G. Havard et fils, éditeur (p. 263-309).

LES PERPÉTUELLES ÉRINNYES


I

Par les avenues en toilette d’une ville moderne, toute blanche avec des lettres d’or aux balcons, près des maigres arbres encore enrubannés des restants flétris de la récente fête, un petit vieillard sec, anachroniquement affublé d’une roquelaure bleu-lapis, toisonné en financière et cadenettes, gigue d’un petit mouvement court ; ses yeux rusés rient dans sa face rasée ; son pas clopine coquettement comme un fredon de refrain ballant, sa main tient un bouquet d’aubifoins et d’amarantines. Les authentiques citoyens dômés de cylindres noirs ou de cabassets sans façon, le lustrent d’un regard plus égayé que surpris, et ce serait puérile et amusante évocation sans la joie trop exubérante et rhétoricienne des grimelins ; mais voici qu’accourt vers lui, aussi surannée, la robe à vertugadins florée comme un printemps d’assiette de Chine, une douairière toute galante sous ce ciel réveillé, malgré les saccades de son petit pas clair ; rencontre et salut coquets et frivoles, baise-mains, et le couple de partir en fête comme suivant l’allure d’invisibles ménétriers ; mais tout à coup le pas leur glisse, une grossière voiture les a renversé de sa course brutale, on s’empresse et la gaieté des contemporains vêtus de fracs et de vestons se nuance de tristesse comme si quoique jouet précieux venait d’être détruit ; un regret enserre les passants, comme si quelque minuscule annonciateur venait de s’écrier que le grand Pan des poupées est définitivement brisé.

Le roi Christian s’éveilla de ce rêve un peu transi. La voiture qui avait attendu sa secrète rentrée dans Krebsbourg arrivait au Palais, et l’aube froide du matin baignait d’air bleu les jardins immobiles, Christian voulut pouvoir quelques heures se reposer avant de se concerter à ses ministres sur les graves conjonctures qui se nouaient.

Ah, c’était bien, ce rêve, l’allégorie de ce qui allait arriver ! Ces figurines aimables du passé évoquaient toute l’idée du faux bonheur, de l’élégance de surface qui parait la vie nonchalante et riche et festivale du petit pays parmi l’Europe, grosse d’un avenir douloureux. Ce heurt brutal qui froissa tant les grêles baladins de son somme éphialtique, n’évoque-t-il pas le débouché brusque, aux carrefours inattendus, des grosses forces que l’on ne dompte jamais, qu’on est impuissant à assoupir pour longtemps, et qui longtemps geignantes en un craintif rhembasme, apparaissent un jour de total esclandre dans le bruit formidable de crécelles géantes, en de hourvariques ébrouements. C’est alors sous les torches livides, les heures terribles où les petites monarchies vieillotes, et démodées qui esquissent encore de fantomatiques menuets, sur des souvenirs d’ariettes anciennes, tombent au heurt des cognées sur les portes et les détonations des fusils de chasse, ce jour-là, armes de guerre.

II

Sous les coups de fonçoir du malheur, le Hummertanz songeait à sa dynastie, de façon sévère. L’admirable théorie du bouc émissaire convient aux masses ; il leur semble logique que le chef de l’État expie de sa personne les calamités qui pilonnèrent la contrée. Les aristocraties et les pouvoirs parlementaires, le peuple les exprime, en temps ordinaire par un Ils… symbolique, prononcé le plus souvent avec quelque rancœur, avec l’âpre ton qui englobe une chaîne infinie de persécuteurs, partant du contremaître pour aboutir aux souverains. Ces derniers jours, Ils… était vraiment considéré du haut d’un croissant mépris. Rien ne marchait, les salaires baissaient, les villes brûlaient, le Krach venait verrouiller les banques et éteindre les feux des fabriques. Ces jours, le populaire livré à lui-même par les anxiétés des capitalistes, avait tout son temps pour se réunir, ériger dans tous les estaminets des petits parlements, exacerber aux alcools toxiques, ses haines et ses revendications, et les préciser. Ils… devint vite le souverain. Les légendes aux ailes géantes partirent lancées par les milliers de conciliabules, s’ornant à tous les coins de la province d’une pointe d’esprit local.

Et ce fut sur Krebsbourg comme une nuée de bruits fâcheux, comme des vols de djinns accusateurs tournoyant sur les maisons, lançant par toutes les masures des quartiers pauvres des germes de séditions. Les grèves se déclarèrent formidables, et le pays noir, le pays des houilles et du fer remplit les trains de nombreuses délégations de foules concentrées et taciturnes qui venaient vers la capitale demander plus de pain, plus de droits, l’ère meilleure, et pensaient arracher le pouvoir aux mains indignes, pour partir vers une expérience nouvelle, qui sait, peut-être plus heureuse, car l’espérance tisse sans fin des mousselines de gloire et des étoffes lumineuses, qu’elle agite devant les foules, en se retirant toujours d’un pas, plus loin d’elles.

Le roi Christian était résolu à se défendre. La catastrophe de Geldwachs l’avait aigri, l’avait atteint dans sa fortune. Les bruits, au fond exacts, qui circulaient sur sa rapacité, ses trésors, ses prudents et merveilleux placements en pays sûr, le talonnaient. Les libéraux l’attaquèrent d’avoir suspendu sur son pays la menace d’une invasion étrangère ; le rôle des camps remplis de troupes niederwaldsteiniennes, avait été deviné. Chacun cherchait quel serait l’étranger dont l’entrée serait le plus à sa convenance, puisque le pays était forcément ouvert. Une peur saisissait les élites devant cet inconnu, l’invasion et ses suites : le pouvoir plus raide, ou peut-être l’ennemi se fixant sous des prétextes, et peut-être l’annexion. Le clergé, non consulté en cette occurrence, murmurait ; et les diacres sans puissance, toute la masse des desservants de petites paroisses s’agitait, rêvant d’une bienfaisante théocratie, d’un règne des ministres du Christ, appelant à la Cène universelle, des ouailles à qui leurs mains départiraient, tous les jours, leur portion de bonheur matériel et moral. Devant les attaques de la presse, la divulgation imprévue de nombreux tribuns, haranguant des petits groupes à tous les coins de la capitale, le pouvoir sortit de ses arsenaux une vieille loi de lèse-majesté appliquant à la critique du temps présent les peines applicables aux outrages personnels envers le roi, et malheureusement il y eût de suite de nombreuses arrestations ; ce fut pour extraire ses mentors de leur prison que le peuple se souleva.

III

Le Palais de Justice et la prison dominent de leur considérable structure la butte la plus élevée de Krebsbourg. Le Palais de Justice plonge ses fondations au profond des tristes ruelles mal famées ; la présence, autrefois, à cette place, d’un calvaire, fait que tous ces filets de briques portent les plus doux noms et les plus expressifs du répertoire de la Passion ; par place, quand la montée stagne quelques mètres et que la rue s’élargit, des marchés minables, où se vend tout ce qui a conservé quelque forme. L’architecture du palais est froide quoique confortable ; nulle part le gris de l’officiel ne se répandit sur plus monotones parpaings. Sa forme générale évoque, en un assemblage savant, tous les anciens palais de tyrannie, ses salles intérieures allégorisent d’immenses haltes de gare, des salles d’attente énormes pour les pays pénitentiaires. Nul ornement intérieur n’atténue la sévère raideur de cette ruche à verdicts ; à la façade quelques statues, celles des éphémères promesses de justice, d’égalité, de protection, qui accentuent l’ironique aspect de ce temple d’arbitrage. La prison cédait le pas en beauté, tout naturellement, à son supérieur hiérarchique, le Palais de Justice ; au confin de cette butte, visible du plus loin aux piétons et aux gardiens qui s’acheminent vers Krebsbourg, elle répandait d’immenses amas de briques roses, sous une énorme coupole que des baies de verre costumaient en une cage ; autour, des terrains vagues, parfois semés d’un peu de culture maraîchère, où les gardiens de la prison pouvaient à leurs heures tranquilles se livrer à ce goût du jardinage, qui avec celui de l’élève des petits oiseaux, reluit, si délicieux, dans les coins les moins sombres de l’âme humaine ; plus loin, quelques lépreuses masures échelonnent de louches abreuvoirs. Les terres de ce coin dartreux sont comme frappées de stérilité, et proie fatale de gravatiers. C’était vers ces deux bâtiments que voulaient se porter les colonnes de la foule pour détruire et pour délivrer.

Les lois, la constitution du Hummertanz armèrent sa bourgeoisie d’une considérable puissance. Celle-ci succédait bien réellement à l’aristocratie, sa défunte sœur aînée. Maîtresse de la puissance déterminative, par le droit absolu au bulletin de vote, proportionné en nombre aux chiffres de rentes bien établies, maîtresse des cadres de l’avenir, puisqu’elle pouvait, seule, nourrir de science ses enfants pour en faire des colonels, des ingénieurs et des juges, elle avait hérité aussi de la prérogative de porter les armes, une fois la semaine, au moins, et en public. Malgré la rareté relative de cette évocation militaire, les notables n’en avaient pas moins, chez eux, au gré et au service de l’État, sabres, fusils et cartouches. L’axiome était que ceux qui possèdent protègent l’État contre ceux qui ne possèdent pas. Une sagace mesure avait raffiné sur ces dispositions, en répartissant les plus riches usiniers ou propriétaires parmi des escadrons de cavalerie, de sorte que la grande et la petite bourgeoisie se trouvaient dûment distinctes et signifiées par un emblème extérieur et visible à tous. Ces bienfaits ne défaillent jamais à charmer le cœur d’un ensemble de privilégiés. Néanmoins, ces jours-ci, la bourgeoisie grondait, le Krach ayant largement infléchi ses hautes tiges, et les épis pleins de l’annuelle moisson ayant été reconnus vides. La cavalerie ressentait, de ce fait, comme un éloignement pour une dynastie, dont les pronostics et les appréciations se révélaient infirmes, presque insanes ; mais l’infanterie, en majeure partie, plus solidement attachée par ses opérations à l’intangible et inaliénable prêt à l’État, conservait sa solidité et sa foi tout entière. Elle entraînerait certes par la tenue de son dévouement les escadrons, dont les capitaines devaient bien en somme, se communiquer que quelques défaites ne sont pas la ruine totale, et que pour empêcher la ruine totale, le meilleur et le moins dispendieux des moyens était de charger, pour tous les nobles principes dont ils héritèrent. Aussi, lorsque dans des rues de ville de province, les bandes indisciplinées des sans travail menaçaient d’utiliser contre le pouvoir toutes les menues armes qu’on peut distraire de la vie, telles que cercles de fer du pied des arbres, revolvers, coups de poings métalliques, etc…, ils rencontraient des lignes graves et sereines, fortifiées d’excellentes carabines. La garde bourgeoise s’exhaussait vraiment jusqu’à être un talisman des choses établies. Elle était bien plus sûre que l’armée : car celle-ci se recrutait de volontaires soldés, de remplaçants militaires, de toute une paresseuse canaille des champs et des faubourgs de petite transaction ; leurs dispositions guerrières étaient nulles, encore comptait-on sur leur sentiment inné de lutte et leur amour du vacarme, leurs habitudes de bagarre et de pillage des cabarets, leur sûre érudition en matière de destruction méthodique, méticuleusement rageuse, qui casse et souille tout, capable d’inventorier froidement les maisons dévastées, pour s’assurer que rien n’est resté intact. Le plan des conseils militaires que tinrent les états-majors et les ministres civils qui depuis si longtemps connaissaient et maniaient l’opinion, fut d’utiliser le plus possible l’armée contre les centres ouvriers. Ils spéculaient sur la haine sourde qui sépare l’ouvrier du soldat, haine entretenue par des batteries de cabaret, par le dédain du soldat bien et décorativement vêtu pour les haillons du prolétaire, et aussi le mépris du prolétaire pour le garnisaire qu’il juge un fainéant, et qu’il épithétise fréquemment clampin ou cagnard.

Les vainqueurs de cette journée de Krebsbourg, ont, comme le plus souvent, fardé leur triomphe sanglant de toute l’ignominie présumée de la plèbe assaillante. Ces quelques personnes, les vingt hommes presque tous jeunes étudiants sans qualité, valaient-ils la peine que des cadavres témoignassent d’une inutile affection pour eux. N’était-ce pas se tromper étrangement sur les vouloirs de la Loi que les croire exposés à des châtiments barbares, à d’illégales suppressions. Seul, un esprit creux, comme Papegay-Garten, pouvait, non pas s’en persuader, mais le clamer, le hucher, le rejaquer. Le moyen, le seul, le vrai, pour attirer la grâce sur ces malévolents meneurs, conservés entre fortes murailles, était que leurs amis sussent se taire et attendre. La loi, dans sa majesté, ne veut point être bravée. Si l’on attend que la sentence découle du fleuve de vie et de sagesse qu’elle symbolise à travers les âges ingrats de la lutte pour la vie, ses justes balances indiquent du plus près l’innocence vraie ou l’irréfutable culpabilité. Après la parole dite dans les Silences garantis du prétoire, affermi de toute pression d’en haut ou d’en bas, par son irréfragable contrat avec le loyal Exécutif, on peut attendre le verbe de clémence, qui jamais, dans les temps non troublés, ne laisse désirer sa pacifiante manne ; car, si le juge est inflexible, le Roi est père. Le juge guide l’hésitante conscience du souverain vers le choix de la vérité, mais l’œuvre faite, il laisse le Roi épargner à ses villes l’horreur des exécutions, et dispenser l’humain pardon. La coupable impatience des démagogues fut la seule force occasionnelle qui étendit le long des rues ceux qui marchaient trop fiers de leurs erreurs. Ah, s’ils avaient su, avant les heures de deuil, assoupir leurs rancunes d’ambitieux insatisfaits, et dans une passagère lucidité prêcher le calme, le repos, le désarmement à cette foule saturée de leurs enseignements, que de maux épargnés ! La statue de l’État n’en est pas moins restée haute, et les flots de colère et d’épouvantement se sont, brisés contre le granit de soif-socle ; mais à quel prix. Et les sévères puissances du droit et du devoir, la besogne faite, la lutte terminée, ne se peuvent empêcher d’un trouble, ni retenir une larme, en pensant à ces vies résignées de tant d’utiles emplois, à ces bras perdus pour le travail, la production, la surproduction, la colonisation et les pénibles, mais nécessaires et providentiels défrichements.

La voix tarée des propulseurs d’émeute, maintenant abrités des justes vindictes par les tolérances des Suisses ou des Amériques, pourra tonner l’imprécation, ou séduire par le spécieux de leurs arguments. Et le fait de leur vie sauve, au soir de cette boucherie, et de leur facile évasion du pays où ils furent nocifs, n’incrimine-t-il pas leurs abois de représailles et les hans discords de leur fausse infélicité ? Puis, est-il certain, comme ils le prétendent, que tant de héros obscurs, de civiques patriotes, d’humbles oblats de la pure religion de solidarité furent troués de mitraille ?

À l’exception regrettable et fatale de quelques égarés, que les pernicieuses doctrines de ces hommes immolèrent, en les frappant contre l’inconsciente rigidité du châtiment nécessaire, leurs soldats de désordre, leurs cloniques vagabonds aux mains de menaces, les surent-ils excerpter de la lie des grandes villes, parmi ceux qu’a flétris le droit commun, dans le margouillis babélique des vices invétérés ; de quels charniers dédaignés se lève l’émeute aux pattes torses ? Et bien d’autres arguments de ce genre traversèrent les constatations de la presse bien pensante les lendemains des échauffourées.

Il ne servira de rien de démontrer aux maîtres de l’autorité le peu de valeur, des arguments qu’ils déploient ici, de soutenir que si l’émeute avait triomphé, le pays en eût été le lendemain plus heureux et mieux gouverné ; ni les castes ni les historiens qu’elles soldent n’ont souci de vérité, mais seulement d’arguments pour établir l’à-propos de leurs actes.

IV

Le ministre de la guerre, comte Imerstetten, était nanti d’une excellente réputation militaire. Ses états de service étaient beaux quoique pacifiques, parce que durant une longue période les sabres du Hummertanz étaient restés pendus aux vestiaires. Il avait autrefois, à l’aide d’un congé gracieux, pu mettre sa vie au service du Pape, souverain temporel.

Le manque absolu d’escarmouches à cette époque lui avait permis d’acquérir la réputation d’un excellent officier de gardes. Les belles relations qu’il avait pu développer dans la capitale de la catholicité, l’aidèrent à visiter maintes autres capitales en qualité d’attaché militaire ; son œil perspicace suivit bien des manœuvres, et sa compétence en matière d’habillement et d’armement fut citée. La création d’un dolman admirable le mena vers la gloire ; la presse fut hantée de son nom. Sa réelle habileté de cavalier, et ses amitiés profondes avec des évêques et prélats le désignèrent non plus pour suivre, mais pour commander les manœuvres des armées de Hummertanz. Il raffina sur la tenue de campagne, modifia le bidon, amincit la bretelle du fusil, obtint qu’on remplaçât les chansons de marche des soldats, auparavant un peu cyniques, par de jolies cantilènes faites exprès et urgemment moralisatrices. Mais, ce qui mit le sceau à sa réputation, ses rapports sur les manœuvres ! C’est lui, qui déclara, à la suite d’une de ces excursions bien ordonnées, que tel régiment avait enlevé tel village avec le plus bouillant courage, et que le major X… avait défendu le pont de… jusqu’à sa dernière cartouche. C’était donc, vu son ignorance en matière de balistique et de castramétation, et les faces bien vibrantes de son caractère, le chef d’armée idéal.

Ce jour d’émeute était sa première bataille. Le roi Christian l’avait appelé confidentiellement, l’avait sobrement prévenu qu’en cas de défaite des forces de l’ordre, l’ami de Niederwaldstein viendrait réellement prêter main-forte, et qu’il valait mieux s’en tirer soi-même. Pour la patrie et pour son renom militaire, le général résolut de réprimer avec perfection : l’humanité est le plus beau fleuron de notre couronne morale, mais aussi la victoire est le but du soldat en armes.

Il poulina donc, d’après les théories et expériences des vainqueurs les plus à la mode, un ordre de bataille irréprochable, qui lui permît, son centre infrangible protégeant les Palais, les Banques, la prison et quelques jardins de plaisance (le sort heureux voulut que les Musées fussent près des Palais), de pouvoir rabattre ses ailes sur le flot des manifestants ; plus, une habile diversion par les bas quartiers pourrait lui permettre de les prendre à dos. Aussitôt cette répression opérée le général comptait utiliser pour la casse, les os et crânes de la garde bourgeoise qui avait ici les plus lumineux intérêts, lui confier la garde de la ville bien draguée, et pouvoir disposer de ses effectifs réguliers pour porter la bonne parole en province. La victoire serait prompte grâce à son système de laisser les révolutionnaires s’armer tranquillement (que trouveraient-ils) dans leurs rues de misère et même piller quelques armuriers, et de les écraser d’un coup. Son calcul réussit ; le peuple s’arma, traversa les quartiers du centre, livrés au petit commerce, en gaminant, en faussant les devantures de fer, en cassant quelques vitres. À mesure qu’ils furent plus près de l’armée, des feintes de bousculades policières les irritèrent ; d’une menue charge de cavalerie, on obtint que des coups de feu partirent de leur cohue, et la bataille s’engagea.

On n’eut jamais cru pouvoir tant augurer de la solidité de la draperie et de la soierie, de la précision de tir de la mercerie, de l’entrain au feu de la coulisse. Fut-ce en majorité l’épicerie ou la bijouterie, qui comptait des héros parmi ces friands de la baïonnette ? proportion difficile à établir ! De difficiles flexions, des formations de pelotons au seuils d’églises, pour foudroyer de feux les insurgés rejetés dans le chœur, furent exécutés avec la même précision qu’à la manœuvre. Les misérables vaincus, accusés de mettre le feu aux maisons en attisant le pétrole, furent fusillés par des escouades dévouées ; rien ne traînait en longueur.

Depuis longtemps, Christian, effrayé, navré de tant de sang, se répand en efforts pour arrêter le feu. Sparkling, non écouté la veille, suspect malgré son loyalisme et sa ferme décision de combattre pour la prérogative royale, démontre au roi qu’on va trop loin, que du calme, quelques coups de force isolés suffisaient à provoquer une débandade de cette foule maintenant exaspérée et se défendant de toutes armes ; encore ne peut-il rapidement le convaincre, car hésitant, apeuré, Christian, achevai sur la grande place déblayée, entouré d’état-major, écoute d’autres voix et d’autres avis ; il suit la marche en avant de ses troupes, pleure aux endroits ensanglantés, enfin, donne l’ordre de cesser le feu. Mais comment être obéi ? dès que le feu a cessé sur un point, il grésille à nouveau sur un autre, par erreur. Puis on ne peut plus rien empêcher. La garde bourgeoise venge âprement ses peurs, tire châtiment des mille tribulations que lui infligeait tous les jours la classe ouvrière. La sombre Bellone des guerres civiles flotte sur les maisons en écharpes de feu, car la population couvre sa retraite de l’incendie et barre, par la ruine incandescente, le chemin à ses chasseurs acharnes. On ne peut plus rien arrêter.

Le prince Otto, second fils de Christian, héritier présomptif depuis la mort du prince Max Éric, est associé comme officier au mouvement qui doit cerner l’émeute. La troupe, encouragée par sa présence, converge avec ensemble vers le dernier point de défense des pauvres. Ce sont les immenses marchés aboutissant aux canaux. Les plus énergiques et les mieux armés des révolutionnaires continuent la lutte pour permettre que les femmes et les enfants, que les tirs et les feux de salve n’épargnent pas, et les blessés et les plus faibles et les moins hardis, puissent s’enfuir sur les nombreuses péniches amarrées au quai. Quelques maisons, quelques barricades reliant les bâtiments de fer aux persiennes en meurtrières, leur donnent les avantages d’un simulacre de forteresse, et malgré l’attaque terrible des troupes enfin engagées, hargneuses et exaspérées de l’odeur de poudre et de sang, cependant que la garde bourgeoise essuie ses fronts couverts de sueur, ils tiennent quelque temps, mais peu de temps, car les grandes détonations de l’artillerie se multiplient en fréquence et en mort convergente ; et puis la cavalerie a pu, par d’autres points, se porter au bord du canal déjà plein d’embarcations où s’entasse trop de foule et les hussards sabrent les haleurs, et des canons coulent les barques, tandis que la résistance sur les marchés finit de mourir, à tous les coins, à toutes les caves, à tous les paliers des petites ruelles, et que le feu gagne cette dernière citadelle des libertaires.

Le roi remontait vers son palais, accablé, suivi d’aides de camp ; à la Grande Place, le ministre de la guerre, vainqueur, lui amenait son fils, le prince Otto, qui s’était, au dire du général, couvert de gloire, et qu’une légère blessure marquait de l’empreinte définitive du guerrier. Ce fut à peine si Christian put articuler les remerciements et les promesses d’ordre, avancement, etc… Les paroles de sa courte harangue aux officiers lui râpaient la gorge. Sa reconnaissance passait à travers des lèvres tuméfiées. C’était un homme vieilli de vingt ans qui répondait aux saluts des clairons des troupes dispersées en postes aux carrefours principaux, pour veiller à toute éventualité, et aux acclamations des gardes bourgeois dont la dislocation s’effectuait à grand’peine, égrenant des grumeaux nombreux autour de cabarets improvisés. Le roi l’entra au palais terne et désagrégé. Il souffrit de tout l’empressement qui venait le féliciter.

En effet, bientôt ils furent là tous réunis, les mitrés, les chamarrés, les diplomates, les fleurs de l’élite, les accrédités des royaux cousins, les directeurs des cartons-verts dans les blafards, édifices blancs des ministères, les crânes en œufs des chefs des Sociétés de crédit, les hauts rentiers aux favoris d’homme d’État, aux raies parfaites. Les habits noirs modestement étoiles s’inclinaient devant les camails violets. Et celui qui juge que son âme nécessite un extérieur similaire à celui de M. Gladstone, coudoie celui dont les moustaches sont Humbertines. Tel têtu fonctionnaire de douanes qui s’adjugea le sosisme de Bismarck, entretient un véreux journaliste officieux qui tente à paralléliser Crispi. Des bilieux blafards congratulent, le claque sous le bras, le brillant dragon, à la barbe étalée, blonde comme d’un Eisenfahrt. Les simiesques snobismes s’inclinent devant les hautes possessions. Les notaires malaxent les mains des magistrats d’une façon plus moite, plus moelleuse, plus affirmative, plus adhérente que jamais ; des humbles fonctionnaires un peu verdis, un peu jaunissants de cet éblouissement de gloire des truculents militaires, félicitent patelins. Et voici bientôt l’essaim brillant des dames : « La conjoncture est triste ; que dira la bonne reine ? Quelle douloureuse surprise au château de Thieve ! Que sait-elle ? A-t-elle déjà reçu les nouvelles consolatrices ? Elle sera bien affligée, elle, la patronne des pauvres ; pourtant que fière du prince Otto ! »

Mais le roi était si parfaitement triste, répondait si mollement que bientôt il s’opéra comme un mouvement dans le grand salon aux portraits d’ancêtres, et que Christian se trouva un moment seul avec Sparkling, affligé, et deux ou trois amis, chambellans et chasseurs, confidents des grandes promenades d’été, tristes de sa douleur, cependant que tout le beau monde, pleurant, faisait un immense cercle autour du jeune prince héritier, dont le général ne cessait de conter à tous la merveilleuse conduite. La journée semblait avoir détrôné Christian, et les arrhes d’un règne de force h venir étaient payées.

À ce moment, près du recoin de cheminée monumentale où se recueillent ceux qui sont déjà du passé, l’adjudant de Sparkling se dresse, rigide, saluant militairement, mais si troublé qu’on perçoit quelque chose de grave. Sparkling s’avance vers lui, et apparaît immédiatement si effrayé, que le roi et ses amis s’approchent. Qu’y a-t-il ? « C’est que les appartements particuliers du roi et de la reine ont été forcés », et l’adjudant, après avoir posté un homme de garde, n’osant lui-même évaluer le désastre trop apparent, vient en référer au maréchal. Et le roi voulut accompagner Sparkling. Une brève investigation leur montra des coffres-forts ouverts, des secrétaires éventrés à coups de maillet, des cassettes vides jetées sur les tapis. Le vol était considérable, car l’admirable collection de pierreries de la reine, les diamants dont le roi s’était réservé un choix célèbre, manquaient, et des marteaux acharnés avaient brisé de précieux cadres de miniatures. Et comme Sparkling, devant la tristesse croissante, affolée du roi, esquisse des consolations, car les voleurs devaient être retrouvés, Christian lui dit : « Cher, ceci est peut-être le dernier coup ; nous nous sommes trompés tous ces jours-ci et bien des jours auparavant ; nous avons tiré aujourd’hui pour rien, pour moins que rien, car celui qui, ici, est venu dérober, n’est sans doute en aucune façon l’allié de ceux que nous avons dû vaincre en cette inutile boucherie. Vois, Sparkling, tout ce palais et les bâtisses adjacentes, on les garda trop fortement pour que nul des émeutiers y pût pénétrer ; et je crois bien, quoi qu’en disent tes collègues, les ministres, que l’appât du lucre n’est pas ce qui groupait ces pauvres autour du drapeau rouge et du drapeau noir. Il y a quelque chose de pourri dans le Hummertanz, Sparkling, sous l’étole et sous l’uniforme, et sous toutes les décorations. Qui accuser ? Mais sans doute un homme de notre confiance. Qui a pris le bien d’autrui ? mais sans doute quelque pieux recommandé de nos évêques, à qui les aîtres des corridors nombreux sont familiers, quelque glissant commis de nos chefs de banque, peut-être un d’entre eux, car n’oublie pas, mon ami, qu’ils m’accablent des responsabilités du Krach ; peut-être a-t-il voulu récupérer ses pertes sur le principal coupable ?

— C’était exactement, Sire, ce que voulaient faire contre eux nos malheureux de ce matin ; ils appellent cela, je crois, la reprise individuelle ; sans admettre le moins du monde la vérité de cette opinion, je constate que cette façon de penser a les honneurs de la généralité. Sire, notre monarchie me semble s’en aller, puisque les grands seigneurs se sont laissé souder les banquiers… à la semelle ; mais ne vous plaît-il pas, puisque l’adjudant a, dès qu’il eut connaissance de ce rapt, fait consigner les portes du palais, que nous cherchions nous-mêmes si nous ne trouvons rien, aucun indice ? »

Soit, mon cher Sparkling, et qu’on n’en parle pas encore, j’aurais peur, dans une condoléance hypocrite, d’apercevoir aux yeux d’un de mes fidèles une pointe déjà de remords… Ah ! quel ennui, Sparkling, j’avais un fils, un fils que j’aimais, tu le sais ; la vaillance et l’habileté paraissaient sur son front bouillant, il eût été… Mais ceux-là, faute d’emploi digne d’eux, dépensent leurs forces en sottises meurtrières ; j’en ai un autre, toute ma consolation fut, en le voyant croître, fatiguer des poneys, jouer aux soldats et apprendre toute sa vie des leçons, qu’il n’était pas l’aîné, qu’il ne régnerait pas ; et maintenant, pour une écharde de bois qu’il a reçue à la main, il n’est pas moins fier que le grand Tamerlan ; moi, je ne risquais que d’appauvrir le Hummertanz. Lui, qu’en fera-t-il, où vieillira ma femme, la reine, quand elle sera dépossédée ? Encore une victime pour le Musée des souverains périmés qui se groupe à Londres, périodique et revivacé. »

Un des chambellans les rejoignait, et aux derniers mots tentait de divertir le roi. Et Christian : « On voit toujours clair trop tard, les meilleurs voient clair la minute d’après celle qui exigeait la brève décision, et alors qu’importe la différence entre l’intelligent et le sot, puisque tout est irréparable. Allons, voyons les ailes habitées par les domestiques, nous saurons peut-être quelque chose par là. »

Des corridors, des passerelles, des escaliers, des rotondes vitrées avec des divans de cuir, puis de nouveau des séries de chambres sur des corridors, toutes fermées, le silence accablant d’un lieu déserté. Ils furent à une sorte de baie donnant sur la ville. Une singulière paresse de l’Édilité avait laissé subsister là, tout à fait en face de ces annexes du palais, des maisons mal fréquentées, hôtels à tout faire. Qui s’y était réfugié ? peut-être crut-on que quelques domestiques du palais venaient ironiquement, derrière ce vitrage, contempler les ruines ; qui commit l’acte, on n’en sut rien, jamais, on n’en sait rien encore. Mais l’affreuse détonation d’une bombe éclatait dans la pièce où se tenait Christian ; deux des chambellans gisaient à terre, Sparkling était sauf ; à la détonation, des portes s’ouvrirent, la petite rotonde fut en un instant pleine. Christian, accoté contre un mur, brossait méticuleusement d’une main, un pan de sa tunique, les reflets d’un incendie mal éteint rosirent les vitres, il tenta de sourire. Sparkling, qui s’était précipité vers lui, vit que le roi ne reconnaissait plus rien ; il l’enleva dans ses bras, et bientôt Christian, étendu sur son lit murmurait une romance enfantine, d’une voix cassée, faisait signe qu’on se tut, semblait écouter un fracas lointain, puis recommençait à ronronner, cependant que Sparkling tordait ses moustaches, convulsif.

V

La détermination du prince Otto, dès l’instant prince régent (sauf à légitimer le lendemain par actes parlementaires), fut que le roi Christian fût transporté au château de Thieve. On espérait que peut-être la vue de la reine… ou peut-être n’espérait-on rien, que de procéder plus tranquillement aux nouvelles affaires. De plus, le pays, là-bas, s’agitait ; la présence du roi, devenu si touchant, serait peut-être, pour ces gens des landes lointaines, un apaisement ; peut-être la folie douce du roi Christian lui donnerait-il, auprès de ces simples, l’aspect légendaire d’un saint douloureux frappé un jour, pour les péchés de son peuple, par la main de la Providence, et un train spécial enleva de Krebsbourg le roi, Sparkling, désormais son garde à vie, destiné à se mirer jusqu’à la fin dans cette terrible obsidienne d’existence, plus une escorte. À la vérité, cet exil de la nouvelle cour et ce soin nouveau, sa tâche ingrate et désolée, le maréchal n’y répugnait point. Il trouverait dans le morne dialogue avec le vieil enfant, dans une existence d’hospitalier pleine d’alertes, le châtiment sérieux qui lui semblait la fin juste et grave d’une vie de spirituel étourdi, et il comptait écouter son âme dans le silence. Le roi, accablé, dormait, pendant que le train royal brûlait les stations en agitant comme des foudres leur vitrage, grimpant les buttes, dévalant aux ravins ; les botes des pacages filaient, les hautes cheminées des usines racontaient les incidents derniers, privées de leur gloire de fumée, près des bâtiments dévitrés ; à un coin du paysage, Sparkling crut voir une danse autour d’un grand feu ; seraient-ce des paysans auprès d’un incendie ? Enfin, le train se jeta dans les lourdes bruyères du pays de Thieve.

VI

À la gare de Thieve, des landaus attendaient ; un peloton de cavalerie, sabre au clair, écartait une foule hargneuse et menaçante. Quand partirent les voyageurs, une huée éclata. Sparkling indiqua sa volonté que l’on ne tirât pas sur ce populaire. Les voitures traversèrent le village en train de foudre ; aux fenêtres, des poings de femmes étaient tendus, et de grasses objurgations pleuvaient. Il fallut, au tournant d’une rue, faire déblayer un simulacre de barricade : partout grondait une foule, non semblable à celle à la ville déjà vaincue, mais de paysans hâves, haillonneux, dépéris, des ventres creux, des besaciers ; la foule de la gare, grâce à cet arrêt, commençait à rejoindre l’arrière-garde de l’escorte, et les pierres et les injures recommençaient d’alterner. Le cortège put enfin s’élancer et se précipiter dans la très longue avenue qui menait à la grille d’honneur du château. Des coups de feu résonnaient, d’abord brefs, isolés, puis toute une fusillade déchira le vent. On éperonna. Le château était attaqué.

La brusque arrivée des cavaliers et des voitures produisit du désordre parmi les assaillants, déjà maîtres des abords ; ce ne fut qu’à coups de sabre qu’ils pénétrèrent dans la cour d’honneur qui, derrière eux, se remplit aussitôt de la horde de l’émeute, des Jacques exaspérés brandissant des fourches, des faux et des fusils, hurlant à la mort et au pillage. Les défenseurs du château, qui tiraient des fenêtres du premier étage, avaient arrêté leur mousquetade de peur de blesser leurs amis, et la reine, qui virilement les dirigeait, attendait. Le roi et Sparkling, qui le maintenait entre ses bras, car Christian, furieux, hurlait et voulait se jeter parmi les rebelles, étaient en face le grand perron, presque sauvés.

Lors, une fenêtre s’ouvrit et apparut debout, inaperçue dans cette atmosphère de fièvre une inoubliable face blême encadrée d’une épaisse et inculte tignasse grise ; c’était la reine folle, la parente de Christian, la malheureuse démente, qu’on soignait en ce château, et qui regardait, hagarde, sans comprendre, le funèbre spectacle de Christian, fou, venant sous les mêmes voûtes qu’elle-même traîner l’inguérissable existence. Elle avait pu s’échapper à la faveur du désordre ; où avait-elle trouvé le fusil qu’elle tenait à la main ! C’était bien le même spectacle qu’elle revoyait, ce spectacle rouge qui hantait sa fièvre et son cerveau de décombres. Le drame se redressait à ses yeux : l’homme tenu par les bras, devant le balcon de son palais cerné par la foule, et les coups de fusil, cette sonorité qu’elle savait inoubliablement. Elle épaula, fit feu, et Christian, foudroyé, frappé au front, se cassa comme un sac vide entre les bras de Sparkling. Et parmi la surhumaine terreur, les combattants, les hommes du roi, prostrés et les glébeux effarés virent la folle, comme pour danser quelque sauvage pyrrhique de victoire, enjamber, en un cri inarticulé, le balcon et venir, à travers le vide, à côté du corps de Christian, s’écraser et le maculer de son sang.

À cette minute d’horrible tragique, les deux partis hésitaient, et les cris d’attaque ne recommençaient que partiellement, sauf hors du château, où des gendarmes cernés se défendaient, lorsqu’un grand cri de sauve-qui-peut, ponctué par des sonneries de trompettes, s’éleva, et les Jacques s’enfuyaient de partout, succombant à tous les fossés, cloués d’un coup de lance à tous les arbres, sous la subite attaque d’une cavalerie. Les sauveurs du château de Thieve étaient des cavaliers drapés de longs manteaux et coiffés de schapskas. Leurs pelotons couvraient la plaine, forçant les fuyards ; presque aussitôt une musique de tambours, de clairons et de fifres annonçait l’arrivée des files d’infanterie, en ordre de bataille, qui venaient se ranger, devant le château. Et quelques instants après, le chef des avant-gardes de Siegfried Gottlob venait s’incliner devant la veuve de Christian et lui annoncer la visite dès le lendemain de l’Empereur, avec les forces qui devaient, sous son égide, rétablir, hors toute conteste et toute attaque, la dynastie de Silberglass, si cruellement éprouvée.

Et la veuve se lamentait, et Sparkling et la duchesse pleuraient agenouillés, et leurs compagnons d’escorte regardaient, en proie a la désolation, les cadavres des deux royales victimes, étendus sur les divans de deuil, tandis qu’on entendait sur la route défiler interminablement l’infanterie de Niederwaldstein, et le silence n’était rompu que par les commandements militaires, car les troupes étrangères, en défilant devant le château de deuil, lui portaient les armes.