Le Sahara souvenirs d’un voyage d’hiver/02

LE SAHARA
SOUVENIRS D'UN VOYAGE D'HIVER

II.
LES OASIS. - LES POPULATIONS INDIGENES. - LA VIE AU DESERT.


I. — LES OASIS.

Ptolémée compare le Sahara à une peau de panthère : le fond jaune de la peau, c’est le désert ; les taches noires sont les oasis. Rien de plus exact : le désert est jaune, les oasis sont noires. Les cimes des palmiers, rapprochées l’une de l’autre, forment une surface unie dont le vert foncé paraît noir par un effet de contraste. On appelle oasis un assemblage de jardins et de cultures isolé dans le Sahara : le village ou les villages sont idans le centre où au pourtour. Aux trois formes de désert que nous avons distinguées[1] correspondent trois genres d’Oasis dont l’existence se rattache à des conditions différentes. L’oasis des plateaux est arrosée par un cours d’eau ou une source abondante, celle des vallées d’érosion par des puits artésiens naturels ou artificiels ; celle du désert de sable n’est point arrosée : les racines des palmiers, plantés au fond de cavités coniques creusées de main d’homme, peuvent atteindre la nappe d’eau qui les nourrit. Toute oasis se compose principalement de palmiers-dattiers qui semblent former une forêt continue ; mais en réalité ils sont plantés en lignes dans des jardins séparés par des murs en terre percés en amont d’un orifice par lequel la rigole d’irrigation pénètre dans le carré. Les déblais employés à élever les murs étant empruntés aux chemins, ceux-ci sont en contre-bas des terres et servent à un double usage : ils facilitent la circulation dans l’oasis, et les eaux qui ont arrosé les jardins et dessalé le sol se déchargent dans ces chemins creux, d’où elles coulent vers les chotts ou forment des marais que l’incurie musulmane ne songe pas à dessécher. La fièvre s’élance chaque année de ces foyers d’infection et décime cruellement ces populations imprévoyantes. On comprend qu’une oasis soit une forteresse : chaque carré de jardin est une redoute ; le boulet se loge dans ces murs en terre, et s’il les perce, c’est une meurtrière nouvelle par laquelle l’Arabe glisse son fusil pour ajuster l’ennemi. Quand on a vu ces damiers de murs en terre avec les palmiers dont chaque tronc peut cacher un homme, on ne s’étonne plus qu’en 1849 la prise d’une seule oasis, celle de Zaatcha, ait coûté cinquante-deux jours de siège, neuf cents hommes et soixante officiers[2] Les villages eux-mêmes sont entourés de murs flanqués de tours et rappellent tous les motifs des fortifications pittoresques du moyen âge.

Le dattier[3] est l’arbre nourricier du désert ; c’est là seulement qu’il mûrit ses fruits : sans lui, le Sahara serait inhabitable et inhabité. La poésie arabe en a fait un être animé créé par Dieu le sixième jour, en même temps que l’homme. Pour exprimer à quelles conditions il prospère, l’imagination des Sahariens exagère le vrai afin de le rendre plus palpable. « Ce roi des oasis, disent-ils, doit plonger ses pieds dans l’eau et sa tête dans le feu du ciel. » La science consacre cette affirmation, car il faut une somme de chaleur de 5 100° accumulée pendant huit mois pour que le dattier mûrisse parfaitement ses fruits[4]. La somme de chaleur est-elle moindre, les fruits nouent, mais ils grossissent à peine, restent âpres au goût et privés de la fécule et du sucre qui constituent leurs propriétés nutritives.

Le climat du Sahara réalise ces conditions. La température moyenne de l’année doit être de 20 à 24 degrés, suivant les localités[5]. Les chaleurs commencent en avril et ne cessent qu’en octobre. Pendant l’été, le thermomètre atteint souvent 45 degrés, quelquefois 52 degrés à l’ombre, par exemple le 15 août 1859 et le 17 juillet 1863 à Tougourt. L’hiver est relativement froid. À Biskra, le thermomètre descend quelquefois en février à 2 et 3 degrés au-dessous de zéro. Dans l’Oued-Rir, nos officiers ont vu leurs bidons remplis d’eau couverts le matin d’une mince couche de glace. J’ai constaté moi-même qu’en novembre et décembre 1863 le thermomètre, à 1 mètre au-dessus du sol, oscillait avant le lever du soleil autour de 6 degrés, mais dans le jour il atteignait d’ordinaire 20 degrés à l’ombre. Les dattiers supportent parfaitement un froid nocturne sec et passager de 6 degrés au-dessous de zéro, et une chaleur de 50 degrés. Le sable du désert, qui rayonne beaucoup, se refroidit plus que l’air et conserve à quelques décimètres de profondeur une certaine fraîcheur qui se communique aux racines des arbres. Les pluies sont rares dans le Sahara ; elles tombent en hiver et provoquent le réveil de la végétation desséchée par les chaleurs de l’été. Quelquefois elles sont torrentielles, mais de courte durée. À Tougourt et à Ouargla, des années se passent sans qu’il tombe une goutte d’eau. Comprend-on maintenant la reconnaissance des Arabes pour l’arbre aux fruits sucrés qui prospère dans le sable, arrosé par des eaux saumâtres mortelles à la plupart des végétaux, restant vert quand tout autour de lui se torréfie sous les rayons d’un soleil implacable, résistant aux vents qui courbent jusqu’à terre sa cime flexible, mais ne sauraient ni rompre son stipe, composé de fibres entrelacées, ni déraciner sa souche, retenue par des milliers de racines adventives qui, descendant du tronc vers la terre, le lient invariablement au sol ? Aussi peut-on dire sans métaphore : un seul arbre a peuplé le désert ; une civilisation rudimentaire comparée à la nôtre, très avancée par rapport à l’état de nature, repose sur lui ; ses fruits, recherchés dans le monde entier, suffisent aux échanges, et créent non-seulement l’aisance, mais la richesse. Dans les trois cent soixante oasis qui appartiennent à la France, chaque dattier acquitte un droit qui varie de 20 à 40 centimes suivant les oasis, et ces cultures prospèrent, le produit moyen de chaque arbre étant de 3 francs environ.

Le nombre des dattiers fait la richesse d’une oasis, mais tous ne donnent pas des fruits : en effet cet arbre est dioïque. Il y a des pieds mâles et des pieds femelles. Les pieds mâles ont des fleurs munies d’étamines seulement et formant une grappe renfermée avant la maturation du pollen dans une enveloppe appelée spathe. Les pieds femelles au contraire portent des régimes de fruits enveloppés également dans une spathe, mais qui ne sauraient se développer, si le pollen ou poussière des étamines ne les a pas fécondés. Pour assurer cette fécondation sans planter un trop grand nombre de mâles improductifs, les Arabes montent à l’époque de la floraison, vers le mois d’avril, sur tous les individus femelles, et insinuent dans la spathe un brin chargé de fleurs mâles dont les étamines fécondent sûrement les jeunes ovaires ; alors les fruits grossissent, deviennent charnus et forment des grappes appelées régimes, dont le poids atteint quelquefois de 10 à 20 kilogrammes. Pour multiplier les dattiers, on ne sème pas les noyaux des fruits, quoiqu’ils germent avec une extrême facilité, car on ne saurait ainsi deviner d’avance quel sera le sexe de l’arbre ; on préfère donc détacher du tronc des palmiers femelles un rejeton que l’on plante, et qui devient un arbre productif à partir de l’âge de huit ans.

Le dattier fournit en outre un fait ou liquide sucré qui par la fermentation ne tarde pas à prendre une saveur vineuse. Pour l’obtenir, j’ai vu employer à Tougourt le procédé suivant : on enlève circulairement la couronne de feuilles en né ménageant que les inférieures. La section a la forme d’un cône où l’on enfonce un roseau creux par lequel le liquide s’écoule dans un vase qui se déverse à son tour dans un autre suspendu aux feuilles de l’arbre. Celui-ci ne meurt pas toujours après cette mutilation, le bourgeon terminal se reproduit, et le palmier se rétablit peu à peu. L’opération peut être renouvelée jusqu’à trois fois.

La tête des palmiers s’élève à environ 15 mètres au-dessus du sol. L’air circule sous le vaste parasol formé par leurs cimes rapprochées, mais le soleil n’y pénètre pas. De l’ombre, de l’air et de l’eau, tels sont les trois élémens qui permettent les cultures les plus variées dans les jardins de palmiers, malgré les chaleurs brûlantes de l’été. On y remarque d’abord des arbres à fruits : le figuier, le grenadier, l’abricotier, quelquefois la vigne, l’olivier, plus rarement le pêcher, le poirier et l’oranger, Les légumes sont communément cultivés pendant l’hiver : ce sont les navets, les choux, les oignons, les carottes, les fèves et le piment[6], condiment indispensable de ces sauces arabes (merga) destinées à relever les forces digestives de l’estomac chez des peuples qui s’abstiennent de vin et de liqueurs alcooliques. On remarque encore des potirons, des courges, des pastèques, de petits carrés de luzerne qui fournissent jusqu’à huit coupes par an, le henné[7], qui sert à teindre en jaune les ongles des femmes arabes, et le tabac rustique[8], cultivé surtout dans le Souf. En hiver, on voit dans les clairières des1 oasis, ou alentour, des champs verdoyans : ce sont des orges et quelquefois des blés hâtifs qui sortent de terre. La culture du coton n’est encore qu’à l’état d’essai, mais grosse, d’avenir, dans les terrains arrosables par de l’eau douce ou peu chargée de sels. Étudions maintenant les diverses espèces d’oasis, en commençant par les oasis des plateaux ou du steppe.

Des torrens sortent des monts Aurès et des Zibans, qui bordent le Sahara oriental. Un chapelet d’oasis s’est égrené sur leurs bords : telles sont celles d’El-Kantara, d’El-Outaia, de Biskra, toutes situées sur la même rivière qui fournit l’eau nécessaire aux irrigations des jardins ; telles sont encore les oasis de Branis, de Zeribed-el-Ouéd, Liana, Bousaada, etc. Ces oasis sont adossées au pied des montagnes. Il en est de même de celles qui doivent leur existence aux sources abondantes justement appelées vauclusiennes, qui surgissent du sol au contact des terrains horizontaux du Sahara avec les couches relevées des montagnes : les oasis d’Oumache, de Zaatcha, de Tolga, etc., par exemple. Quelquefois ces sources sont thermales comme celle qui arrose l’oasis de Chetma, voisine de Biskra, dont les eaux ont une température de 36 degrés ; mais toutes les sources qui descendent des hauteurs ne jaillissent pas à leur pied, elles s’infiltrent entre les couches horizontales de la plaine saharienne ; arrêtées par des bancs d’argile imperméable, elles forment des cours d’eau souterrains comparables à ceux qui circulent à la surface. Ces eaux, protégées par le sol qui les recouvre, ne s’évaporent pas sous les feux du soleil, et, coulant sur un fond argileux, elles ne se perdent pas dans les profondeurs de la terre. En réseau de rivières souterraines circule donc sous les couches superficielles du Sahara. Ces eaux tendent sans cesse à reprendre le niveau de leur point d’infiltration. Si donc la couche la plus superficielle du sol se compose de sable ou de terrains meubles, l’eau rejettera ces matériaux au dehors et surgira à la surface : c’est un puits artésien naturel ; Les Arabes lui donnent le nom de schreia (nid). Dans l’Oued-Rir, on voit souvent de loin un monticule conique couronné de quelques palmiers ; le sommet du cône est creusé d’une excavation remplie d’eau : c’est Une schreia. Si le débit est abondant, l’Arabe creusé un canal de dérivation appelé scgùia, dirige l’eau vers ses plantations et crée une petite oasis.

Dès les temps les plus anciens, les habitans du Sahara ont cherché à imiter la nature et à creuser des schreias artificielles. Olympiodore, qui écrivait selon Niebuhr, à Alexandrie vers le milieu du VIe siècle, rapporte qu’on a creusé des puits dans son pays natal de 200 à 300 et quelquefois 500 coudées (90 à 230 mètres) de profondeur. Photius cite un passage de Diodore, évêque de Tarse, mort vers l’an 390 après Jésus-Christ ; parlant de la grande oasis située dans le désert, à une quarantaine de lieues de l’Égypte, il s’exprime en ces termes : « Pourquoi, dit-il, la région intérieure de la Thébaïde qu’on nomme oasis n’a-t-elle ni rivière ni pluie qui l’arrose, mais n’est-elle vivifiée que par le courant des fontaines qui jaillissent du sol, non d’elles-mêmes, ni par les pluies qui tombent sur la terre et qui remontent par ses veines, comme chez nous, mais grâce à un grand travail des habitans ? Serait-ce l’indice que les lieux qui produisent des fontaines de ce genre, fontaines qui donnent naissance à de vrais fleuves d’une eau aussi douce que limpide, sont dominés par des hauteurs ? Mais au contraire ces vastes plaines, très éloignées des montagnes, sont tout à fait unies et complètement arides, ou tout au moins ne renferment qu’une très petite quantité d’eau lourde et salée qui ne surgit pas du sein de la terre, mais qui se trouve dans les creux et ne suffit pas pour étancher la soif pendant l’été. » M. Aymé, chimiste manufacturier, qui avait établi en 1849 de grandes fabriques d’alun dans deux oasis égyptiennes dont il était gouverneur, a curé plusieurs de ces puits et en a donné la description ; ils étaient munis d’une soupape en pierre de la forme d’une poire, qui s’adaptait au trou dont la roche était percée ; attachée à une corde, cette soupape permettait de modérer à volonté l’ascension de l’eau, dont l’abondance est telle qu’elle eût sans cela inondé l’oasis. Ces puits étaient profonds, mais le docteur Griffith, qui a traversé plusieurs fois les déserts de l’Égypte, affirme que l’on rencontre l’eau à de très petites profondeurs dans le sable : il suffit de percer avec une verge la roche très peu épaisse qui retient les eaux captives. Cette verge, c’est celle de Moïse faisant jaillir l’eau du rocher dans le désert du Sinaï ! L’imagination d’un peuple enfant voyait un miracle dans ce fait naturel, conséquence nécessaire de l’hydrographie souterraine du désert et des lois de l’équilibre des fluides. Un historien arabe du XIVe siècle, Ibn-Khaldoun, nous raconte qu’il existait à cette époque des fontaines jaillissantes dans le Sahara. Pour lui, c’est également un fait miraculeux, et il ajoute : « Dans ce monde, le possesseur des miracles, c’est Dieu, le créateur et le savant. » Il en est de même aujourd’hui. Aux yeux de l’Arabe, tout est merveille, et pour lui ce n’est pas le surnaturel, c’est le naturel qui n’existe pas. Dans le Sahara, une légende se rattache à chaque monticule, chaque trou, chaque vallée, chaque fontaine, chaque mare, et même aux arbres isolés. Le désert fourmille de miracles enfantés par l’imagination sémitique.

Les habitans des oasis creusent actuellement encore des puits artésiens. Le travail est très pénible. À mesure qu’ils foncent, les terres sont soutenues par des blindages en bois de palmier ; quand l’eau jaillit, le puits est encore obstrué par des sables. Des plongeurs (rtass) munis de paniers descendent le long d’une corde et enlèvent ce sable ; ils peuvent rester jusqu’à trois minutes sous l’eau. Quand l’un d’eux ne remonte pas, les autres plongent pour le secourir. Exempts d’impôts, ils formaient une corporation respectée, car leur vie est courte, la phthisie les emporte avant l’âge. Ces puits arabes durent peu. Le boisage pourrit, les terres s’éboulent, le sable obstrue l’orifice intérieur : alors, faute d’eau, les dattiers déclinent et périssent ; les villages se dépeuplent, l’oasis se rétrécit, et finit par disparaître. Le désert reprend possession du domaine que le travail de l’homme lui avait arraché. Avant l’occupation française, beaucoup d’oasis étaient dans ce cas : les unes n’existaient plus, les autres languissaient, aucune ne pouvait s’étendre. Le général Desvaux, alors colonel, commandait la subdivision de Batna. Il comprit que les puits artésiens étaient la vie des oasis et résolut de les multiplier. M. Dubocq, ingénieur des mines, avait publié en 1853 un mémoire sur la constitution géologique des Zibans et de l’Oued-Rir, montrant que la science confirme les indications de la pratique, savoir l’existence d’une nappe souterraine dans certaines régions du Sahara. En 1855, M. Ch. Laurent, mandé par le général Desvaux, explora le pays au point de vue spécial des sondages artésiens. M. Jus, ingénieur civil attaché à la maison Degousée, et M. Ch. Laurent arrivèrent en avril 1856 avec un équipage de sonde à Philippeville. Toutes les difficultés de transport sont vaincues : à travers les montagnes, les torrens, les sables, le pesant appareil arrive à Tamerna, non loin de Tougourt, après avoir franchi 340 kilomètres. Le premier coup de sonde fut donné au commencement de mai 1856, et le 19 juin une véritable rivière, fournissant 4,010 litres d’eau par minute, 610 litres de plus que le puits de Grenelle à Paris, s’élança des entrailles de la terre. La joie des indigènes fut immense, la nouvelle de ce forage se répandit dans le sud avec une rapidité inouïe. On vint de très loin pour voir cette merveille. Dans une fête solennelle, le marabout avait béni la fontaine nouvelle et lui avait donné le nom de Fontaine de la Paix.

Une oasis, celle de Sidi-Rached, non loin de Tamerna, dépérissait à vue d’œil. Les puits avaient tari, des dunes formées d’un sable d’une finesse extrême[9] envahissaient les cultures. J’ai vu enterrés dans le sable des dattiers dont la cime seule était encore visible ; d’autres, maigres, languissans, présentaient sur leurs troncs des étranglemens qui témoignaient de la sécheresse dont l’arbre avait souffert. Vainement les habitans avaient élevé des palissades et construit un marabout sur la cime de la dune la plus élevée : la dune marchait toujours, l’oasis était perdue. Les indigènes avaient essayé de creuser un puits, mais à 40 mètres de profondeur ils rencontrent un banc de gypse qu’ils ne pouvaient percer. L’atelier français arrive, des tubes sont descendus dans le puits abandonné, le trépan perfore la couche de gypse, et au bout de quatre jours de travail une nappe de 4,300 litres à la minute jaillit comme un fleuve bienfaisant. Actuellement les palmiers renaissent ; les dunes, fixées par des plantations de tamaris, n’avancent plus, l’oasis est sauvée. On devine la joie des habitans, mais, fatalistes incurables, ils remercient le dieu de Mahomet d’avoir permis que les Français terminassent le puits, dont sa colère avait interdit l’achèvement aux disciples de son prophète ; meilleurs croyans, ils eussent atteint l’eau sans le secours des infidèles. Ainsi raisonne toujours le fanatisme musulman.

Après ces sondages, M. Jus fut envoyé par le général Desvaux dans le Hodna, fertile bassin situé entre Batna et Biskra. Onze puits ont été déjà forés. Dans le Sahara, M. Lehaut, sous-lieutenant de spahis, après avoir étudié en France et suivi la campagne de 1857 avec M. Jus, fut chargé de plusieurs forages dans le steppe compris entre Biskra et le chott Melrir. Il y creusa trois puits ; mais cinq années consacrées aux travaux artésiens dans le Sahara avaient épuisé sa constitution, il mourut le 14 mai 1860. Un modeste monument élevé près du puits d’Ourlana, qui porte son nom, rappelle ses services et sa mort glorieuse sur le champ de bataille de la civilisation et de l’humanité. Ce puits d’Ourlana est un des plus abondans de l’Oued-Rir, il fournit 3,270 litres par minute et fait tourner immédiatement un moulin arabe. Il a été creusé en 1860 par le capitaine d’artillerie Zickel, chargé des forages dans le Sahara oriental, et qui voulut bien diriger dans le désert notre petite caravane. Par ses soins et ceux de ses deux prédécesseurs, quarante puits ont été forés en huit ans dans l’Oued-Rir et sur le plateau compris entre Biskra et le chott Melrir. La profondeur moyenne de trente-cinq d’entre eux, qui m’est connue, est de 74 mètres. Le plus profond, celui de Tair-Raçou, a 162 mètres de profondeur, le moins profond n’en a que 6 ; ce sont tous deux des puits ascendans où la colonne d’eau ne s’élève pas au-dessus de la surface du sol. Le débit moyen des puits qui déversent est de 1,917 litres par minute ; le plus abondant est celui de Sidi-Amrin, dans l’Oued-Rir : il donne 4,800 litres par minute ; un des trois puits de Chegga n’en fournit que 19. La température de ces puits est élevée, mais non supérieure à la moyenne annuelle de l’air dans la région où ils surgissent. J’ai pris moi-même celle de treize d’entre eux, elle est en moyenne de 24°,2, variant de 23°,0 à 25°,3 seulement. Rien de plus gracieux que l’aspect de ces puits. Le tube est au centre d’un bassin circulaire : en s’épanchant au-dessus des bords, la nappe artésienne forme une coupole transparente. Cette coupole présente des pulsations isochrones comme celles du pouls. Elle se gonfle et s’affaisse alternativement, le volume d’eau variant régulièrement entre de faibles limites. Pourquoi faut-il que cette eau si belle et si pure soit plus ou moins saumâtre et chargée des sels dont la terre est imprégnée ? Diverses analyses, faites par MM. Vatonne et Lefranc, montrent que ces eaux contiennent toujours de 1 à 3 grammes de sulfate de soude par litre, de 1 à 2 grammes de sulfate de chaux, puis du chlorure de sodium, du magnésium et du carbonate de chaux. Véritables eaux minérales, elles sont légèrement purgatives, et le voyageur novice s’en aperçoit bientôt.

Plusieurs de ces puits présentent une particularité qui pendant longtemps n’a trouvé que des incrédules parmi les naturalistes. Au moment du jaillissement des eaux du puits d’Aïn-Tala, dont la profondeur est de 44 mètres, le capitaine Zickel remarqua de petits poissons qui se débattaient dans le sable rejeté par l’orifice du puits. Nous en avons vu nous-même dans le canal d’écoulement de plusieurs puits et dans quelques fontaines artésiennes naturelles. Les plus grands de ces poissons n’excèdent pas 4 centimètres de longueur. Ce sont des malacoptérygiens ressemblant à nos ablettes. Ils sont identiques à une espèce[10]des eaux douces de Biskra, décrite par M. le docteur Guichenot. Les yeux de ces petits êtres sont très bien conformés, quoiqu’ils passent une partie de leur existence dans l’obscurité. Du reste le fait n’est pas unique dans la science, et M. Aymé, gouverneur des oasis de Thèbes et de Garbe en Égypte, écrivait en 1849 à M. Ch. Laurent qu’un puits artésien antique, de 105 mètres de profondeur, qu’il avait nettoyé, lui fournissait pour sa table des poissons qui provenaient probablement du Nil. Le sable qu’il avait extrait de ce puits artésien étant identique à celui du fleuve, dans le Sahara comme en Égypte ces poissons seraient donc entraînés par les eaux qui s’infiltrent dans le sol jusqu’à la nappe souterraine dont les puits artésiens sont les évents.

Les conséquences de ces forages artésiens dépassent toutes les prévisions. Exécutés dans le désert sur des points convenablement choisis, ils serviront d’étape et de lieux de bivac aux voyageurs et aux colonnes qui pénètrent dans ces solitudes : tels sont les puits de Saada, de Chegga, d’Om-el-Thiour et d’Ourir, sur la route de Biskra à Tougourt. Des essais de culture faits autour de ces puits ont assez bien réussi[11]. Les puits artésiens forés dans les oasis par les Français en augmentent l’étendue : les nouveaux terrains qu’ils arrosent sont d’abord dessalés, puis plantés en palmiers, qui produisent au bout de huit ans. Le nombre des palmiers plantés depuis 1856 s’élève à 150,000. Sous cet ombrage, d’autres arbres fruitiers pourront prospérer, et la culture hibernale de l’orge et des légumes d’Europe s’accroître et contribuer au bien-être des habitans. Sans être taxé d’exagération, on peut prévoir l’époque où une forêt de palmiers non interrompue s’étendra d’El-Kantara jusqu’à Ouargla, la dernière oasis dans le sud soumise à la domination française. Sous le règne des Turcs où des sultans indigènes, les oasis diminuaient en nombre et en étendue. Des guerres sans cesse renaissantes, des razzias continuelles désolaient le pays. L’agresseur abattait les palmiers, comblait les puits ou détournait les eaux. Ainsi en 1788 Salab, bey de Constantine, assiège Tougourt ; la ville résiste : alors les soldats se mettent à couper les palmiers en vue des assiégés. Le cheikh Ferhat, pour éviter la ruine complète du pays, se soumit à toutes les conditions. On voit encore au nord-est de la ville une immense plaine sablonneuse au milieu de laquelle s’élève le village presque ruiné d’El-Balouch ; jadis il était entouré de palmiers : depuis un siècle, le désert a repris possession du terrain. Dans la direction de Temaçin, quelques palmiers épars çà et là dans le sable sont les seuls survivans d’une immense forêt qui réunissait alors les deux villes, dont la longue rivalité a créé le désert entre elles. En 1844, la prise de Biskra amena la soumission de Tougourt, où régnait alors le cheikh Ben-Djellab. À sa mort, en 1854, un usurpateur, du nom de Slimah, se déclara l’ennemi de la France ; mais au mois de novembre de la même année le colonel Desvaux fut envoyé contre Sliman avec une petite colonne ; il le battit à Mgarin-Kedima, et entra à Tougourt le 2 décembre. Mgarin, le théâtre du combat, est une oasis détruite pendant les discordes civiles des Arabes. Sur un mamelon voisin, on aperçoit les ruines d’une mosquée de petites protubérances éparses dans la plaine marquent encore la place des palmiers abattus dans ces guerres déplorables. Depuis que ces contrées appartiennent à la France, la paix règne entre les peuplades. Grâce aux puits artésiens, le Berbère cultivateur et sédentaire n’est plus opprimé par l’Arabe nomade et paresseux. Celui-ci, par droit de conquête, reste propriétaire des oasis, le Berbère n’a droit qu’à la moitié du produit. Chaque automne, à l’époque de la récolte des dattes, le nomade arrive, plante ses tentes noires près de l’oasis et vient exiger sa part des récoltes, et sa moitié jadis était toujours plus grande que celle du pauvre métayer, aux dépens duquel il vivait souvent pendant une partie de l’hiver. Ces abus ont cessé. L’autorité française ne prétend pas déposséder le nomade ; mais les puits artésiens permettent de donner des terres au Berbère : celui-ci devient propriétaire à son tour, plante des palmiers exempts d’impôts pendant huit ans ; peu à peu il s’affranchit de la misère et du nomade en lui rachetant le sol. Ainsi se poursuit l’œuvre civilisatrice inaugurée par la sonde artésienne. Grâce à elle, la culture s’étend, et c’est le cultivateur qui en profite ; le nomade, noblement oisif, sera peu à peu dépossédé. J’ai vu ses tentes noires assiéger l’oasis de Mraier comme une bande de corbeaux affamés abattus sur un champ de blé : entourés de leurs chiens jaunes hurlant jour et nuit, ces vagabonds croupissent dans la paresse et la saleté ; chez eux, la femme est méprisée, opprimée, maltraitée, chargée de tous les fardeaux, assujettie à tous les travaux, tandis que son seigneur et maître fume majestueusement son éternel chibouk. La malheureuse créature a le sentiment de son abjection, elle se cache comme une bête fauve et n’ose pas même regarder furtivement l’étranger qui passe devant le camp. À sa vue, elle disparaît et va se blottir dans un réduit en toile caché derrière la tente, tandis que son mari trône sur les piles de coussins qu’elle a disposés pour lui. Chez le Berbère de l’Oued-Rir et du Souf, la femme est moins opprimée, plus propre et moins sauvage ; elle se voile, mais elle ose regarder un homme, sinon en face, du moins à travers la fente d’une porte ou l’embrasure d’une fenêtre. Sa condition est supportable, et là comme ailleurs cette condition donne la mesure du degré de civilisation du peuple dont elle fait partie.

Il nous reste à faire connaître les oasis du désert de sable, c’est-à-dire du Souf, district compris entre l’Oued-Rir et les frontières de la Tunisie. J’ai décrit l’aspect désolé de ces contrées où une dune aride succède à l’autre, et ou le sol, formé de sable fin, semble participer de la fluidité de l’eau. Nous avions déjà passé deux jours, le 2 et le 3 décembre, dans ce désert. Toute végétation avait disparu. J’étais monté sur un dromadaire pour embrasser du haut de cet observatoire mobile une plus grande surface du désert. Marchant d’un pas égal et mesuré, l’animal balançait sa petite tête au bout de son long cou et coupait sans s’arrêter les longues feuilles des touffes de drin[12] qui se trouvaient à sa portée. Dans les intervalles des dunes, je ne voyais rien ; mais, arrivé au sommet, le désert sans limites s’étendait devant moi. Le soleil, suspendu au-dessus d’un horizon circulaire comme celui de la mer, semblait seul vivant au milieu de cette nature inanimée. Tout à coup j’aperçois des cimes de palmiers dont je ne voyais pas les troncs ; je crois à une illusion, à un mirage ; nous avançons, les cimes se dessinent mieux, mais les troncs n’apparaissent pas. La caravane s’arrête près d’un puits à bascule ; je cours vers les palmiers, ils étaient plantés au fond d’un trou conique de 8 mètres de profondeur environ. Le sable avait été relevé de tous côtés ; de faibles palissades en feuilles de palmiers plantées sur la crête le retenaient sur certains points ; sur d’autres, des cristaux de sulfate de chaux, de toutes les formes et de toutes les grosseurs, alignés comme dans une galerie de minéralogie, contribuaient aussi à fixer un peu le sable mobile. Au fond de ces trous, les dattiers étaient plantés sans ordre ; mais ce n’était plus le palmier grêle et élancé des oasis, le palmier idéal des peintres : c’étaient des arbres au tronc cylindrique, court et gros, portant à quelques mètres du sol des palmes de trois mètres de long et une couronne de régimes de dattes, chapiteaux de ces fûts d’un mètre d’épaisseur. Il me semblait voir les colonnes basses et massives d’un temple égyptien ou d’une mosquée de style mauresque. Des racines adventives partant de la base du tronc et s’enfonçant dans le sol formaient à ces colonnes un piédestal conique, et les grandes palmes s’entre-croisant en ogive rappelaient ces longues colonnades si habituelles dans les monumens dont je viens de parler. Le soir, en pénétrant sous ces voûtes sombres, j’étais saisi d’un véritable sentiment de respect, et ces palmiers majestueux et immobiles au fond de leur cratère de sable étaient bien l’emblème de la civilisation africaine, immobile au milieu du monde agité qui l’entoure. Ces dattiers sont l’objet de soins tout particuliers. Le laborieux habitant du Souf creuse d’abord dans le sable le trou dans lequel il les plantera : seul, ou aidé d’un de ces petits ânes gris qu’on ne voit que dans cette partie du désert, il remonte le sable et forme ainsi un déblai circulaire de 6 à 12 mètres de haut. La crête est consolidée, comme nous l’avons dit, par des feuilles de palmiers et dès rangées de cristaux de gypse. Les racines des palmiers atteignent directement la nappe d’eau peu profonde qui règne sous toute la contrée.

Là ne se bornent pas les soins dont ces arbres sont l’objet. Les habitans vont partout sur le trajet des caravanes ramasser la fiente des chameaux, qu’ils mettent au pied de leurs arbres. De là la végétation vigoureuse, dont nous avons parlé. Le dattier est réellement cultivé comme un arbre à fruits. Aussi se charge-t-il de régimes énormes. Les dattes mûrissent dans ces cavités, à l’abri du vent et des rayons du soleil, sous l’influence d’une chaleur sans lumière, mais d’autant plus efficace qu’elle est réfléchie de tous côtés par les talus sablonneux environnans. Le fruit grossit sans se flétrir ni se dessécher : il reste charnu, onctueux et couvert de sucre ; mais que de peines pour obtenir cette unique récolte ! Un seul coup de vent suffit pour combler le trou et ensevelir les palmiers dans le sable. Le pauvre cultivateur, descendant pacifique des Gétules et des Numides, se remet à l’œuvre, creuse de nouveau son jardin et dégage ses dattiers en rejetant le sable au dehors. Il recommence ce travail de Sisyphe chaque fois que le vent du nord ou celui du sud ensable ses palmiers et les planches de légumes qu’il cultive au pied de l’arbre. En effet, un puits est creusé un peu au-dessus du fond de la cavité ; la profondeur n’en dépasse pas 6 mètres. Au moyen d’une bascule appelée chèvre, on tire une outre qui verse l’eau dans une rigole en plâtre et la conduit à de petits carrés où végètent, soigneusement débarrassés, de toute mauvaise herbe, des navets, des choux, des carottes, du millet, du piment, des pastèques et du tabac. Quelques figuiers, grenadiers ou abricotiers croissent aussi dans ces jardins creux. Les dattes et les légumes que je viens d’énumérer sont l’unique nourriture des habitans du Souf : ces fruits remplacent même la monnaie ; les ouvriers sont payés en dattes, qui sont en outre le seul objet d’exportation. De temps immémorial, elles vont par caravanes à Tunis, d’où elles partent pour l’Europe. Tunis est une ville essentiellement orientale, ville de fabrique et de commerce, ville de marchands vendant tous les objets imaginables, tous les chiffons, toutes les loques, toutes les vieilles ferrailles, tous les rebuts les plus infimes. Il existe à Tunis un bazar, un marché du Temple, dont la description défierait les plumes et les pinceaux les plus habiles. C’est là que l’habitant du Souf trouve ce qui lui convient, le nécessaire pour son âne et pour lui, le superflu, représenté par des porcelaines ou des ornemens invendables en Europe, et qui seront le plus bel ornement de sa pauvre maison. Tant, que des commerçans intelligens n’établiront pas dans une ville algérienne des bazars de cette espèce, les caravanes, la douane aidant, continueront à se diriger vers Tunis, où le Berbère trouve à la fois des acheteurs pour ses dattes et des marchands pour ses besoins. Grâce à leur ordre, à leur économie, les habitans du Souf sont plus riches, plus propres, mieux vêtus que leurs voisins des fertiles oasis de l’Oued-Rir. Leurs maisons, bien tenues, sont ornées de miroirs et de petits vases en porcelaine, leurs vêtemens sont renfermés dans des coffres multicolores ; la chambre de la femme, qui n’est point murée comme chez l’Arabe, est aussi ornée que les autres. Les hommes sont affables, les enfans gais et rieurs. Ces populations aiment la France, qui les protège contre les incursions des brigands tunisiens. Leurs petites mosquées à minarets peu élevés témoignent de la tiédeur de leurs croyances musulmanes ; aussi les voyons-nous rester paisibles malgré les agitations actuelles de la Tunisie et les révoltes du Sahara occidental. Entre ces deux foyers de soulèvemens, le Sahara oriental reste calme, témoignant ainsi de la justice et de la fermeté des officiers qui le gouvernent. Les bons habitans du Souf recueilleront les fruits de cette sagesse, et si ma faible voix pouvait être entendue, je réclamerais pour eux les bienfaits dont jouissent déjà les oasis de l’Oued-Rir, des puits artésiens. Il serait digne du gouvernement français de les affranchir du travail de Sisyphe que nécessitent leurs jardins creusés dans le sable, et de faire jaillir à la surface du sol ces eaux souterraines qui sont la vie de leurs dattiers. Que la sonde artésienne atteigne ces nappes bienfaisantes, et les oasis du Souf se multiplieront comme celles de l’Oued-Rir, et formeront un chapelet continu jusqu’aux frontières de la Tunisie, que la force des choses et le vœu des populations paisibles relieront tôt ou tard à la France africaine.


II. — REPARTITION DES POPULATIONS.

Quels sont les enseignemens de la géographie physique et de l’ethnographie sur la meilleure répartition à la surface du sol de l’Algérie des populations si diverses qui l’habitent ? Il suffira d’un bref examen du pays pour répondre à cette question. La région littorale ou le Tell, prolongement de la France méridionale, est évidemment la portion la plus favorable à la colonisation. Le colon français y retrouve le climat un peu exagéré, mais enfin le climat de la France. Voisin de la mer, il communique facilement avec son pays, et se sent pour ainsi dire plus près du sein de la mère-patrie. Les cultures sont les mêmes : céréales, oliviers, orangers, tabac, légumes en primeur. Les ports d’embarquement n’étant pas éloignés, les transports ne sont ni longs, ni coûteux. Or c’est une question capitale dans la lutte qui s’établit nécessairement entre le colon et le cultivateur indigène ; pour celui-ci, le temps n’a point de valeur : ses chameaux, broutant les herbes qui croissent sur le bord de la route, ne lui coûtent rien. L’Arabe lui-même emporte quelques dattes et la farine dont il fait ses galettes ; la nuit, il dort en plein air à côté de ses dromadaires. Un transport, même lointain, n’augmente pas le prix des objets transportés. Il n’en est pas de même du colon. S’il est placé dans l’intérieur des terres, ses produits, arrivés au port d’embarquement, sont grevés de frais proportionnels à la longueur du trajet. De là une concurrence où le colon est vaincu d’autant plus sûrement qu’il ne saurait produire le blé au même prix que l’Arabe : celui-ci, entamant à peine le sol avec son araire de bois, va errer au loin pendant que sa récolte mûrit et revient seulement pour la recueillir et la vendre. Un rendement de trois ou quatre est un bénéfice pour lui ; pour le colon, ce serait une perte. D’un autre côté, ne serait-il pas souverainement injuste d’accorder aux Arabes de bonnes terres, qu’ils cultiveront toujours fort mal, et de les refuser au colon, qui en tirerait tous les produits qu’elles peuvent donner ? D’ailleurs l’expérience a parlé : c’est dans le Tell que la colonisation a le mieux réussi. La Mitidja est une large vallée dont la fertilité égale actuellement celle des plaines les plus renommées de la France. La province d’Oran se peuple d’Européens, et les colons maltais, espagnols du continent et des îles Baléares ont réussi partout où ils se sont établis.

Simple naturaliste, je me déclare incompétent pour discuter les mesures administratives propres à favoriser la colonisation. Cependant une chose me paraît évidente : la réglementation excessive et le système de tracasseries involontaires qui en est la conséquence forcée sont là, comme ailleurs, le vice de l’administration française. Toutes ces conditions imposées aux arrivans, toutes ces concessions provisoires avec lesquelles un colon reste pendant des années sur son terrain sans savoir s’il en sera un jour propriétaire, sont évidemment de fausses mesures. Imitons les pays où la colonisation réussit, les États-Unis ; vendez le sol et ne cherchez pas à prévenir des abus moindres que ceux dont on se plaint, ou bien suivez les plans du maréchal Bugeaud, favorisez l’établissement en Algérie des soldats libérés de l’armée d’Afrique, donnez-leur des terres avec les bâtimens d’exploitation, rendez-les propriétaires, et ils s’attacheront au sol qu’ils auront conquis et fécondé. Avant tout, que l’administration soit une et que la colonie ne reste pas soumise à deux régimes, le régime militaire et le régime civil ; c’est là la plaie vive de l’Algérie, et, quand on considère les services que l’armée a rendus et rend encore à la colonie, l’hésitation n’est pas possible. L’armée seule est puissante. Qu’il s’agisse de faire une route, un pont, de fonder une ville, le génie civil n’a point de bras à sa disposition. Les Arabes ne veulent pas travailler, les Européens sont trop peu nombreux, la main-d’œuvre est hors de prix. L’atelier militaire est immédiatement formé, et les travaux s’achèvent avec une rapidité merveilleuse. La netteté et la promptitude des décisions militaires sont un bien dans un pays à moitié civilisé. Les formalités sans fin de l’administration civile, la circulation si lente des dossiers passant à travers toutes les autorités hiérarchiques et se multipliant indéfiniment pendant le trajet, compliquent et paralysent tout. Nous nous en plaignons en France, dans le pays où nous sommes nés, où nous sommes établis ; mais qu’on se figure les angoisses d’un pauvre colon attendant, sur une terre étrangère et en usant ses dernières ressources, une décision qui n’arrive pas. L’administration la plus expéditive est dans ce cas la meilleure, et une réponse prompte et catégorique préférable à tous les ambages et à toutes les formalités. Quant aux Arabes, vouloir qu’ils comprennent l’idée abstraite d’une autorité morale, sans armes, sans insignes, vouloir qu’un peuple venu d’Orient comprenne l’adage romain : cedant arma togœ, c’est une illusion pardonnable chez ceux qui n’ont jamais mis le pied en Asie ni en Afrique. Pour des peuples qui ne jouissent pas de notre civilisation raffinée, cette notion métaphysique de l’autorité est beaucoup trop subtile. Pour un Africain et un Asiatique, l’autorité est à cheval, porte un sabre et un burnous rouge ou un uniforme chamarré de broderies. L’autorité, c’est la force effective sachant se faire respecter elle-même, on bras vigoureux capable d’exécuter l’arrêt que la bouche a prononcé. Les officiers de notre armée ont reçu notre éducation, ils partagent nos idées, nos opinions sur l’usage de l’autorité ; comme nous, ils répugnent à l’abus de la force. Malgré des méfaits isolés que l’armée désavoue, nous pouvons remettre le sort des Arabes entre ses mains. Vainement d’ailleurs nous chercherions à les désabuser : pour eux, les chefs militaires seront toujours des chefs, et les personnages civils des légistes plus ou moins instruits. Que le lecteur me pardonne cette excursion dans un domaine qui n’est pas le mien ; je reviens à mon sujet.

La région montagneuse appartient aux Kabyles : elle ne saurait être mieux habitée. Quand du haut du Fort-Napoléon on voit toutes les crêtes couronnées par des villages, toute la montagne cultivée, le Kabyle labourant des pentes qui dans d’autres pays seraient considérées comme inaccessibles, on reconnaît que cette population n’a besoin que d’être encouragée dans ses efforts persévérans pour faire rendre au sol tout ce qu’il peut produire. En mettant fin aux dissensions civiles, en empêchant les luttes incessantes de village à village, l’administration française a rendu à ces populations le plus grand service qu’elles puissent en attendre. Enseigner aux Kabyles à cultiver la vigne pour en faire du vin, substituer le châtaignier, qui prospère admirablement dans ces terrains siliceux, au chêne, et par conséquent remplacer les glands par des châtaignes, greffer les oliviers, apprendre aux Kabyles à fabriquer de la bonne huile, tels sont les élémens de prospérité que nous avons à développer dans l’intérêt des Kabyles, de la colonie et de la métropole.

Nous avons cherché à donner une idée de la région des hauts plateaux, froids, dénudés, impropres à la culture des céréales, l’orge exceptée : voilà le vrai domaine de l’Arabe nomade vivant sous la tente au milieu de ses troupeaux. L’hiver dans le Sahara, l’été sur les plateaux, il se déplace sans cesse et obéit à son instinct séculaire. Vouloir le fixer immédiatement, c’est méconnaître l’influence toute-puissante de l’hérédité sur les habitudes des hommes et des animaux. Les Arabes sont nomades depuis l’origine du monde, en faisant remonter cette origine à six mille ans suivant la chronologie biblique, et depuis un nombre de siècles bien plus considérable, si on accepte les témoignages des antiquités égyptiennes et les données de la géologie moderne. Errer est devenu pour l’Arabe un besoin impérieux, irrésistible, auquel il ne saurait se soustraire. Ce besoin est plus fort que sa volonté : il voudrait se fixer qu’il ne le pourrait pas. L’attrait de la propriété, le bien-être qui résulte d’une résidence fixe, la richesse même ne sauraient compenser pour lui les charmes de cette vie libre, errante, qu’il mène depuis tant de générations. Ayez recours à la force, il périra comme ont péri les Indiens de l’Amérique du Nord, qu’on a voulu fixer en leur créant une vie facile et agréable. D’ailleurs l’expérience a prononcé. On a bâti des villages, avec une mosquée au milieu, entourés de champs fertiles ; on a appelé les Arabes les plus misérables parmi ces misérables nomades, on leur a donné des instrumens de culture et des semences : ils sont venus, ils ont planté leurs tentes près des maisons, dans lesquelles ils ont parqué leurs moutons : au bout de quelque temps, la nostalgie s’est emparée d’eux, et ils sont partis. Des siècles sont nécessaires pour changer des instincts qui sont l’œuvre des siècles : c’est une loi de l’organisation vraie pour les hommes, vraie pour les animaux. Fixer des nomades ou fixer des hirondelles, tentatives du même genre et aussi vaines l’une que l’autre. L’hirondelle se brise la tête contre les barreaux de sa cage quand l’heure de la migration est venue ; l’Arabe est de même, il faut qu’il parte, et si vous le retenez, il dépérit et il meurt. Abandonnez-lui donc cette vaste région des hauts plateaux et ces portions du Sahara que le manque d’eau condamne à une éternelle stérilité. Qu’il promène librement ses nombreux troupeaux de la montagne à la plaine et de la plaine à la montagne. Une région impropre à la culture sera utilisée autant qu’elle peut l’être dans l’état actuel de la colonisation. Les moutons, par leur chair et par leur laine, sont une précieuse ressource pour la France et pour l’Algérie, la base de la nourriture animale dans toute la région méditerranéenne. Peu à peu, avec le temps, au contact de la civilisation, cette humeur vagabonde pourra se modifier ; mais le temps est un élément dont nul progrès ne saurait se passer. Une vérité ne s’établit qu’avec l’aide du temps, et on ne modifie les habitudes d’un peuple qu’en préparant le succès par l’action lente des siècles, la plus puissante de toutes dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique.

Le Berbère est dans les oasis ce que le Kabyle est sur les montagnes : sédentaire, cultivateur, ami de la paix, il a besoin de la protection française contre l’Arabe, qui l’opprimait depuis si longtemps. Habitant la lisière de la région tropicale, accoutumé à la chaleur, il peut ajouter à ses cultures celles que cette zone nous offre dans d’autres contrées. C’est sur les confins du Sahara que le coton, la cochenille, peut-être même la canne à sucre, pourront être essayés à la condition de procéder avec prudence et sans précipitation. Toute culture qui prospère au Sénégal a des chances, de réussite sur le versant méridional de l’Atlas ; mais la salure du sol, la rareté des pluies, l’inconstance des cours d’eau sont des élémens défavorables qui ne doivent pas être oubliés. Les dattes sont et seront toujours le produit principal de cette région et la base de l’alimentation des habitans du Sahara ; mais l’exportation n’a pas atteint ses dernières limites, et ce fruit excellent sera d’autant plus recherché en Europe qu’il deviendra plus commun. La faculté qu’il a de se conserver pour ainsi dire indéfiniment le rend précieux pour les régions septentrionales du globe où les fruits des pays tempérés ne mûrissent plus, et où l’économie réclame cependant, comme partout, une certaine proportion de nourriture végétale.

Terminant ici ces remarques sur la répartition des populations algériennes d’après les données de la physique du globe, de la climatologie, de la géographie botanique et de l’agriculture, je crois pouvoir dire avec assurance, comme la plupart des écrivains qui m’ont précédé : Aux colons, le Tell ; aux Kabyles, la montagne ; aux Arabes nomades, les hauts plateaux et les patinages du Sahara ; aux Berbères, les oasis, et à tous une administration unique, simple, expéditive et pratique !


III. — LA VIE AU DESERT.

On s’est demandé peut-être quelles fatigues nous avions supportées, quels dangers nous avons courus pendant nôtre voyage dans le désert. Nous n’avons point supporté de fatigues, nous n’avons pas couru de dangers. Grâce à la prévoyance du capitaine Zickel et à la protection du général Desvaux, ce voyage dans le Sahara pendant l’hiver n’a été qu’un voyage d’agrément. Voici l’emploi de nos journées : levés avant le jour, nous sortions de nos tentes. Le zouave qui remplissait les importantes fonctions de cuisinier avait déjà allumé le feu où chauffait notre café. Nous l’avalions sans le déguster, car l’eau saumâtre qui servait à l’infuser ôtait à la fève de Moka l’arôme et le goût qui l’ont rendue si chère à toutes les nations. En même temps nos soldats, aidés des Arabes, abattaient les tentes et chargeaient les chameaux accroupis. Le spahi Bechir, orné du burnous rouge, emblème de son autorité, donnait ses ordres aux Arabes, dont le partage incessant et la maladresse impatientaient nos hommes. On détachait les chevaux et les mulets, qui avaient passé la nuit au piquet, et quand le disque du soleil commençait à s’élever au-dessus de l’horizon, nous montions à cheval. L’air était frais, entre 6 et 10 degrés au-dessus de zéro. On partait : les chameaux suivaient de loin. Nous marchions au pas. Souvent l’un de nous descendait ; une pierre, une plante, un insecte avaient attiré ses regards. Son cheval l’attendait la bride pendante à terre, comme s’il eût été attaché. C’est une habitude des chevaux arabes dont le voyageur sent tout le prix. Souvent nous nous hélions pour nous montrer un objet curieux, les débris d’un œuf d’autruche, une couche géologique, une plante, une coquille nouvelles ; chacun faisait ses remarques, émettait ses doutes : une discussion scientifique s’engageait et se continuait à cheval. Vers dix heures, on faisait halte : c’était presque toujours dans un endroit remarquable, sur un monticule, près d’un puits artésien ou dans une localité intéressante pour le géologue ou le botaniste. On enlevait la bride des chevaux et des mulets, qui broutaient philosophiquement l’herbe ou l’arbuste qu’ils voyaient à leurs pieds. Je ne parlerai pas de ces chevaux une troisième fois sans rendre hommage à toutes les qualités qui les distinguent. Qui n’a pas vu le cheval arabe dans le désert ne peut se faire une idée de la résistance à la fatigue, de la sobriété, de la douceur et de l’intelligence de ces animaux. Passer la nuit en plein air avec le froid ou la pluie après avoir mangé un peu d’orge, brouté les plantes vertes ou sèches qui se trouvent aux environs, boire de l’eau saumâtre ou s’en passer quand il n’y en a pas, marcher tout le jour dans le sable sans que jamais ces jarrets d’acier trahissent la moindre fatigue, sont les qualités ordinaires de ces chevaux. Il y a plus : le soir, après une longue journée, que les Arabes fassent claquer leur langue et les excitent par leurs cris, ils s’élancent pleins d’ardeur, cherchant à se dépasser mutuellement. Ces chevaux si ardens sont néanmoins très dociles ; ils réunissent en un mot toutes les qualités qu’on peut exiger de ce noble animal, supérieurs mille fois à ces coursiers factices, maigres comme Rossinante, et qui, comme elle, galopent une fois dans leur vie, gagnent un prix et ne sont plus bons à rien qu’à orner comme des reliques les boxes d’une écurie en renom. Revenons à notre halte du matin. Un de nos zouaves tirait de son bissac quelques provisions, presque toujours du mouton rôti et des dattes. Le repas ne durait pas longtemps ; chacun prenait ses notes sur les objets vus dans la matinée, et nous repartions. Dans la saison où nous étions en voyage, le désert est animé ; plusieurs fois par jour nous apercevions à l’horizon les chameaux d’une caravane grands comme des moutons. La caravane approchait, les chameaux grandissaient ; ils étaient suivis d’Arabes marchant jambes et pieds nus, couverts de leurs burnous attachés avec une corde roulée autour de la tête, et portant de longs fusils et de vieux sabres. Des femmes avec de petits enfans à la mamelle, des groupes de petits garçons et de petites filles presque nus étaient souvent juchés au-dessus de la charge du dromadaire. Dans les caravanes composées d’une famille riche ou appartenant à un chef, les femmes et les enfans étaient cachés dans ces énormes palanquins formés d’étoffes aux vives couleurs, garnis de tapis et de coussins, qu’Horace Vernet a popularisés dans son tableau de la Smala.

Nous n’avons point rencontré de tribu entière en voyage. C’est un tableau pittoresque. M. Eugène Fromentin, qui se sert de la plume aussi bien que de la brosse, l’a peint de main de maître[13]. La plupart des chameaux sont chargés de marchandises, de blé, de farine, de dattes, de tabac, de cannes faites avec la nervure moyenne de feuilles de palmier, de quelques étoffes, et d’outrés pleines d’eau. Plusieurs fois nous avons vu des chamelles qui avaient mis bas pendant le voyage porter sur leur dos le petit dromadaire nouveau-né. Plus tard il suivra sa mère comme un poulain, jusqu’à l’âge où il sera assez fort pour être chargé lui-même d’un fardeau. Dans le désert, les chameaux ne marchent pas à la file, mais de front ou sans ordre. Continuellement ils balancent leurs longs cous et broutent les herbes qui sont à leur portée ; aussi, sauf dans le sable, le trajet des caravanes est-il marqué par des sentiers parallèles, souvent au nombre de huit ou dix. Les dromadaires suivent ces sentiers ou en créent d’autres lorsque les plantes sont complètement rongées. Quand nous croisions ces caravanes, nos Arabes échangeaient quelques paroles avec les nomades, puis les deux caravanes, arrêtées pendant quelques instans, s’éloignaient l’une de l’autre comme deux convois de chemin de fer qui se séparent après avoir séjourné quelques instans ensemble à la même station. Il n’est pas rare de rencontrer un Arabe monté sur son chameau, et s’enfonçant tout seul dans le désert. Portant dans un sac sa pâte de dattes sèches, il s’arrêtera le soir près d’un puits qu’il connaît, s’enveloppera dans son burnous et dormira à côté de son dromadaire accroupi. Demandez-lui où il va, il vous répondra ; mais le motif qui lui fait entreprendre son voyage est souvent des plus futiles, savoir des nouvelles, assister à un marché où il n’a rien à vendre et rien à acheter, visiter un marabout ; il voyage pour voyager, il est nomade : errer est son état normal, et dans le Tell, où l’on voit tant d’Arabes sur les chemins et si peu dans les champs, on serait tenté de dire qu’ils obéissent à un besoin de se déplacer, mais ne vont en réalité nulle part.

Dans le Souf, ou désert de sable, les rencontres étaient plus rares, et les caravanes moins nombreuses. Presque toutes se dirigeaient vers Tunis. Nous les rencontrions le plus souvent près des puits creusés de loin en loin entre les dunes, puits peu profonds et munis presque toujours d’un arbre à bascule et d’une auge : ils me rappelaient les puits finlandais sur les bords du fleuve Torneo ; mais quelle différence dans l’aspect du pays, et surtout dans le costume et la physionomie des hommes qui entouraient ces puits ! Dans le désert, nous avions sous les yeux les scènes de la Bible. Les chameaux entouraient l’auge qu’un jeune Arabe remplissait avec une outre en peau de chèvre attachée à la corde qui plongeait dans le puits. Les animaux buvaient lentement, et quand ils avaient fini, ils relevaient la tête ; mais si le conducteur jugeait que leur pause ne fût pas suffisamment remplie pour le trajet qu’ils avaient à parcourir, il tirait sur la corde attachée à leur tête, qu’il abaissait vers l’auge : l’animal comprenait que le voyage jusqu’au puits le plus rapproché serait long, et se remettait à boire. Souvent un vieillard à barbe blanche était majestueusement assis à l’écart, tournant son chapelet entre ses doigts : c’était le père, le chef de cette famille ; c’était Abraham. Une jeune fille demi-voilée, dont les yeux noirs brillaient entre les plis du haïk, présentait une amphore appuyée sur sa hanche ; le jeune Arabe la remplissait avec l’outre que la bascule faisait sortir du puits : c’était Rachel et Jacob. Des enfans presque nus jouaient sur le sable ; les moutons et les chèvres, contenus par leurs bergers, attendaient leur tour pour s’approcher de l’auge et s’abreuver de l’eau salée. N’est-ce pas un tableau de la vie des patriarches dont les descendans étaient sous nos yeux, et Horace Vernet n’a-t-il pas eu mille fois raison de peindre les scènes bibliques avec les costumes arabes ? Chez ce peuple où rien se change, le costume a dû rester le même, comme les mœurs et les croyances. Le monothéisme musulman diffère bien peu du monothéisme judaïque : un prophète de plus, Mahomet, voilà la seule addition importante.

Le soir, vers le coucher du soleil, nous nous apprêtions à bivaquer. On choisissait de préférence le voisinage d’un puits ou urne localité riche en arbrisseaux ligneux à longues racines. Un feu était allumé, et ces broussailles desséchées pendant tout l’été flambaient en un instant. Le cuisinier creusait dans le sable un fourneau improvisé et commençait son œuvre. Les chevaux étaient entravés à une seule corde fixée par des piquets. S’ils arrachent ces piquets et se sauvent, ils ne peuvent pas se séparer, et on les rattrape plus facilement. Pendant ce temps, les chameaux, toujours en arrière, nous avaient rejoints ; ils s’accroupissaient en grommelant ; on les débarrassait de leurs fardeaux, et trois tentes se dressaient, deux pour nous, une pour les zouaves. Les cantines, grands coffres en bois qu’on peut charger indifféremment sur des mulets et sur des chameaux, étaient placées sous les tentes. Sur ces cantines, qui contenaient nos effets et nos collections, on fixait des fonds de sangle portant un matelas qui nous servait de lit. Sous l’une des tentes, on mettait la table, des plians étaient disposés autour, et nous prenions place comme nous l’eussions fait en plein pays civilisé. Le premier appétit satisfait, venait la causerie : on parlait des événemens de la journée et des projets du lendemain, puis de l’Algérie et de son avenir, de la Suisse, de l’Alsace, de Paris, de l’Institut, de la science et des savans. L’heure du sommeil arrivait ainsi rapidement, et nous nous couchions sûrs de dormir profondément après une journée si bien remplie.

Notre bivac n’était pas toujours solitaire. Un brigand appelé Ben-Asser, à la tête de cent cavaliers, faisait à cette époque des incursions sur le territoire français et trouvait un refuge en Tunisie. Le bey, informé de ses déprédations par le gouverneur de la province, était, comme toujours, impuissant à les réprimer. Ben-Asser attaquait les petites caravanes, essayait même de rançonner les villages. Nous avons vu non loin des côtes orientales du Chott-Melrir les squelettes de quatre chameaux qui avaient péri dans une de ces attaques. Des spahis bleus avaient été envoyés contre lui, et vingt brigands avaient été tués dans un combat de cavalerie. Ces spahis étaient campés à Gbila, et leur chef espérait bien surprendre de nouveau l’audacieux maraudeur. Dans sa prévoyante sollicitude, le général Desvaux avait donné ordre aux caravanes du Souf se dirigeant vers le nord de se réunir dans le village de Guemar. Nous partîmes donc avec cent chameaux et environ cent cinquante Arabes portant les armes les plus bizarres et les plus variées. Le soir du 6 décembre, nous bivaquâmes sur un plateau couvert d’arbrisseaux ligneux. Les Arabes s’établirent autour de nous, bientôt vingt-cinq feux flambèrent vers le ciel et illuminèrent le désert ; quelques-uns étaient éloignés, car chaque campement occupe une assez large place. Les Arabes, rangés en cercle autour de leur feu, cuisaient leurs galettes ; elles se composent d’une pâte de farine bien pétrie dans laquelle ils enveloppent de l’ail et des tomates vertes, puis ils creusent un trou elliptique dans le sable, mettent de la braise au fond, placent la galette au-dessus et la recouvrent de cendre et de terre. En attendant qu’elle fût cuite, ils mangeaient leur pâte de dattes et buvaient de l’eau saumâtre. Un fifre et un tambourin se faisaient entendre à un bivac éloigné. Dans la plupart des groupes, la conversation était des plus animées ; dans quelques-uns il y avait un narrateur que tous écoutaient : le merveilleux fait toujours le fond de tous ces contes, dont quelques-uns sont charmans. Je me figure que l’histoire de Joseph vendu par ses frères, celle de Moïse sauvé des eaux, ont dû naître ainsi dans l’imagination d’un conteur arabe, autour d’un feu de bivac, pendant une belle nuit du désert. Peu à peu cependant les bruits cessèrent, les feux s’éteignirent, et les Arabes, la tête cachée sous leurs burnous, s’endormirent malgré une pluie assez forte qui dura toute la nuit. Nous avions jusque dans le Sahara le retentissement du temps affreux qui régnait en France et sur la Méditerranée au commencement de décembre. Un vent de nord-ouest, soufflant par rafales, nous lançait les dernières ondées ; au sud, le ciel était clair, et cette pluie, si insolite dans le Sahara au mois de décembre, s’arrêtait aux limites septentrionales du désert.

Nous ne campions pas toujours. Dans l’Oued-Rir, semé d’oasis, nous passions la nuit sous le toit hospitalier des cheikhs ou maires des villages connus du capitaine Zickel. Une heure avant d’arriver à l’oasis, il envoyait en avant le spahi Bechir prévenir le cheikh de notre arrivée. Bechir partait au grand galop de son cheval gris pommelé et disparaissait bientôt à l’horizon. Non loin de l’oasis, nous apercevions le cheikh, orné de son burnous rouge et entouré des principaux habitans du village, venant à cheval à notre rencontre. À 50 mètres de distance, la troupe s’arrêtait, tous mettaient pied à terre et s’approchaient pour baiser la main du capitaine talel-ma (le capitaine qui fait monter l’eau), surnom de M. Zickel dans le désert. En même temps ils portaient alternativement la main à la tête et au cœur. Ignorant notre qualité, ou nous prenant pour des mercanti, gens de négoce pour lesquels ils ont une médiocre estime, ils ne nous adressaient pas la parole ; mais dès que le capitaine leur avait dit : « Je vous présente nos amis, » suivant la formule orientale, alors ils venaient nous donner une cordiale poignée de main, témoignant par leurs gestes du bonheur qu’ils avaient de nous recevoir. Il est impossible de se figurer la noblesse de manières qui distingue ces villageois. C’est un mélange, de grandeur, de simplicité et de cordialité affectueuse réunissant tout ce que nous exigeons de la plus exquise politesse. Après cet accueil, nos hôtes rejoignaient leurs chevaux, qui n’avaient pas bougé de place, se mettaient en selle et nous précédaient pour entrer dans le village. Les enfans, entassés à l’entrée, nous saluaient de leurs cris et se sauvaient immédiatement après ; les femmes se cachaient pour regarder à travers les portes entre-bâillées ou les nattes tendues devant les meurtrières qui tiennent lieu de fenêtres. Nous entrions dans la maison du cheikh, plus grande en général que les autres. La salle était garnie d’un tapis et entourée de coussins. Notre cuisinier apprêtait notre repas, le cheikh de son côté nous offrait la diffa, composée ordinairement de couscoussou assaisonné à la sauce au piment, de mouton coupé en morceaux et bouilli, de volailles et de dattes. Nous mettions les deux repas en commun et nous invitions les cheikhs à dîner avec nous : ils acceptaient toujours ; mais la plupart s’abstenaient de vin et de lard. Quelques-uns, secouant les préjugés, buvaient du vin, des liqueurs, et mangeaient du porc. Nous les avions appelés les cheikhs voltairiens ; c’étaient les plus éclairés, et la manière dont ils discutaient avec le capitaine pour obtenir la faveur d’un puits, cherchant à réduire la contribution de l’oasis qui devait en profiter et à mettre tous les frais à la charge de l’état, eût fait honneur au maire d’une commune normande débattant avec son sous-préfet les intérêts de ses administrés. Le capitaine avait beau leur dire de s’adresser au gouverneur de la province, ils se persuadaient difficilement que celui qui a le pouvoir de faire monter l’eau n’eût pas le droit de lui ordonner de jaillir où il lui plaît. Pendant le repas, les gens du village, entrant et sortant librement, écoutaient sans y prendre part une conversation qui les intéressait si vivement. C’est dans le Souf, grâce aux recommandations du caïd de Tougourt, Si-Ali-Bey, ancien prisonnier d’Abd-el-Kader, que les réceptions furent les plus brillantes. Le califat Si-Ali-ben-Amar, placé sous les ordres du caïd, son cousin, vint à notre rencontre avec toutes les autorités, cheikhs, caïds, cadis, etc., et nous fit les honneurs d’une fantasia. Les cheikhs plus modestes des villages pauvres venaient au-devant de nous, montés sur ces petits ânes gris clair du Sahara qui suivent les dromadaires en portant un homme ou un fardeau équivalent. La réception n’en était pas moins cordiale ; mais nous campions près du village, redoutant d’entrer dans les maisons dont les nattes et les tapis recèlent souvent des habitans qu’il est fort désagréable d’emporter comme souvenirs de l’hospitalité arabe. À Tougourt, capitale de l’Oued-Rir, nous reprîmes pendant quelques jours les habitudes de la civilisation. Logés dans la caserne fortifiée établie près de la ville, le commandant de la place, M. Auer, nous admit à sa table hospitalière. Par une heureuse coïncidence, nous rencontrâmes le commandant du district de Biskra, M. Forgemolle, revenant d’une tournée dans le Souf avec plusieurs officiers. L’un d’eux, M. Ber-toraieu, était photographe. Le caïd posa devant lui à cheval, le faucon sur le poing, ses lévriers couchés près de lui. Le même jour, groupés sur la place publique de Tougourt, devant les habitans rassemblés, nos dromadaires chargés de palanquins formant le second plan, nous fûmes photographiés avec le soleil du Sahara. De toutes les surprises de notre voyage, celle-ci fut la plus inattendue. Les officiers qui. accompagnaient le commandant avaient cet entrain que donne la vie africaine : nos gamelles respectives furent mises en commun, les meilleurs vins, les meilleures conserves joyeusement sacrifiés. Le caïd à son tour voulut nous recevoir. Voltairien à la caserne, il redevint musulman dans son palais, dont la cour était remplie de ses cliens. Cet agréable intermède divisa notre voyage en deux parties égales, consacrées la première à l’Oued-Rir, la seconde à l’Oued-Souf. Puisse-t-il avoir laissé dans la mémoire des officiers qui nous ont si bien accueillis d’aussi bons souvenirs que ceux que nous avons conservés du séjour de Tougourt !

Telle était notre vie dans le Sahara : un beau ciel, une température modérée, quelques pluies qui firent reverdir le désert, ajoutèrent encore aux charmes du voyage. Chaque jour, des spectacles grandioses s’offraient à notre vue. Tantôt c’était l’immensité d’un plateau sans limites, de larges vallées, de grands lacs, des dunes aux formes variées, une fertile oasis flanquée de villages entourés de fortifications pittoresques. La vue des montagnes lointaines ajoutait à ces aspects un charme inexprimable. S’élevant brusquement du bassin saharien, les derniers contre-forts de l’Atlas et de l’Aurès s’aperçoivent à des distances énormes. Le 7 décembre, étant encore à 40 kilomètres au sud du Chott-Melrir, nous revîmes leurs sommets poindre à l’horizon ; mais pendant notre absence la neige les avait blanchis, et ils se détachaient d’autant mieux sur l’azur du ciel africain ; c’était un souvenir des Alpes qui nous surprenait au milieu du désert. Une colonne expéditionnaire, envoyée dans le Souf, en revenait sous la conduite du général Desvaux ; les soldats s’écrièrent, en revoyant les montagnes, comme le matelot après une longue traversée : « Terre ! terre ! » Ce cri sortant de poitrines haletantes pendant de longues marches dans le sable est d’une profonde vérité. Les montagnes sont la terre, la limite du désert ; elles annoncent que les fatigues vont cesser, que la campagne est finie.

Le spectacle du ciel n’était pas moins intéressant que celui de la terre. Sur la mer et dans tout les pays plats où la coupole céleste s’arrondit au-dessus d’une surface unie sans relief et sans accidens, l’homme porte ses regards vers le ciel ; la vue des nuages, du soleil, de l’aurore, du crépuscule, des étoiles, remplace l’aspect des lointains de la terre, des rivières, des lacs, des collines et des montagnes. Chaque coucher de soleil était une fête pour nos yeux, un étonnement pour notre intelligence, surtout lorsque l’atmosphère n’était pas complètement sereine. Les colorations sont alors plus vives et plus variées. À mesure que l’astre s’approche de l’horizon, les nuages gris et échevelés de la voûte du ciel, derniers émissaires des brouillards du nord, se frangent de teintes pourpres de plus en plus intenses, tandis que les contours arrondis des nuages blancs reposant sur les cimes lointaines, se bordent d’un éclatant liséré jaune et semblent enchâssés dans l’or qui remplit le couchant. Dès que le soleil est descendu sous l’horizon, une teinte rose des plus douces se répand sur tout le ciel occidental. Émanation de l’astre disparu, elle colore toutes les montagnes. L’une d’elles, visible de Biskra, est appelée Djebel-Hammar-Kreddou, la montagne à la joue rose : elle mérite ce nom, car longtemps encore après le coucher du soleil elle conserve un reflet rose comme l’incarnat des joues d’une jeune fille. Par un effet de contraste avec le rouge, le bleu du ciel prend une teinte vert d’eau. Peu à peu le rose pâlit, l’arc éclairé se rétrécit, et la lumière qui l’illumine est blanche et pure comme celle qui doit briller dans l’éther au-delà des limites de notre atmosphère. Grâce à la transparence de l’air, tous les contours des objets terrestres sont parfaitement arrêtés. Les fines découpures des feuilles de palmier deviennent plus visibles qu’en plein jour, et, quand l’arbre tout entier se détache sur ces fonds alternativement jaunes, rouges et blancs, il semble que la poésie de ce noble végétal se révèle aux yeux pour la première fois. Cependant la nuit se fait. Les planètes, puis les grandes constellations apparaissent les premières : le ciel se peuple de myriades d’étoiles, sa voûte s’éclaire, la voie lactée, bande blanchâtre et effacée dans les hautes latitudes, semble une écharpe de diamans étincelans jetée sur le dôme céleste. La lune n’est plus cet astre blafard dont le regard mélancolique semble compatir à la tristesse de nos pays embrumés ; c’est un disque brillant de l’argent le plus pur, réfléchissant sans les affaiblir les rayons qu’il reçoit, ou un croissant complété par la lumière cendrée qui dessine visiblement les contours de l’orbe tout entier. Tel fut le coucher de soleil du 13 décembre 1863, la veille de notre départ de Biskra ; il nous émut profondément : c’était notre adieu aux soirées du désert.

Si maintenant nous voulons savoir quel est l’avenir de ces étranges contrées, consultons le passé. Les ruines des villes romaines les plus rapprochées du Sahara forment une ligne continue sur le versant septentrional de l’Aurès et les derniers contre-forts de l’Atlas. Des restes imposans de temples, de prétoires, de portes triomphales, témoignent du long séjour des Romains dans l’Afrique septentrionale et de l’état de leur civilisation. Quand on s’avance vers le désert, en suivant la route de Batna à Biskra, on trouve de myriamètre en myriamètre les traces des postes militaires établis sur des mamelons, près des défilés et au confluent des rivières : ils sont reconnaissables de loin aux pieds-droits des portes encore debout, aux grandes pierres taillées et aux poteries rouges qui jonchent le sol. Le dernier de ces postes est dans le désert, au sommet d’un monticule de gypse, à trois lieues des Zibans. Sur une des pierres, on a trouvé cette singulière inscription : burgum speculotorum, la forteresse de ceux qui surveillent le désert. Des temples, des portes triomphales, quelques ponts et des postes militaires, voilà ce que les Romains ont laissé en Afrique. Notre dernière station militaire est plus loin que celle des Romains, elle est à Tougourt. Là un sous-lieutenant et un sergent français, commandant soixante tirailleurs indigènes, font régner la paix dans la partie la plus reculée du désert, empêchant la guerre d’oasis à oasis et arrêtant les incursions des brigands tunisiens. Les tranquilles habitans du Souf sont protégés contre les nomades, contre eux-mêmes et contre l’étranger. Jusqu’ici nous ne faisons qu’imiter les Romains ; mais où nous les surpassons, c’est en jalonnant la route du désert et en dotant les oasis de puits artésiens qui leur rendent la vie. Notre poste le plus avancé n’est point un poste militaire, c’est le puits de Bardad, sur la route d’Ouargla, la première étape de celle de Tombouctou. Lorsqu’un jour les oasis se seront rejointes, grâce aux fontaines jaillissantes que le général Desvaux fait surgir de toutes parts, et qu’une forêt de palmiers unira Biskra à Tougourt, alors des rails s’ajouteront bout à bout sur ces plateaux désertiques que la nature semble avoir préparés pour les recevoir. La civilisation pénétrera dans le désert, rayonnant d’un côté vers l’Égypte, de l’autre vers le Sénégal : elle achèvera la mission des martyrs de la science et de l’humanité qui ont péri dans l’Afrique centrale en attaquant dans son repaire le monstre hideux de l’esclavage. Le christianisme a mis fin au servage antique, la France et l’Angleterre mettront fin à l’esclavage moderne. Les deux nations marchant l’une à la rencontre de l’autre, l’Angleterre partant du Cap, la France de l’Algérie et du Sénégal, se donneront la main au centre de l’Afrique, après avoir accompli cette grande œuvre. L’antique civilisation égyptienne dont les restes imposans forment la majestueuse avenue de monumens qui bordent le Nil depuis la Nubie jusqu’à l’isthme, qui ne séparera plus les deux mers, renaîtra transformée. Jadis hiératique et stationnaire, cette civilisation sera rationnelle et progressive ; comme l’esprit humain lui-même, elle s’affranchira lentement, mais sûrement, des entraves politiques et religieuses qui la gênent encore.


CHARLES MARTINS.

  1. Voyez la Revue du 15 juillet.
  2. Voyez, sur le siège de Zaatcha, le récit de M. Ch. Bocher dans la Revue du 1er avril 1851.
  3. Phœnix dactylifera.
  4. La chaleur n’étant utile à cet arbre qu’à partir du 18e degré, toute température inférieure à ce degré n’entre pas dans ce calcul.
  5. La température moyenne de Paris est de 10°,1’.
  6. Capsicum annuum
  7. Lawsonia inertnis.
  8. Nicotiana rustica.
  9. Un jeune chimiste, M. A. Moitessier, a analysé ce sable, dont 100 parties se composent de : silice 80, sulfate de chaux 13, carbonate de chaux 7.
  10. Cyprinodon cyanogaster.
  11. Un pauvre nègre du Bournou avait été pris comme esclave, amené par son maître chez les Touaregs et vendu successivement quatre fois. Étant arrivé enfin dans les possessions françaises, il apprit qu’il était libre, et on lui donna même, près des puits de Chegga, des terres où il cultive de l’orge, du millet, des pastèques, des navets, et élève quelques volailles, achetées par les voyageurs.
  12. Aristida pungens.
  13. Un Été dans le Sahara, p. 235.