◄   II IV   ►


Le monde est plein d’incidents mystérieux, et Hamlet avait raison de dire qu’il se passe dans le ciel et sur la terre beaucoup de choses que n’explique pas la philosophie d’Horatio.

On a remarqué que dans les temps de grandes guerres où des peuples, venus de tous les coins d’un vaste empire, se trouvent subitement réunis en corps d’armée pour faire campagne ensemble, on voit se développer parmi eux des contagions étranges, des pestes meurtrières, et un grand spéculatif n’a pas craint d’en attribuer la cause au rapprochement forcé d’hommes très différents d’humeur, de langage, d’esprit, qui, n’étant point faits pour vivre en société, sont mis en contact par un méchant caprice de la destinée. On a remarqué aussi que, quand l’équipage du bâtiment qui chaque année apporte aux pauvres habitants des îles Shetland les denrées nécessaires à leur subsistance vient à débarquer sur leurs côtes, ils sont pris d’une toux convulsive, et qu’ils ne cessent pas de tousser avant que le navire ait remis à la voile. On raconte également qu’à l’approche d’un navire étranger les naturels des îles Féroë sont attaqués d’une fièvre catarrhale, dont ils ont beaucoup de peine à se débarrasser. On a constaté enfin qu’il suffit parfois de l’arrivée d’un missionnaire dans quelque île de la mer du Sud pour y enfanter des épidémies pernicieuses, qui déciment les malheureux sauvages.

Ceci doit servir à expliquer pourquoi, dans la nuit du 13 août 1878, la belle Mme Corneuil eut un sommeil très agité, et pourquoi, en se réveillant le matin sous ses blancs rideaux de mousseline, elle se sentit comme brisée dans tout son corps. Ce n’était pas la peste, ce n’était pas le choléra, ce n’était pas une fièvre catarrhale, ni une toux convulsive, mais elle éprouvait une tension de tête, un malaise, une irritation nerveuse toute particulière, et elle eut le pressentiment qu’il y avait dans son voisinage un danger ou un ennemi tout fraîchement débarqué. Pourtant elle ne connaissait point le marquis de Miraval, elle n’en avait jamais entendu parler, elle ne savait pas qu’il était plus dangereux que tous les missionnaires qui ont pu aborder dans les îles de l’océan Pacifique.

Quand sa mère, qui était toujours la première à entrer dans sa chambre pour lui prodiguer des soins qu’elle seule savait lui rendre agréables, s’approcha de son lit sur la pointe des pieds et lui souhaita le bonjour, Mme Corneuil, mal disposée, lui fit un accueil un peu sec, et Mme Véretz put s’apercevoir que son ange adoré s’était réveillé d’assez mauvaise humeur. A la vérité, cette tendre mère était accoutumée aux incartades ; on la traitait de haut, comme une impératrice traite sa dame du palais. Elle y était faite et ne s’en affectait guère. Sa fille était sa reine, sa divinité, son tout ; elle s’était consacrée tout entière à son bonheur, à sa gloire ; elle lui rendait un culte, de véritables adorations. Elle appartenait à la race des mères servantes et martyres ; mais sa servitude lui plaisait, son martyre lui paraissait délicieux, et cette petite femme maigre, au regard vif, aux allures serpentines, qui avait, comme Caton le Censeur, auquel du reste elle ne ressemblait guère, l’œil vert et les cheveux rouges, faisait toujours bon visage aux duretés qu’elle essuyait. Elle avait de quoi se consoler ; on avait beau la rudoyer, la gourmander, la renvoyer bien loin, on finissait toujours par l’écouter, attendu qu’on s’en était toujours bien trouvé. C’était par son conseil qu’au moment propice on s’était brouillé, puis réconcilié avec M. Corneuil ; c’était grâce à ses précieuses directions qu’on avait pu tenir un salon à Paris et y devenir quelque chose. Mme Corneuil régnait, en définitive c’était Mme Véretz qui gouvernait, et, il faut le dire, elle n’avait jamais en vue que le bien de sa chère idole. Nous avons tous des pensées confuses, que nous avons peine à débrouiller, et des désirs cachés, que nous n’osons pas nous avouer. Mme Véretz avait le don de deviner sa fille, de lire dans tous les replis de son cœur ; elle se chargeait de débrouiller ses pensées confuses et de lui révéler ses désirs inavouables en les prenant à son compte. C’était le secret de son influence, qui était considérable. Quand l’imagination de Mme Corneuil voyageait, cette mère incomparable partait la première en courrier ; en arrivant à l’étape, la belle voyageuse y trouvait des chevaux de relais tout préparés et elle savait gré à Mme Véretz de lui ménager d’agréables surprises. Aussi se serait-elle gardée de s’embarquer dans aucune aventure sans son courrier, à qui elle avait l’obligation de n’être jamais restée en chemin.

Après avoir renvoyé sa mère et passé une demi-heure avec sa femme de chambre, Mme Corneuil prit une tasse de thé, puis elle s’assit à son secrétaire. Elle employait ses matinées à écrire un livre qui devait faire suite au Traité sur l’apostolat et qui était intitulé : Du rôle de la femme dans la société moderne. A vrai dire, c’était tirer deux moutures du même sac. Son but était de démontrer que dans une société démocratique, vouée au culte brutal du nombre, le seul correctif à la grossièreté des mœurs, des pensées et des intérêts, est la souveraineté de la femme. « Les rois s’en vont, avait-elle écrit la veille dans un moment d’inspiration, laissons-les partir ; mais ne souffrons pas qu’ils emportent avec eux la royauté, dont les bienfaits sont nécessaires aux républiques elles-mêmes. Sur le trône qu’ils laissent vide, faisons asseoir la femme ; avec elle régneront la vertu, le génie, les aspirations sublimes, les délicatesses du cœur, les sentiments désintéressés, les nobles dévouements et les nobles mépris. » Peut-être ai-je gâté sa phrase, mais je crois en avoir rendu le sens. Je crois aussi que, dans le portrait qu’elle en faisait, la femme supérieure qu’elle proposait à l’adoration du genre humain, ressemblait étonnamment à Mme Corneuil et qu’elle ne pouvait se la représenter sans de superbes cheveux d’un blond chaud, enroulés autour de son front comme un diadème.

Quand on a mal dormi, on n’est pas en train d’écrire. Ce jour-là, Mme Corneuil n’était pas en verve, la plume pesait à sa jolie main aux doigts effilés ; les idées et l’expression lui manquaient. En vain elle entortillait autour de son index une boucle voltigeante de ses cheveux, en vain elle interrogeait du regard ses ongles roses, rien ne venait ; elle se prenait à croire qu’entre elle et son papier il y avait quelque chose qui ressemblait à un malheur. Dieu sait pourtant qu’on s’appliquait en pareil cas à ménager ses nerfs, à ne lui causer aucune distraction ; c’était une consigne. Pendant les heures où on la savait retirée dans son sanctuaire, le silence le plus profond régnait partout ; Mme Véretz y mettait bon ordre. Tout le monde parlait bas, marchait à pas de loup, et quand Jacquot, qui faisait les courses et les commissions, traversait la cour pavée, il avait grand soin d’ôter ses sabots pour qu’on ne l’entendît pas. Cette précaution était le fruit d’une douloureuse expérience. Jacquot cultivait la trompette à ses moments perdus. Un matin qu’il s’était permis d’en sonner, Mme Véretz, survenant à l’improviste, lui avait appliqué un vigoureux soufflet en lui disant : « Tais-toi donc, petit imbécile ; ne sais-tu pas qu’elle médite ? » Jacquot s’était frotté la joue et se le tint pour dit ; tout le monde en faisait autant. Aussi, de huit heures à midi, Jacquot disait tout bas à la cuisinière, la cuisinière disait au cocher, le cocher disait aux volailles de la basse-cour, qui le redisaient aux pierrots, qui le répétaient aux merles et à tous les vents du ciel :

« Frères, taisons-nous, elle médite ! »

Au coup de midi, la porte du lieu très saint se rouvrit doucement, et, comme la première fois, Mme Véretz s’avança sur la pointe des pieds, disant :

« Ma chère belle, est-il permis d’entrer ? »

Mme Corneuil fronça ses beaux sourcils et, d’un air boudeur, renferma ses papiers dans le plus élégant des buvards et son buvard dans les profondeurs de son secrétaire en bois de rose, dont elle eut soin, crainte des voleurs, de retirer la clef.

« On s’est donné le mot, dit-elle, pour ne pas me laisser un moment de repos.

— J’ai dû faire une course ce matin, répondit Mme Véretz. Est-ce que par hasard Jacquot aurait profité de mon absence ?…

— Jacquot ou un autre, je ne sais, mais on a fait du bruit, remué des meubles. Cette course était donc bien nécessaire ?

— Indispensable. Tu t’es plainte hier à dîner que le poisson n’était pas frais, que Julie ne savait pas acheter. Désormais je fais moi-même mon marché.

— Et pendant ce temps on mènera ici un vrai sabbat.

— Que veux-tu ? entre deux maux…

— Non, interrompit Mme Corneuil, je ne veux pas que vous alliez en personne marchander votre poisson ; que n’enseignez-vous à Julie à le choisir ? Vous ne savez pas commander, il en résulte que vous devez tout faire vous-même.

— J’apprendrai, je me formerai, ma mignonne, » répondit Mme Véretz en la baisant tendrement sur le front.

Elle n’ajouta pas qu’aller au marché lui plaisait, ce qui était vrai. Parmi les gens qui ont eu de petits commencements, les uns répudient leur passé et tâchent de l’oublier, les autres prennent un extrême plaisir à se le rappeler.

« Qu’est-ce encore que cela ? s’écria Mme Corneuil, qui s’aperçut en ce moment que sa mère tenait à la main un papier.

— Ceci, ma chère, est un billet par lequel M. de Penneville me charge de t’annoncer que son grand-oncle, le marquis de Miraval, arrivé hier de Paris, lui a témoigné le désir de t’être présenté, et qu’il l’amènera aujourd’hui à deux heures précises. Tu sais qu’il est sujet au coup de cloche.

— Qui l’empêchait de venir nous l’annoncer ?

— Apparemment il a craint de te déranger et peut-être aussi de se déranger lui-même. Dans les existences bien ordonnées, la première règle est de travailler jusqu’à midi. »

Mme Corneuil fit un geste d’impatience.

« Qui est donc ce grand-oncle ? Jamais Horace ne m’en avait parlé.

— Je le crois sans peine. Il ne te parle jamais que de toi, ou bien de lui… ou bien de l’Égypte, ajouta-t-elle.

— Et s’il me plaît qu’il m’en parle ! répliqua Mme Corneuil avec hauteur. Est-ce encore une épigramme ?

— Me juges-tu capable de faire des épigrammes contre ce cher et beau garçon ? reprit vivement Mme Véretz. Je l’aime déjà comme un fils. »

Mme Corneuil était devenue pensive.

« J’ai fait cette nuit de mauvais rêves, dit-elle. Vous vous moquez de mes rêves, car vous aimez à vous moquer de moi. Voyez pourtant !… En venant de Paris, M. de Miraval a sûrement passé par Vichy. Ce marquis est un danger.

— Un danger ! s’écria Mme Véretz. Quel danger peux-tu craindre ?

— Vous verrez que c’est Mme de Penneville qui l’envoie ici.

— Et tu t’imagines qu’Horace ?… Eh ! ma pauvre folle, n’es-tu pas sûre de son cœur ?

— Est-on jamais sûre du cœur d’un homme ? répondit-elle en feignant une inquiétude qu’elle était loin d’éprouver.

— D’un homme, peut-être, dit en souriant Mme Véretz ; mais le cœur d’un égyptologue est autre chose et ne varie jamais. En fait de sentiment, l’égyptologie est le beau fixe.

— Je vous dis que j’ai fait de méchants rêves, que ce marquis est un danger.

— Voilà ma réponse, lui repartit sa mère en lui présentant un miroir et en l’obligeant à s’y regarder.

— Il me semble que je suis affreuse ce matin, dit Mme Corneuil, qui n’en pensait rien.

— Vous êtes belle comme le jour, ma chère comtesse, et je défie tous les marquis du monde…

— Non, je ne recevrai pas ce grand-oncle, reprit Hortense en écartant le miroir ; vous le recevrez pour moi. Prétendez-vous me condamner à essuyer des impertinences ?

— Te voilà bien, tu mets les choses au pis, tu t’exaltes, tu te montes, tu pars de la main…

— Je vous répète que je suis malade.

— Ma chère adorée, il ne faut jamais être malade qu’à propos, et dans ce cas ci… Prends-y garde, il s’imaginera qu’il te fait peur. »

Mme Corneuil jugea sans doute à la réflexion que sa mère avait raison, car elle lui dit :

« Puisque vous voulez absolument que je m’impose cette corvée, soit ! ordonnez qu’on me monte mon déjeuner, et envoyez-moi ma femme de chambre.

— C’est on ne peut mieux, répondit Mme Véretz. Ah ! ma chère, ce n’est pas une corvée que je t’impose, c’est une victoire que je te prépare. »

Et à ces mots elle se retira, non sans l’avoir embrassée une seconde fois.

A deux heures précises, Mme Véretz, sous les armes, installée dans un ajoupa qui faisait face à la véranda du chalet, attendait le comte de Penneville et M. de Miraval ; à deux heures précises, le marquis et le comte parurent à l’horizon. La présentation se fit dans toutes les formes, et bientôt l’entretien s’engagea. Mme Véretz était une femme experte en tous les cas difficiles ; l’imprévu ne la déconcertait point : elle savait faire fête aux visiteurs fâcheux comme aux événements désagréables. M. de Miraval ne lui fournit point l’occasion d’exercer sa vertu. Il fut parfaitement courtois et gracieux ; il déploya en cette occurrence son amabilité, son brillant des grands jours ; il se mit en frais autant qu’il le faisait jadis pour les puissants de la terre qui lui donnaient audience. A quoi servirait-il d’avoir été diplomate, si l’on ne possédait l’art utile de parler beaucoup sans rien dire ? Il avait la parole à son commandement et, quand il le fallait, une éloquence fluente, le talent de faire couler, comme dit le proverbe russe, du miel sur l’huile. Tout chemina fort bien. Horace, qui avait beaucoup redouté cette entrevue et qui d’abord avait eu l’air contraint et gêné, fut bientôt hors de peine ; il sentit se dissiper son embarras. Il était dans son caractère de se rassurer très vite. Non seulement il était né optimiste, mais il avait trop approfondi la théologie égyptienne pour ne pas savoir que dans le monde des hommes comme dans celui des divinités la lutte entre les deux principes se termine d’habitude par la victoire du bien, que Typhon finit par se laisser désarmer et qu’Horus, dieu bienfaisant, prend en main le gouvernement de l’univers. La figure du comte de Penneville exprimait une foi profonde dans le triomphe définitif d’Horus, dieu bienfaisant.

La glace était tout à fait rompue lorsque Mme Corneuil fit son apparition. Comme on peut croire, elle avait soigné pour la circonstance sa toilette et sa coiffure ; son demi-deuil était des plus coquets. Il faut en prendre son parti, il y a des reines qui ressemblent beaucoup à des bourgeoises, il y a des bourgeoises qui ressemblent à des reines, moins la couronne et le roi. Ce jour-là, Mme Corneuil était non seulement reine, mais déesse des pieds à la tête ; on eût dit Junon sortant de son nuage. Elle ne manqua pas son entrée. En la voyant venir, le marquis ne put réprimer un tressaillement, et, quand il s’approcha d’elle pour la saluer tête basse, il perdit contenance, ce qui ne lui arrivait guère, il demeura confus, commença plusieurs phrases sans pouvoir les achever, et l’on assure que c’était la première fois de sa vie qu’il avait essuyé pareille mésaventure. Son trouble était si visible que le bon Horace, qui ne remarquait rien, ne laissa pas de le remarquer.

M. de Miraval fit un effort sur lui-même, il ne tarda pas à recouvrer son assurance et toute l’aisance de ses manières. Après quelques propos oiseux, il se mit à conter avec agrément plusieurs anecdotes de sa carrière de diplomate, qu’il assaisonna de belle humeur et de sel attique.

Tout en contant, il devisait avec lui-même et se disait : « Il n’y a pas à dire, elle est fort belle ; c’est une maîtresse femme, un morceau de roi. Quels yeux, quels cheveux et quelles épaules ! Je gagerais que ce qu’on ne voit pas vaut pour le moins ce qu’on voit. Est-il possible qu’elle soit la fille de sa mère et que ces cheveux rouges aient produit ces cheveux blonds ? Après tout, elles se complètent. C’est une frégate accompagnée de sa mouche. Il n’y a pas à dire, sa beauté m’irrite, m’exaspère. Elle était faite pour se rendre heureuse en faisant le bonheur de beaucoup de pauvres diables, et, si j’avais quarante ans de moins, je voudrais être du nombre de ces heureux. Mon Dieu ! je ne demanderais pas le morceau tout entier pour moi, je me contenterais de ce qu’on voudrait bien me donner. Il faut être philosophe et savoir partager. Hélas ! les prétentions ont tout gâté ; l’ambition, la fureur de paraître, sont le fléau du genre humain ; la femme qui veut à toute force jouer un rôle tue son bonheur et celui des autres… En conscience, elle est superbe ! N’y trouverai-je rien à redire ? Oui, elle a dans le regard une inquiétude qui ne me plaît pas. Les lèvres sont un peu minces ; bah ! c’est un détail. Grâce à Dieu, elle n’a pas de tache d’encre au bout des doigts ; mais ils sont trop effilés, trop nerveux, et dénotent des mains prenantes. Les paupières sont trop longues ; elles doivent lui servir à cacher beaucoup de choses. La voix est bien timbrée, mais elle sonne sec… C’est égal, si j’avais quarante ans de moins… »

Le marquis ne laissait pas de conter ses anecdotes. Mme Véretz était tout oreilles et souriait de la meilleure grâce du monde. Quant à Mme Corneuil, elle ne se départait pas de sa gravité un peu dédaigneuse. Elle était arrivée avec un parti pris ; elle s’était mis dans la tête qu’elle allait comparaître devant un juge malveillant, venu tout exprès pour prendre sa mesure et la faire asseoir sur la sellette. Aussi s’était-elle armée d’une majesté olympienne, de cette insolence de beauté qui fait rentrer sous terre les impertinents, qui foudroie les orgueilleux et transforme en cerf les Actéons. Bien que le marquis fût d’une politesse irréprochable et empressée, bien qu’il sollicitât presque humblement sa bienveillance et ses regards, elle tenait ferme, elle ne désarmait pas. Pour Horace, il écoutait tout d’un air satisfait ; il trouvait que son oncle était charmant, et il mourait d’envie de l’embrasser ; il trouvait aussi que jamais Mme Corneuil n’avait été si belle, que le soleil avait des clartés inaccoutumées, qu’il pleuvait de la lumière sur son bonheur, que l’air embaumait et que toutes les choses de ce monde allaient à merveille. Il avait cependant un scrupule qui l’embarrassait et par instants faisait passer un nuage sur ses sourcils. En relisant le matin un des fragments de Manéthon, il s’était achoppé à un passage qui semblait contrarier sa thèse favorite, à laquelle il tenait comme à sa vie. Par intervalles, il se prenait à douter si ce fut vraiment sous le règne d’Apépi que Joseph, fils de Jacob, vint en Égypte ; puis il se reprochait son doute, qui lui revenait l’instant d’après. Cette contradiction le chagrinait, car il respectait beaucoup Manéthon. Mais quand il regardait Mme Corneuil, son âme rentrait dans le repos, et il croyait lire dans ses beaux yeux la preuve manifeste que le Pharaon qui ne connaissait pas Joseph était bien Séthos Ier, auquel cas le Pharaon qui l’avait connu était bien Apépi. Être tendrement aimé d’une belle femme, cela fait tout croire, tout devient possible, tout s’arrange, Manéthon, Joseph, le roi Apépi et le reste.

Que se passait-il dans le cœur du marquis ? De quel charme vainqueur était-il la proie ? Le fait est qu’il ne se ressemblait guère à lui-même. Il avait bien débuté, et Mme Véretz prenait plaisir à ses histoires. Peu à peu, sa verve s’alanguit. Cet homme si maître de ses idées ne parvenait plus à les gouverner ; cet homme si maître de sa parole cherchait péniblement ses mots. Il lutta quelque temps contre l’étrange fascination qui le privait de ses facultés, mais ce fut en vain. Il ne prit plus part à la conversation que par quelques phrases décousues qui manquaient absolument d’à-propos et bientôt il tomba dans une profonde rêverie, dans le plus morne silence.

« Ma mère avait raison, se dit Mme Corneuil. Je lui impose, c’est moi qui lui ai fait peur. »

Et, s’applaudissant d’avoir fait taire les batteries de l’assiégeant et éteint son feu, un sourire de fierté satisfaite effleura ses lèvres. L’instant d’après, elle se leva pour faire un tour de jardin, et Horace s’empressa de la suivre.

Le marquis demeura seul avec Mme Véretz. Il suivit quelque temps du regard le couple amoureux, qui s’éloignait à pas lents et qui disparut enfin derrière un buisson. Il parut alors que le charme était rompu. M. de Miraval recouvra la voix, et il se prit à murmurer :

Amants, heureux amants.

Soyez-vous l’un à l’autre un monde toujours beau,

Toujours divers, toujours nouveau.

Puis, se tournant vers Mme Véretz, il s’écria d’un ton lyrique : « Non, on n’a rien inventé jusqu’aujourd’hui de plus beau que la jeunesse, de plus divin que l’amour. Mon neveu est un heureux coquin ; je le félicite tout haut, et je l’envie tout bas. »

Mme Véretz le récompensa de cette exclamation par un gracieux sourire, qui signifiait : — Bon vieillard, nous t’avions mal jugé. Pourrais-tu par hasard nous servir à quelque chose ?

« Plus je les vois ensemble, monsieur le marquis, dit-elle, plus je me persuade qu’ils ont été faits l’un pour l’autre. Jamais caractères ne furent mieux assortis ; ils ont les mêmes goûts et les mêmes dégoûts, la même élévation d’esprit, le même dédain pour les sentiments médiocres et pour les petits calculs, la même insouciance des vulgaires intérêts. Ils vivent l’un et l’autre dans l’azur. Ah ! monsieur le marquis, c’est par une dispensation providentielle qu’ils se sont rencontrés.

— Très providentielle, » dit le marquis.

Et il ajouta in petto :

« La vraie providence est l’habileté des mères. »

Puis il reprit :

« De quoi s’agit-il après tout ? D’être heureux. Mon neveu a mille fois bien fait de ne consulter que son cœur. Il aura l’azur, comme vous dites, chère madame, et tout le reste par-dessus le marché ; car Mme Corneuil… Ne parlons pas de sa beauté, qui est incomparable, mais il est impossible de la voir, de l’entendre sans reconnaître en elle une femme vraiment supérieure, la plus propre du monde à bien conseiller un homme, à le conduire, à le pousser.

— Certes vous la jugez bien, répondit Mme Véretz. C’est une étrange créature que ma fille ; elle a tous les nobles enthousiasmes, qu’elle pousse jusqu’à l’exaltation, et cependant elle est infiniment raisonnable, très intelligente des choses de la vie, et à la fois de glace pour ses intérêts, de feu pour ceux des autres.

— Une seule chose m’afflige, lui dit le marquis. Le fabuliste recommande aux heureux amants de ne voyager qu’aux rives prochaines, et les nôtres iront enfouir leur félicité à Memphis ou à Thèbes. Enlever Mme Corneuil à Paris, c’est un crime.

— Oh ! rassurez-vous, dit-elle, Paris les reverra.

— Vous ne connaissez pas mon neveu : il a horreur de cette ville perverse et frivole. Il m’a fait hier ses confidences, il entend finir ses jours en Égypte, et il m’a soutenu que Mme Corneuil était aussi amoureuse que lui de la solitude et du silence des Thébaïdes. Il a l’air fort doux, personne n’est plus tenace dans ses volontés.

— A la garde de Dieu ! fit Mme Véretz, en regardant le marquis d’un air qui voulait dire : — Mon bel ami, il n’y a pas de volonté qui tienne contre la nôtre, et Paris ne peut pas plus se passer de nous que nous de Paris.

— Ils ont choisi la bonne part, poursuivit M. de Miraval en poussant un profond soupir. Je me suis souvent moqué de mon petit-neveu, à qui je reprochais de ne pas savoir jouir de la vie ; c’est à son tour de se moquer de moi, puisque j’en suis réduit à envier son bonheur. Cueillir des roses, c’est charmant, et j’en ai beaucoup cueilli : mais il arrive un âge où l’on regrette amèrement de n’avoir pas su se créer un intérieur… Vous devez être étonnée de mes confidences, chère madame.

— J’en suis flattée beaucoup plus qu’étonnée, répondit-elle.

— L’ennui me ronge, je dois en convenir. J’avais juré de passer le reste de mes jours dans la retraite, dans le repos. L’ennui me fera sortir de ma tanière. Je vais me replonger dans la politique active. On me presse de me laisser porter à la députation dans l’arrondissement où est mon château, on me propose aussi le sénat. Je vais me livrer de nouveau au monstre. Passe encore si j’étais marié à une femme de sens, très intelligente des choses de la vie, quoiqu’un peu exaltée. On ne réussit dans la politique que par les femmes, et à mon âge on ne peut plus se flatter de réussir par les femmes des autres. Que n’en ai-je une à moi ! Comme dit le poète : « Ai-je passé le temps d’aimer ?… Ah ! si mon cœur… » Je ne me rappelle pas la suite, mais qu’importe ! Heureux Horace ! trois fois heureux ! Vivre en Égypte avec une femme aimée ou se trémousser à Paris, sans femme aimée, au milieu des tripotages de la politique, quelle différence ! »

Mme Véretz trouvait en effet que la différence était grande, mais toute au profit du trémoussement et du tripot. Elle ne put s’empêcher de se dire : « Si mon futur gendre avait l’humeur et les goûts de son grand-oncle, ce serait parfait, et nous n’aurions plus rien à désirer. » De ce moment, le marquis de Miraval lui parut un homme intéressant. Elle essaya de le réconcilier avec son sort, et, comme elle avait l’esprit des affaires et l’amour des détails, elle lui adressa force questions sur son arrondissement électoral, sur les chances de son élection. Le marquis, un peu embarrassé, y répondit de son mieux. Il ne put se tirer d’affaire qu’en détournant le propos et en faisant à cette curieuse une ample description de son château, qui sans contredit en valait la peine, mais où il n’allait guère. Les renseignements minutieux qu’il lui fournit touchant ses terres et leurs revenus n’étaient pas de nature à refroidir l’intérêt qu’elle commençait à lui porter.

Pendant ce temps, Mme Corneuil arpentait une allée du jardin avec Horace, qui ne s’apercevait pas qu’elle avait les nerfs fort excités et un peu orageux. Il y avait un certain nombre de choses dont le comte de Penneville ne s’apercevait presque jamais.

« Dieu ! quel beau temps ! lui disait-il. Le beau ciel ! le beau soleil ! Ce n’est pourtant pas le soleil de là-bas. Quand le reverrons-nous ? Oh ! là-bas, la-bas, comme dit Mignon. Vous me chanterez ce soir cette chanson ; personne ne la chante comme vous. Ce parc ne m’a jamais paru si vert. Il faut convenir que la verdure a du bon, quoique je m’en passe à merveille. J’ai connu un voyageur qui trouvait la Grèce affreuse, parce qu’elle manque d’arbres. Il y a des gens comme cela qui ont la manie des arbres. Vous rappelez-vous notre première excursion à Gizeh, cette grande plaine nue, ces collines onduleuses, ce sable couleur jaune d’ocre ? « On en mangerait ! » disiez-vous. Nous rencontrâmes une longue file de chameaux, je les vois encore. A l’horizon pointaient les pyramides, qui nous semblaient toutes blanches et qui dégageaient des étincelles. Comme elles s’enlevaient sur le ciel ! Elles étaient vibrantes. L’air ne vibre jamais par ici. Oh, le bon déjeuner que nous fîmes dans cette chapelle, assis sur des burnous ! Vous étiez coiffée d’un tarbouch, qui vous allait comme un charme. Quand donc vous reverrai-je en tarbouch ? Ah ! par exemple, la dinde était un peu maigre, et puis je commis ce jour-là une fière maladresse. Je laissai choir la gargoulette qui contenait notre eau du Nil. Nous en fûmes quittes pour rire et pour boire notre vin pur. Après quoi, nous descendîmes dans un caveau, et là, pour la première fois, je vous traduisis des hiéroglyphes. Je n’oublierai jamais quel fut votre ravissement quand je vous appris qu’un luth signifiait le bonheur, attendu que le signe du bonheur est l’harmonie de l’âme. Dans l’écriture chinoise, le bonheur est représenté par une main pleine de riz. Et après cela, qui contestera l’immense supériorité d’âme et de génie des Égyptiens sur les habitants du Céleste Empire ? »

Il finit pourtant par s’apercevoir que Mme Corneuil ne lui répondait pas ; il en chercha l’explication, et il la trouva.

« Quelle impression vous a faite le marquis de Miraval ? » lui demanda-t-il d’une voix anxieuse.

Cette fois elle répondit.

« C’est un homme fort distingué, dit-elle. Il commence admirablement les histoires, mais il les finit mal… Dois-je être sincère ?

— Absolument sincère.

— Il me plaît fort peu.

— Aurait-il dit quelque chose qui vous ait offensée ? s’écria Horace, saisi d’un remords subit et de la crainte que son oncle n’eût profité perfidement des distractions que lui causaient Manéthon et le roi Apépi, pour hasarder quelque méchant propos.

— C’est un homme d’esprit, répliqua-t-elle ; mais il faut avoir de l’âme, et je le soupçonne de n’en pas avoir. »

En disant ces mots, elle attacha sur le visage du jeune homme ses grands yeux bruns où l’on voyait une âme, et peut-être deux.

« À votre tour, soyez franc, reprit-elle. Vous n’avez pas le talent de mentir, c’est un peu pour cela que je vous aime. Vous m’aviez annoncé que vous écririez à Mme de Penneville… Le marquis est sa réponse.

— J’en conviens, dit-il ; mais, quand l’univers entier se mettrait entre vous et moi, il y perdrait ses peines. Vous savez si je vous aime, si je vous adore.

— Votre cœur est à moi, bien à moi ? demanda-t-elle en lui jetant un regard ensorcelant.

— Pour toujours, pour jamais ! » répondit-il d’une voix étouffée.

Ils approchaient d’une charmille, dont l’entrée était étroite. Mme Corneuil passa la première, et quand Horace l’eut rejointe, se retournant, elle demeura immobile devant lui et le contempla avec un sourire mélancolique. Jusqu’à ce jour, elle l’avait tenu à distance, sans lui rien accorder, sans lui rien permettre. Par une inspiration soudaine, elle dépouilla sa farouche vertu et avança doucement vers lui son front et ses lèvres, qui semblaient réclamer un baiser. Il comprit, mais il eut peur d’avoir mal compris. Il hésitait, enfin il osa, et, la serrant dans ses bras, il appuya ses lèvres sur les siennes. Ce baiser le mit hors de lui, le grisa : il fut sur le point de se trouver mal. Une seule fois jusqu’alors il avait éprouvé une ivresse d’émotion comparable à celle-ci : c’était près de Thèbes, un jour que, faisant une fouille, il avait vu de ses yeux apparaître au fond de la tranchée un grand sarcophage de granit rose. Ce jour-là aussi, il lui avait pris une défaillance.

Mme Corneuil s’assit sur un banc ; il se laissa tomber à ses pieds, et posant ses coudes sur des genoux adorés, les mains dans les mains, il resta quelque temps à la manger des yeux. Il n’y avait que la largeur d’une route entre la charmille et le lac ; ils entendaient la vague qui causait tout bas avec la grève ; elle balbutiait des mots d’amour, elle racontait des joies et des mystères qu’aucune langue humaine ne peut dire.

Après un long silence :

« Les grands bonheurs sont toujours inquiets, toujours sur le qui-vive, reprit Mme Corneuil ; tout les effarouche, ils ont peur de tout. Je vous en supplie, débarrassez-nous de ce diplomate. Je n’ai jamais aimé les diplomates ; des préjugés, des intérêts, des calculs, des vanités, ils ne voient que cela dans le monde.

— Vos volontés me sont sacrées, lui dit-il, et, dussé-je me brouiller à jamais avec lui, je ferai tout ce qu’il vous plaira, quoique je lui aie toujours rendu l’amitié qu’il me porte.

— Oui, renvoyez-le dans sa famille, qui nous en voudrait de l’accaparer. Qu’il retourne bien vite lui raconter ses histoires !

— Permettez, sa famille, c’est moi ; il est garçon ou plutôt veuf depuis trente ans et sans fils ni fille. Mais que m’importe son héritage ! »

A ces mots, Mme Corneuil sortit de son extase, et dressant l’oreille comme un chien qui flaire une piste inattendue :

« Son héritage ! Vous êtes son héritier ! Vous ne m’en avez jamais rien dit.

— Et à quel propos vous l’aurais-je dit ? L’argent, qu’est-ce que l’argent ?… Mon trésor, le voici, ajouta-t-il en essayant de prendre un second baiser, qu’elle lui refusa sagement, car il ne faut abuser de rien.

— Ce sont de lâches misères que les questions d’argent, dit-elle… Est-il très riche, le marquis ?

— Ma mère assure qu’il a deux cent mille livres de rente. Qu’il en fasse ce qu’il voudra. Puisqu’il a eu le malheur de vous déplaire, je lui déclarerai tout net que je renonce à la succession.

— Encore y faut-il mettre des formes, répondit avec quelque vivacité Mme Corneuil. Vous avez de l’affection pour lui ; je serais désolée de vous brouiller avec un parent que vous aimez.

— Vous, vous, rien que vous ! s’écria-t-il. C’est si peu de chose que le reste ! »

Il demeura quelques instants encore à ses genoux ; mais, à son vif chagrin, elle l’obligea de se relever, en lui disant :

« M. de Miraval finira par remarquer que nous sommes longtemps absents. Soyons polis. »

Deux minutes après, elle rentrait dans l’ajoupa, où la suivit Horace, et elle aborda le marquis avec une nuance d’affabilité qu’elle ne lui avait pas encore montrée ; mais, quoiqu’elle eût changé de visage et de procédé, le charme ne laissa pas d’opérer, ou plutôt l’effet n’en fut que plus sensible. M. de Miraval, qui avait recouvré toute la liberté de son esprit en conversant familièrement avec Mme Véretz et en lui faisant toute espèce de confidences, se troubla de nouveau quand il revit sa belle ennemie. Il répondit à ses avances par des phrases incohérentes, par des propos sans queue ni tête, qui semblaient tomber de la lune. Bientôt, comme pris de colère contre lui-même et contre son indigne faiblesse, il se leva brusquement, et se tournant vers Mme Véretz :

« On n’oublie pas longtemps son La Fontaine, lui dit-il ; je retrouve à l’instant la fin du vers que je cherchais et que voici :

Ah ! si mon cœur osait encor se renflammer !

Il prit aussitôt congé d’elle, la salua profondément ; puis, s’avançant vers Mme Corneuil, il la regarda dans les yeux et lui dit avec une sorte d’âpreté dans la voix :

« Madame, je suis venu, j’ai vu et j’ai été vaincu. »

Et là-dessus il s’éloigna comme un homme qui se sauve, en défendant à son neveu de le reconduire. On croira sans peine qu’après son départ il fut beaucoup parlé de lui. Tout le monde s’accorda à dire que sa conduite était étrange ; mais Mme Véretz déclara qu’il lui paraissait plus charmant encore que singulier. Mme Corneuil le trouvait plus singulier que charmant. Quant à Horace, il expliqua ce qu’il y avait eu d’un peu bizarre dans son attitude par des inégalités de santé ou par un caprice d’humeur, que son âge rendait excusable. Il avoua du reste qu’il ne l’avait jamais vu ainsi, qu’il l’avait toujours connu bon vivant, alerte, sûr de sa mémoire, dégourdi et se faisant tout à tous.

« Il y a là un mystère que vous aurez soin d’éclaircir, » lui dit Mme Corneuil.

Et comme, ayant regardé sa montre, il se disposait à se retirer :

« A propos, grand paresseux, lui dit-elle, quand donc me lirez-vous ce fameux quatrième chapitre de votre Histoire des Hycsos ? N’allez pas oublier que nous devons le lire un soir et faire à minuit un souper fin en son honneur. Nous le commanderons à Paris, ce souper. Ne sera-ce pas délicieux ? »

A l’idée de cette petite fête intime en l’honneur d’Apépi, le cœur d’Horace tressaillit d’aise, et sa prunelle s’alluma.

« Je ne veux rien vous lire qui ne soit digne de vous. Accordez-moi dix jours encore.

— Dix jours, c’est un siècle ! fit-elle. Mais au moins soyez de parole, ou je me brouille avec vous. »

Il s’éloignait, elle ajouta :

« Quand vous reverrez M. de Miraval, soyez défiant, mais soyez adroit. »

« Lui, adroit ! s’écria Mme Véretz, lorsqu’elle fut seule avec sa fille. Ordonne-lui plutôt de traverser le grand lac à la nage.

— Est-ce encore une épigramme ? dit Mme Corneuil avec humeur.

— Puisque je l’adore tel qu’il est, lui répondit sa mère, peut-on m’en demander davantage ? Quant à M. de Miraval, tu as tort de t’en inquiéter. M’est idée qu’il nous est tout acquis.

— Ce n’est pas la mienne, répliqua-t-elle.

— En tout cas, ma chère, il faut le traiter avec beaucoup de ménagement, car je sais de source certaine…

— Vous allez m’apprendre, interrompit d’un ton dédaigneux Mme Corneuil, qu’il a deux cent mille livres de rente et qu’Horace est son héritier. Ces misérables bagatelles sont pour vous des affaires d’État. »

Et aussitôt après, elle lui dit :

« Demandez donc à Horace d’inviter le marquis à venir au premier jour déjeuner avec nous. »

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