le Nord ; le fond du golfe de Bothnie s’élève sans cesse, et avec le temps un Sahara septentrional séparera la Suède de la Finlande ; d’immenses steppes s’étendront de Stockholm à Tornéo, et les îles d’Aland apparaîtront comme un groupe de montagnes isolées entre l’ancienne presqu’île Scandinave et le continent européen. Le petit nombre d’espèces de mollusques[42] dont les coquilles se trouvent dans le Sahara africain est une analogie de plus avec ces mers, dont la faune s’appauvrit à mesure que la profondeur diminue.

On conçoit la disparition de la mer saharienne même sans supposer que le fond s’en soit élevé comme celui du golfe de Bothnie, où la sonde constate depuis plusieurs siècles une diminution progressive de la profondeur. Les torrens éphémères qui se jetaient dans le golfe saharien n’y versaient qu’une faible quantité d’eau à cause de la rareté des pluies et du peu d’élévation des montagnes, dont les sommets seuls se chargent de neige pendant quelques mois. Cette eau ajoutée chaque hiver à la masse existante s’évaporait bien vite sous l’influence d’un soleil tropical, d’une sécheresse de huit mois et de vents violens soufflant du nord et du sud ; mais ces mêmes torrens, dont le faible tribut était incapable de maintenir le niveau de ce golfe, s’il n’avait pas communiqué directement avec la Méditerranée, déposaient chaque année dans ses eaux peu profondes les quantités immenses de sable, d’argile et de cailloux roulés que nous voyons aujourd’hui à découvert. Ces sables s’accumulaient à l’embouchure du golfe saharien dans la Méditerranée, au fond de la Petite-Syrte, près de Gabès en Tunisie. Sous l’influence des courans qui régnaient alors, l’ouverture s’est peu à peu rétrécie, et enfin un cordon littoral de 16 kilomètres de large s’est interposé entre la Méditerranée et son appendice saharien. N’étant plus en communication avec la Méditerranée, les eaux se sont abaissées au-dessous du niveau de cette mer, comme elles le sont encore aujourd’hui ; des cordons littoraux et des hauts-fonds intérieurs ont séparé les différens bassins, qui sont devenus les chotts ou lacs salés appelés chott Melzir, chott-el-Hadjila, chott-el-Grarnis, et enfin le chott-el-Faroun et le chott-el-Fejej, qui communiquent entre eux et forment un immense lac étendu de 176 kilomètres en latitude et dessinant très bien, avec le chott-el-Grarnis, le contour de l’extrémité orientale du golfe saharien.

Si l’Atlas avait la hauteur et la largeur des Alpes ou de l’Himalaya, des neiges éternelles blanchiraient pendant une grande partie de l’année tous les sommets élevés au-dessus de 3,500 mètres, de puissans glaciers rempliraient les cirques voisins des crêtes et descendraient dans les vallées, les torrens éphémères seraient des fleuves roulant des eaux d’autant plus abondantes que la chaleur serait plus forte et la fusion des glaces plus active. Les nuages amenés de la Méditerranée par les vents du nord-ouest, arrêtés par ces sommets neigeux, se résolveraient en pluie ; les pertes causées par l’évaporation eussent été réparées, le golfe saharien ne se serait pas desséché, et le désert n’existerait pas. Les mers, comme les êtres organisés, ont leurs conditions d’existence. Qu’elles viennent à être supprimées, la plante ou l’animal meurt, la mer s’évapore, et le désert la remplace.


III. — LES FORMES DU DESERT.

Le mot de désert réveille l’idée d’uniformité : l’association d’idées n’est pas exacte. Uniforme dans l’espace que le regard embrasse, le désert n’est pas uniforme, si on l’étudie même dans une étendue limitée comme celle que nous allons décrire. Il affecte trois formes principales reconnues par M. Desor et adoptées par nous : le désert des plateaux, — le désert d’érosion, — le désert de sable.

Le désert des plateaux ou le steppe saharien, c’est la surface unie que nous avons aperçue du col de Sfa avant d’atteindre Biskra. Des couches horizontales d’argile et de gypse ou sulfate de chaux se sont déposées sur les bords de la mer saharienne. Le gypse supérieur à l’argile se compose de plaques juxtaposées simulant un dallage régulier : je l’appellerai gypse pavimenteux. Il revêt la surface de vastes plateaux qui n’ont point été entamés par les eaux : que ce soient des courans marins à l’époque où le Sahara était une mer, ou des torrens diluviens descendant des montagnes après l’émersion, peu importe ; le gypse, résultat de la forte évaporation de la mer saharienne, a résisté et forme les plateaux dont nous parlons. La surface en est si unie que des voitures pourraient rouler pendant des lieues sur ce pavé naturel qui résonne comme une voûte sous les pieds des chevaux, Un plateau de ce. genre, le petit désert de Mourad, s’étend depuis Biskra jusqu’aux berges du grand lac salé, le Chott-Melrir des Arabes. La surface du gypse n’est pas partout à nu ; le plus souvent elle est couverte d’une couche de petits cailloux arrondis, presque tous quartzeux, offrant les teintes les plus variées, depuis le blanc le plus pur jusqu’au rouge le plus vif ; ils sont mêlés de cailloux calcaires noirs et fendillés à la surface. D’où viennent ces cailloux, évidemment roulés par les eaux ? On l’ignore ; ils sont les témoins mystérieux de ces grandes débâcles diluviennes qui sur toute la surface de la terre ont laissé des traces de leur passage, sans que le géologue puisse retrouver toujours les montagnes ou les rochers qui ont fourni les matériaux de ce diluvium, Çà et là les cailloux sont remplacés par du sable siliceux formant des amas superficiels qui recouvrent le pavé de gypse.

Les plateaux ne sont pas stériles : une végétation brûlée par le soleil en été, mais verdoyante après, les premières pluies de l’hiver, les recouvre entièrement. Ce sont d’abord des arbrisseaux épineux[43] qui, retenant les terres autour d’eux, forment autant de buttes percées de trous habités par les gerbilles, puis des sous-arbrisseaux à feuilles charnues, ligneux, noueux, rabougris et rongés par les chameaux et les moutons. Presque tous appartiennent à la famille des Salsolacées[44] ou plantes littorales, qui ne prospèrent que dans les terrains contenant une certaine proportion de sel marin. Le Sahara est dans ce cas : aussi sa végétation ressemble-t-elle singulièrement à celle qui entoure les marais salans du Languedoc. Cependant, lorsque le sol devient sablonneux, on voit apparaître des arbrisseaux sans épines[45] et des plantes sous-frutescentes moitié vertes, moitié desséchées par le soleil[46]. Des plaques vertes formées de plusieurs espèces de géraniums et d’héliotropes[47] cachent çà et là la nudité du terrain ; mais ce qui charmait surtout nos regards, c’était une plante sans tige[48] voisine des colchiques, portant un bouquet de fleurs d’un blanc rosé appliquées sur le sable et entourées d’une couronne de feuilles linéaires. Dignes de réjouir les yeux des amateurs les plus délicats, ces jolies fleurs vivent et meurent inconnues dans les solitudes du Sahara. Entre Biskra et l’oasis de Chetma, une plante légendaire croît dans les sables les plus arides, la rose de Jéricho[49], petite crucifère à tige basse et ramifiée qui se dessèche après la floraison. Ses rameaux rapprochés simulent une rose : emportée par les vents, la plante détachée roule au loin sur le sable et rappelle au voyageur chrétien le désert où vécut, saint Jean. Dans les dépressions où le sol conserve un reste d’humidité, la terre se couvre d’un gazon fin du plus beau vert, les jujubiers se garnissent de feuilles, les tamaris, devenant de véritables arbres, balancent leurs panaches de fleurs blanches ou roses, et les tiges rampantes de la coloquinte[50] courent sur le sol chargées de fruits semblables à des boules. C’est dans ces prairies sahariennes que l’Arabe nomade mène paître ses moutons et ses chameaux pendant l’hiver. Sa tente noire et basse simule de loin un tertre arrondi ; mais l’aboiement lointain des chiens avertit que le désert est habité temporairement par une de ces familles de patriarches dont la vie pastorale, décrite dans la Bible, a charmé notre enfance.

Cette portion du désert n’est pas complètement inanimée. On rencontre souvent une jolie alouette[51] d’un jaune cendré qui vole sans cesse de touffe en touffe ; de temps en temps un oiseau de proie plane dans les airs ; une troupe de gazelles à peine entrevue disparaît à l’horizon, une gerbille solitaire fuit en sautillant, des lièvres[52] partent sous les pieds des chevaux, ou des perdrix s’enlèvent bruyamment ; l’on remarque sur le sol les larges traces du pied de l’autruche, car sa taille élevée lui permet d’apercevoir de loin les caravanes et de fuir à leur approche. Cependant ces rencontres sont rares loin des oasis. En hiver, une foule d’animaux, les reptiles en particulier, s’enfouissent sous le sable. Ainsi nous n’avons vu ni le varan[53], ni le fouette-queue, ni le céraste[54] ou vipère cornue si redoutée des Arabes, ni les autres serpens qui habitent le Sahara. La robe des animaux du désert est d’une singulière uniformité. Point de couleurs vives : tous sont gris, d’un jaune pâle ou d’un blanc jaunâtre, rappelant les teintes du sol sur lequel ils vivent. Les insectes sont noirs, ce sont presque tous des coléoptères qui au moindre danger disparaissent dans le sable.

Le désert d’érosion. — De grands courans, avons-nous dit, ont sillonné le Sahara. Le point de départ de ces courans est dans les montagnes qui le limitent au nord, les Aurès et les Zibans. Ils ont entamé le sol et ont creusé de larges sillons qui se rejoignent, se confondent et forment un réseau dont les plateaux que nous avons décrits occupent les intervalles. Les marnes, les argiles, les sables, les gypses peu cohérens, ont été entrainés ; le gypse pavimenteux, plus dur que les autres terrains, a résisté, et les plateaux sont les témoins de ces immenses déblais. Les torrens actuels suivent encore ces anciennes lignes d’érosion. Pour tout homme qui s’intéresse aux phénomènes de la physique du globe, c’est un spectacle bien curieux qu’un torrent qui descend des Aurès dans le Sahara. Les eaux, produit de la pluie ou de la fonte des neiges, sont d’abord entièrement douces ; elles coulent au fond d’un lit profond à parois verticales, creusé comme un sillon dans les terrains sans cohérence de la formation crétacée. Quand le torrent sort des montagnes pour entrer dans la plaine, le lit s’élargit, des berges peu élevées le limitent à peine, une surface immense couverte de cailloux roulés montre quelle doit être la masse des eaux à l’époque des crues ; en temps ordinaire, un faible ruisseau longe l’un ou l’autre bord ou serpente au milieu. Arrivé au désert, le lit s’élargit encore, et le courant est réduit à un mince filet qui bientôt disparaît complètement ; mais, en creusant dans le sable, l’Arabe trouve encore l’eau, invisible à la surface. Seulement cette eau s’est chargée des sels nombreux dont le sol est imprégné, elle est devenue saumâtre. Ces lits de rivières desséchées se réunissent entre eux et forment des confluens ou de grands bassins semblables à ceux des lacs. Tel est celui de l’Oued-Djedi et de l’Oued-Biskra près du caravansérail de Saada. Mais à la suite des pluies hivernales les torrens se précipitent, les rivières coulent à pleins bords, les lacs se remplissent, le désert prend l’aspect d’une lagune. Toutes les parties basses sont sous l’eau, et les portions émergées forment des îles, des isthmes, des langues de terre, des presqu’îles temporaires. Bientôt, sous le soleil implacable de l’Afrique, cette masse d’eau s’évapore, le sol redevient sec, et une légère couche de sel est la seule trace qui reste de cette inondation passagère. Çà et là cependant une mare persiste durant tout l’été ; ailleurs la mare a disparu, mais le sol détrempé forme une véritable boue dans laquelle on ne saurait s’aventurer sans danger. Enfin la plupart du temps le terrain est sec, uni, complètement dépourvu de végétation, et semblable à un champ que la herse a nivelé. Les chotts ou lacs salés sont les seuls témoins permanens de l’ancienne mer qui couvrait le Sahara.

La proportion de sel qui pénètre le sol modifie la végétation du désert d’érosion. Cependant on y retrouve la plupart des plantes que nous avons rencontrées sur les plateaux. Ce sont surtout les Salsolacées qui dominent : pour elles, le sel marin est une condition d’existence à laquelle nulle autre ne saurait suppléer. L’ornement de ces terrains, c’est un arbuste[55] dont les feuilles charnues se couvrent d’efflorescences salines, et dont les panicules de fleurs roses égaient la monotonie du désert. Vers le sud, cet arbrisseau devient presque un arbre et rivalise avec les tamaris, qui occupent les localités humides mais à mesure que la proportion de sel devient plus forte, le nombre des espèces diminue, même les touffes des Salsolacées ligneuses[56] deviennent plus rares et, plus rabougries. Enfin, si la proportion du sel est trop grande, le terrain reste nu et dépouillé, formant une surface unie où la poussière est inconnue, car le sel la maintient constamment humide, utile enseignement pour l’arrosement de nos voies publiques d’où la poussière devrait être bannie. Dans les mares permanentes, on remarque quelques plantes analogues à celles des marais salans du Languedoc ; mais dans les chotts la salure est telle que la vie animale et la vie végétale disparaissent totalement. Ce sont de vastes surfaces d’eau immobile, sans profondeur, qui s’étendent à perte de vue en contournant les berges peu élevées des plateaux gypseux. Sous les rayons du soleil, ces lacs ont des teintes bleuâtres métalliques, rappelant celles de l’acier. L’Oued-Rir, cette longue dépression, presque au niveau de la mer et dont les Chott-Melrir occupe le fond, est le type du désert d’érosion. Une série d’oasis occupe les parties arrosées depuis Om-el-Tiour (la mère du faucon), sur le bord occidental du Chott, jusqu’à Tougourt et au-delà. Les dunes de sable commencent à se montrer dans l’Oued-Rir, mais non d’une manière continue ; elles se multiplient aux environs de Tougourt, et nous annoncent l’approche du véritable désert.

Le Désert de sable. — On donne le nom de Souf à ce désert de sable qui s’étend de Tougourt aux frontières de la Tunisie. C’est la partie que nous avons visitée. Si le désert des plateaux est l’image d’une mer figée pendant un calme plat, le désert de sable nous représente une mer qui se serait solidifiée pendant une violente tempête. Des dunes semblables à des vagues s’élèvent l’une derrière l’autre jusqu’aux limites de l’horizon, séparées par d’étroites vallées qui représentent les dépressions des grandes lames de l’océan, dont elles simulent tous les aspects. Tantôt elles s’amincissent en crêtes tranchantes, s’effilent en pyramides et s’arrondissent envoûtes cylindriques. Vues de loin, ces dunes nous rappelaient aussi quelquefois les apparences du névé dans les cirques et sur les arêtes qui avoisinent les plus hauts sommets des Alpes. La couleur prêtait encore à l’illusion Modelés par les vents, les sables brûlans du désert prennent les mêmes formes que les névés des glaciers. Ces dunes sont composées uniquement de sable siliceux très fin, semblable à celui de Fontainebleau, et dans quelques points on retrouve le grès friable qui leur a donné naissance ; elles ont été formées sur place et non point amenées par le vent de la région montagneuse. Dans le Souf, le fond de la mer saharienne était du grès ou du sable déposé par les fleuves. Ce sable, aujourd’hui à sec, est sans cesse remanié par le vent. Néanmoins les dunes ne se déplacent pas et conservent leur forme, quoique le vent, pour peu qu’il soit un peu fort, enlève et entraîne le sable de la surface.

On voit alors une couche de poussière mobile courir dans les vallées, remonter les pentes des dunes, en couronner les crêtes et retomber en nappe de l’autre côté. Deux vents, celui de nord-ouest et celui du sud ou simoun, règnent dans le désert. Leurs effets se contre-balancent si bien que l’un ramène le sable que l’autre a déplacé et la dune reste en place et conserve sa forme : l’Arabe nomade la reconnaît, et c’est pour les étrangers que des signaux formés d’arbrisseaux qu’on accumule sur les crêtes jalonnent la route des caravanes. Quand le temps est clair, rien de plus facile que de se diriger dans le désert ; mais quand le simoun se lève, alors l’air se remplit d’une poussière dont la finesse est telle qu’elle se tamise à travers les objets les plus hermétiquement fermés, pénètre dans les yeux, les oreilles et les organes de la respiration. Une chaleur brûlante, pareille à celle qui sort de la gueule d’un four, embrase l’air et brise les forces des hommes et des animaux. Assis sur le sable, le dos tourné du côté du vent, les Arabes, enveloppés de leurs bournous, attendent avec une résignation fataliste la fin de la tourmente ; leurs chameaux accroupis, épuisés et haletans, étendent leurs longs cous sur le sol brûlant. Vu à travers ce nuage poudreux, le disque du soleil, privé de rayons, est blafard comme celui de la lune. Le 7 mars 1844, la colonne commandée par les ducs d’Aumale et de Montpensier essuya un simoun près de l’oasis de Sidi-Obkah, non loin de Biskra. Lèvent soufflait de l’ouest-sud-ouest, l’ouragan dura quatorze heures. M. Fournel, ingénieur des mines, qui accompagnait l’expédition, constata le lendemain que le vent n’avait balayé qu’une zone étroite du désert parallèle à l’Aurès, et que le calme régnait au pied de la montagne. Dans le Souf, ces vents ensevelissent les caravanes sous des masses de sable énormes ; c’est ainsi que périt l’armée de Cambyse, et les nombreux squelettes de chameaux que nous rencontrâmes témoignent que ces accidens se renouvellent encore quelquefois.

Le gypse n’a pas disparu complètement dans le désert de sable, mais il ne forme que dans les vallées des surfaces continues et dénudées, comme sur les déserts en plateaux ; rarement pavimenteux, il se montre sous la forme de cristaux de figures variées et pénétrées de silice, rhomboèdres, mâcles, fers de lance, cristaux lenticulaires. Il n’y a point d’autres pierres. Vous ramassez un caillou, c’est un cristal. Les villages sont entourés d’enceintes crénelées bâties en cristaux, les murailles des maisons le sont également : elles supportent un plafond formé de troncs de palmiers juxtaposés horizontalement, ou bien un dôme en plâtre moulé sur une charpente de feuilles de palmiers entre-croisées. Rien de plus pittoresque que l’aspect de ces villages fortifiés, surmontés de dômes d’une blancheur éblouissante : ils ressemblent à des ruches d’abeilles pressées les unes contre les autres. Seul, le minaret de la mosquée ou un palmier isolé s’élève au-dessus du niveau général et signale de loin le village, caché dans les replis des dunes qui l’entourent.

Quand le sable conserve une certaine fixité, grâce au gypse qui le maintient, la végétation n’est point complètement éteinte. On retrouve çà et là quelques spécimens de la flore des plateaux, en particulier les Retama et les Ephedra ; mais deux plantes caractérisent spécialement le Souf : c’est une grande graminée qui élève à 2 mètres au-dessus du sable ses longues feuilles linéaires, balancées par le vent, le drin[57], si recherché par les chameaux, et l’ézel[58], arbrisseau de la famille des Polygonées, voisin, dans la classification, du blé sarrasin et des renouées. Sa hauteur totale est d’un mètre environ. D’un tronc ligneux partent de longues racines s’étendant à 4 ou 5 mètres et le plus souvent déchaussées ; le tronc porte des branches noueuses terminées par de nombreux rameaux verts, cylindriques et sans feuilles, qui se détachent et tombent pendant l’hiver. Tous ces arbrisseaux, ainsi que les Ephedra, étaient inclinés vers le sud-est, et nous indiquaient que le nord-ouest est le vent régnant du désert. Ils nous rappelaient, par leurs formes et leur allure penchée, ces pins rabougris des Alpes et des Pyrénées, que le vent et la neige courbent tous dans le même sens, et appliquent quelquefois contre les rochers, sur lesquels leurs branches se moulent en s’étalant. Le sable est la neige du Sahara : quand il n’est plus retenu par des surfaces gypseuses et devient le jouet du moindre souffle de vent, alors toute végétation disparaît, le désert est nu et dépouillé. Rien de plus morne que cet aspect. Ces dunes jaunâtres, qui se succèdent uniformément jusqu’à l’horizon, semblent les replis d’un vaste linceul étendu à la surface de la terre. On frémit à l’idée de s’avancer dans ces solitudes, de monter et de redescendre sans cesse sur ce sable mouvant, qui s’éboule sous les pas des hommes et des chevaux, mais où le large pied du chameau ne laisse qu’une légère empreinte. Aussi quel étonnement de voir tout à coup des cimes de palmiers apparaître au milieu des dunes, et dans le voisinage des maisons peuplées de laborieux cultivateurs ! Les déserts, comme les montagnes, ont été le refuge des opprimés. Gétules, Numides, Kabyles, fuyant les conquérans qui ont dominé successivement en Afrique, ont peuplé les régions les plus arides, abandonnant au vainqueur les terres fécondes qu’il devait laisser en friche, tandis que la montagne et le désert devenaient fertiles.

Le désert de sable est inanimé. Comment en serait-il autrement ? Point de plantes, partant point d’herbivores ni d’insectes ; point d’insectes, partant point d’oiseaux, de reptiles ni de carnassiers. Cependant un renard blanc, le fennec aux longues oreilles décrit par Buffon[59], creuse ses terriers dans les dunes, et quelques gazelles les franchissent dans leur course légère. Nous n’aperçûmes qu’un petit rongeur, voisin des gerbilles, qui s’enfonce dans le sable avec une extrême rapidité[60], et un joli lézard[61] qu’on retrouve également en Égypte.

Telles sont les trois formes du désert. Pour achever le tableau, nous devons décrire les îlots de végétation, les oasis dont il est semé. C’est un nouvel aspect du Sahara, et qui fera l’objet d’une prochaine étude.


CHARLES MARTINS.

  1. Voyez sur ce sujet la Géographie botanique et ses progrès dans la Revue du 1er octobre 1856.
  2. Celtis australis.
  3. Ceratonia siliqua.
  4. Arbutus unedo, A. andrachne.
  5. Juniperus oxycedrus, J. phœnicea.
  6. Phyllirea média, P. angustifolia.
  7. Pistacia lentiscus, P. terebinthus.
  8. Rhus coriaria.
  9. Cytisus triflorus, C. argenteus, C. caudicans, C. spinosus.
  10. Coriaria myrtifolia.
  11. Genista hispanica, Spartium junceum, S. scorpius, S. linifolium.
  12. Paliurus aculeatus.
  13. Anagyris fœtida.
  14. Chamœrops humilis.
  15. Cistus monspeliensis, C. salvifolius, C. albidus, etc.
  16. Tamarix gallica, T. africana, etc.
  17. Scilla maritima.
  18. Pancratium maritimum.
  19. Agave americana.
  20. Opuntia ficus-indica.
  21. Felis Serval
  22. Vulpes niloticus.
  23. Genelta afra.
  24. « Hippocrate jadis à Cos, maintenant à Montpellier. »
  25. . Pistacia atlantica.
  26. Fraxinus dimorpha.
  27. Juniperus oxycedrus, J. phœnicea.
  28. Stipa tenacissima.
  29. Artemisia herba-alba
  30. Tamarix gallica.
  31. De Bell. Vand., l. II, cap. XX.
  32. Acacia nilotica, A. verek, A. arabica.
  33. Acacia Lebbeck.
  34. Acacia farnesiana.
  35. Bambusa Thouarsii, arundinacea, varigata, mitis, verticillata, scriptoria.
  36. Carica papaya.
  37. Cardia domestica.
  38. Pandanus utilis.
  39. Moringa pterygosperma.
  40. Sesbania punctata.
  41. Voyez la Revue du 15 mars 1864.
  42. Cardium edule, Buccinum.
  43. Zisyphus lotus, Nitraria tridentata
  44. Salsola vermiculata, Anabasis articulata, Caroxylon articulatum, Traganum nudatum, Suœda vermiculata, S. fruticosa.
  45. Retama Duriœi, Ephedra alata.
  46. Farsetia AEgyptiaca, Linaria fruticosa, Haplophyllum tuberculatum, Scrofularia. deserti, Anvillœa radiata, Francoeria crispa, Rhanterium adpressum.
  47. Erodium glaucophyllum, E. laciniatum, Heliotropium undulatum.
  48. ) Melanthium punctatum Cav. ou Erythrosticlus punctatne Schlecht.
  49. Anastatica hierochuntica.
  50. Cucumis colocynthis.
  51. Malurus Saharœ.
  52. Lepus isatellinus.
  53. , Varanus arenarius.
  54. Cérastes cornutus.
  55. Limoniastrum guyonianum.
  56. Salsola vermiculata, Anabasis articulata, Suoeda fruticosa, etc.
  57. Aristida pungens.
  58. Calligonum comosum.
  59. Canis zerda.
  60. Psammomys Saharoe.
  61. Acanthodactylus Boskii.