Le Roi Oscar et les Royaumes-Unis sous son règne/02

LE ROI OSCAR
ET
LES ROYAUMES-UNIS SOUS SON REGNE

II.
LES RAPPORTS EXTERIEURS. - LE SCANDINAVISME.

I

La péninsule Scandinave a deux puissans voisins avec lesquels elle doit compter. Par la Norvège, elle est à trente-six heures de l’Angleterre, et par la Suède elle touche à la Russie. Elle ne peut se soustraire à l’influence de ces deux grands états, mais il lui importe et il importe à l’Europe en général, à la France en particulier, que ni l’une ni l’autre n’y obtienne un trop grand ascendant. Tels sont les intérêts extérieurs de la Suède dont le roi Oscar a dû se préoccuper.

L’influence anglaise a dans le Nord d’énergiques pionniers, d’autant plus actifs peut-être qu’ils le sont à leur insu, allant en avant au nom du plaisir ou du négoce, non pas en diplomates ni en soldats. Chaque année, la Mer du Nord et la Baltique sont parcourues en tous sens par de riches Anglais que des yachts de plaisance amènent à travers les archipels de la Suède ou dans les fiords de la Norvège. De là, les uns, comme lord Dufferin, pénètrent hardiment dans les régions polaires, par pure distraction, pour satisfaire leur humeur aventureuse, et affrontent des mers que la Reine-Hortense elle-même a cru devoir éviter : les autres mettent pied à terre dans la péninsule et y rencontrent un sport où ils n’ont pas de rivaux. Le jeune attaché du foreign-office, le gradué d’Oxford ou de Cambridge, le lord ou le gentilhomme, comptent pour leurs meilleures vacances celles qu’ils peuvent consacrer en Norvège à chasser l’ours ou à pêcher le saumon. On les rencontre dans les environs de Throndhiem, d’Hammerfest et de Tromsoe, et aux approches du Cap-Nord, aussi nombreux que dans les Pyrénées, en Suisse, à Rome ou au Vésuve, mais plus libres, plus amusans et plus barbus ; ils ont abdiqué la raideur britannique, ils ne sont plus en vue et se sentent comme chez eux. Ils achètent pour 2 ou 3,000 francs par mois de l’hospitalité norvégienne ou laponne, qui sur ce point n’a plus rien de primitif, le seul droit de pêcher à la ligne sous les piqûres des moustiques dans le Namsendal, le Tana-elv ou l’Alten, ou bien ils attendent que la chasse au poil soit permise, vers la fin d’août, et ils passent des mois d’automne au milieu de profondes solitudes. Aux passages les plus périlleux, ils ont fait établir des hôtelleries et des guides ; ils ont sondé ces glaciers et mesuré ces terribles chutes ; ils sont descendus, portés dans une barque de caoutchouc, au fond de ces abîmes, et ils y ont écrit fièrement leurs noms sur le roc noir. Puis ils reviennent en Angleterre, familiarisés non-seulement avec les durs exercices et le danger, mais aussi avec une nature particulière, avec un peuple et un pays voisins, dont ils connaissent désormais les ressources, le climat et les mœurs, dont ils ont soulagé la misère et dissipé l’ignorance. À la suite des touristes viennent les industriels et les négocians. Un bon nombre des principales maisons de Suède et de Norvège ont été fondées ou agrandies par des Anglais. Tout le monde connaît encore aujourd’hui à Stockholm la maison Wickers et Ce de Sheffield et d’Amérique. Vous verrez au sud-est de Christiania une ville entière fondée par un Anglais. Tout près de Frédérikstad, sur la rive droite du fiord, un baronet ennuyé de la vie a acheté, il y a dix ans, du gouvernement norvégien la chute de Sarp, une des cinq grandes chutes du pays, une rivale du Voring et du Rïukan ; on lui a cédé un peu du terrain environnant, à la condition qu’il rebâtirait là une ancienne ville ruinée jadis par les Suédois. Il en a tiré un million de rente. Là s’est établi le premier rail-way norvégien ; là se voient aujourd’hui d’une part des roues, des moulins, des viaducs, d’immenses scieries, un nombre énorme d’ouvriers, une ville tout entière, de l’autre des prairies, des fermes, toute une grande exploitation agricole, avec trois cents laboureurs, tout cela fondé en dix années. La ville est encore dans l’enfance ; la grand’place entoure une très belle église ; elle a d’un côté des boutiques où sont exposés les produits anglais et l’article de Paris ; de l’autre, comme aux États-Unis, les pins de la forêt. Dans la Norvège septentrionale, dans le Finnmark, nul n’était plus influent ni plus connu naguère encore qu’un Anglais, M. Thomas, inspecteur des mines de cuivre de Kaafiord, qui avait pendant vingt années travaillé sans relâche à civiliser ce triste et intéressant pays. Dans ce même Finnmark enfin, les Anglais n’ont pas laissé que de remarquer de très bonne heure toute l’importance de ces golfes profonds que les courans et le gulfstream préservent des glaces, et il y a plus de trente ans déjà qu’ils ont essayé pour la première fois d’y établir une factorerie. De ce moment date leur rivalité commerciale dans ces régions lointaines avec d’autres voisins de la Suède. Les mêmes avantages avaient attiré vers les mêmes lieux la convoitise de la Russie.

Les fréquens rapports avec la Russie sont aussi inévitables pour la péninsule Scandinave qu’avec l’Angleterre, mais ils sont d’une autre nature. Tandis que l’Anglo-Saxon reconnaît aisément dans le Scandinave un frère, le Russe a trop mêlé ses origines slaves au sang qu’il tient de Rurik pour ne point apparaître à la Scandinavie comme un étranger. D’étranger, il n’est devenu que trop facilement ennemi, grâce à l’ambition de ses souverains, au souvenir des fautes par lesquelles la Suède moderne a suscité elle-même leur grandeur, aux ressentimens qu’ont laissés après elles les violences et les usurpations de la politique moscovite, à l’abîme enfin qu’a creusé entre deux peuples si voisins une entière diversité de vues, d’instincts, de mœurs, d’institutions et d’esprit national, tandis que l’Angleterre, si elle faisait quelquefois blâmer ou même maudire parmi les peuples Scandinaves sa politique, savait ravir par certains côtés leur admiration et faire estimer toujours très haut le prix de son alliance, sinon par la sympathie, au moins par l’espérance du profit commun. Il est bien vrai que les Russes ont, eux aussi, d’importantes relations commerciales avec la péninsule. C’est par centaines que les embarcations venues de la Mer-Blanche et d’Arkhangel encombrent les ports norvégiens pour y acheter le hareng. De puissantes maisons russes font en Suède concurrence aux maisons anglaises pour la banque et l’industrie. Le bois et le fer suédois trouvent sur la côte orientale de la Baltique d’excellens débouchés, et le gouvernement russe n’est pas le moins précieux client de la fonderie de canons de M. le baron Vahrendorf[1] ; mais ces rapports, souvent interrompus par des guerres ouvertes, ont été rarement exempts, ici de pensées d’envahissement politique, là de défiances traditionnelles et profondes, et ils ne porteront tous leurs fruits que lorsque la Russie, par des réformes intérieures et une longue modération au dehors, aura réconcilié avec elle les peuples de la péninsule et ceux du continent, qui sont devenus plus que jamais solidaires.

On sait de quel poids, devenu insupportable, l’amitié russe pesait sur la nation et sur la cour de Suède pendant les dernières années du règne de Charles-Jean. Des articles secrets avaient été ajoutés en 1812 au traité d’Abo. L’opinion publique le savait, et, sans les connaître exactement, elle en exagérait l’étendue. On parlait mystérieusement de l’intervention possible d’un corps d’armée russe dans les querelles intérieures de la Suède ; on affirmait qu’une pareille intervention avait été offerte par le cabinet de Pétersbourg en 1838, quand des émeutes avaient agité la capitale : si le trouble avait duré, on aurait vu les soldats russes rétablir l’ordre dans les rues de Stockholm. La cour ne démentait pas ces bruits, qui étaient vrais en partie ; Charles-Jean était opprimé sous d’anciens engagemens. Au milieu de cette inquiétude générale des esprits, le moindre incident suffisait à faire éclater la passion populaire et à réveiller des haines héréditaires : le Russe n’était plus que le ravisseur de la Finlande et l’ennemi commun de toute liberté. Le mécontentement public se contenait à peine, quand en 1831 un agent du gouvernement provisoire de Pologne, le comte Zalucki, venait implorer inutilement le cabinet de Stockholm, signataire des traités de 1815 ; quand la même année le tsar devenait parrain d’un prince de Suède, lorsqu’en 1834 le comte Gustave de Löwenhielm, ministre de Suède à Paris, recevait mission d’aller à Pétersbourg représenter Charles-Jean pour l’inauguration de la statue d’Alexandre, au pied d’un monument dont la première pierre avait été rapportée de Pultava et dont les bronzes avaient été fondus avec les canons suédois de Sveaborg ou de Rathan, pris pendant la campagne de Finlande ; enfin quand le prince Menchikof venait avec fracas, après maints cadeaux russes distribués à la cour de Stockholm, remercier le roi d’une telle démonstration, qui répugnait au peuple. De sourdes accusations, peut-être d’aveugles calomnies flétrissaient en Suède quiconque était suspect de bon vouloir ou de relations amicales avec la Russie. On prétendait que la légation russe avait mission de ruiner le pays en achetant les consciences. L’aristocratie suédoise, disait-on, était devenue un vaste dépôt de mendicité, et la corruption était habituelle et régulière… Peu s’en fallait que les agens russes ne fussent insultés publiquement dans Stockholm. Un jour un brick venu de Saint-Pétersbourg amène une trentaine de soldats portant divers uniformes russes. Commandés par les deux fils du général Suchtelen, ces soldats traversent la ville et sont passés en revue par Bernadotte chamarré de décorations russes. Le peuple de Stockholm, fort surpris, se demande si c’est d’une prise de possession ou d’une occupation moscovite qu’il s’agit ; il apprend que cette visite est le résultat d’une gracieuseté d’Alexandre, à qui l’administration suédoise a demandé des modèles d’équipement militaire, et il en exprime tout haut son mécontentement. Le 22 août 1833, le navire russe l’Hercule, en passant devant la citadelle de Waxholm, qui précède et protège la capitale de la Suède, néglige de répondre à la sommation d’envoyer, selon l’usage, ses papiers à terre. Peu de temps auparavant, un cutter anglais, appartenant à lord Exmouth, avait passé outre en bravant la forteresse, et l’on venait de donner des ordres très sévères. Deux boulets lancés contre le vaisseau russe le forcent à se soumettre. La nouvelle en arrive bientôt à Stockholm ; l’idée qu’on a pu, sous un prétexte quelconque, tirer avec des canons suédois contre des Russes excite la joie populaire, que les journaux entretiennent et exaltent, et que la prudence du gouvernement empêche seule de se porter à quelque excès. Tel était, pendant toute la seconde moitié du règne de Charles-Jean, l’état des esprits, plein d’amers souvenirs, plein d’agitation et de passion dans le présent, et de périls pour l’avenir.

Oscar, prince royal, témoin longtemps inquiet et ému de ces haines populaires, avait compris à l’avance toutes les difficultés qu’elles menaçaient de créer à son règne, et s’efforçait, sans préparer de rupture avec un voisin redoutable, de se rapprocher du peuple qu’il était appelé à gouverner un jour. Loin de rechercher les témoignages d’amitié du tsar, il n’était qu’à demi flatté, soit des vases précieux qu’on lui envoyait de Saint-Pétersbourg en 1831, soit de l’ordre de Sainte-Catherine, que recevait, en avril 1832, la princesse royale, soit des tabatières ornées de diamans, des rubans et des plaques qu’on distribuait à son entourage. Un des épisodes de cette triste histoire qui lui furent le plus pénibles, nous le savons, et nous ne le rappelons ici que parce qu’il caractérise l’habileté de la politique russe à envelopper par des alliances de famille des états secondaires et voisins, fut, en 1838, le mariage du duc de Leuchtenberg, frère de la princesse royale de Suède et fils du prince Eugène Beauharnais, avec la grande-duchesse Olga, princesse impériale de Russie. Pendant les dernières années du règne de son père, Oscar, malgré toute sa louable prudence, ne laissa pas que de se mettre quelquefois à l’unisson avec le sentiment populaire. Il pressait activement les travaux de fortifications des côtes orientales de la Suède, et permettait à ses jeunes fils de prendre part aux démonstrations Scandinaves, où ne manquait jamais le refrain du chant de Tegner à la gloire de Charles XII : « Hors d’ici, Moscovites ! En avant, mes garçons bleus ! »

La Russie de son côté, pendant tout le règne de l’empereur Nicolas, ne ménagea pas plus les susceptibilités ombrageuses des peuples du Nord qu’elle ne prit souci des dispositions du continent. Elle comptait sur les agitations de l’Europe et poursuivait en aveugle le cours de ses envahissemens. Les plus dangereux étaient peut-être les plus cachés, c’est-à-dire ceux qu’elle tentait d’achever à l’extrémité septentrionale de la péninsule Scandinave, dans le Finnmark et la Laponie norvégienne. Rien de plus curieux que cet épisode peu connu, sinon des diplomates et des hommes d’état, qui a eu pour théâtre la contrée la plus reculée, la plus triste et la plus désolée peut-être de tout le continent européen ; rien de plus propre à démontrer cette solidarité des peuples en vertu de laquelle la cause commune de leur indépendance menacée a réuni les intérêts des pauvres pêcheurs de quelques baies du Nord et ceux des plus puissantes nations de la terre ; rien qui accuse mieux et les blâmables excès de la politique que le cabinet de Saint-Pétersbourg a trop longtemps pratiquée, et le perpétuel danger du voisinage russe pour les peuples Scandinaves, et la nécessité d’une alliance qui autorise les cabinets de l’Occident à surveiller et à sauvegarder au besoin les intérêts de ces peuples.

Ce n’est pas que nous blâmions l’énergie d’un grand empire dont l’action, dépassant ses frontières, va trouver des peuples de race ou de culture inférieure, et s’efforce, par le commerce, par les institutions civiles ou la prédication religieuse, de les élever jusqu’à lui. Une telle action est toujours héroïque et par là bienfaisante ; mais nous redoutons l’intempérance usurpatrice et violente d’un grand peuple à qui la Providence a réservé une admirable mission, et qui, mal dirigé par d’ambitieux souverains, s’en détourne pour poursuivre à travers mille hostilités et mille répugnances même un but tout contraire. Au lieu d’être l’ennemie acharnée de l’Europe, la Russie doit être son invincible alliée dans l’œuvre commune de la réédification de l’Orient. N’est-elle pas, suivant les plans d’une sagesse supérieure, l’anneau précieux qui doit unir la vieille Europe et l’Asie ? Les mœurs patriarcales de ses tribus devenues chrétiennes ne les destinent-elles pas à attirer elles-mêmes peu à peu les tribus asiatiques, dont elles sont presque sœurs, vers le christianisme et la civilisation, plutôt qu’à venir parmi nous ajouter à nos discordes et à nos guerres la terreur d’un épouvantable fléau ? Par plus d’un signe non équivoque, le rôle qu’elle doit remplir a été marqué à la Russie. Ce n’est pas pour rien que sa domination s’étend sur tous ces peuples qui occupent l’immense Sibérie, et que par ce côté elle devient limitrophe de la Chine. Qu’elle étende vers ces dernières frontières de l’Orient les longues files de ses caravanes ; une civilisation meilleure marchera infailliblement avec elle, et l’Angleterre et la France seront là, si elle est fidèle à ce beau rôle, ses constantes alliées ; mais quand elle cherche à troubler, au profit de sa seule ambition, l’ordre établi dans le continent européen, elle se nuit à elle-même, et devient à juste titre l’ennemie commune aux yeux des peuples civilisés.

Les habitans du Finnmark sont pauvres, il est vrai, et l’on peut être tenté de se demander s’il ne leur vaudrait pas mieux d’appartenir à la puissante Russie qu’au gouvernement de Suède et de Norvège, qui les protège mal ; mais par bonheur d’autres sentimens que celui des intérêts matériels viennent concourir à fixer les affections des hommes. Le pauvre pêcheur d’Hammerfest ou de Tromsoe sait bien qu’il y a autre part un plus chaud soleil, un climat plus doux et des terres plus fertiles ; il leur préfère cependant le sol natal, et les régions extrêmes de la Scandinavie ne sont pas celles qui fournissent à l’émigration le plus nombreux contingent. De même il sait fort bien que l’idée de patrie est complexe, et que la communauté des institutions sous un souverain qui lui doit protection en échange de sa fidélité la constitue au moins autant que la communauté du sol. Il distingue fort bien d’ailleurs le despotisme russe, antipathique à sa race, du gouvernement libre et constitutionnel auquel il tient à cœur de rester soumis[2].

Le voisinage de la Russie eût été béni du Finnmark, si elle s’était bornée à un simple échange de relations profitables aux deux pays. Le commerce du Finnmark était jadis affermé à une compagnie de négocians de Bergen. Les prières de toute la population firent abolir ce monopole en 1787 ; le commerce redevint libre, et presque aussitôt les Russes s’en emparèrent. C’était inévitable : à partir de Throndhiem, la culture de l’orge commence à diminuer d’une manière sensible. À cinquante lieues plus au nord, elle cesse complètement. La population dispersée le long des golfes et sur les côtes de l’Océan-Glacial n’a guère plus d’autres ressources que la chasse et surtout la pêche ; mais encore faut-il qu’elle en puisse échanger le butin contre les denrées de première nécessité. Le midi de la Norvège ne produit pas assez de blé pour en fournir à ses provinces septentrionales. Le Danemark et la Suède trouvent plus d’avantage à exporter le leur qu’à l’échanger contre du poisson. Restent donc les provinces septentrionales de la Russie, qui ont besoin de poissons et de fourrures, et qui apportent en échange les farines dont le Finnmark ne peut se passer. Chaque année, de juin à septembre, il arrive en Norvège deux cent cinquante bâtimens russes au moins qui stationnent à Hammerfest et Tromsoe, puis s’en vont dans les innombrables îles voisines de la côte, où ils échangent leurs sacs de farine contre le poisson, l’huile, les peaux de rennes, de loutres, d’ours et de renards. Quant aux objets de fabrication, les Russes de la Mer-Blanche les tiraient autrefois du Finnmark norvégien, où on les apportait d’Allemagne ; mais ils se sont mis à fabriquer eux-mêmes, et au lieu d’acheter, ils vendent désormais. Des deux peuples, les Russes, il faut bien le reconnaître, déploient dans ces rapports le plus de persévérance et de hardiesse. Ils arrivent d’Arkhangel en tournant le Cap-Nord sur de mauvais navires, cousus avec des cordes d’écorce, que l’on croirait incapables de résister au moindre orage. Ils savent en outre profiter habilement et des tarifs de douane qui n’atteignent pas les denrées de première nécessité, et du privilège de traiter directement avec les pêcheurs, sans l’entremise des marchands, pendant une certaine période de l’année au moins. Ils sont plus riches, plus actifs et plus intelligens que les Lapons et les Norvégiens du Finnmark : raison de plus pour les accuser davantage, s’ils ont voulu changer en tyrannie ce qui devait rester une loyale et féconde réciprocité d’échanges. C’est ce qu’ils n’ont pas manqué de faire. Il faut les voir dans le port d’Hammerfest conclure leurs marchés, et l’on reconnaît bientôt lequel des deux contractans commande et lequel forcément obéit. Le pêcheur leur livre son meilleur poisson qu’ils examinent de près, trient avec soin et rejettent pour la moindre cause. Le choix fait, ils remettent leur farine ; elle est renfermée dans des sacs d’écorce de bouleau qu’on place dans la balance sans les ouvrir et qui renferment quelquefois, en forme d’appoint, d’étranges ingrédiens… Ils agissent durement et déloyalement, on les déteste et on les méprise ; mais ils arrivent comme la moisson de l’année, et il faut bien les accepter. Le gouvernement russe a paru quelquefois autrement inspiré : il a voulu essayer de l’effet des caresses sur la population du Finnmark, il a organisé à Arkhangel des écoles de commerce où il appelait la jeunesse norvégienne et où il s’efforçait de la séduire, il a répandu les insinuations et les promesses ; mais ses agens le servaient mal et irritaient les peuples en autorisant les exactions de leurs nationaux, en fermant aux troupeaux de rennes norvégiens les pâturages des hauteurs situés au-delà de la frontière, au risque de priver les leurs du bain de mer sur la côte norvégienne qui leur est nécessaire chaque été, en multipliant enfin les exactions et les mauvais traitemens.

Le gouvernement russe cachait mal d’ailleurs ses véritables projets. Le commerce, qui doit, en les rapprochant, réconcilier et civiliser les peuples, était entre ses mains un instrument secret d’usurpation violente et d’ambition coupable. Depuis plus d’un demi-siècle, au mépris du droit des nations, des conventions et des traités, la Russie travaillait sourdement et sans relâche, non pas seulement à répandre son influence dans le Finnmark norvégien, mais à l’occuper et à en faire une de ses provinces en dépouillant le roi de Suède. Personne n’ignore quel immense intérêt excitait de ce côté sa convoitise : tandis que ses matelots, dans la Mer-Blanche, sont emprisonnés par les glaces et cloués à terre pendant six mois de l’année, les profonds golfes de la Norvège septentrionale, soit à cause de la violence des courans, soit par l’effet des eaux du gulfstream qui les réchauffent, ne gèlent jamais ; si le gouvernement russe, s’en emparant, parvenait à y fonder des établissemens militaires, il commandait la Mer du Nord comme la Baltique et la Mer-Noire. Même pendant la mauvaise saison, il pouvait entretenir et faire mouvoir dans ces ports toujours ouverts des flottes capables d’inquiéter l’Angleterre et la France, et, par le nord et l’ouest comme par l’orient et le sud, il enserrait et maîtrisait le continent européen. Après de longues intrigues, pendant lesquelles le cabinet suédo-norvégien avait eu à souffrir de ses violences et de sa mauvaise foi, il avait cru toucher au but. En 1847, on avait vu paraître dans ces pauvres contrées un agent russe, M. le baron Ungern-Sternberg, qui, préludant avec même imprudence et même hauteur à la mission fameuse du prince Menchikof six ans plus tard à Constantinople, avait déclaré qu’il était temps d’en finir, que le Finnmark était fief de la Russie, et qu’on devait se préparer à l’occupation moscovite.

Les choses en étaient là, et l’Europe était ainsi menacée, soit par l’audacieux coup de main que la Russie tentait dans la Mer-Noire, soit par ses envahissemens silencieusement préparés dans les régions polaires, quand la guerre d’Orient éclata et réunit l’Angleterre et la France dans le commun projet de sauvegarder à la fois Constantinople, la Baltique et le Nord.

L’alliance des deux puissances occidentales contre la Russie devait assurément sourire tout d’abord à la Suède. Par la position géographique, par les traditions d’ancienne amitié, par le génie et par les mœurs, la France était son alliée naturelle. Il avait fallu des complications extraordinaires et terribles pour armer l’une contre l’autre en 1812 les deux nations. Les Suédois voulaient espérer que ces souvenirs étaient effacés, et que nul engagement datant de cette époque ne pesait plus désormais sur eux. Voir la France unie contre la Russie, qu’ils détestaient, à l’Angleterre, leur puissante et redoutable voisine, dont l’amitié, si elle devenait possible et qu’elle fût acceptée, devait être décisive, c’était rencontrer dans le jeu mouvant des circonstances politiques une conjoncture inappréciable, qui semblait autoriser, pourvu qu’on en profitât habilement, les plus magnifiques espérances.

Ainsi raisonnaient les peuples, qui se laissent volontiers conduire par leurs affections. Le roi Oscar, tenu à pi Ils de réflexion et de sangfroid, tout en accueillant de grand cœur les désirs d’affranchissement et même l’espoir anticipé des conquêtes, voyait, à côté des brillantes perspectives qui semblaient s’ouvrir devant la Scandinavie, les dangers que pouvait receler l’avenir, et le sentiment qui dominait chez le fils de Bernadotte était celui de la lourde responsabilité qu’il encourait.

Nous ne tenterons pas de refaire en entier l’histoire du traité du 21 novembre 1855 entre les puissances occidentales et la Suède que nous avons déjà esquissée ici[3]. Nos informations, devenues plus complètes encore, n’ont fait que confirmer ce que nous avons avancé une première fois : le roi Oscar a montré dans ce grave épisode de son règne une prudence à laquelle s’est ajoutée très vite une hardiesse généreuse, qui s’inspirait des sentimens les plus libéraux ; le roi Oscar a, dès la première année de la guerre, offert la coopération de la Suède en échange des subsides et des garanties nécessaires ; le roi Oscar a solennellement revendiqué l’indépendance de la Suède et sa liberté d’action ; il a replacé son pays dans les voies de sa politique traditionnelle, que le triste épisode de 1812 avait malheureusement interrompue.

La première démonstration du cabinet suédois après la déclaration de guerre fut de proclamer pour les royaumes-unis et pour le Danemark une neutralité armée : acte de prudence nécessaire, alors que les nations occidentales ne lui avaient fait encore aucune offre de secours ; mais déjà cette neutralité elle-même, avec les conditions qu’elle comportait, pouvait passer pour un acte hardi envers la Russie, et favorable à la France et à l’Angleterre. L’empereur Nicolas avait demandé que les ports de Suède et de Norvège fussent fermés aux navires des deux puissances occidentales, et il avait émis la prétention que le port de Slitö, situé dans l’île suédoise de Gottland, et qui ne gèle que rarement, restât ouvert à sa flotte comme lieu de refuge exclusivement assuré. Par dépêche du 31 janvier 1854, on expédia de Stockholm à Saint-Pétersbourg un refus formel à ce sujet. Les ports Scandinaves, sauf certaines restrictions, offrirent aux flottes alliées des moyens de relâche et de ravitaillement. Il fut décidé que les pilotes royaux ne pourraient refuser de conduire les bâtimens de guerre étrangers, et l’on songea dès février à expédier dans Gottland de dix à onze mille hommes avec quarante canons ; bien plus, le roi se rendit, deux mois après, avec le prince royal, dans cette île, et, en remettant à la milice locale de nouveaux drapeaux, il l’engagea, « si quelque ennemi voulait arracher à la mère-patrie cette belle île, perle précieuse dans la couronne de Suède, » à la défendre avec courage. On ne laissa pas que d’être inquiet à Stockholm jusqu’à ce que la déclaration de neutralité, ainsi conçue, fût entièrement acceptée par la Russie ; pendant toute la première moitié de février 1854, des bruits sinistres alarmaient les Suédois : des voyageurs assuraient que le tsar était fort irrité, qu’il faisait scier la glace dans le golfe de Finlande, qu’il voulait s’emparer de Gottland dès que la Baltique serait navigable, et l’on était déjà résolu, s’il en était ainsi, à faire décidément cause commune avec la France et l’Angleterre.

Dès le commencement de la guerre, les cabinets alliés avaient fait parvenir au roi Oscar des paroles qui l’encourageaient à soutenir avec énergie ses droits, à conserver ses positions actuelles, à reprendre même celles que la Suède avait occupées autrefois. On lui promettait vaguement d’être avec lui. Dès avril 1854 et non pas dès mars 1855, comme on l’a cru longtemps, comme on le croit peut-être encore à Stockholm, le roi laissa entendre que sa neutralité pouvait ne pas être éternelle, qu’il serait en état, s’il le fallait, de mettre sur pied une armée de cent vingt à cent trente mille hommes, dont soixante ou soixante-dix mille pourraient aller combattre au dehors ; mais il lui fallait des subsides et des garanties : il fallait que les puissances alliées cessassent de déclarer qu’elles ne prétendaient porter aucune atteinte aux possessions de la Russie, car pour lui le prix de sa coopération devait être la Finlande reconquise. Il fallait que la question d’Orient devînt question européenne, et aux yeux d’Oscar un des signes les plus certains de ce changement eût été la détermination de l’Autriche non-seulement de coopérer avec l’Angleterre et la France pour rétablir l’intégrité de l’empire ottoman, mais aussi de les suivre ultérieurement dans leur grande entreprise pour garantir la sécurité de l’Europe entière contre les envahissemens et la prépondérance de la Russie. Dès juillet, une négociation officielle était entamée, un projet de convention rédigé, et un plan de campagne presque déjà préparé à l’avance. Si l’Autriche se fût déclarée alors pour les puissances occidentales, il est infiniment probable que celles-ci n’eussent pas refusé au roi Oscar les subsides et les garanties qu’il demandait, et la guerre changeait singulièrement d’aspect ; mais on se rappelle comment l’Autriche resta sourde et immobile. L’été de 1854 s’écoula. À la rigueur, on aurait pu encore commencer les opérations en Finlande au 15 août ou au 1er septembre, dates extrêmes ; mais il aurait fallu que cinquante mille Français fussent alors prêts à débarquer, et que l’alliance suédoise eût été proclamée quelque temps auparavant, afin de permettre au roi Oscar de mobiliser son armée. D’autre part, prendre des quartiers d’hiver dans un pays aussi découvert que la Finlande était impossible ; il fallait donc renoncer pour le moment à cette invasion. Les alliés pouvaient du moins signer pendant l’automne la convention ; le roi Oscar, en présence de leur acceptation pure et simple, aurait sans doute passé outre sans attendre plus longtemps le consentement de l’Autriche ; l’escadre anglo-française aurait pris les Aland ; un corps de soixante mille hommes, appuyé désormais, en cas d’attaque, sur un pays allié, les aurait gardées facilement pendant tout l’hiver, et au 1er mai 1855 Suédois et Norvégiens seraient entrés en campagne avec les Anglais et les Français.

Telles étaient, dès la première année de la guerre, les dispositions du roi Oscar. On ne pouvait assurément les accuser ni d’être timides à l’excès ni d’être téméraires. Ce ne fut pas sa faute si les puissances occidentales ne crurent pas devoir s’avancer aussi vite et aussi loin qu’il le proposait. Lorsque, Bomarsund une fois prise, en août 1854, on lui proposa d’occuper les Aland, sans que l’alliance eût été préalablement conclue avec lui, il eut bien raison de refuser, en alléguant précisément le même motif qui empêchait les alliés de garder eux-mêmes ces îles : la difficulté de les défendre.

Il n’est pas nécessaire d’aller plus loin dans l’histoire des négociations qui amenèrent le traité de novembre 1855, d’énumérer toutes les missions particulières, toutes les interventions personnelles qui conduisirent dans le secret ces négociations. Ces détails d’une assez curieuse histoire diplomatique n’ajouteraient rien à la démonstration, qui nous importe seule ici, de la conduite parfaite du roi Oscar dans des circonstances si critiques pour son pays. Ne s’exagérant pas les forces dont il pouvait disposer, il a été prudent, et n’a pas voulu conclure une alliance offensive sans de fortes garanties. Nul ne peut l’en blâmer. Confiant dans le courage et dans le patriotisme des Suédois, il n’a pas dédaigné non plus en leur nom les grandes espérances, et c’est de quoi répondre à tous ceux qui le disaient encore enveloppé dans les liens de la politique de 1812, particulièrement aux journaux semi-officiels de la Suède même, qui, croyant lui plaire, tant ils ignoraient ses démarches, tant il se montrait, au milieu d’une négociation si importante pour les plus chers intérêts de son pays, réservé et impénétrable, publiaient à l’envi qu’il fallait toujours rester neutre, qu’il n’y avait, à marcher contre la Russie, que des coups à gagner, et que la Suède n’avait plus à tout jamais qu’à tâcher de passer inaperçue parmi ces grands débats. Nous venons de donner, relativement à la conduite du roi Oscar, quelques dates que nous avons lieu de croire tout à fait exactes ; que les Suédois les comparent aujourd’hui avec ce qui se disait et s’imprimait chez eux en 1854 et 1855 : ils apprécieront ensuite à leur juste valeur et la publication du sixième volume des Souvenirs de M. le colonel Schinckel, et les paroles du roi Oscar à M. Brinck en octobre 1855, et les discussions des états à propos des crédits demandés par le roi, et cent autres circonstances encore.

Il n’a pas tenu au roi Oscar qu’une alliance offensive ne liât désormais la Suède aux puissances occidentales au lieu du traité tout défensif qui fut signé le 21 novembre 1855, et l’on ne doit pas comparer la position de la Suède dans ces graves circonstances à celle de la Sardaigne, qui n’avait rien à perdre et qui jouait presqu’à coup sûr. Il n’a pas tenu au roi Oscar que la Suède ne méritât ou n’obtînt, lors du traité de Paris, des garanties plus solides pour l’avenir. Un écrivain suédois, M. Lallerstedt, aujourd’hui député libéral et actif dans l’ordre des bourgeois, publia à Paris même, un peu avant l’ouverture du congrès de 1856, un intelligent volume intitulé : La Scandinavie, ses craintes et ses espérances. La première partie de son titre faisait allusion à des soupçons immérités, nous l’avons vu, contre la politique du cabinet suédois. Elle se fût mieux appliquée à l’anxiété des Suédois et du roi Oscar lui-même quand ils apprirent la prochaine conclusion de la paix quelques mois seulement après la démonstration du 21 novembre 1855. Après des espérances hardies, la Suède concevait des craintes peut-être exagérées. Elle demanda contre le redoutable voisin à l’égard duquel elle s’était compromise des garanties pour l’avenir : la possession des Aland, l’engagement imposé à la Russie de n’élever sur les côtes des golfes de Finlande et de Bothnie aucune nouvelle forteresse outre celles qu’elle y possédait actuellement : Reval, Sveaborg et Cronstadt. On sait que le traité de Paris stipula seulement que la Russie ne referait dans les Aland aucun établissement militaire. Le meilleur résultat pour les royaumes unis fut encore l’engagement pris en 1855 par l’Angleterre et la France « de fournir au roi de Suède et de Norvège des forces navales et militaires suffisantes pour résister désormais aux prétentions ou aux agressions de la Russie. » Ainsi donnée solennellement, en présence de toute l’Europe et sans aucune limite de temps, une telle garantie est pour la Suède et la Norvège une sûreté précieuse dont leur politique, si elle est habile, pourra tirer profit au milieu des complications même les plus fâcheuses de l’Occident. Tout au moins cet épisode, le plus grave de tout le règne d’Oscar, aura-t-il servi à dissiper les nuages qui planaient entre le fils de Bernadotte et ses peuples. L’alliance de la nation et du gouvernement s’est resserrée ; elle est plus que jamais intime aujourd’hui. Si la Norvège paraît ne pas apporter dans ses relations avec le peuple-frère, comme on dit dans le Nord, toute la modération désirable, elle est étroitement attachée à la dynastie, que volontiers elle dit sienne et dont elle se montre presque jalouse ; l’hommage dû à la conduite que le roi Oscar a tenue pendant les circonstances critiques de 1854 et de 1855 n’a pu que fortifier cette union. de sont là de bonnes conditions pour permettre désormais au gouvernement des royaumes unis une attitude, non pas téméraire, mais indépendante et digne envers la Russie. Tout le monde y trouvera son intérêt : la Suède et la Norvège pour leur politique extérieure, qui ne sera plus en désaccord avec leurs sentimens, et pour le développement et le jeu de leurs institutions à l’intérieur ; les nations occidentales et l’Europe pour l’utilité dont leur est infailliblement une Scandinavie forte et respectée ; la Russie en particulier, la Russie elle-même, que des tentations dangereuses ne détourneront plus de sa vraie carrière : les réformes intérieures et une intervention loyale dans l’extrême Orient. Bien plus, à l’œuvre décisive et personnelle du roi Oscar la mémoire de Bernadotte elle-même aura gagné. S’il y a du vrai dans le langage de ceux qui reprochent à Bernadotte d’avoir songé principalement aux intérêts de sa dynastie, on est obligé de reconnaître qu’à ces intérêts particuliers les intérêts généraux du pays qui l’avaient adoptée étaient bien intimement unis. S’il a pris pour sauvegarder la cause qui lui était confiée un mauvais expédient et qu’il se soit trompé de route, eh bien ! son fils, en rendant à son pays l’alliance occidentale, l’alliance française, a réparé cette faute aussi complètement qu’il était en son pouvoir. Le père a fondé la dynastie à laquelle se rattachaient les destinées nouvelles de la Suède et de la Norvège ; le fils a renoué la tradition d’une politique à laquelle se rattachent les plus glorieux souvenirs et les plus chères sympathies du nord scandinave.


II

Les rapports avec l’Allemagne ne sauraient être pour le cabinet de Stockholm de la même nature que ceux avec la France et l’Angleterre ou ceux avec la Russie. N’ayant plus la Poméranie et Rügen, qui, promises au Danemark en 1814, ont été bientôt après données à la Prusse, il n’est plus forcément engage dans les guerres du continent, et tout récemment la guerre dirigée contre les états italiens de l’empire d’Autriche n’a exigé de lui aucune résolution qui engageât ses intérêts ou son honneur. La Suède n’aura plus peut-être les occasions de montrer au monde un Gustave-Adolphe, mais elle n’aura pas sans doute à souffrir des fautes d’un nouveau Charles XII. L’Allemagne, par sa position géographique, est séparée d’elle, et les deux pays peuvent n’avoir de rapports directs que ceux qui intéressent la civilisation générale, l’industrie, le commerce et la littérature. Indirectement toutefois leurs relations peuvent devenir hostiles, tant que l’Allemagne n’aura pas renoncé à ses projets d’envahissemens contre le Danemark, tant que la cour de Suède croira de son devoir et de son intérêt de ne déserter nulle part la cause du scandinavisme.

Le mouvement qui porte les différens membres de la race Scandinave à se rapprocher et à s’unir date, comme on sait, du commencement du XIXe siècle. Après les grandes guerres de l’empire, chaque peuple, sentant plus profondément que jamais le prix de son indépendance reconquise, et voulant respecter celle des autres peuples après avoir fait respecter la sienne, au lieu de songer, comme autrefois, aux imitations en littérature, aux envahissemens et aux usurpations en politique, prétendit vivre de sa vie propre, retrouver ses origines, raviver ses souvenirs, demander des inspirations à son seul génie et y conformer ses institutions morales ou politiques. Au milieu de ce mouvement vers l’indépendance qui agitait les peuples et pendant ce retour sur eux-mêmes, les nationalités se reconnurent, et celles qui avaient été morcelées ou divisées, oubliant leurs anciennes haines ou détestant la contrainte, s’efforcèrent de se réunir. Les Scandinaves ne restèrent pas en dehors de l’entraînement général. Bien qu’ils eussent été éloignés les uns des autres pendant plusieurs siècles par des antipathies et des dédains mutuels, bien qu’ils eussent parfois et tour à tour accepté des souverains qui n’étaient point de leur race, cependant nulle domination étrangère n’avait finalement subsisté au milieu d’eux ; ils restaient rapprochés les uns des autres par la position géographique, par la langue et par la religion. Ils se rappelaient sans beaucoup de peine qu’ils avaient eu autrefois aussi mêmes origines, même histoire et mêmes dieux. Isolés comme ils l’étaient à présent à une extrémité de l’Europe, entre plusieurs redoutables voisins, qui les avaient dépouillés de leur ancienne puissance, ne feraient-ils point sagement de mettre en commun tout ce qui leur restait de force intellectuelle et morale en attendant mieux encore ? Ainsi naquit un scandinavisme idéaliste, sentimental et littéraire. Il semblait inoffensif, ne parlait que de réconciliation et ne chantait qu’hymnes de fête. Bientôt cependant il sortit des régions de la poésie, de l’archéologie et de l’histoire, pour s’aventurer dans le domaine économique et administratif ; il souhaita des réformes douanières, commerciales et financières ; bien plus, il afficha au dehors des sympathies et des répugnances, maudissant tantôt l’Allemagne et tantôt la Russie, et faisant de la sorte invasion dans le cercle des idées politiques. Cessant dès lors d’être purement théorique, il commença de hâter de ses vœux l’accomplissement d’une union pratique et réelle entre les trois peuples Scandinaves, et ouvrit, à partir de ce jour, une nouvelle arène où comparurent d’une part les intérêts dynastiques et d’autre part les intérêts des peuples.

Cette dernière distinction nous aidera à suivre le développement et les vicissitudes du scandinavisme sous le roi Oscar, et à en saisir le sens. C’est encore un épisode intéressant de son règne ; s’il nous a semblé réservé et presque timide dans les affaires intérieures, mais sage et hardi dans une grave complication extérieure, on le verra ici prendre, avec une initiative presque téméraire, la tête du mouvement qui agitait le nord Scandinave.

Ce n’était pas cependant que le roi Oscar se fût montré tout d’abord favorable au scandinavisme. Au contraire, quatre mois à peine après son avènement, pendant l’été de 1844, il avait mis obstacle à un voyage projeté par les étudians d’Upsal à Copenhague. À la même époque le cabinet suédois avait paru à M. de Bacourt, envoyé en mission temporaire, assez froid sur la question de la succession danoise. On pouvait craindre dès lors un démembrement du Danemark. La Prusse, disait-on au baron d’Ihre, ministre des affaires étrangères à Stockholm, abandonnerait peut-être pour le Slesvig-Holstein les îles danoises à la Russie, qui, à son tour, désintéresserait l’Angleterre par Bornholm ou peut-être même par Gottland ; ne fallait-il pas que la Suède conclût au plus tôt avec le Danemark un traité défensif, que confirmeraient les grandes puissances ? — Et M. d’Ihre répondait que le cabinet de Stockholm n’avait encore reçu aucune communication à ce sujet ; qu’il croyait savoir qu’il y avait eu en effet récemment des conférences à Vienne sous la présidence de M. de Metternich, mais qu’officiellement il n’en avait rien su, et qu’il resterait sur la réserve. — C’était, il faut l’avouer, beaucoup de quiétude dans un moment déjà bien périlleux pour le Danemark. Le prince Frédéric de Hesse, candidat à la couronne danoise, venait d’épouser la grande-duchesse Alexandra de Russie, et on avait quelques raisons de croire que le roi Oscar inclinait pour ce prétendant. Évidemment, pendant les quatre premières années de son règne, Oscar ne résistait pas encore ouvertement à la double influence de la Russie et de la Prusse. Il eût accueilli le candidat de la première, et, quant à la seconde, il avait des sympathies pour le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV, dont il appréciait les grandes qualités, et dont le règne, ouvert peu de temps avant le sien, débutait par des mesures libérales.

Mais en 1848 la Prusse, entraînée par la démagogie allemande, attaqua ouvertement le Danemark. Oscar n’hésita point : un corps suédo-norvégien se mit en campagne, et le scandinavisme reçut une première et solennelle consécration. Nul n’y pouvait redire assurément ; ce n’était pas un résultat excessif ni regrettable que cette alliance défensive entre deux peuples voisins et frères, et, dans ces limites, c’étaient les intérêts des peuples que la dynastie suédoise prenait l’engagement de sauvegarder et de défendre. L’Europe le reconnut ; lorsqu’à la suite de la guerre, les grandes puissances s’accordèrent à régler enfin, par le traité de Londres de 1852, la question difficile et périlleuse de la succession danoise, la Suède leur fut adjointe comme signataire et garante du traité. L’arrangement de 1852 é tait la combinaison la plus funeste pour le Danemark, nous l’avons pensé dès cette époque ; en l’acceptant, la Suède servait bien mal la cause du scandinavisme, à moins que celui-ci n’espérât son plus prompt triomphe que du malheur extrême de l’un des membres de la famille Scandinave. Cependant la Suède, pas plus que l’Angleterre et la France, occupées en 1852 de bien autres débats, n’était alors maîtresse des circonstances, et l’accord par lequel l’Europe a réglé si malheureusement les affaires danoises a été dicté par ce qu’on a appelé la nécessité européenne, dont le vrai nom était peut-être nécessité ou volonté prussienne et russe.

La guerre d’Orient, et la bonne conduite du roi Oscar en présence des complications qu’elle pouvait entraîner dans l’avenir, achevèrent de briser les attaches extérieures qui retenaient encore sa politique, et son attitude envers le scandinavisme fut dès lors plus décidée et plus hardie qu’elle n’avait jamais été. En même temps que la vice-royauté confiée au prince royal flattait les Norvégiens, et, grâce aux qualités du jeune prince, conquérait leur dévouement à l’héritier de la double couronne, le roi lui-même se laissait aller à des démonstrations fort significatives. En juin 1856, les étudians de Christiania et de Copenhague venant rendre visite à ceux d’Upsal, Oscar prit sur lui d’imprimer à la fête sa complète signification. Il reçut les étudians à leur arrivée à Stockholm, il les reçut encore à leur retour d’Upsal, leur offrit dans un château royal un banquet, et, dans ces diverses occasions, leur adressa jusqu’à cinq harangues. « Ces réunions, leur dit le roi Oscar, ont un autre sens que celui du moment. Un jour cette jeunesse dirigera les affaires de la patrie… Jeunesse, avenir, se confondent ensemble dans notre pensée ; ils s’appartiennent l’un à l’autre. Sur tous deux brille aujourd’hui le soleil levant d’une étroite fraternité. Ses rayons illuminent les vieilles montagnes de la Scandinavie, ses obscures forêts, ses lacs resplendissans, ses joyeux champs de fleurs. Plus de discordes et plus de haines ! Nos poètes chantent les mêmes hymnes, nos épées sont tirées pour la même défense….. Je propose un toast au roi et au peuple de Danemark ; peuple et roi sont aujourd’hui inséparables dans nos hommages !… » Pendant qu’Oscar parlait ainsi, les orateurs Scandinaves, s’autorisant de ses harangues ou répondant à ses paroles, s’exprimaient à peu près en ces termes : « Le temps est venu où l’idée Scandinave doit sortir des limbes pour devenir une réalité. Les sentimens actuels qu’échangent entre eux les peuples Scandinaves ne suffisent pas. Peu s’en est fallu que, dans la récente guerre des nations occidentales contre la Russie, le Danemark ne se vît entraîné dans une résolution contraire aux sympathies du peuple, et les autres membres de la famille Scandinave étaient impuissans à le retenir en l’affranchissant de toute contrainte. En 1848, un corps d’armée suédo-norvégien est venu au secours du Danemark, envahi par la Prusse ; mais la guerre n’eût pas même commencé du côté de l’Allemagne sans aucun doute, si l’on eût appris sur la rive droite de l’Eyder que les Danois fissent désormais partie intégrante d’une Scandinavie fortement unie. Il faut donc que la pensée de l’unité Scandinave rencontre enfin son accomplissement ; il faut qu’elle sorte de l’ombre stérile des idées particulières, du domaine des efforts littéraires et des sympathies affectueuses, pour prendre une forme et un corps ; il faut qu’elle soit inscrite dans les lois et dans les conventions mutuelles, qu’elle se fasse reconnaître au dehors par les autres nations de l’Europe. Elle doit, en un mot, nous conduire à une alliance politique. Jamais, pour une telle alliance, le moment ne pourra être plus favorable,’puisque les deux rois, Oscar et Frédéric VII, sont liés aujourd’hui par une intime et réciproque amitié, par une entière conformité de sentimens et de vues sur tout ce qui concerne les intérêts du Nord. Toutefois il faut faire un pas de plus ; cette alliance elle-même ne serait pas complètement sûre pour l’avenir : nul ne peut savoir de quels conseils s’entoureraient leurs successeurs, et à quelles inspirations ils pourraient obéir. L’union politique serait toujours en péril. Il faut de toute nécessité la garantir par l’unité dynastique. »

Ces dernières paroles, dont l’impression se confondait avec celle que produisaient les paroles royales, apportaient un élément nouveau dans la question Scandinave et empruntaient une gravité particulière de l’état présent et des malheurs du Danemark. L’affaire de la vente des domaines situés dans les duchés allemands, que le gouvernement danois voulait ranger dans la catégorie des affaires communes à toute la monarchie, venait de réveiller le perpétuel esprit d’hostilité qui animait l’Allemagne contre les Danois. Poussée en avant par les états secondaires, qu’elle ne voulait pas voir prendre à sa place un rôle auquel s’attachait un grand prestige de popularité, la Prusse multipliait auprès du cabinet danois ses remontrances et bientôt ses menaces. À l’intérieur, la situation n’était pas moins difficile : de déplorables intrigues, des tiraillemens funestes dans les hautes régions du pouvoir entre le parti constitutionnel et un parti décidément, quoique secrètement absolutiste ; des efforts redoublés de ce dernier parti pour faire abdiquer le roi Frédéric VII, dans l’espoir d’arriver prochainement, sous le règne de l’héritier désigné en 1852 par l’Europe, à renverser la constitution de 1849, à laquelle ce prince n’a pas encore aujourd’hui prêté serment ; un profond désespoir enfin du parti national en présence du misérable avenir que la diplomatie, à moins qu’elle ne se ravisât, avait préparé au pays.

C’est au milieu de ces tristes circonstances, — le roi de Danemark pouvant cesser bientôt de régner et ne laissant pas d’héritier direct ; l’héritier présomptif, son oncle, étant fort âgé ; la maison d’Oldenbourg, désormais éteinte, devant être remplacée par le duc de Glücksbourg, que la seule diplomatie avait rapproché du trône, que la nation danoise regardait avec raison comme un prince allemand et non Scandinave, attaché par sa naissance, par son éducation, par ses alliances de famille, par ses sympathies, à la Russie et à l’Allemagne beaucoup plus qu’aux puissances occidentales, à l’absolutisme beaucoup plus qu’aux idées libérales et constitutionnelles ; — c’est au milieu de cette anarchie qu’on vit paraître à Copenhague, deux mois après la réception des étudians Scandinaves à Stockholm, en septembre 1856, le prince Charles de Suède, aujourd’hui Charles XV, alors prince royal. Aussitôt les démonstrations Scandinaves éclatèrent de nouveau. Le 16 au soir, jour de l’arrivée du prince, une promenade aux flambeaux eut lieu en son honneur. Aux discours de la députation il répondit par une harangue qu’il termina ainsi : « Dans quelques instans, ces flambeaux vont s’éteindre ; mais en moi ne s’éteindra jamais le reflet de leur lumière… Jamais le souvenir de cette soirée ne s’effacera de mon cœur. » Le roi Frédéric VII avait assisté à cette fête. Quand il se fut retiré, les acclamations et les chants redoublèrent pendant que les torches étaient réunies en faisceau, et jusqu’à ce que les flammes eussent consumé le bûcher. Le lendemain, une grande représentation de gala eut lieu au théâtre royal. Il y eut neuf hourras pour le roi de Danemark, neuf hourras pour le prince de Suède, en présence du prince Christian de Glücksbourg, silencieusement assis de l’autre côté du roi, pendant qu’on disait dans le public : « Voici le roi entre les deux prétendans ! » Bien plus, les manœuvres militaires d’automne devant se terminer le 20 septembre par un simulacre de bataille, le roi, par galanterie, remit son commandement de l’un des deux corps qui devaient combattre au prince royal de Suède ; le prince de Danemark commandait l’autre. Le programme, arrêté d’avance, assurait la victoire au premier, et les scandinavistes ne manquèrent pas, comme on pense, d’ajouter leurs commentaires et leurs présages à la situation déjà embarrassante des deux rivaux. Ils faisaient mieux encore, et un de leurs journaux, dépassant toute convenance, s’avisa, dans un article intitulé les Deux Princes, de proposer aux regards et aux sympathies du public deux portraits dont l’un trahissait un reflet visible de la dernière fête Scandinave, et dont l’autre semblait reproduire les ombres au milieu desquelles elle avait brillé.

De telles démonstrations devaient attirer nécessairement des représailles de la part du cabinet danois, moins ardent scandinaviste que les étudians de Copenhague et que le prince royal de Suède, vice-roi de Norvège. Ces représailles en suscitèrent d’autres, et donnèrent ainsi lieu à une petite comédie diplomatique. M. de Scheele, ministre des affaires étrangères du Danemark, adressa, en date du 28 février 1857, à la cour de Stockholm, mais en même temps à celles de Londres, de Paris et de Pétersbourg (non pas à celles de Vienne et de Berlin, les pamphlétaires allemands rendaient ici cette démarche superflue), une dépêche circulaire destinée à détruire, s’il était possible, aussi bien dans la première de ces cours que dans les autres, l’effet de la double campagne que le scandinavisme avait faite pendant l’été et l’automne de 1856 à Stockholm et à Copenhague. M. de Scheele avait été pourtant l’objet d’attentions très particulières de la part du prince royal de Suède, qu’on avait vu lui remettre son propre ruban bleu de Séraphin, le même que cette altesse royale avait autrefois reçu du roi Charles-Jean, son grand-père. La dépêche danoise n’en répudiait pas moins les ménagemens et les délicatesses ; elle commençait par qualifier assez ironiquement, en termes généraux, les plans et les espérances du scandinavisme, et elle se permettait d’ajouter : « Nous avons tout lieu de croire que les vues du gouvernement danois à ce sujet sont entièrement partagées par le gouvernement de sa majesté le roi de Suède et de Norvège… Aussi l’idée Scandinave ne nous paraît-elle pas le moins du monde dangereuse, tant que l’intervention de quelque influence du dehors ne viendra pas lui donner l’intensité et la force intérieure qui lui manquent… Nous ne voulons pas examiner, ajoutait-on plus bas, si réellement la conduite observée par les gouvernemens du Nord a été, dans les récentes occasions, la mieux appropriée aux circonstances, et celle qu’on aurait dû préférer, s’il avait été possible de mesurer d’avance les proportions que prendrait l’agitation Scandinave. » À ces paroles aigres-douces, le cabinet de Stockholm, piqué, répondit qu’il aurait laissé passer inaperçue « cette pièce diplomatique, nullement motivée par un acte quelconque du gouvernement de sa majesté suédoise, et renfermant une longue dissertation sur une question réservée jusqu’ici au domaine de la discussion littéraire, » si ce document n’avait été livré à la publicité, « non sans dessein, » et n’était devenu « le sujet d’une polémique générale. » Et la seule réponse qu’on lui accordait consistait dans ces lignes fort sèches : « Le roi ne reconnaît à qui que ce soit le droit de jeter d’une manière officielle, dans une lettre adressée aux agens d’une puissance étrangère, un blâme direct ou indirect sur les actes de son gouvernement. » La pièce finissait malicieusement par l’expression renouvelée de l’intérêt que le roi de Suède et de Norvège portait à la nation danoise et de sa volonté de resserrer encore, s’il était possible, les liens qui l’unissaient… à sa majesté le roi de Danemark. Les agens suédois devaient donner lecture de cette circulaire aux chefs des cabinets étrangers « sans y ajouter aucune réflexion ultérieure. »

De la part du public danois tout au moins, les réflexions ne manquèrent pas. Les dernières démarches du prince royal de Suède avaient remis en mémoire les harangues et le banquet du roi Oscar. On avait commenté cette désignation d’une seule patrie dans l’avenir, cette annonce d’un soleil levant qui illuminait toute la Scandinavie, ces hommages au peuple de Danemark ; on avait enfin rapproché de ces expressions les paroles de M. Ploug que nous avons citées sur la nécessité d’une alliance politique et d’une union dynastique, et l’on s’était demandé si le dernier discours était destiné à paraphraser et à développer tous les autres. En un mot, l’opinion avait cru apercevoir des intérêts dynastiques primant dans la question scandinave les intérêts des peuples, et l’on avait vu se produire, non-seulement dans le cabinet, mais encore chez le peuple danois, une réaction subite. Est-ce à dire que cette réaction dût être durable, et que le roi Oscar fût fort à blâmer ? Nous ne le pensons point. Quiconque est dévoué doit s’offrir, et s’il s’offre au moment le plus périlleux, il doit cesser d’être suspect.

On a cru que le roi Oscar et le prince Charles travaillaient exclusivement en 1856, pour l’intérêt de leur seule ambition, « croyant la poire mûre, » comme disaient sans façon les brochures allemandes, et voulant la cueillir. Qui sait s’il n’y avait pas au contraire dans leur conduite plus de prudence inspirée par la crainte que d’audace puisée dans l’extrême confiance et dans les vues égoïstes ? En juin et en septembre 1856, on était au lendemain de la guerre d’Orient, au lendemain du traité défensif conclu par la Suède et la Norvège avec les puissances occidentales. Il était bien permis de se demander si la position de la Scandinavie était fort rassurante. La Russie se recueillait, à la bonne heure ; mais si le recueillement ne lui portait pas bon conseil et qu’au sortir de sa méditation intérieure elle sentît encore au vif le mécontentement que lui avait causé ce qu’elle appelait la défection du roi Oscar, on pouvait bien conserver quelques inquiétudes sur le peu de précision de la garantie occidentale… Quoi qu’il en soit, il n’y avait rien d’étonnant à ce que le roi Oscar essayât d’élargir après coup la base du traité de 1855 et d’y faire entrer, grâce à la solidarité des états du Nord mieux que jamais cimentée, la monarchie danoise elle-même. C’était un nouvel hommage à la nécessité du scandinavisme ; il ne dépendait pas du roi de Suède que cette nécessité fût moins impérieuse et moins manifeste. En face de la Russie et, le cas échéant, en face de l’Angleterre ou de toute autre puissance ennemie, la Suède et la Norvège ont besoin de l’alliance intime du Danemark, qui, avec elles, tient les clés du Sund et celles de la Baltique.

Et le Danemark, n’a-t-il pas besoin aussi de demander des secours au scandinavisme ? L’Allemagne, qui se sent mal à l’aise chez elle, souffre impatiemment son indépendance et voudrait l’absorber. L’esprit public allemand se tourne vers cette conquête avec convoitise. Les gouvernemens, pour se faire bien venir, ne voient rien de mieux à tenter que de satisfaire cette passion et de détourner de ce côté l’ardeur populaire. La Prusse, qui, par sa position géographique, est en contact immédiat avec les états danois, ne veut pas laisser aux états secondaires de la confédération, à la tête desquels se place le Hanovre, le mérite de déployer contre l’ennemi désigné le plus d’activité véhémente et jalouse ; elle voudrait d’ailleurs devenir puissance maritime, et les ports excellens du Slesvig avec les côtes voisines lui permettraient d’abriter des navires et lui fourniraient des matelots : elle est donc doublement intéressée à persécuter le Danemark pour le compte de l’Allemagne et pour son propre compte. De son côté cependant, l’Autriche, comme puissance allemande, ne pense pas le moins du monde à s’effacer dans cette question et à céder le beau rôle à la Prusse, de sorte qu’elle intervient aussi dans ce véritable steeple-chase de popularité. Les absurdes obligations du helstat imposées en 1852 au Danemark fournissent aux efforts réunis de toute l’Allemagne trop d’occasions d’intervenir dans les affaires danoises, et la diète germanique se pose incessamment en protectrice des duchés allemands de Lauenbourg et de Holstein ; mais l’organisation des rapports entre ces duchés et le reste de la monarchie danoise n’est que le prétexte et non le but de l’intervention allemande : elle en veut au Slesvig, qu’il s’agit, en le rattachant illégalement au Holstein, de ravir au Danemark. Là est le nœud de la question ; si une fois le Slesvig était détaché des états purement danois, ne fût-ce qu’administrativement, l’influence germanique envahirait même le Jutland, et le Danemark serait entièrement perdu. D’ailleurs il n’est pas question seulement de liens administratifs et d’influence politique ou morale ; c’est par les armes que l’Allemagne prétend agir, et les Danois sont perpétuellement sous le coup d’une seconde guerre contre la confédération allemande, après celle qu’ils ont soutenue en 1848 avec tant de courage et de succès malgré l’infériorité du nombre.

En de telles circonstances, on comprend avec quelle anxiété ils cherchent aux quatre points de l’horizon qui pourrait les secourir. S’ils voient la France, dont ils savent que le gouvernement et l’opinion leur sont sympathiques, donner à l’Allemagne par quelque côté de très graves inquiétudes, ils se rassurent ; mais s’ils imaginent que, dans des vues d’agrandissement personnel elle puisse être tentée de chercher de quoi flatter quelque puissance allemande qui leur soit voisine et de quoi lui offrir à l’occasion des compensations acceptables, ils tremblent. Ils savent que l’Angleterre aussi leur témoigne diplomatiquement du bon vouloir ; mais ils réfléchissent que dans le cas d’une rupture avec la France par exemple, elle u’aurait pas d’alliée plus précieuse comme puissance militaire continentale que la Prusse elle-même, leur ennemie. La Russie, en échange de sa protection déclarée, exigerait, à ce qu’ils pensent, le retour vers l’absolutisme, et peut-être même à ce prix ne risquerait-elle pas une guerre compromettante pour les intérêts d’un si petit état. La doctrine de l’ancienne politique de soutenir généreusement les médiocres puissances ne leur parait plus jouir d’un grand crédit au milieu des transformations actuelles, et ils se disent avec inquiétude qu’une annexion du Danemark à l’Allemagne, qui amènerait probablement une scission entre les deux moitiés septentrionale et méridionale du corps germanique, cette seconde moitié voulant former contre-poids, pourrait bien après tout n’être pas mal vue d’une politique européenne devenue fantasque et aventureuse.

De telles craintes sont extrêmes assurément, et la seule issue qui se présente aux yeux des Danois n’est point si peu rassurante qu’ils ne doivent reprendre courage et bon espoir. Un principe surnage au milieu des alertes de la diplomatie, celui du respect des nationalités. Au nom de ce principe, et s’il veut l’invoquer résolument, le Danemark aura d’abord les sympathies déclarées du peuple anglais, qui entraîneront le cabinet de Londres ; il aura probablement ensuite l’assentiment du gouvernement français, à la politique duquel ce principe ne paraîtrait pas devoir déplaire. Néanmoins, pour qu’il acquière le droit d’invoquer du secours à ce titre, il faut nécessairement qu’il se rapproche des autres membres de la famille scandinave le plus étroitement possible, afin que l’Europe sache bien qu’elle a affaire, non pas à une réunion éphémère d’élémens opposés qui se sépareront d’un moment à l’autre, mais à un groupe homogène qu’il vaut la peine de fortifier et de compter dans la balance. Il ne suffit donc pas que de temps en temps, quand le péril se fait plus imminent du côté de l’Allemagne ou du côté de la Russie, les trois états scandinaves fassent un traité en commun, sauf à le rompre et à se séparer après le danger. Une alliance intime et durable est absolument nécessaire, tout au moins un rapprochement comme celui de la Norvège et de la Suède, qui, s’il est sujet pour les deux états à quelques difficultés intérieures, offre au dehors une union compacte.

L’alliance que nous souhaitons peut-elle exister, peut-elle naître sans l’unité dynastique ? Oui, à trois conditions : c’est que le souverain du Danemark n’ait personnellement ni alliances ni sympathies contraires à celles dont s’inspirent et la partie purement danoise de ses peuples et tout le reste de la nationalité scandinave, qu’il soit en état d’imposer à son cabinet les sentimens dont il serait animé ; c’est enfin que le gouvernement danois ne soit plus courbé sous la nécessité déplorable de rester à moitié allemand et à moitié absolutiste en vue de ses relations avec la partie de ses états qui n’est pas scandinave, et à laquelle il ne saurait imposer le gouvernement constitutionnel. Que M. le duc de Glücksbourg opère un jour tous ces miracles, s’il le peut, et le Danemark, redevenu un royaume homogène et purement scandinave, réalisera, par une simple alliance offensive et défensive avec la Suède et la Norvège, celle des formes du scandinavisme qui sacrifierait au salut général le moins de scrupules et le moins d’affections particulières ; mais si l’on persiste à maudire l’arrangement de 1852 et à le croire irrémédiable, il faut donc se résoudre à invoquer quelque remède extérieur. Le plus naturel est d’en appeler de la diplomatie de 1852, qui a évidemment cédé à des influences hostiles au Danemark, à la diplomatie de 1860, qui s’inspirera des vues plus libérales de l’Occident. Seulement les difficultés sont grandes. La question de la succession au trône de Danemark se posera alors de nouveau. Comment la résoudre ? Est-ce M. le duc de Glücksbourg qui acceptera ou qui sera accepté ? Est-ce M. le prince Frédéric de Hesse qu’on ira rétablir dans ses anciens droits ? Évidemment tout cela n’est pas possible. Nous ne disons point que la réunion du Danemark à la Suède et à la Norvège sous un seul et même roi ne soit pas une extrémité à laquelle puissent répugner avec raison les Danois. Un peuple qui sent sa dignité ne se voit pas sans chagrin privé de l’avantage et de l’honneur d’avoir un souverain particulier, qui le représente seul dans les cours étrangères et qui soit le symbole vivant de sa personnalité. En dépit de tous les raisonnemens, le Danemark, état souverain, et dont la partie scandinave est si intelligente et si vivace sous le malheur qui l’opprime, n’abdiquera qu’à la dernière extrémité, nous le savons bien, une partie de ses droits pour conserver l’autre. D’autre part, la diplomatie consentira-t-elle à un remaniement fondamental du Nord ? Permettra-t-elle par exemple que M. le duc de Glücksbourg devienne prince souverain d’Allemagne avec les duchés de Holstein et de Lauenbourg, et que la monarchie de Danemark, y compris le Slesvig, soit définitivement et librement détachée pour entrer désormais dans l’orbite de la nationalité scandinave ? On peut en douter ; la diplomatie ne défait pas facilement ses trames. Alors quel remède ? Les patriotes danois croient-ils qu’il suffirait pour sauver leur pays d’y incorporer le Slesvig en laissant subsister l’union personnelle des duchés allemands ? Espèrent-ils que cela les garantirait de quelque obscur coup d’état, venant un de ces jours rétablir chez eux l’absolutisme ? S’estiment-ils fort à l’abri d’un pareil danger ? Ne pensent-ils pas que l’absolutisme rétabli équivaudrait à l’annexion pleine et entière dans la confédération allemande ? Imaginent-ils quelque issue enfin, et peuvent-ils reprocher bien longtemps au roi Oscar de s’être offert à eux ? L’exemple de la Norvège est-il si fort à dédaigner ? N’a-t-elle pas réservé largement son indépendance et sa dignité intérieures dans l’union avec la Suède ? Ne s’est-elle pas ouvert une large carrière de liberté ? Le Danemark, qui entrerait de plus haut que n’a fait la Norvège dans une telle alliance, n’en saurait-il pas tirer un profit égal et probablement supérieur encore ? Après ce que nous avons dit des résultats actuels du traité de Kiel et de la convention de Moss pour la Suède[4], n’est-il pas permis de se demander qui donc serait mieux servi après tout dans une combinaison pareille, de la Suède ou du Danemark ?

La presse allemande et même la presse danoise ont cru dans ces derniers temps à un refroidissement sensible entre les cabinets de Stockholm et de Copenhague. Nous n’en voulons rien croire, persuadé comme nous le sommes que Charles XV, suivant l’exemple de son père, ne reniera pas les devoirs où pourrait l’engager le scandinavisme, et que les états du Nord, si abaissés et si humiliés naguère encore, n’ont d’asile que dans le mouvement nouveau qui entraîne les peuples vers ces grandes et naturelles alliances que conseille la voix fraternelle des nationalités. « Oubliez vos anciennes haines et vos vieux préjugés, disait Napoléon au plénipotentiaire de Suède en 1810, alors qu’il était question de réunir les trois couronnes sur la tête du roi de Danemark et de Norvège ; unissez-vous, et tous vos malheurs seront réparés. » Ces paroles, où respirait, en planant au-dessus des circonstances et des nécessités du moment, le bon sens du génie politique, exprimaient l’intérêt permanent et durable des états du Nord, et doivent encore aujourd’hui être pour eux un oracle. Quant aux souverains de la Suède, en continuant à s’offrir contre les dangers communs, ils n’ont qu’à contribuer de toutes leurs forces à mériter la confiance, à faire naître les sympathies mutuelles, à favoriser dans le sens le plus libéral le rapprochement des institutions et des mœurs, afin que l’unité dynastique, s’il est bon qu’elle se réalise un jour, ne soit que le couronnement naturel de l’unité nationale, et que, loin de soupçonner leur ambition, les peuples n’aient qu’à bénir leur patriotisme.


Le règne effectif d’Oscar Ier a été court, puisque, monté sur le trône le 8 mars 1844, il était obligé dès le 25 septembre 1857 d’abandonner les affaires et de laisser la régence au prince Charles, son fils aîné. Il avait reçu déjà en 1852, par la mort de son second fils, le prince Gustave, qu’il chérissait, un coup terrible dont il ne s’était jamais relevé entièrement. La guerre d’Orient était venue ensuite tendre à l’excès toutes les forces de son esprit par l’inquiétude d’un redoutable avenir, raviver toutes les émotions de son cœur par le souvenir de 1812 et de son père, par les suggestions de ses fils, dont il tenait le sort futur entre ses mains, par les soupçons injustes d’une partie de ses sujets, dont il voulait conserver l’estime sans trahir imprudemment leurs intérêts. Roi constitutionnel et scrupuleux observateur de la réserve que les lois de son pays lui imposaient dans les affaires intérieures, il se retrouvait, en face de la grande question de la guerre ou de la paix, à peu près seul responsable, et il sentait tout le poids de cette responsabilité. Toutes les dépêches importantes étaient conçues par lui ; à lui seul aboutissaient tous les fils d’une négociation qui devait rester longtemps secrète, et dans laquelle M. le baron de Manderström était son seul collaborateur et son seul confident. Le travail assidu, le travail des nuits, s’ajoutait ainsi trop souvent à son inquiétude et à ses scrupules. Il n’eut le temps, après ce principal épisode de son règne, que de désigner, comme nous l’avons vu, aux différens membres de la famille scandinave le chemin qu’ils avaient à suivre. Dès l’année suivante, la cruelle maladie dont il portait le germe, dont il avait déjà ressenti les atteintes, augmentée par une blessure morale et par un effort intellectuel que le secret et l’attente avaient envenimé, s’empara de son esprit comme de son corps. Il dut déposer le fardeau des affaires, et le 8 juillet 1859 il s’éteignit, n’offrant plus déjà que l’ombre de lui-même, mais entouré de respect et de reconnaissance, et presque également pleuré de sa famille et de ses peuples. « Au moment où s’éteint ma vie mortelle, disait l’éloquent adieu de son testament, que ces feuilles reçoivent et conservent l’expression de ma gratitude pour l’affection douce et profonde dont une épouse chérie m’a sans cesse entouré, pour le bonheur et l’éclat que ses rares vertus et sa haute intelligence ont répandus sur la famille royale et sur le royaume, pour la soumission et la confiance que mes chers enfans m’ont toujours témoignées, pour le zèle patriotique avec lequel mes fils m’ont assisté dans les soins du gouvernement, pour la fidélité loyale avec laquelle tous les serviteurs de l’état ont accompli leurs missions et satisfait à leurs devoirs, enfin pour l’affection et l’amour que je n’ai cessé de rencontrer chez mes peuples ! Que la grâce et la bénédiction du Très-Haut reposent sur les deux royaumes et sur la famille royale ! C’est l’expression de ma dernière prière, c’est l’expression de mon dernier soupir ! »

Le fils de Bernadotte appartenait à cette génération, de citoyens ou de rois, qui a vu sortir de l’ancien régime l’ordre nouveau, qui a dû à cet ordre nouveau toutes ses idées, toute son élévation et toute sa grandeur, qui, au lieu de demander à la liberté politique, noble base du jeune édifice, tous les droits, en a accepté avant tout et de préférence tous les devoirs, qui a confondu ensemble dans un commun dévouement à la chose publique les peuples et les rois ; qui a vu cependant la liberté courir de téméraires aventures, subir de funestes échecs, et qui n’a pas désespéré de son avenir, le croyant immortel, au prix de l’expiation et du dévouement. Ainsi s’expliquent les qualités personnelles du roi Oscar. Il avait une instruction à la fois profonde et variée, en science militaire, en marine, en législation ; il laisse, comme on sait, un livre, Des Peines et des Prisons, où se rencontrent des pages éloquentes sur le droit de grâce royal et sur la peine de mort. Ainsi s’explique l’éducation qu’il a donnée à ses fils ! Celui qu’il a perdu le 24 septembre 1852, le prince Gustave, s’annonçait comme un protecteur éclairé des lettres et des arts ; il a laissé toute une œuvre de musique religieuse empreinte d’une grande élévation d’âme et d’une tristesse profonde. L’aîné, aujourd’hui Charles XV, s’est distingué à la fois par des travaux de géographie et de statistique et par quelques compositions littéraires qui trahissent en même temps une étude enthousiaste du grand passé du Nord et une préoccupationtrès louable de son présent et de son avenir. Le prince Oscar-Frédéric, frère du nouveau roi, a publié un poème où se reflètent les espérances que la Suède avait un instant conçues en 1854 et 1855, et où les glorieux souvenirs de la (lotte, à la tête de laquelle le prince est placé, apparaissent comme une ardente aspiration vers une carrière nouvelle.

Le prince Auguste, avec les deux jeunes fils du prince Oscar-Frédéric, achèvent de promettre à la dynastie de Bernadotte une longue possession des deux couronnes de Suède et de Norvège. Cette dynastie est déjà parvenue à la quatrième génération, et chacune de ces générations est représentée encore aujourd’hui dans la maison royale, puisque la veuve de Bernadotte, survivant à son mari, à son fils, à l’un de ses petits-fils, voit grandir ses arrière-petits-enfans. La Suède était donc bien inspirée quand elle demandait à la famille du prince de Ponte-Corvo d’assurer à un trône devenu vacant un lendemain et une longue durée. Après une mutuelle adoption, peuple et roi ont conclu une intime et durable alliance, et si Oscar Ier nous a offert l’exemple d’un honnête homme assis sur le trône, ce spectacle ne s’est pas séparé pour nous de celui de deux nobles nations avançant chaque jour dans la voie du progrès social et moral. Cette union et ce progrès réalisaient les désirs du roi Oscar, ils étaient sa récompense ; il faut lui faire hommage, alors même que son influence personnelle n’intervient pas, de tout ce qui s’est fait de bien pendant son règne, et son respect scrupuleux de la liberté est devenu pour la famille souveraine de Suède et de Norvège le fondement le plus sûr et le plus inébranlable.


AUGUSTE GEFFROY.

  1. Les trois principales fonderies de Suède avaient expédié, pour le seul compte de la Russie, 426 pièces de gros calibre en 1836, 477 en 1837,1,000 au moins en 1840, etc.
  2. M. Bayard Taylor, l’auteur d’un spirituel Voyage dans le Finnmark norvégien, a noté soigneusement avec quelle intelligence et quelle dignité les pauvres paroisses de l’intérieur du Finnmark s’acquittent de leurs devoirs politiques, des élections au storthing, etc.
  3. Voyez la Suède avant et après le traité de Paris, dans la Revue du 1er juin 1856.
  4. Dans la première partie de cette étude ; voyez la Revue du 1er juillet.