Le Roman d’un enfant/24
XXIV
« Alors j’entendis un ange qui volait par le milieu du ciel, et qui disait à haute voix : « Malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre ! »
… En plus de la lecture du soir faite en famille, chaque matin dans mon lit je lisais un chapitre de la Bible, avant de me lever.
Ma bible était petite et d’un caractère très fin. Il y avait, entre les pages, des fleurs séchées auxquelles je tenais beaucoup ; surtout une branche de pieds-d’alouette roses, magnifiques, qui avaient le don de me rappeler très nettement les « gleux » de l’île d’Oleron où je les avais cueillis.
Je ne sais pas comment cela se dit en français, des « gleux » : ce sont les tiges qui restent, des blés moissonnés ; ce sont ces champs de pailles jaunes, tondues court, que dessèche et dore le soleil d’août. — Au-dessus des « gleux » de l’île, habités par les sauterelles, remontent et refleurissent très haut de tardifs bleuets et surtout des pieds-d’alouette, blancs, violets ou roses.
Donc, les matins d’hiver, dans mon lit, avant de commencer ma lecture, je regardais toujours cette branche de fleurs d’une teinte encore fraîche, qui me donnait la vision et le regret des champs d’Oleron, chauffés au soleil d’été…
« Alors j’entendis un ange, qui volait par le milieu du ciel et qui disait à haute voix : « Malheur, malheur, malheur aux habitants de la terre ! »
« Puis le cinquième ange sonna de la trompette et je vis une étoile qui tomba du ciel en la terre, et la clef du puits de l’abîme lui fut donnée. »
Quand je lisais ma Bible seul, ayant le choix des passages, c’était toujours la Genèse grandiose, la séparation de la lumière et des ténèbres, ou bien les visions et les émerveillements apocalyptiques ; j’étais fasciné par toute cette poésie de rêve et de terreur qui n’a jamais été égalée, que je sache, dans aucun livre humain… La bête à sept têtes, les signes du ciel, le son de la dernière trompette, ces épouvantes m’étaient familières ; elles hantaient mon imagination et la charmaient. — Il y avait un livre du siècle dernier, relique de mes ascendants huguenots, dans lequel je voyais vivre ces choses : une Histoire de la Bible avec d’étranges images apocalyptiques où tous les lointains étaient noirs. Ma grand’mère maternelle gardait précieusement, dans un placard de sa chambre, ce livre qu’elle avait rapporté de l’île, et, comme j’avais conservé l’habitude de monter mélancoliquement chez elle, l’hiver, dès que je voyais tomber la nuit, c’était presque toujours à ces heures de clarté indécise que je lui demandais de me le prêter, pour le feuilleter sur ses genoux ; jusqu’au dernier crépuscule, je tournais les feuillets jaunis, je regardais les vols d’anges aux grandes ailes rapides, les rideaux de ténèbres présageant les fins de mondes, les ciels plus noirs que la terre, et, au milieu des amoncellements de nuées, le triangle simple et terrible qui signifie Jéhovah.