Le Reniement des Dieux

Le Bouclier d’ArèsÉdition du Mercure de France (p. 73-77).




LE RENIEMENT DES DIEUX




 
Maudite à jamais soit ton inutile image,
Devant qui s’inclinait la mitre du faux sage !
Maudit sois-tu, Melqart, implacablement sourd
À la clameur montant du rivage de Zoûr,
À ton peuple expirant sous le fouet des colères !
Toi dont la Force armait l’éperon des galères
Et qu’invoquaient, les yeux sur l’océan lointain,
Nos matelots, cinglant vers les Îles d’Étain :
Qui dévorais, avec des ronflements de braises,
Les membres de nos fils saignant dans tes fournaises,
Toi qui nous as livrés à la Force d’Asshour,

Sois maudit dans Zidon et sois maudit dans Zoûr !
Maudits les baalim et maudits les kabires,
Maudits les dieux des mers et les dieux des navires !
Par les carcans de fer qui rampent sur nos cous,
Par nos reins écrasés et broyés sous les coups,
Par nos ulcères, par nos fièvres, par nos plaies,
Par nos aïeuls râlant sur le sable et les haies,
Par les ailes du feu, du meurtre et de la faim,
L’abomination des crimes et l’essaim
Des pestes, des fléaux, des faulx et des supplices,
Dieux fourbes, Dieux menteurs, Dieux traîtres et complices
Dieux qui hier encor vous disiez immortels,
Soyez maudits, et des pierres de vos autels !



Dieux des Hâtti, Dieux des bergers et des Nomades,
Adorés sous la tente et sous les colonnades
Des palmiers d’Amaleq et des dattiers de El,
Que, des rochers d’Edom à la plaine de Sel,
Les aigles montagnards saluaient à l’aurore,
Par la cendre qui fume et le feu qui dévore,
Par la citerne fraîche et par les puits comblés,
Par la torche courant dans la pâleur des blés,
Par l’aire du faucon veuve de cris et d’ailes,
Par le vol triomphant des lances infidèles
Du torrent d’Isréel aux flots d’Ezion-Gueber,
Maudits, soyez maudits des sables du désert !






Et toi, sombre Elohim, unique et solitaire,
Dont l’invisible face inquiète la terre,
Ô Jaloux d’Israël, inabordable et seul
Sous la tente d’éclairs et sous l’épais linceul
De tes lois par l’épée et le feu proclamées ;
Sabaoth, qui te dis le Seigneur des armées,
Le maître de ton peuple et la verge des tiens,
Le pourvoyeur sacré des chacals et des chiens,
Le tueur des enfants dans le ventre des mères,
Et le seul éternel parmi les éphémères ;
Toi qui faisais hurler aux gibets des chemins
Tes insulteurs cloués par la paume des mains,

Qui vouais au tranchant des glaives lévitiques
Les pâles sectateurs des aschéras antiques,
Et jetais au bûcher, dans les lieux consacrés,
Leurs squelettes blanchis et leurs os déterrés ;
Qui, pour venger l’offense infligée à tes rites,
Brûlais sur le pavé les dépouilles proscrites,
Faisais fumer, au seuil ravagé des maisons,
La graisse des troupeaux conquis et les toisons,
Et livrais, dans l’orgueil de tes vains sacrifices,
Quand le sang ennemi comblait les précipices,
Au couteau de silex les jarrets des juments ;
Violateur du pacte et des anciens serments,
Entends-tu dans Shekem, dans nos murailles blanches,
Le cri de tes nabis sciés entre deux planches
Sur le parvis du Temple où s’usaient leurs genoux !




Ô Fort ! puisque ton bras s’est retiré de nous,
Que tu nous as vomis ainsi qu’une eau fétide,
Et poussés du talon jusqu’à l’égout sordide,
Comme la peau d’un bouc sur le fumier crevé ;
Puisque, de ton partage exclus et réprouvé,
Aux fossés de ta route, au pied de tes murailles,
Rejeté de ton seuil comme un monceau d’entrailles
Immondes, où les chiens lépreux des carrefours
Disputeront leur proie odieuse aux vautours,
Ton peuple agonisant et hurlant de famine
Pourrit tel qu’un ulcère où grouille la vermine ;
Par le palais d’Ahab et les Rois lapidés,
Par les vieilles serrant sur leurs ventres ridés
Les tout petits enfants écrasés sous les poutres,
Par les crucifiés gonflés comme des outres,
Par l’étal empesté dans les airs corrompus,
Par les crânes ouverts et les membres rompus,
Par l’opprobre exécré du mal héréditaire
Et l’imprécation qui monte de la terre,
Sois maudit, Iahvé Sabaoth, sois maudit !