Le Radium qui tue/p08/ch03

Éditions Jules Tallandier (12 Voir et modifier les données sur Wikidatap. 378-387).


CHAPITRE III

La Sonnette magique


Les dernières paroles du détective amateur avaient médusé son interlocuteur. Il le considérait avec effarement. Avec la rectitude de jugement d’un homme de la nature, Ghis avait de suite compris la certitude de la déduction ; mais son cerveau fruste, ignorant des lois de la discussion philosophique, ne concevait pas le mécanisme des idées intermédiaires.

Son compagnon lui apparaissait comme un sorcier, commandant à son cerveau de voir les choses invisibles aux autres hommes. Dick ne s’occupait pas de lui. À l’animation de ses traits, on pouvait deviner qu’un groupement de circonstances intéressantes s’opérait sous son crâne, lui donnant un point de départ solide, pour l’enchaînement des faits.

Il releva brusquement la tête.

— Chef, pourrais-tu te souvenir, de la position exacte des dernières traces relevées par toi ?

Le Mongol tressaillit.

— Oui. Mon cheval était cher à mon cœur. J’ai cherché comme on cherche un ami.

— Bien, dis-moi ce que tu as remarqué.

— Selm-Arge s’est arrêté. Ses sabots avaient laissé des empreintes profondes. La tête regardait le nord.

— Te serait-il possible de te placer identiquement de même ?

— Sans hésiter. Tiens, tu vois cette touffe d’Iei-chin (sorte de chardon nain à fleur amaranthe). Les pieds de devant de mon beau coursier la touchaient. C’est là un point de repère qui ne saurait me tromper.

— Eh bien, pousse ta monture de telle sorte qu’elle occupe, aussi exactement que possible, la place de l’animal disparu.

Et le chef ayant obéi, Dick se posta en avant du cavalier, choisit à deux cents mètres en arrière un jalon de direction, dans l’espèce, un autre pied de Iei-chin, puis il marcha vers cette plante.

Tout en progressant, ses yeux exploraient minutieusement le sol.

Parvenu aux chardons choisis, il renouvela la même manœuvre.

À plusieurs reprises, il opéra ainsi, s’éloignant du Mongol de près d’un kilomètre. À mesure, que la distance augmentait, son allure se ralentissait. Ses regards exprimaient l’impatience. Pour qui connaissait le jeune homme, il était permis d’affirmer qu’il avait espéré une chose qui ne se produisait pas.

Mais, tout à coup, ses traits s’illuminèrent. Il eut une brève exclamation :

— Enfin !

Sur le sol, trois ornières parallèles, profondes de quelques millimètres à peine, traçaient leur sillon sur une vingtaine de mètres.

Qu’était cela ? Nul ne l’aurait remarqué. Mais probablement Dick cherchait cette trace légère, car il revint vers son compagnon.

— Eh bien ? murmura celui-ci d’un ton soumis, contrastant avec sa superbe de tout à l’heure.

De toute évidence, les allées et venues du jeune homme lui donnaient l’impression des mômeries des sorciers, si en honneur parmi les peuplades primitives. Dick se borna à répondre :

— Je croîs que ce soir nous connaîtrons le complice du voleur, puis par ce dernier, le voleur lui-même.

Et le cher sursautant, voulant des explications, son interlocuteur lui coupa la parole.

— Rentrons au village. Auparavant, un mot encore.

— Le mot sera dit, s’il est en mon pouvoir.

— N’y a-t-il pas aux environs du village un endroit où le piétinement incessant de visiteurs nombreux empêcherait de prêter attention à une empreinte particulière, une source, une fontaine, un lieu d’assemblée par exemple ?

Nos assemblées se tiennent au centre de l’agglomération devant ma yourte principale : mais il existe une source abondante en toute saison, où les femmes vont chercher l’eau nécessaire à nos besoins.

— Et elle se trouve ?

— Oh ! loin d’ici, de l’autre côté du village, vers l’ouest

— Parfait, en route.

Agilement, le jeune homme se remettait en selle et poussait sa monture vers l’agglomération, coupant court ainsi aux questions que son compagnon brûlait de lui adresser.

Toutefois, au moment où tous deux allaient de nouveau s’engager dans le sentier serpentant parmi les habitations, il lui toucha le bras.

— Chef ! Dès notre arrivée, tu ressembleras tes serviteurs sous un prétexte domestique quelconque.

— Bien.

— Et une fois en notre présence, tu observeras le silence le plus absolu, me laissant parler seul.

— Je ferai ainsi.

— Veille surtout à ce qu’aucun ne manque parmi les gardiens des chevaux.

Un quart d’heure plus tard, tous deux mettaient pied à terre devant la grande hutte du Khan. Tandis que ce dernier donnait ses ordres pour le rassemblement de ses serviteurs. Jean Brot s’était approché de Dick. Tous deux causèrent un instant à voix basse. Le conciliabule prit fin sur cette exclamation joyeuse du gamin :

— Ah ! patron, c’est rudement cocasse, cette affaire-là.

Et aussitôt tous deux se mirent en mouvement, Jean réclamant à grands cris des cordes analogues à celles qui limitaient les parcs à bestiaux, se faisant confier par l’épouse du chef une pièce de toile de lin.

Puis, le Parisien ficha deux chevilles dans les parois opposées à la yourte, et tendit entre elles sa cordelette, qui partageait en deux, suivant une diagonale, l’unique pièce de ce modeste palais mongol.

Dick, lui, se livrait à une opération incompréhensible.

Il s’était emparé d’une grosse sonnette, ancienne cloche d’un pensionnat ou d’un hôtel, échouée dans le steppe à la suite d’aventures inconnues, et qui servait seulement à appeler les guerriers à l’assemblée où se discutaient les intérêts de la tribu.

Muni de cet instrument, il disparut dans la hutte affectée aux préparations culinaires. Étrange coïncidence, à peine s’y fut-il introduit qu’une épaisse fumée noire s’échappa par le trou circulaire au sommet de la case pour le passage des vapeurs provenant du foyer.

Cela dura quelques minutes, puis la fumée cessa. Dick reparut, revenant à la case du chef.

Là, sur un billot de bois, il posa la sonnette qu’il recouvrit de ce tissu de lin mis par la maîtresse du logis à sa disposition. Ceci fait, il attendit. Jean s’était posté à une extrémité de la cordelette tendue en travers de la salle.

L’attente fut brève. Un bruit de pas, de conversations venant du dehors, s’engouffra dans la pièce, et en même temps, le vieux Ghis y pénétra.

— Tous mes serviteurs sont là. Qu’ordonnes-tu ?

— Nous commencerons par les gardiens de tes chevaux, dont l’absence des parcs doit être réduite au minimum. Quel est leur nombre ?

— Dix.

— Eh bien, appelle-les en leur expliquant pourquoi ils passent les premiers. Tu leur ordonneras ensuite de m’obéir comme à toi-même.

D’un ton suppliant, le vieillard demanda :

— Et je saurai où est Selm-Arge ?

Avec une audace stupéfiante, Dick Fann répliqua :

— Tu le sauras, si tu obéis.

Il n’en fallut pas plus. Le Mongol se précipita au dehors. On l’entendit haranguer la foule, puis sa haute silhouette se montra de nouveau sur le seuil.

— Mes « hommes de cheval » me suivent, et ils obéiront au sorcier, mon hôte vénéré.

Le vieillard n’avait pu taire davantage l’idée ancrée dans son esprit par le mystère dont le jeune homme s’était entouré pendant ses préparatifs.

L’affirmation, du reste, devait être escomptée par Dick, car il accueillit l’annonce du chef par un sourire et prononça :

— Le sorcier remercie le Khan. Que les hommes de cheval entrent et se conforment à mes instructions.

Dix hommes robustes entrèrent, l’œil inquiet, les faces plates et larges exprimant la crainte du pouvoir magique du sorcier.

Jean Brot avait détaché l’une des extrémités de la corde tendue, ouvrant ainsi un passage par où il fit se glisser chacun des serviteurs, lesquels furent rangés en ligne derrière la corde qui les séparait de la portion de l’enceinte occupée par le pseudo-magicien.

— Écoutez tous, commença Dick Fann dans le silence religieux qui s’était établi. Chacun, à l’appel de son nom, viendra à moi, passant auprès de ce jeune homme.

Il désigna Jean Brot, tout fier de son rôle, et se cambrant dans une pose avantageuse.

— Ensuite, sur mon ordre, il se rangera derrière moi.

Tout mouvement d’apparence militaire est compris sans effort par les Mongols, dont les aptitudes guerrières assureront à la Chine de merveilleux combattants, le jour où elle saura utiliser leur valeur.

Les têtes s’inclinèrent. Alors Dick, d’un geste large, recommanda le silence. Ses mains s’étendirent sur le tissu voilant la sonnette, et il prononça un discours en anglais. Sa langue maternelle, ignorée des assistants, devait leur sembler une mélopée fantasmagorique. Au demeurant, le jeune homme répétait simplement ses instructions à son fidèle Jean.

Ce soin pris, il revint à l’usage du russe, que tous les Mongols entendent suffisamment. Et, dans la demi-obscurité régnant en la hutte, ses paroles empruntant à l’emphase du débit une autorité troublante :

— Sous le linge blanc que vous voyez ici, est la sonnette des assemblées, à laquelle, aidé par les Esprits de l’Air, j’ai donné la vertu magique de connaître la vérité.

Un murmure, aussitôt étouffé, montra l’admiration profonde des assistants pour un prodige dont aucun ne songea à douter.

— Or, parmi vous, loyaux fils de la terre mongole, un traître s’est glissé. Celui-là doit être séparé des guerriers sans reproche. La sonnette le désignera. Que chacun à son tour approche, qu’il glisse sa main droite sous le tissu de lin et qu’il saisisse la clochette. Elle restera muette pour les honnêtes gens, mais sonnera au contact de l’infâme. Quel crime a-t-il commis ? Il a aidé des hommes étrangers à voler Selm-Arge, ce cheval créé par les génies et dont la présence assurait la prospérité de votre tribu.

Maintenant, plus aucun bruit. Les hommes se regardaient en dessous d’un air soupçonneux. Il y avait un vent de menace contre l’inconnu ayant contribué à éloigner le cheval auquel était attachée la prospérité de la tribu. Et soudain, sur un signe de Dick Fann. Le vieux chef désignant chaque serviteur par son nom, le défilé commença.

— Idgar ! Rokbâ ! Faouh ! Galtar ! appelait le vieillard.

Chacun s’approchait, glissait la main sous la toile, puis gagnait sa place. Ces Mongols, qui ne connaissent pas la crainte dans les combats, frissonnaient d’une crainte superstitieuse à la seule pensée de cette cloche douée du pouvoir magique de tinter au contact de la main d’un voleur.

Quatre, cinq, six gardiens passèrent, puis huit, neuf et dix. Chacun avait pris place en arrière de Dick. La cloche n’avait pas sonné.

Jean Brot, chatouillé par une envie terrible de rire, grimaçait affreusement par suite de ses efforts pour dominer son hilarité, en face des visages joyeux des serviteurs, de la figure consternée du vieux chef.

Mais Dick éleva la main.

— Formez le cercle, commanda-t-il.

Et les Mongols ayant exécuté le mouvement, il dit encore :

— Qu’on allume les torches.

Jean attendait ces mots, car instantanément deux torches s’embrasèrent, dissipant la pénombre de la salle.

— Présentez vos mains droites, la paume en l’air.

Dix paumes s’élevèrent autour du jeune homme, qui les couvrit d’un regard circulaire, et désignant l’un des assistants, celui qui tout à l’heure avait répondu au nom de Galtar :

— Voici le complice du voleur.

— Moi ! essaya de protester l’accusé, tandis que Ghis se rapprochait vivement, stupéfié par ce dénouement inattendu, car pas plus que ses serviteurs, il n’avait compris goutte à l’aventure.

Mais Dick imposa rudement silence à l’accusé.

— Tais-toi. Tu rachèteras ta faute en aidant ton maître à rentrer en possession de Selm-Arge, fétiche heureux du village.

Et, narquois :

— Les sorciers ne disent pas tout. La cloche ne devait pas sonner pour désigner le coupable. Eh ! eh ! c’est autrement qu’elle pouvait le confondre. Regardez vos mains, guerriers. Tous ceux dont la conscience est pure ont bravement serré la cloche entre leurs doigts. Leurs mains sont noircies. Seul le voleur n’a point osé. Il a fait semblant, croyant nous tromper, et sa main est demeurée indemne de la noirceur dont la sonnette avait promis de marquer les honnêtes gens.

Tous considéraient leurs droites avec stupeur.

Ce qu’affirmait le « sorcier » était rigoureusement vrai. Et devant ce prodige, ces hommes simples demeuraient éperdus. Le chef, lui, s’était immobilisé en une attitude respectueuse. Il vénérait son hôte maintenant.

Pourtant le prodige s’expliquait bien simplement. Dick avait enduit la sonnette d’une épaisse couche de noir de fumée, rééditant l’anecdote moyenâgeuse du sac de charbon.

Ces procédés, démodés dans nos pays de civilisation outrancière, conservent toute leur valeur en face de primitifs. Mais le jeune homme avait pensé que, même après l’expérience, il importait de laisser les assistants sous le coup d’une hypothèse merveilleuse.

— Galtar, reste ! Que les autres sortent et renvoient tous ceux qui attendent encore ! Personne, parmi ceux-là, ne saurait être soupçonné.

Une acclamation salua cette péroraison, et les Mongols sortirent, joyeux d’échapper à un sorcier redoutable.

Alors Ghis se rua vers Galtar et le secouant rudement :

— Misérable ! rugit-il, tu as volé ton maître.

L’autre se laissa tomber sur les genoux avec ce seul mot :

— Grâce !

C’était l’aveu ! Dick s’interposa aussitôt et, écartant le chef avec cette vigueur nerveuse irrésistible que son apparence ne faisait point soupçonner :

— Il te sera fait grâce si tu ne dissimules rien.

Et, se tournant vers le vieillard :

— Tu entends, chef ; cet homme ne sera pas puni s’il dit la vérité tout entière.

L’interpellé s’inclina jusqu’à terre.

— Ta volonté est la mienne.

— Bien. Tu entends, Galtar, ta grâce dépend de toi seul. Comment as-tu connu, celui que tu as servi contre ton maître ?

— Je l’ai rencontré dans le steppe en chassant. Il m’a dit être un puissant magicien. Il m’a offert un collier de perles rouges, dures comme la pierre…

— Du corail, murmura l’Anglais.

— … Pour Stolna, ma douce fiancée. Il m’a affirmé que je ne serais jamais soupçonné. Le maître est si riche ; que lui importait un cheval ? Je ne savais pas que la bête contenait la félicité du district. Et puis Stolna aime la parure.

— Ce sorcier, fit négligemment le jeune homme, est grand, sec, brun, avec des yeux noirs très vifs.

L’homme frissonna :

— Ah ! je vois qu’alors déjà vous nous aviez sous votre regard.

Dick affirma gravement de la tête, et avec lenteur :

— Ne se faisait-il pas enlever vers le ciel par un grand oiseau blanc ?

— Si, si, s’écria Galtar en se prosternant, le front dans la poussière. Je comprends, tu es un plus grand sorcier, toi, qui, même absent, as tout vu.

— J’ai tout vu, répéta imperturbablement le jeune homme, tandis que Jean Brot se détournait pour dissimuler une irrésistible envie de rire, et je vais te le prouver. La nuit du vol, tu as mené Selm-Arge hors de son écurie. Tu l’as conduit vers l’est, loin en dehors du village ; là, tu t’es arrêté, tenant au-dessus de ta tête un anneau.

— … Terminant une tige de fer fixée par des courroies se rejoignant sous le ventre du cheval, acheva le Mongol dont les dents claquaient de terreur.

— C’est cela même. Alors l’oiseau blanc, que nous autres sorciers appelons un aéroplane, est arrivé à tire-d’aile. Un crochet a happé l’anneau et t’a enlevé avec ta monture. Après, vous avez tourné autour du village jusqu’à la source. Là, tu t’es laissé glisser à terre. Et l’oiseau blanc a disparu vers le nord, emportant le Soleil d’or.

Galtar semblait pétrifié. Du reste, il n’était pas le seul. Ghis, Jean lui-même, demeuraient bouche bée, ne concevant pas la suite des raisonnements grâce auxquels le détective amateur avait reconstitué la vérité.

Le Parisien ignorait que Dick avait encore sur lui le mouchoir sali au contact du noir coursier du lieutenant de cosaques Bariatine… Ceci avait été le premier anneau de la chaîne.

Teindre un cheval a évidemment pour but de le rendre méconnaissable. Pourquoi cette manœuvre, si l’acquisition a été licite ?

Le récit du chef avait répondu à la question. Le cheval alezan volé était devenu noir ; il n’avait pas laissé de piste parce qu’il s’était envolé. D’où l’idée du puissant aéroplane de la mine de Borenev.

Et Galtar ayant été congédié, l’ahurissement du fidèle de Dick atteignit à son paroxysme lorsqu’il l’entendit déclarer, tranquillement, au chef absolument conquis :

— Ton voleur se nomme Ozeff. Il habite près de la mine de Borenev, au long du Baïkal. Il a enlevé ton cheval au moyen d’une machine volante, l’a donné au lieutenant de cosaques Bariatine, lequel a teint en noir la brave bête, afin que sa robe dorée n’attirât pas l’attention.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dix jours plus tard, le journal Irkoutska Novoie racontait l’anecdote suivante qui faisait trembler tous les habitants de la ville :

« Un terrible attentat anarchiste vient de démontrer tragiquement que les révolutionnaires ne sauraient être amendés par la bonté.

« S. E. le gouverneur d’Irkoutsk, désireux de montrer à un puissant khan mongol les exploitations cuprifères du Baïkal, s’était rendu avec son hôte à la mine du Borenev.

« La surveillance des puits était assurée par un détachement cosaque, que commandait le lieutenant Bariatine, officier distingué, espoir de l’armée.

« Hélas ! le jeune officier était affecté de cette sensiblerie fréquente chez les modernes, qui consiste à gémir sur la souffrance des criminels, condamnés aux travaux forcés.

« On se soucie peu des bons citoyens, peinant pour gagner leur modeste vie. Car on réserve sa pitié aux seuls coupables.

« Nous n’insistons pas ; nous semblerions blâmer l’infortuné lieutenant, et devant une tombe il convient que la critique désarme.

« On avait visité la mine. Avec l’autorisation de S. E. le gouverneur, Bariatine avait offert au khan mongol un superbe cheval noir, présent qui avait comblé de joie le bénéficiaire. Les visiteurs prirent congé.

« Alors que s’est-il passé ? L’enquête n’a pu l’établir avec certitude.

« Des témoignages recueillis, il semble résulter que l’officier se rendit au baraquement où l’on abritait un aéroplane, dont le gouvernement a récemment doté le service de surveillance. Le pilote dudit appareil était un certain Ozeff, nihiliste que le jeune officier, en sa bonté, avait fait remonter de la mine, pour l’employer à la surface du sol.

« Ce dernier avait-il en secret préparé, lors de la visite du gouverneur, un de ces horribles forfaits dont les révolutionnaires ne sont que trop coutumiers ?

« Obéit-il à une fureur soudaine en constatant que, pour des raisons ignorées, son auguste victime lui échappait ?

« Le misérable ne le dira jamais à personne. Une explosion d’une violence inouïe a réduit en poudre le hangar, l’aéroplane, le pilote et le lieutenant. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dans le train qui, au moment où paraissait cette information sensationnelle, roulait à toute vapeur vers la Russie européenne, deux personnes eussent pu expliquer que le cheval noir, non pas donné, mais rendu au khan Ghis, avait causé toute la catastrophe.

Bariatine, convaincu de complicité de vol avec le nihiliste Ozeff, avait été invité par le gouverneur à se tenir à la disposition de l’autorité militaire… Des cartouches de mine, dont il avait la libre disposition, assurèrent son évasion dans la mort, avec le complice de sa faute.

Peut-être Ozeff, esprit de destruction, outrepassa-t-il les ordres de l’officier, en détruisant aéroplane et baraquement.

Les deux voyageurs, Dick Fann et Jean Brot, ne devaient jamais parler de ces choses, s’étant engagés vis-à-vis du gouverneur à garder le silence.