Le Radium qui tue/p06/ch04

Éditions Jules Tallandier (12 Voir et modifier les données sur Wikidatap. 295-304).


CHAPITRE IV

La Chasse au glaçon


La ligne du Transsibérien, on le sait, a pour point terminus Vladivostok, port de guerre sur le Pacifique. C’est le terminus officiel. Toutefois, à quelques verstes en avant de ce point, se détache vers le nord un embranchement qui se termine, lui, à Khabarovsk.

Or, quelques jours après les événements terribles dont la région des îles Diomèdes fut le théâtre, un groupe d’hommes avaient pénétré, chargés de deux civières grossières dans une maison de bois, moitié yourte, moitié isba, sise au bord de la mer, à une douzaine de verstes nord-est de Khabarovsk.

Sur des fourrures, ils avaient déposé deux corps, deux cadavres d’apparence, car ils ne faisaient aucun mouvement. Puis ils s’étaient retirés, après avoir reçu quelques pièces de monnaie d’un personnage qui les accompagnait.

Celui-ci demeura seul auprès des deux corps.

Il les considéra avec attention. Enfin, il grommela d’une voix sourde :

— Botera est bien mort. Cet homme du Pérou n’a pu supporter la température de ces régions, où le printemps est plus rigoureux que l’hiver de son pays américain. Mais le sieur Defrance vit encore. Il s’agit de le sauver, lui. Pour moi-même, il doit vivre.

Il sortit de sa poche un flacon de cristal, à fermeture d’or, dans lequel tremblotait une liqueur rosée, et fit couler quelques gouttes de l’élixir entre les dents serrées de celui qu’il avait appelé Defrance.

L’effet en fut instantané. Les tons verdâtres marbrant le visage du père de Fleuriane disparurent, remplacés par une teinte vivante. Les narines pincées se dilatèrent, les paupières eurent une légère palpitation.

— Bon ! poursuivit l’homme, un bol de bouillon, et il sera en état de m’entendre. Mais auparavant, il faut le mettre dans l’impossibilité de résister.

Dans un angle de la pièce, il ramassa un rouleau de cordelettes, et méthodiquement en ligota le patient auquel il ne laissa libre que la main droite.

— Là, fit-il encore avec satisfaction. Le voilà prêt pour la conversation. Au bouillon maintenant.

Au-dessous d’un trou circulaire percé dans le toit pour l’échappement de la fumée, un foyer rudimentaire, formé de pierres accolées, supportait une marmite de campement, dont les flancs étaient léchés par les flammes d’un combustible étrange, donnant l’illusion de mottes de gazon desséchées.

C’était la tourbe particulière à l’est sibérien, cette tourbe arrachée à la surface des toundras, immenses solitudes, glacées durant l’hiver et se transformant en marécages pendant la brève saison d’été.

L’homme souleva le couvercle ; une vapeur odorante se répandit dans la salle.

— Eh ! eh ! le brave homme va goûter un consommé de roi. Si Botera n’était pas aussi complètement mort, il se réveillerait pour tâter d’un semblable bouillon.

Comment le joaillier se trouvait-il là ?

Oh ! d’une façon bien simple. Après la conversation cruelle que Larmette avait eue avec Fleuriane sur les rochers d’East-Cape, en face des îles Diomèdes, le sinistre aventurier avait aperçu l’iceberg flottant, sur lequel Dick Fann et ses amis s’agitaient désespérément.

Une lueur avait éclairé son esprit.

Le courant froid du pôle descend vers le sud en prolongeant de très près la côte asiatique. Il fallait l’accompagner et observer du rivage la montagne de glace, sur laquelle ses adversaires étaient prisonniers.

Avec son automobile de cent chevaux, rien de plus facile.

Ainsi il aurait la certitude de l’engloutissement de ses ennemis, ou bien, peut-être, le hasard les lui livrerait. Dans les deux cas, il cesserait de craindre la pensée pénétrante de Dick, de ce détective amateur qui, il en était assuré, avait percé à jour tous ses desseins, débrouillé l’écheveau compliqué de ses méfaits. Fleuriane désarmée, garrottée comme une coupable, fut jetée par lui dans l’automobile.

Lui, au volant, dirigea la marche de l’appareil vers le sud.

Huit jours, dix jours s’écoulèrent ainsi. Tantôt l’iceberg et la voiture demeuraient de longues heures en vue l’un de l’autre ; puis un caprice du courant écartait le bloc flottant du rivage, ou bien des baies, déchirant la côte, obligeaient Larmette à s’enfoncer dans les terres.

Mais le misérable calculait avec une précision mathématique la vitesse moyenne du courant qui entraînait inexorablement ses victimes. Aussi, après une éclipse plus ou moins longue, reparaissait-il aux yeux de ceux dont il accompagnait l’agonie.

Ceux-ci, en effet, n’avaient pas tardé à remarquer cette machine qui semblait les escorter. Leur attention une fois attirée, ils avaient reconnu sans grande peine la Botera. L’ingénieur ne pouvait se méprendre sur la nature de ce véhicule imaginé et construit par lui-même. C’était une escorte à la mort que leur accordait le joaillier de la rue de la Paix.

Et tandis que Dick Fann, Jean, M. Defrance s’irritaient, usant dans des transports de rage impuissante les dernières forces que leur laissait la faim, Botera, lui, tremblait de fièvre et d’épouvante. Il se montrait terrifié à la pensée de retomber entre les mains de son ex-complice ; à tout instant, il gémissait :

— Perdu ! Perdu ! Il ne me fera pas grâce  !

Jean obéissant à sa nature de Parisien, pris du besoin d’agir, si désespérée que parût la situation, avait taillé des marches dans le flanc abrupt de l’iceberg, dont la hauteur, du reste, avait sensiblement diminué sous la morsure ardente du soleil de la saison chaude.

Car c’est là une caractéristique de ces régions d’extrême septentrion : après l’hiver et ses excessives rigueurs, vient une période de chaleur intense, presque insoutenable, qui, en peu de jours, dégèle le sol jusqu’à plus d’un mètre de profondeur.

L’iceberg fondait à vue d’œil. Néanmoins, Jean, utilisant l’escalier vertigineux creusé par lui, descendait jusqu’au niveau de l’eau. Armé d’une ficelle, au bout de laquelle il avait fixé les pointes d’une boucle de pantalon, il profitait de ce que les glaçons largement espacés laissaient entre eux des portions d’eau libre, pour essayer de pêcher.

Et sans doute les poissons, après leur long internement sous les glaces, avaient quelque peu désappris les embûches des hommes, car il réussit à prendre ainsi plusieurs de ces hôtes de l’Océan.

Oh ! pas gros, atteignant à peine la taille d’un hareng. Une bestiole de ce genre en moyenne par jour, c’était peu pour la nourriture de quatre hommes. Mais enfin ce peu éloignait la mort, et comme le répétait le petit avec son inaltérable confiance :

— Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.

Quel espoir ? Quand il exprimait cet aphorisme, Defrance et Botera haussaient les épaules. Plus affaiblis que leurs compagnons, le Canadien à raison de son âge, le Péruvien à cause sans doute de son organisation atavique, ils n’espéraient plus rien que la mort.

Dick Fann, lui, observait la côte avec une persistance inexplicable.

Le onzième jour, l’iceberg s’en était rapproché d’une façon inquiétante. Son sommet ne dominait plus les eaux que de cinq à six mètres. Il s’était réduit, réduit dans tous les sens. Sa surface mesurait à peine cinquante mètres carrés.

Mais s’il avait fondu à ce point, les débris du champ de glace, moins compacts, étaient retournés à l’état liquide. La mer s’étendait verte, charriant à peine de loin en loin quelques glaçons.

Si les involontaires passagers du bloc flottant avaient eu les forces des premiers jours, ils eussent pu aisément atteindre la côte à la nage.

Évidemment, Larmette, attaché à sa poursuite, remarqua cela ; vers midi, un flocon de fumée jaillit du flanc de son automobile, puis un projectile frappa l’iceberg, projetant en tous sens des fragments de glace concassée.

Le misérable tirait à balles explosives, cherchant à hâter la désagrégation du support des infortunés voyageurs.

— Tout le monde sur la pente qui regarde la haute mer ! ordonna le détective.

Il voulait ainsi mettre l’épaisseur du bloc entre ses compagnons et le tireur. Mais sa voix ne réussit pas à décider le Canadien, non plus que Botera.

Tous deux demeurèrent allongés sur le plateau. À ses objurgations, ils se bornèrent à répondre d’un organe affaibli :

— Qu’importe ! Mourir comme cela ou autrement ! Autant en finir !

Était-ce le voisinage de la côte sibérienne qui amenait à leurs lèvres cette formule décourageante et découragée ? Le nitchevo, ce mot de désespérance, de fatalisme résigné, les étreignait-il comme il étreint l’âme russe, engourdie dans le séculaire abandon de la lutte ?

Ou plutôt étaient-ils arrivés à cette limite des forces humaines, où la seule aspiration précise de l’être va vers le lit où l’on dort, vers la tombe où l’on ne souffre plus ?

Dick et Jean, très affaiblis eux-mêmes, essayèrent vainement de porter leurs compagnons. Ils durent renoncer à cette opération, véritablement au-dessus de leurs forces. Et, comme la fusillade de Larmette continuait, ils se décidèrent à se laisser glisser sur la pente abritée où ils ne pouvaient amener les deux hommes.

Jean Brot, désireux de passer sa colère sur quelque chose, se remit à pêcher. Soudain, il eut un cri :

— Vite, monsieur Dick Fann, aidez-moi, j’en tiens un gros !

C’était vrai, la ficelle se tendait avec force. Un instant plus tard, le gamin eût été obligé de lâcher. Mais le détective accourut à son appel, joignit ses efforts à ceux de l’enfant, et, après une demi-heure de lutte, ils amenèrent sur la glace un gros poisson, d’environ soixante centimètres de long, d’une quinzaine de centimètres de diamètre, ressemblant au thon.

— Oh ! oh ! cette fois ci, il y a un vrai déjeuner ! s’exclama Jean, claquant des dents d’un air affamé.

De fait, sa capture pesait certainement de cinq à six kilogrammes.

Mais soudain, comme si l’espoir de manger à sa faim avait rendu au petit toutes ses facultés :

— Écoutez donc, monsieur Dick. On dirait que la canaille a cessé de nous fusiller.

Les détonations n’ébranlaient plus l’air. C’était vrai.

— Que se passe-t-il ? Il faut voir.

Sur ces mots, Jean se glissa le long de la pente et arriva bientôt à l’extrémité du bloc flottant. Il avança prudemment la tête, puis clama :

— Patron ! patron ! nous allons frôler une pointe qui s’avance dans la mer ; si l’on avait un peu d’aplomb, on pourrait débarquer.

Tout courant, il revenait auprès de son ami. À coups de talon, il broya la tête du poisson pêché tout à l’heure.

— Que fais-tu ? questionna Dick.

— Vous le voyez, je me prépare à l’emporter. Avec la tête en bouillie, il ne pensera pas à se défiler pendant que nous mettrons pied à terre.

Le détective passa affectueusement la main sur la tête du gamin.

— Tu as raison, petit. À présent, allons secouer nos compagnons. Pas un instant à perdre.

Il ne put continuer. Un choc violent se produisit, les renversant sur la glace. Puis il y eut un craquement sec et l’iceberg demeura immobile.

Dick, Jean se relèvent. Ils regardent autour d’eux.

Le bloc flottant qui les porte a brusquement diminué des deux tiers.

La partie où ils se trouvent s’est appliquée contre des rochers bas, tapissés de goémons, qui forment une chaussée praticable jusqu’à la terre ferme, et à plusieurs centaines de mètres déjà, ils aperçoivent l’autre part dérivant toujours et entraînant loin d’eux leurs compagnons.

La vérité se fait jour en leur esprit. L’iceberg est venu heurter les récifs laissés à découvert par la basse mer. Sans doute désagrégé déjà par les balles explosibles dont Larmette l’a criblé, il s’est brisé au choc en deux parties, dont l’une s’est incrustée dans le roc, dont l’autre poursuit sa périlleuse navigation.

Rejoindre ceux qui dérivent, il n’y faut pas songer. Aux heures tragiques, le cerveau se refuse aux longues recherches. L’action seule l’attire. En ce moment, l’action pratique, nécessaire, inéluctable, est de gagner la côte.

Aussi, se chargeant du poisson qui sera leur premier repas à terre, le détective et le gamin sautent sur les rochers ; glissant sur les goémons, chancelant, tombant parfois, ils se dirigent vers le sol ferme.

Sont-ils sauvés ? Vont-ils chercher sur cette rive inhospitalière, désertique, de la Sibérie orientale une agonie plus longue ? Mystère ! Ils marchent parce que, en cette minute, il n’est évidemment rien de mieux à faire.

Enfin, ils abordent. Les voici au-dessus des relais des plus hautes marées.

Avidement, ils dévorent quelques tranches du poisson pêché une heure plus tôt. Cela est d’un goût détestable, mais ils ont faim ; ce sont des forces nouvelles qu’ils emmagasinent.

Et le repas terminé, ils s’allongent sur des mousses rudes, qui craquent sous leur poids, à l’abri de quelques roches amoncelées, et ils s’enfoncent dans un lourd sommeil.

S’ils avaient eu la pensée de gravir les blocs granitiques qui les abritent, ils auraient assisté de loin à un spectacle qui les eût épouvantés pour leurs compagnons.

Une pirogue s’était détachée du rivage, avait poursuivi l’iceberg flottant, l’avait atteint, et ses passagers inertes, anéantis par l’inanition, déposés dans l’embarcation, celle-ci avait repris le chemin de la côte.

Ils eussent discerné Larmette, commandant un équipage improvisé de pêcheurs sibériens.

Defrance, Fleuriane sont maintenant captifs de leur implacable ennemi, qui, ayant perdu de vue la montagne flottante au moment de la rupture, est maître de la vie de ceux qu’il poursuivait depuis East-Cape.

Mais le sommeil s’est appesanti sur les deux hommes, leur épargnant l’angoisse de cette nouvelle et terrible péripétie.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Et dans la cabane où M. Defrance inanimé avait été transporté, le Canadien reprend ses sens. Il s’étonne d’être garrotté sur un amas de fourrures, lui, qui, sur l’iceberg, avait cessé de penser. Il regarde autour de lui. Un cri, faible comme un appel d’enfant, jaillit de ses lèvres pâlies :

— Fleuriane !

Oui, Fleuriane est là, en face de lui. Mais elle ne répond pas à son appel, elle n’accourt pas à sa voix. Elle se tient raide, immobile devant un des poteaux soutenant la toiture. Elle tourne le dos à la couche où son père se reprend à vivre.

— Fleuriane ! appela-t-il encore.

Alors, sans se retourner, la jeune fille murmura :

— Père, je ne suis pas libre. Je suis liée à cette poutre. Nous sommes captifs du voleur de radium, du voleur de corindons.

Un éclat de rire ponctua la phrase douloureuse, attirant les yeux de M. Defrance dans la direction du son.

Larmette était à deux pas de la jeune fille, immobilisée par ses liens.

Il brandissait une chose étrange. On eût crû une chevelure de serpents sifflant dans l’air. M. Defrance regarda mieux. Il reconnut l’instrument de supplice, le terrible knout des cosaques. Oui, c’était ce martinet aux longues et flexibles lanières, terminées par des grains de plomb.

Qu’est-ce que cela voulait dire ? Pourquoi sa fille garrottée ? Pourquoi le knout ? La réponse à ces questions ne se fit pas attendre. Larmette ricana :

— Père, tu vas décider de la vie de ton enfant. Tu la lui as donnée, peut-être te croiras-tu autorisé à la lui reprendre. Mais, avant de t’inviter à choisir, je dois t’informer que, si tu la condamnes, tu lui assureras une torture affreuse. Elle mourra sous le knout.

— Elle, pourquoi ? Comment ? Je ne comprends pas.

— Naturellement, celui qui fait le mal ne comprend jamais.

— Le mal… quel mal ai-je fait ?

Larmette s’abandonna aux éclats d’une gaieté formidable :

— Ce que tu as fait, je vais te le dire. Obéissant aux suggestions d’un ambitieux détective, un amateur, Dick Fann…

— Un noble cœur ! lança Fleuriane d’une voix vibrante.

— Noble cœur si vous voulez, riposta le bandit, noble cœur, mais fou. Car il vous a entraînés dans une aventure dont vous ne pouvez sortir que par la mort ou la soumission à ma volonté.

Puis, scandant les mots, comme pour leur donner plus de force :

— Vous vous êtes jetés à la traverse de mes projets. Sans raison vous avez ébranlé l’édifice que je dressais à la fortune, à la puissance. Vous m’avez attaqué. Je vous veux impuissants contre moi, je vous veux indissolublement rivés à ma vie.

Lentement, il s’avança vers M. Defrance, stupéfié par ce qu’il entendait. 

Il lui plaça sous les yeux un papier, et d’un accent autoritaire :

— Ta main droite est libre, brave homme. Pas assez pour que tu puisses t’en servir contre moi, mais assez pour obéir à mes ordres. Tu vas signer cette feuille. Ensuite je ne te craindrai pas, car ni toi, ni ta charmante fille ne serez capables d’agir à mon préjudice, sans vous frapper vous-mêmes.

Et, souriant méchamment, il se prit à lire ce qui suit :

« Je, soussigné, reconnais avoir organisé et exécuté le cambriolage mondial des laboratoires de radium. Mon but était la fortune incalculable, féerique, au moyen de la transformation des corindons vulgaires en gemmes précieuses. M. Larmette a percé à jour mes desseins. Il pouvait me perdre, mais il aimait ma fille. J’ai opposé son cœur à sa conscience. Fleuriane l’épousera à son retour à Paris. Pour elle, il me fera grâce. Si, soit par ma volonté, soit par toute autre, l’engagement présent n’était pas tenu, je reconnais que Larmette agirait justement en remettant à la justice l’aveu que je lui confie en gage de mon repentir et de mon désir de réparer.

« Près Khabarovsk, ce 25 mai. »

Les prisonniers du sinistre personnage étaient médusés par l’audace de leur ennemi.

— Mon père ne signera jamais cela  ! s’écria Fleuriane avec hauteur.

— Oh ! jamais, appuya M. Defrance, m’accuser d’un vol, déshonorer mon nom, mon enfant !…

Mais les protestations n’émurent point leur interlocuteur.

— Le seigneur knout est un avocat bien persuasif, plaisanta-t-il. Tu es décidé à résister, estimable Defrance ?

— Tout, plutôt que pareille honte !

— Tout, dis-tu ? Parole vaine. Nous allons bien voir…

Son bras se leva, le knout siffla dans l’air, et ses lanières coupantes s’abattirent sur Fleuriane. Elle eut un cri de douleur. Defrance s’agita sur ses fourrures, tentant vainement de se débarrasser de ses liens.

— Ah  ! misérable  ! misérable  ! rugit-il, désespéré de son impuissance.

Mais, indifférent à l’injure, Larmette grommela lourdement :

— Es-tu prêt à signer ?

— Non, père, non… Laissez-moi périr, mais conservez l’honneur.

Et la pauvre enfant s’évanouit.

Alors, affolé, ne voyant plus nettement qu’une chose : sa volonté de sauver sa fille à tout prix, le trusteur balbutia d’une voix étranglée :

— Donnez le papier, je signerai… mais que Fleuriane vive !

Le criminel lui tendit un stylographe, plaça le papier devant lui, le soutint afin de lui permettre d’écrire plus facilement. Puis, après s’être assuré que son prisonnier avait tracé lisiblement son paraphe connu, il le laissa retomber sur sa couche et se dirigea vers la porte.

— Je vais mettre ce joli contrat en sûreté. Ayez patience, je reviendrai dans une heure.

D’un ton d’indicible ironie, il conclut :

— Et maintenant que nous sommes alliés, vous verrez que je sais soigner mes amis aussi tendrement que je sais cruellement punir mes ennemis.

Il sortit. La porte se referma sur lui. Dans la cabane régna le silence ; Fleuriane demeurait inanimée, le corps soutenu par les cordes qui l’attachaient au poteau, et son père la regardait, blême, les cheveux mouillés d’une sueur d’angoisse, les yeux agrandis par une inexprimable épouvante.