Le Roi des étudiants/Épilogue

Décarie, Hébert et Cie. (p. 260-262).

ÉPILOGUE


Trois mois plus tard, par une belle matinée de septembre, les cloches de la cathédrale de Québec, sonnaient à toutes volées et l’immense nef de la vieille église s’emplissait d’une foule d’élite.

On célébrait, ce jour-là, deux mariages fashionables, et les curieux qui stationnaient sous les portiques échangeaient maintes observations sur les circonstances dramatiques qui avaient amené ces mariages.

On se disait bas à l’oreille qu’une des deux fiancées, la richissime fille de Mme Privat, avait été sur le point, quelque temps auparavant, d’épouser un audacieux bandit qui lui avait complètement tourné la tête… La noce était ordonnée et l’on se disposait à aller prononcer le oui solennel en face du prêtre, quand apparut soudain un inconnu qui révéla sur le compte du futur époux des choses si épouvantables, que ce dernier en tomba mort de confusion…

Et l’on ajoutait d’un air mystérieux que l’autre mariée avait aussi dans son passé certain épisode terrible que l’on ne connaissait pas bien, mais où, à coup sûr, il y avait eu mort d’homme… Bref, on caquetait méchamment, comme les badauds savent le faire, quand il s’en donnent la peine.

Heureusement, l’arrivée du cortège nuptial changea le cours de ces charitables conversations et mit fin aux bienveillantes remarques qui les émaillaient.

Les lourds carrosses défilèrent un à un le long des grilles, qui bordent le terre-plein, en face de la cathédrale, déposant sur le trottoir de pierre blanche leur joyeuse cargaison de femmes éblouissantes et d’hommes en costumes de gala.

Toute cette brillante compagnie s’engouffra sous les arceaux des portes grandes ouvertes et s’éparpilla, dans les bancs de chêne, alignés deux par deux sur le pavé de la vaste nef.

Seuls, les mariés, escortés de leurs garçons et filles d’honneur, s’avancèrent jusqu’à la balustrade du chœur et prirent place sur des fauteuils luxueux, installés à leur intention.

Puis l’orgue fit entendre ses graves harmonies, le prêtre ses avertissements non moins graves… et, au sortir de l’église, Laure Privat était devenue madame Champfort, et Louise Gaboury la… "Reine" des Étudiants !

Au moment où le cortège s’ébranlait pour retourner à la Canardière, Lafleur et Cardon, qui étaient de la fête et faisaient bonne contenance dans leurs habits à queue, échangèrent les réflexions philosophiques suivantes :

« Ce que c’est que de nous, mon pauvre Lafleur et comme, dans ce monde borné, les petites causes peuvent amener de grands effets !

— Comment l’entends-tu, illustre Cardon ?

— Tu vas voir : suis bien mon raisonnement.

— Je ne te quitte pas d’une semelle.

— N’est-il pas vrai que si nous n’avions pas été ivrognes comme doivent l’être d’honnêtes étudiants, nous n’aurions pas fait la connaissance de la mère Friponne ?

— C’est indubitable. Ensuite ?

— N’est-il pas également vrai, que, sans cette connaissance de la mère Friponne, nous ne serions pas allés chez elle le soir où Després y fut jeté à fond de cave ?

— Je te concède cela. Poursuis.

— N’est-il pas mêmement à présumer que, nous absents, Gustave n’aurait pu échapper et, par conséquent, arriver à temps pour empêcher Lapierre d’épouser Mlle Privat ?

— C’est plus que probable. Quelle est ta conclusion ?

— Ma conclusion, ami Lafleur, c’est qu’à quelque chose whisky est bon ! »

Et le facétieux étudiant, qui s’était donné tout le mal du monde pour en arriver à cette atroce parodie d’un aphorisme célèbre, se prit à réfléchir profondément.

Lafleur fit de même, tout en mâchonnant d’une voix distraite son "grand-père Noé".

La noce filait toujours, soulevant sur son passage l’aveuglante poussière des rues de Québec.


FIN