Attinger Frères (p. 15-18).

V

Le Rhin.

On a vanté le Rhin sans mesure, les Allemands surtout. Quant aux Français, ils ont eu le tort insigne de le louer plus que le Rhône, de trop s’extasier sur son « héroïque percée » du Taunus et du Hunsrück, qui est bien moins vaillante que la transgression du Jura par le fleuve de Genève et de Lyon.

C’est d’ailleurs un fort beau courant.

Il naît des Alpes suisses, remplit le lac de Constance, un peu moins vaste que le Léman, et se brise dans une cascade de vingt mètres de haut qu’on prétendait la plus puissante de l’Europe lorsqu’on ne connaissait pas les fos[1] de la Scandinavie,

Quand il sort de la « libre Helvétie » pour tourner brusquement au nord le long de l’Alsace, il roule en moyenne 1000 mètres cubes de belles eaux vertes ; 399 en étiage.

Il serait plus magnifique si ses largeurs n’avaient été réduites le plus possible à 250 mètres pour les nécessités de la batellerie. Son très célèbre défilé de quinze lieues, entre Mayence et Coblence, ne manque pas de grandeur ; il aurait plus de beauté si ses collines, ses falaises n’étaient d’ardoise grise ou brune et si ses burgs[2] n’avaient pas été réparés, reconstruits ou truqués.

Passé Cologne, la contrée s’aplatit, le Rhin se fait paresseux, il se divise, mêle en Hollande ses bras à ceux de la Meuse et verse, plus ou moins, 2200 mètres cubes par seconde dans la mer du Nord. Long d’un peu au delà de trois cents lieues, il draine à peu près 20 millions d’hectares.

Très petit, tout menu quand on le compare aux grands rios de l’Amérique méridionale, c’est en Europe un maître courant qui fut antan difficile à franchir pour les armées. Moins par lui-même que par les fausses rivières, les bras morts, les lagunes, les marais qui, disparus maintenant, accompagnaient jadis ses deux bords. Maintenant, des forts supposés imprenables, mais qu’heureusement on peut affamer ou tourner, ont la prétention d’en interdire le passage aux dégénérés de l’Ouest : ce que nous sommes pour les bouledogues à lunettes dont se compose la nation surnaturelle.

Voilà ce qu’est le Rhin ; le Rhin paternel, le père Rhin[3], disent les Allemands ; le Rhin où nous montons la garde[4] ; le libre Rhin allemand que n’auront jamais les Français[5] ; le Rhin où croissent nos raisins, disent-ils encore[6].

  1. Cascades.
  2. Châteaux de l’ère médiévale.
  3. Der Vater Rhein.
  4. Die Wacht am Rhein.
  5. Sie sollen Ihn nicht haben
    Den deutschen freien Rhein.
  6. Am Rhein, am Rhein, da wachsen unsere Reben.