Attinger Frères (p. 24-28).

VIII

Nous le devrons à la civilisation antique.

Mises au rancart, les ineffables sottises proférées au nom de la race ce qu’il faut retenir de l’ère antique, c’est que les Cisrhénans ont longtemps vécu de notre vie, assimilés à nous par la même civilisation.

C’est au nom de leur latinité d’alors que nous les réclamons ; elle ne peut pas de ne pas avoir laissé chez eux quelques possibilités d’une fraternité future.

Il n’est pas indifférent que la langue, la loi, la coutume de Rome aient prévalu des jours de César aux années de l’invasion des Barbares, qui d’ailleurs n’appartenaient pas seulement aux hordes de la Germanie ; des Slaves, des Tartares, des Finnois, des Mongols, grandes armées ou bandes de cheminots, insultèrent aussi à la grandeur romaine.

Longtemps Strasbourg, après avoir été une ville des Celtes, fut Argentoratum, ensuite Argentina. À ses débuts, Noviomagus des Gaulois, Spire devint la Colonia Nemeta ; Worms, d’abord le Borbotomagus celtique, se mua en ville romaine ; Mayence a corrompu son nom de Mogontiaoum ; Coblence, celui de Confluentes ; Cologne, celui de Colonia, tout au long, Colonia Agrippina, auparavant Oppidum Ubiorum ; Aix-la-Chapelle vivait sous le nom d’Aquæ, les Eaux (minérales) ; Trêves, enfin, dans sa belle vallée de la Moselle, Colonia Augusta Trevirorum, eut la splendeur d’un grand centre latin et ses ruines d’alors en font, pour ainsi dire, une Nîmes septentrionale.

À quoi tiennent les destinées ? La conquête de la Gaule par les Romains aurait dû naturellement se compléter par celle de la Germanie, et cela fait, les Allemands se glorifieraient aujourd’hui de leur latinisme, au lieu de s’enfler d’orgueil à la pensée qu’ils sont le peuple intact, le peuple qui pense, le peuple qui agit, le peuple élu, et en vérité le seul peuple.

Auguste, qui était une sorte de roi des rois, passa, dit-on, des nuits à gémir, en criant : « Varus, rends-moi mes légions ! » Étonné, inquiet et comme sidéré, il conseilla, il ordonna d’arrêter la conquête un moment contrariée par un sauvage quelconque, Hermann, dit à la latine Arminius, qui avait été auparavant soldat romain. Ce déserteur attira trois légions dans les embûches de la sylve, il les embrouilla dans le clapotis des marais et les massacra à loisir ; les Allemands en ont fait leur grand héros national.

En réalité, ce fut ici la lutte entre des hommes policés, organisés, et des primitifs amorphes : le Français du Canada contre l’Iroquois, ou l’Anglais contre le Zoulou.

Quelques années après, Germanicus conquit les Barbares dont Auguste avait été effrayé, mais ce triomphe n’eut pas de suites. Il aurait fallu le pousser jusqu’aux bourbiers de cette Pologne où « la boue est le cinquième élément, après la terre, l’eau, l’air et le feu ». Ces grands palus, et au midi, les Carpathes, soumises plus tard par Trajan, auraient borné l’empire et la Germanie se serait fondue dans le moule romain.

Mais le monde est ce qu’il est.

En ce qui intéresse la France, nous devons envisager les pays de la rive gauche du Rhin comme liés à nous par des communautés ancestrales d’où pourront se dégager des affinités électives.