Paris Calmann Lévy (p. 309-310).


LXXXII


J’arrête là ces notes, parce que d’abord la suite n’est pas encore assez loin de moi dans le temps pour être livrée aux lecteurs inconnus. Et puis, il me semble que mon enfance première a vraiment pris fin ce jour où j’ai ainsi décidé mon avenir.

J’avais alors quatorze ans et demi ; trois années me restaient par conséquent pour me préparer à l’École navale ; c’était donc dans les choses très raisonnables et très possibles.

Cependant je devais me heurter encore à bien des refus, à des difficultés de toutes sortes avant d’entrer au Borda. Et ensuite je devais traverser bien des années d’hésitations, d’erreurs, de luttes ; monter à bien des calvaires ; payer cruellement d’avoir été élevé en petite sensitive isolée ; à force de volonté, refondre et durcir ma trempe physique aussi bien que morale, — jusqu’au jour où, vers mes vingt-sept ans, un directeur de cirque, après avoir vu comme mes muscles se détendaient maintenant en ressorts d’acier, laissa tomber dans son admiration ces paroles, les plus profondes que j’aie entendues de ma vie : « Quel dommage, monsieur, que votre éducation ait été commencée si tard ! »