Le Révélateur du globe/Première partie

A. Sauton (p. 3-84).

EXPOSÉ
ET
HISTORIQUE DE LA CAUSE
Spiritus sanctus corporali
specie sicut
Columba
Luc, III, 22.

Depuis plusieurs années déjà, on parle dans le monde du projet de béatifier Christophe Colomb. Ce projet extraordinaire, suggestif de pensées grandioses, ne se produisit pas tout d’abord parmi les chrétiens avec ces immenses éclals de popularité qu’il semblait humainement raisonnable d’en espérer. L’enthousiasme universel ne s’alluma pas. Quelques journaux perpétuellement hostiles au christianisme signalèrent, en passant, les uns, avec un dédain plein de bonté, les autres, avec une sorte de rage contenue, ce nouvel « empiétement » du cléricalisme ultramontain. La Libre Pensée a l’originalité de supposer que l’Église lui dérobe quelque chose lorsqu’Elle se permet de canoniser les saints. L’Orgueil des hommes croit avoir, seul, le droit de placer quelqu’un sur ses propres autels. Mais les journaux catholiques n’ayant pas cru devoir donner à un simple projet d’une réalisation alors éloignée et incerlaine, la publicité retentissante d’un événement prochain et inéluctable, le farouche mécontentement de nos ennemis tomba de lui-même et le public ne s’aperçut même pas que quelque chose de grand avait été mis en question.

Aujourd’hui, cette affaire oubliée revient avec plus de force que jamais et commence à se préciser comme l’ardente préoccupation d’un grand nombre d’âmes religieuses à peu près partout. Ce mouvement parti de la France mérite, à coup sûr, d’être étudié, et c’est l’objet de ce travail. Il a paru nécessaire, avant que la question purement hagiographique soit abordée par qui de droit, de présenter ici quelques considérations historiques et biographiques qui permettrontà la multitude des chrétiens d’en saisir à la fois l’importance et l’opportunité.

Si M. le Comte Roselly de Lorgues, l’historien catholique de Christophe Colomb et le Postulateur officiel de sa Cause devant la Sacrée Congrégation des Rites, était capable de s’enivrer de ce mensonge capiteux qui s’appelle la gloire humaine, il pourrait, dès aujourd’hui, se reposer et s’endormir dans la sécurité et dans la parfaite plénitude du triomphe. Car il a fait une chose par laquelle son nom sera perpétuellement contemporain d’une des plus immortelles préoccupations de l’humanité. Il s’est donné l’impérissable gloire d’être le révélateur de Celui par qui la totalité de la Création nous fut révélée. Avant lui, personne ne connaissait véritablement Christophe Colomb, et l’ignorance universelle était d’autant plus profonde que la science avait parlé et que le préjugé de la calomnie était devenu inébranlable et consistant comme un axiome.

Cette majestueuse personnalité de l’Inventeur du Nouveau Monde passait dans l’histoire comme une illustration scientifique de moyenne grandeur que ne déparaît pas le voisinage de Bernard de Palissy ou de Benjamin Franklin. La découverte de la moitié de la Terre était devenue, après trois cents ans, quelque chose comme une anecdote instructive dans les manuels populaires de la science pour tous et dans les récréations historico-littéraires de l’attendrissante Morale pratique. Les imperturbables synopses universitaires mentionnaient simplement qu’une fois, à telle date, un pilote génois qui cherchait on ne sait quoi, découvrit, par hasard, l’Amérique, et c’était tout. Le Dragon de l’enfantillage moderne avait ouvert sa gueule de papier sur le plus énorme événement de l’histoire et l’avait irrémédiablement englouti. Mais il arriva qu’un beau jour, cet événement lui déchira ses ridicules entrailles et rejaillit d’un seul coup dans le ciel. La mystérieuse Providence qui ne connaît point de hâte et pour laquelle il n’est jamais trop tard, avait laissé ramper et baver pendant près de quatre siècles sur la mémoire de son Messager tous ses obscurs et croupissants blasphémateurs.

Quand le moment fixé par Elle et connu d’Elle seule fut arrivé, il ne resta plus rien d’auguste sous le ventre des reptiles, le Serviteur de Jésus-Christ étendit sur les plus nobles fronts ses mains miraculeuses et l’apothéose commença.

Le grand Pape Pie IX, le premier, le seul de tous les Pontifes romains qui ait visité le Nouveau Monde, profondément frappé du rôle providentiel de Christophe Colomb et magnifiquement impatient de la gloire de l’homme dout il pressentait la sainteté, en vertu de son infaillible sagacité de Suprème Pasteur, ordonna peu après son relour de Gaëte que l’histoire du navigateur chrélien à qui nous devons l’Amérique, jusqu’ici exclusivement racontée par des plumes protestantes, fût enfin écrite dans son intégrité par un catholique et présentée sous son aspect véritable.

Comme la Fille aînée de l’Église avait égaré l’opinion et donné le nom d’un plagiaire au Continent découvert par l’Envoyé de Dieu, ce fut elle-même que le Chef de l’Église chargea de réparer, autant que possible, cette injustice, en publiant dans sa langue la vie de ce sublime apôtre. Le Saint-Père choisit, pour cette œuvre, parmi les écrivains catholiques français, le dernier représentant d’une race recommandable depuis des siècles par son dévouement héréditaire à la Papauté, M. le Comte Roselly de Lorgues, doyen actuel de nos écrivains catholiques[1]. Il ne la confia pas à une plume sacerdotale parce que cette biographie n’est pas purement historique ou religieuse, mais qu’elle comporte des appréciations très diverses, touche à des intérêts multiples et concerne le monde entier sans acception de croyances ou de gouvernements.

Le fond de la pensée de Pie IX était que cette publication réveillât l’attention publique, préparât les esprits chrétiens à une auguste sanction et enfin provoquât quelque imposante manifestation catholique dans le sens du grand acte de justice qu’il méditait. M. le Comte Roselly de Lorgues publia donc en 1856, pour la première fois, la magnifique Histoire de la vie et des voyages de Christophe Colomb. Cette restitution, équivalente à une découverte, étonna profondément l’opinion et valut à son auteur l’incomparable satisfaction d’être insulté par la plupart des ennemis de l’Église. Depuis près de trente ans, l’Histoire de Christophe Colomb a eu à subir le sort providentiellement réservé à toutes les productions transcendantes de l’esprit de foi, surtout en ce temps-ci. Elle attend paisiblement l’heure de son grand éclat, s’insinuant peu à peu et lentement dans quelques âmes supérieures qui la rencontrent devant elles sans l’avoir cherchée et qui, l’ayant trouvée, ne peuvent plus l’oublier.

Ce livre, l’un des plus beaux efforts historiques de ce siècle d’historiens, fut, pour quelques-ungs de ces Ames qui hennissent au sublime et que ne rassasient pas les pâturages du monde, comme une révélation surérogatoire ajoutée à l’autre Révélation. Après tant d’exégèses fameuses émanées de tant de Bouches d’or, ce profond récit des aventures d’un homme de Dieu, ft l’effet d’un commentaire nouveau du saint Livre, de l’espèce la plus imprévue, écrit pour la première fois d’une main inspirée, dans la tangible clarté de l’histoire.

Le monde connaissait déjà cctte grande sorte d’interprétation de la divine Parole expérimentalement confrontée aux événements humains. Il y avait la Cité de Dieu de saint Augustin et le glorieux Discours sur l’histoire universelle. Un écrivain, d’un génie presque surnaturel, Joseph de Maistre, Docteur Angélique du Dogme Providentiel, de l’extrémité de sa plume trempée de lumière, avait tracé quelques-unes des lois visibles. du gouvernement temporel de Dieu sur les peuples et sur les empires. Mais ce qu’on n’avait jamais vu, depuis les Évangiles, c’était la confuse Babel de tous les témoignages prophétiques, contradictoirement humains et divins, dans tous les siècles, venant s’entasser et s’accumuler, comme une montagne de la Transfiguration, sous les pieds d’un seul homme prédestiné à la gigantesque infortune de les consommer.

Et cet homme unique, dont il est presque impossible de parler sans tremblement, quand on sait ce que Dieu avait mis en lui et ce que les autres hommes lui ont fait, c’est Christophe Colomb — la mystérieuse Colombe portant le Christ ! — manifestement chargé de rendre possible, par l’oblation perpétuelle et universelle du saint Sacrifice, la plus profondément obscure des prophéties de l’Ancien Testament. Voilà ce que le livre du Comte Roselly de Lorgues osa montrer pour la première fois dans un récit d’une telle palpitation et d’une si tendre pitié pour ce pauvre géant de l’apostolat écrasé sous la Croix qu’il porte à la moitié du genre humain, qu’en le lisant, les âmes se fondent de compassion et qu’on est tenté de demander amoureusement au Seigneur, en vue de quelles épouvantables revendications de sa justice il permet à l’ingratitude des hommes de s’exercer à ce point sur les plus généreux amis de sa gloire !


II

De toutes les choses que le temps extermine ou déshonore, il n’en est pas de plus fragile, de plus effaçable que l’étonnement. À la distance de quatre siècles, quelle imagination de poète serait capable de concevoir l’indicible stupéfaction du vieux monde chrétien, non encore contaminé par le groin de la Réforme, à la nouvelle de la découverte d’un monde inconnu dont le Christ et ses Apôtres n’avaient pas parlé ? Cette société de quinze siècles, bâtie comme la Babylone imprenabie du Très-Haut, gardée par la double muraille sacrée de la Théologie et de la Tradition et ceinte de ce fossé mystique où bouillonnait le sang de plusieurs millions de martyrs, dut être surprise d’une si véhémente manière qu’il scrait puéril de chercher dans l’histoire un autre exemple de ce prodigieux déconcertement.

Les intelligences superbes d’alors durent craindre que l’Église elle-même ne s’en allât en ruines avec son triple diadème et ses promesses d’indéfectibilité. La Mission démontrée de Christophe Colomb humiliait en plusieurs points essentiels le despotisme scolastique d’une exégèse inflexible où la Lettre des Saints Livres étouffait l’Esprit du Seigneur[2]. La Science catholique, figée dans les formules et les sentences de l’École, avait fini par stériliser la Tradition, en la détournant de la contemplation des divins objets pour la contraindre à tout expliquer dans l’ordre politique et dans l’ordre subjectif des réalités naturelles.

Imperturbable et sereine, cette science éireignait le genre humain et s’étalait devant la Sagesse de Dieu, comme un rivage devant l’Océan, pour que cette Sagesse « n’allât pas plus loin » et condescendit à briser contre le granit du syllogisme « l’enflure de ses vagues ».

L’apparition soudaine d’un Messager et d’un Révélateur au sein d’une société si fermement assise dans la certitude que toutes les révélations divines étaient consommées fut, sans doute, pour un grand nombre d’esprits altiers, une formidable épreuve préliminaire à la tempestueuse expugnation luthérienne. On est forcé de le reconnaître, les deux événements simullanés de la Découverte du Nouveau Monde et de la Renaissance du Monde Antique élaient bien de nature à désorbiter la raison humaine et à faire tourner le lait universitaire des plus orthodoxes doctrines.

Les âmes naïves, il est vrai, trouvèrent très simple que Dieu n’eût pas tout dit aux docteurs et qu’il lui plût de faire des choses nouvelles. Elles jugèrent qu’après tout, il n’y avait pas lieu de désespérer de sa Sagesse parce qu’elle ne s’ajustait pas docilement aux exigences philosophiques de sa créature. Ces âmes furent les clairvoyantes et les inébranlables dans le siècle le plus disloqué de l’histoire et c’est pourelles surtout que Christophe Colomb déclarait avec la hardicsse d’une transcendante simplicité que Dieu l’avait fait « Messager d’une terre nouvelle et de nouveaux cieux ». « Le Seigneur, ajoutait-il, écoute quelquefois les prières de ses servilcurs qui suivent ses préceptes, même dans les chuses qui paraissent impossibles et que l’intelligence ne peut ni concevoir ni atteindre. »

Une chose, entre autres, que l’intelligence humaine ne saurait alteindre avec le raccourci effrayant de sa notion de justice, c’est le mystère de toute une moitié de la race humaine exclue, pendant plus de cinq mille ans, de Loule participation à la vie spirituelle des peuples de l’Ancien Monde. Ce simple fait accable la pensée !

Quel crime sans nom ni mesure avait donc pu nécessiter une aussi longue, une aussi épouvantable expiation, endurée, non par un seul peuple, mais par des centaines de nations, pour quelques-unes desquelles elle dure encore ? Que dis-je ? la plupart d’entre elles ne virent se lever aucune lumière et l’aurore de la civilisation orientale fut pour le multitude de ces créatures infortunées comme l’annonce d’un déluge de sang et de feu par-dessus les vagues de l’Atlantique.

Cet hémisphère terrestre inconnu — semblable à cette mystérieuse moitié de la lune perpétuellement inobservable — roulait dans les espaces, avec le reste du monde, depuis deux millions de jours. En vain le Candélabre de la Révélation avait-il été promené d’Orient en Occident. Depuis Abraham étendant sous les pieds du Messie futur — comme une miraculeuse voie lactée de cœurs humains — toute sa stellaire postérité, pendant vingt-deux siècles ; et, de Jésus, vainqueur de la Mort, à Mahomet, vainqueur de Byzance, d’innombrables générations, obscures ou lumineuses, avaient trempé la terre de leurs larmes, de leurs sueurs ou de leur sang. Des civilisations puissantes avaient poussé leurs influences dans toutes les directions de l’esprit humain. De miraculeuses intelligences avaient épuisé toute conjecture. Les saints, les martyrs, les apôtres même à qui le Sauveur avait dit de sa bouche d’enseigner toutes les nations, avaient accompli leur mandat sur une seule moitié du globe, délaissant ainsi l’autre moilié dans une ignorance invincible de la Rédemption. Le plus audacieux, le plus infatigable des Douze, Témoin privilégié de la Résurrection du Fils de Dieu, — celui-là, disait sainte Brigitte, qui est le trésor de Dieu et la lumière du monde, — Thomas Didyme, laissant derrière lui Alexandre le Grand, parmi les autres poussières de son chemin, s’était avancé jusque sur les rivages extrêmes de l’Orient. Là, pressentant peut-être, avant de mourir, la clameur muette et lointaine de ces âmes abandonnées, il avait inutilement tendu ses bras d’apôtre au-dessus de cet incommensurable Pacifique, barrière mobile et décevante qui se moquait de son désir.

Rien de divin et rien d’humain n’avait pu prévaloir contre les ténèbres inexorables de ces races inexplicablement châtiées !


III

Ici, je demande la permission de parler du Diable.

Les mondains, généralement persuadés de l’inexistence du Prince de ce monde et à qui te travail est surtout destiné, me pardonneront peut-être cette digression nécessaire à l’intelligence de la mission de Chrislophe Colomb envisagée catholiquement.

La notion du Diable est, de toutes les choses modernes, celle qui manque le plus de profondeur, à force d’être devenue littéraire. À coup sûr, le Démon de la plupart des poètes n’épouvanterait pas même des enfants. Je ne connais qu’un seul Satan poétique qui soit vraiment terrible. C’est celui de Baudelaire, parce qu’il est sacrilège. Tous les autres, y compris celui de Dante, laissent nos âmes bien tranquilles et leurs menaces feraient hausser les épaules très peu littéraires des fillettes du catéchisme de persévérance. Mais le vrai Satan qu’on ne connaît plus, le Satan de la Théologie et des Saints Mystiques, — l’Antagoniste de la Femme et le Tentateur de Jésus-Christ, — celui-là est si monstrueux que, s’il était permis à cet Esclave de se montrer tel qu’il est — dans la nudité surnaturelle du Non-Amour, — la race humaine et l’animalité tout entière ne, pousserait qu’un cri et tomberait morte.

La plus grande force de Satan, c’est l’Irrévocable. Le mot « fatalisme » inventé par l’orgueil soi-disant philosophique des hommes n’est qu’une traduction obscure de cet effrayant attribut du Prince des Méchants et de l’Empereur des Captifs. Dieu garde pour lui sa Providence, sa Justice, sa Miséricorde et, par-dessus tout, le Droit de grâce qui est comme le sceau où son omnipotente Souveraineté est empreinte. Il garde aussi l’irrévocable de la Joie et il laisse à Satan l’irrévocable du Désespoir. La terriflante porte pâle du grand poète américain est ouverte sur ces deux gouffres offerts à notre liberté.

Or, l’Irrévocable commence dès cette vie. Il se formule dans l’acte libre et s’accomplit dans la persévérance. La Grâce n’intervient que pour empêcher la liberté de glisser de notre âme et de se perdre dans l’effroyable angoisse de la Tentation. Mais l’Irrévocable subsiste dans les faits d’une manière si redoutable que les moindres velléités, les moindres pensées, les plus fugitives palpitations ont des suites infinies et retentissent à jamais. Ici, tout se magnifie. Le contingent ne franchit pas le seuil de ia vie morale et la vie morale de l’être libre, contenue dans les bornes inflexibles de la personnalité, ne va pas se perdre dans le contingent. Il faut absolument l’intégralité d’une proie à la joie ou au désespoir éternels.

Lorsque le Démon séduit et surmonte notre liberté, il en obtient des enfants terribles de notre race et de sa race, immortels comine leur père et leur mère. Cette progéniture enfante et pullule à son tour, indéfiniment, sans qu’aucun moyen naturel nous soit donné d’arrêter cette horrible et incalculable multiplication des témoins de notre déshonneur.

C’est là l’empire illimité de Satan. Il règne en patriarche sur la multitude des affreux enfants de la liberté humaine. Il les adopte tous aussitôt qu’ils naissent. Ses ministres, ses officiers, ses chambellans et ses majordomes en prennent soin. C’est une armée contre chacun de nous, une immense armée d’invasion qui déborde à chaque instant sur nos âmes, à l’heure de l’action comme à l’heure du repos, à l’heure de la joie et à l’heure de la tristesse, à l’heure du sommeil et du rêve, à l’heure même de la prière et des plus saintes effusions du cœur, mais surtout à l’heure définitive et troublante de la mort. Cette guerre sans pitié et sans trève a pour signal le décret de notre seule volonté, décret sans appel, promulgation irrévocable, sanctionnée par l’infaillible Justice. Dieu peut pardonner et il pardonne en effet ; mais le mal n’en est pas moins accompli pour l’éternité et il ne cesse, dans le temps, de produire des fruits épouvantables que le Démon met continuellement devant nos yeux pour nous désespérer.

Je le répète, c’est Là sa force ; c’est là son partage, son majorat de Prince du mensonge et la fleur empoisonnée de son supplice à lui ! Il ceint la terre de ses deux bras immenses comme d’une écharpe de deuil et de mort, comme le mare Tenebrosum de la cosmographie des anciens. Rien nese dérobe à son étreinte, rien… excepté la liberté cruciflée avec Jésus-Christ. Hors de ce calvaire, il est maître de tout et on peut l’étiqueter du nom de toutes les influences néfastes de la vie. Il est entre toutes les lèvres et toutes les coupes ; il est assis à tous les festins et nous y rassasie d’horreurs au milieu des triomphes ; il est couché dans le fond le plus obscur du lit nuptial ; il ronge et souille tous les sentiments, toutes les espérances, toutes les blancheurs, toutes les virginités et toutes les gloires ! San trône préféré est le calice d’or de l’amour en fleur et son bain le plus suave est le foyer de pourpre de l’amour en flammes. Quand nous ne parlons pas à Dieu ou pour Dieu, c’est au Diable que nous parlons et il nous écoute… dans un formidable silence. Il empoisonne les fleuves de la vie et les sources de la mort, il creuse des précipices au milieu de tous nos chemins, il arme contre nous la nature entière, à ce point que Dieu a dû confier la garde de chacun de nous à un esprit céleste pour que nous ne périssions pas dès le premier instant de notre naissance. Enfin, Satan est assis sur le haut de la terre, les pieds sur les cinq parties du monde et rien d’humain ne s’accomplit sans qu’il intervienne, sans qu’il soit intervenu et sans qu’il doive intervenir. Il n’y a pas à s’étonner de cette énorme puissance et la raison catholique ne s’en étonne pas. Satan n’a que ce que Dieu lui donne et Dieu lui donne tout… à la réserve de la liberté de l’homme.

IV

Qu’on se représente maintenant cetimmense continent américain, s’étendant de l’un à l’autre pôle pendant près de quatre mille lieues, si démesuré dans tous les sens qu’il aurait fallu plusieurs Romes pour en conquérir seulement le littoral et, qu’après trois cent quatrevingt-dix ans, les plus audacieuses explorations scientifiques n’ont pu le faire connaître tout entier.

Cette interminable chaîne de peuples, étrangers les vos aux autres et de langues diverses, séparés par toutes les différences de mœurs et de climat, divisés par des haines héréditaires et par des religions dont l’atrocité parfaite était la seule unité : tel était au moment de la Découverte, l’apanage exclusif de l’Esprit du mal !

Sans doute, le reste de la terre appartenait à ce monarque, en la manière que je viens de dire ; mais, ici, il était le maître absolu, le législateur, le père et le Dieu. Il n’y avait à redouter ni Rédempteur ni Évangile. Le Sang de Jésus-Christ ne coulerait pas sans doute au travers de l’Océan. Le vrai Dieu semblait avoir abdiqué toute suzeraineté sur ce monde malheureux, l’ayant laissé en apparence, sans aucun secours, pendant un nombre de siècles égal au nombre d’années qui font un vieillard.

« Vous tes les enfants du Diable », disait Jésus-Christ aux Juifs quise flattaient d’avoir Dieu pour père. Cette affirmation à la fois si mystérieuse et si nettement terrible venant d’une telle bouche, ne s’appliquait pas seulement à cette nation déréglée et infidèle. Elle passait bien au delà et s’en allait atteindre, à travers la racc figurative, toutes les races et toutes les familles humaines prévaricatrices, jusqu’aux dernières extrémités de l’espace et du temps. Mais, combien réelle, combien effrayante, combien plus mystérieuse encore cette sentence doit-elle apparaître si l’on vient à considérer le total délaissement, l’absolu exil de ces multitudes à son image que le Dieu vivant semblait avoir écartées à jamais et qui ne ressemblaient à la multitude des témoins de l’Agneau dont ilest parlé dans l’Apocalypse que par l’impossibilité de les dénombrerl

Un grand philosophe moderne a dit que l’esclavage antique fut tout un christianisme virtuel et intérieur pour la gentilité[3]. Assurément, les quarante siècles d’esclavage préalables à la diffusion évangélique durent peser bien lourdement sur le cœur de l’homme ; mais, après tout, les ténèbres du Paganisme, si épaisses qu’elles fussent, n’étaient pas des ténèbres absolues. La Révélation édénique avait laissé dans l’argile raisonnable de profondes empreintes. Les primitifs historiens, les rapsodes, les vieux tragiques sont saturés de surnaturel divin et prophétique. De sublimes éclairs traversaient parfois ce chaos et venaient illuminer d’étranges lueurs symboliques les simulacres et les autels. La grande Promesse voyageait dans le monde parmi des générations de pénitents involontaires et, d’âge en âge, se formulait obscurément, à la manière d’un écho lointain, dans la clameur inspirée des voix sibyllines. Les législations elles-mêmes, si orgueilleuses et si dures, s’étaient laissé pénétrer comme d’un vague pressentiment de la dignité humaine. Le Démon triomphait sans doute, mais il triomphait avec inquiétude et tremblait devant ses esclaves !…

En Amérique, rien de semblable. Ténèbres absolues et triomphe complet, comme en enfer ! Le livre de la Sagesse a un passage, sublime d’horreur, où le roi Salomon raconte la cécité miraculeuse de l’Égypte, région d’angoisse, figurative de toute la gentilité :


« Ils étaient tous ensemble — dit le Voyant royal — liés d’une même chaîne de ténèbres et enveloppés d’une longue nuit. Enclos sous leurs toits, ils s’étaient couchés, fugilifs de la perpétuelle Providence.

« Et, s’imaginant qu’ils pourraient demeurer cachés dans l’obscurité de leurs péchés, ils avaient été dispersés sous un obscur voile d’oubli, — étant horriblement effrayés et dans un tremblement prodigieux.

« Car la caverne qui les contenait ne les défendait pas de la crainte, parce que tout son qui descendait vers eux les remplissait d’épouvante…

« Le sifflement du vent ; le chant suave des oiseaux dans les rameaux des arbres ; le bruit de l’eau courante ; celui des pierres tombantes ; les ébats, invisibles pour eux, des animaux ; le hurlement des fauves ou les échos retentissant du creux des montagnes : toutes ces choses les faisaient mourir d’effroi…

« Il n’y avait point de feu si fort qui pût leur donner aucune lumière et les flammes limpides des astres ne pouvaient éclairer cette horrible nuit.

« C’est alors que les prestiges de l’art magique parurent dérisoires et que cette sagesse glorieuse fut bafouée avec ignominie.

« Car ceux qui promettaient de bannir toutes craintes et toutes perturbations de l’âme languissante, languissaient eux-mêmes, ridiculément, pleins de terreurs…

« Ils étaient ious dormants d’un même sommeil dans ectte nuit d’impuissance qui leur était arrivée du plus profond des enfers

« Or, tout le reste du monde était illuminé d’une brillante lumière et accomplissait ses œuvres, sans aucun empéchement.


« Eux seuls étaient écrasés de cette pesante nuit, image des ténèbres qui devaient leur survenir. Et ils étaient devenus plus insupportables à eux-mêmes que leurs propres ténèbres[4]. »

Eux seuls ! Quel effrayant destin ! et quel maître pour remplacer Dieu ! Une chaîne de ténèbres pour toute théologie et la suprême, la perpétuelle épouvante pour toute législation ! Du nord au sud, on pouvait marcher toute une vie d’Indien et faire quatre mille lieues sans rencontrer l’Espérance. Cette merveilleuse nature qui ravissait les Conquistadores, — au point de faire penser un instant à Christophe Colomb que le Chérubin terrible ne faisait plus sentinelle avec son épée de feu et que les enfants du Christ allaient enfin recouvrer le Paradis perdu, — les nouveaux venus en comprirent seuls la beauté.

Dans ces grandioses forêts septentrionales qui s’étendaient, comme une infinie cathédrale de verdure, de la baie d’Hudson au golfe du Mexique ; parmi les sublimités sauvages des montagnes Rocheuses ou sur le beau penchant des Andes ; aux bords des Amazones ou dans les tles enchantées de la mer des Antilles : au milieu de cet inimaginable ruissellement de lumière, des êtres sans nombre faits à la ressemblance du Très-Haut se tordaient dans la boue sanglante des sacrifices humains et agonisaient de terreur sous l’implacable azur de ce flrmament qui ne racontait aucune gloire divine à leurs pauvres Ames !… Ô Dieu juste ! cinq mille ans de cet enfer[5] !

Les théologiens nous enseignent que, dans l’autre enfer, le supplice de la privation de Dieu surpasse infniment tous les autres supplices et l’un des plus grands Pères de l’Église cst venu nous dire que l’âme de l’homme est « naturellement chrétienne ». Ces malheureux avaient donc, au plus profond de leur cécité morale, un pressentiment quelconque d’un souverain bien absolument nécessaire et absolument inaccessible ! Qui donc oserait assigner l’exacte limite qui séparait les deux abîmes, puisque l’un et l’autre pouvaient être appelés « terre de misère et terre ténébreuse, couverte de l’ombre de la mort ; où ne se trouve nul ordre et nulle rédemption, mais où habite la sempiternelle horreur[6] » ?

V

Un jour, enfin, le Seigneur appela un homme, comme il avait appelé Jean pour préparer ses voies, et il l’investit, pour un temps, de sa puissance, afin qu’il pût mettre décidément un terme à ce semblant d’éternité douloureuse par laquelle Satan, surnommé le singe de Dieu, avait essayé de se singer lui même dans une sacrilège contrefaçon de son propre royaume.

Cet homme qu’Isaïe semble avoir en vue toutes les fois qu’il parle aux tles lointaines et aux peuples des extrémités de la terre, c’est Christophe Colomb, « le plus doux des hommes », comme l’Esprit-Saint le dit de Moïse. Le titre de Grand Amiral, sous lequel il fut tant calomnié pendant sa vie, n’a plus de sens pour une génération qui ne connaît pas l’histoire. La foule ne sait de lui que son nom très mystérieux et… rien de plus, sinon qu’il a fait la Terre une fois plus grande et que les hommes l’ont assassiné de chagrin dans l’obscurité.

Quant à sa mission providentielle et unique qui le range dans la demi-douzaine d’hommes exceptionnellement prodigieux sur lesquels la Sagesse divine a compté, qui donc y penserait, dans ce siècle ennemi de la grandeur, si l’Église, toujours pleine de mémoire et toujours grande, n’y pensait pas ?…

L’Église catholique qui est l’Impératrice de l’Orient et de l’Occident et qui porte dans son nom l’universalité de son droit, n’oublia jamais personne ; mais ellese souvient plus particulièrement, plus profondément et avec une dilection plus fervente de ceux de ses fils qui l’ont dilatée et qu’elle dilate à son tour en les honorant sous le vocable douze fois auguste d’Apôtres.

« Y eut-il jamais, dit l’historien de Christophe Colomb, un homme plus grand que celui qui n’imita personne et que personne ne pourra imiter pendant la durée du globe ? » Christophe Colomb découvrant le Nouveau Monde, c’était comme s’il eût dit à l’Église : « Mère bien-aimée, je vous donne, au Nom de Jésus-Christ, la moitié de la terre. Je vous donne des millions d’âmes que j’ai enfantées au Salut et qui sont les fleurs infiniment douloureuses de mes entrailles spirituelles. Je vous les confie à jamais pour qu’elles soient replacées dans la vérité d’où elles tombèrent, comme les anges infidèles, il y a tant de siècles. Ce sont là les Enfants-Trouvés de l’Amour divin dont je suis le Messager et que je symbolise dans mon nom. » — « Embrasse ces enfants et enveloppe-les de tes bras maternels, dit le Seigneur, jusqu’à ce que je vienne et que je leur fasse miséricorde, parce que mes fontaines surabondent et que ma grâce est inépuisable[7]. »

C’était encore comme s’il eût dit à l’esprit humain : « Je double l’étendue de ton héritage et j’agrandis incroyablement le champ déjà si vaste de tes investigations. C’est par moi que va « se révèler tout à coup un sens « nouveau : le sens des grandes choses et de l’infini[8] ». La connaissance parfaite du globe terrestre sera le moindre fruit de ma découverte. J’aurai donné l’essor aux plus audacieuses entreprises scientifiques dans les siècles extraordinaires qui vont venir. Le livre de la nature, hermétiquement fermé jusqu’à ce jour, est enfin ouvert et ouvert par moi, le Révélateur de la Création, qui serai, néanmoins, dédaigné et méconnu et qui vais disparaître comme un flambeau vulgaire porté contre le souffle de la tempôte. Je prévois que les hommes abuseront de ce nouveau don de Dieu comme ils ont abusé de tous les autres. Mais je sais aussi qu’il faut que sa volonté s’accomplisse pour que son règne arrive à la fin sur cette terre prédestinée que j’ai été chargé d’amplifier et d’arrondir comme une sphère impériale pour la domination future de Jésus-Christ. »

La grandeur de Christophe Colomb est tellement uuique et démesurée qu’elle déconcerte jusqu’à l’enthousiasme et qu’elle fait éclater le cadre ordinaire des anslogies, traditionnellement requis pour la sainteté — même dans ses voies les plus exceptionnelles — par les théologiens et les docteurs ascétiques. Je dirai plus loin, dans un rapide examen de la vie du Serviteur de Dieu, comment cet Ambassadeur plénipotentiaire de la Sainte Trinité, méconnu partout et vomi par l’Espagne qu’il avait gorgée de richesses et de puissance ; en butte à de misérables persécutions écclésiastiques, ne rencontra de sympathies et de réconfort qu’à la Cour pontificale et sur le Siège infaillible de Pierre. Dans la célèbre édition de la Géographie de Ptolémée faite à Rome chez Evangelista Tosino, en 1608, le nouveau continent était nommé : Terra sanctæ crucis, comme si ce monde découvert avait été le fruit le plus suave de l’Arbre sanglant de la Rédemption pour avoir mis à mûrir quinze siècles de plus que les autres. Ce fait n’est pas moins concluant pour une intelligence profonde que pour un cœur mystique.

Christophe Colomb fut un homme de désir à la manière de Daniel. Or, le désir appelle le désir, comme l’abîme invoque l’abîme « par la voix des cataractes de Dieu » qui sont les torrents de larmes de la prière et de l’amour. Un an avant la Découverte, naquit celui qui devait en faire le mieux profiter l’Église : saint Ignace de Loyola et, dans le mois où l’Ambassadeur de Dieu est rappelé par son maître, dix-sept jours avant sa mort, vient au monde l’apôtre chargé d’exécuter son vœu d’évangéliser les nations idolâtres : saint François-Xavier[9]. Ces coïncidences n’ont rien de fortuit. Elles sont, au contraire, infiniment calculées et infiniment sages, c’est-à-dire, providentielles, comme toutes choses en ce monde. Quand un homme est suscité pour l’accomplissement d’une partie de ce grandiose plan divin qui s’appelle l’Histoire, il lui suffit d’étendre les mains, comme un aveugle, pour rencontrer ses instruments. Mais si cet homme est de la taille de Christophe Colomb, il n’est pas même nécessaire qu’il fasse un geste. C’est un foyer de gravitation pour la multitude des âmes qui correspondent à sa destinée et qui sont mystérieusement orbitées par lui comme une glorieuse constellation de satellites spirituels !


VI

Je viens d’écrire ce grand mot de Désir qui remplit tout l’Ancien Testament comme un prodigieux soupir. J’aurais pu comparer : le désir de Christophe Colomb à celui de cet Esprit qui nous est montré dans l’Évangile sous la forme d’une colombe et qui « postule pour nous — dit saint Paul — avec des gémissements inénarrables ». Que dire maintenant ou plutôt que conjecturer du désir de tout un monde opprimé et abruti par le despotisme le plus satanique, mais au sein duquel, néanmoins, l’âme humaine, « inexterminable » et naturellement désirante, jetait encore, en vacillant, quelques étincelles ?

Il est écrit que le Seigneur « exauce le désir des pauvres », et ceux-là étaient de tels pauvres qu’on n’en a jamais connu d’aussi lamentables. Quelque noires et profondes que fussent leurs ténèbres, il n’est pas possible qu’il ne s’élevât pas du fond du cœur de ces misérables un vague frisson d’espérance et de désir. Après tout, n’étaient-il pas les fils de Japhet, et par conséquent, solidaires de la promesse faite au genre humain ? Quoique leur séparation d’avec le reste de la congrégation Babélique remontât à des temps extrêmement anciens, il avait dû se conserver parmi eux comme un indéterminable fl de lumière, d’une ténuité et d’une pâleur infinies ; et Dieu, qui connaît les pauvres cœurs qu’il a créés, sait bien que c’en était assez pour que ces abandonnés désirassent ! Mais que désiraient-ils ? Ils ne le savaient point. Une sorte de tradition antique parlait seulement d’hommes extraordinaires qui devaient venir du côté de l’Orient et qui changeraient toutes choses dans leur patrie. Encore cette attente sourde et muette leur donnait-elle plus de crainte que de joie. C’est à cela que se réduisait pour eux le « Veniet Desideratus » du prophète Aggée.

Le grand oratorien anglais, le P. Faber, fait remarquer comme une chose étrange qu’il y eut sept jours pendant lesquels Notre-Seigneur n’eut pas de nom[10]. Cette genèse du Nom redoutable qui fait tout fléchir dura plus de deux fois sept siècles pour les Américains et, certes, on peut bien dire sans abuser de la Parole trois fois sainte que c’est surtout pour eux que Jésus-Christ a été vraiment « pontife des biens futurs », appellation divine que saint Paul, d’ailleurs, déclare ininterprétable, à cause, dit-il, de notre imbécillité[11]. Le Christ, dont Tertullien nous assure que toute âme humaine porte en soi le pressentiment et le témoignage, était donc, pour ces délaissés, un Dieu perpétuellement anonyme qui n’aurait pu que les accabler de l’énigmatique et dérisoire litteralité de ses promesses !

C’était là le triomphe et le défi superbe du Père du Mensonge, nullement anonyme, lui, dans cette géhenne, puisqu’il y portait tous les affreux noms inspirés par le délire de la terreur, et nullement énigmatique non plus, puisqu’il ne promettait absolument rien à ses déplorables esclaves pressés de tortures et séculairement découragés de toute espérance précise et certaine.

Puisque Michel, vainqueur du Diable, est désigné, dans l’Écriture, < le grand prince qui se tient debout pour les fils du peuple de Dieu[12] », c’est-il pas permis de supposer, planant sur ces régions ignorécs et les préservant du définitif désespoir, l’un des compagnons du Chef des Cieux, un de ces anges de patience et de douleur, — semblable à celui qui réconforlait le Fils de l’homme au jardin d’agonie, — que les artistes nous montrent en pleurs sur les tombeaux des grands et qu’un poète malheureux appelait, dans son angoisse, les « séraphins noirs » de l’adversité ? Cet esprit, investi de l’indicible pitié divine pour ces peuples si lourdement châtiés et confident incorruptible du dessein éternel de les délivrer à leur tour, — sans en cornaitre lo moment, — de quels regards chargés d’angoisses ne devait-il pas explorer ce désert de vagues et cet inaccessible horizon d’azur, par où le Messager du Salut viendrait un jour, comme le saint Christophe des pieuses images, avec le Christ sur ses épaules et la sainte Croix dans sa main !

Et lorsque le moment fut arrivé et qu’aux yeux immatériels de ce tuteur de tant d’âmes désolées, apparurent enfin les trois petits vaisseaux du Porte-Christ perdus et comme noyés dans l’immensité des ondes : le Héros qui les commandait avec tant de souffrances et d’un cœur si fort, — menacé par ses équipages épouvantés ot murmurants, déchiré peut-être par la crainte de ne pouvoir s’en faire obéir, — dut se sentir soudainement retrempé dans sa constance en entendant la voix céleste qui lui disait au cœur :

« Prends courage, bon Amiral, les hommes qui t’entourent ne sont rien de plus que des flots, mobiles et pleins de rumeurs comme ceux de l’Océan, et le Christ, ton Scigneur, a déterminé que tu commanderais aux flots. Relève-toi et songe aux dormants des îles inconnues. Souviens-toi de ton Message aux peuples captifs qui t’attendent depuis si longtemps dans les ténèbres. Considère ce qu’ils souffrent et mesure, si tu le peux, à leur ineffable détresse, la grandeur du Dieu qui t’a choisi pour leur servir de père en te substituant à Lui-Même ! Leurs âmes sont tellement obscurcies et courbées vers l’enfer qu’elles ne savent plus s’il y a un ciel. Le maître qui les retient sous ses portes maudites, prévaudra-t-il donc à la fin contre l’Église rayonnante de Jésus-Christ ? Ces tristes peuples sont, à cette heure, comme une multitude de tombeaux errants dans chacun desquels repose le cadavre de la vérité décédée en attendant le grand jour où tu viendras la ressusciter. Messager du Très-Haut, est-ce que tu vas devenir toi-même, par défaillance de cœur, un sépulcresilencieux Lorsque Jésus, Père des pauvres, s’en est allé vers son Clarificateur céleste, il a promis qu’il ne laisserait pas ses enfants orphelins et qu’il viendrait à eux. Or, voici quinze siècles qu’il est parti et que les pauvres d’entre les plus pauvres attendent leur père. Des milliers de saints ont pleuré pour eux, sans les connaître. La Vierge-Mère a pleuré aussi et ils sont les fils de ses plus grandes larmes. Les astres même de ce beau ciel que tu contemples pour la première fois, ces créalures brillantes et inanimées ont l’air de compâtir à tant d’infortune ot répandent chaque nuit, sur ces exilés, leurs pâles lueurs qui ressemblent à des larmes de lumière. Conforte-toi, bon serviteur. Si tu allais périr ! toi, leur unique espérance, que deviendraient-ils et que ferait la sainte Mère Église, pour qui tu es cette Colombe unique et choisie dont il est parlé dans le Cantique d’amour[13] ? »

Et maintenant que la Voix intérieure s’est fait entendre à cet apôtre et pendant qu’elle vibre encore dans nos cœurs, malgré l’épaisseur des siècles, demandons-nous quel pourrait bien être le vrai titre et le vrai nor de l’homme incomparable que l’Église veut honorer, le vocable liturgique de sa vraie gloire. Il me semble qu’il n’y a que le mot de Père et je frissonne en écrivant ce Nom divin. Immédiatement après le pècheur galiléen qu’on appelle le Père commun des fidèles, quel homme fait de terre eut jamais tant d’enfants et une aussi prodigieuse dilatation du sentiment paternel[14]. Christophe Colomb fut véritablement le père des peuples sans nombre qu’il alla chercher lui-même, comme un très diligent Pasteur, dans le fond de cet Occident redoutable que l’ignorance de son siècle supposait ténébreux et barré par le monstreux fourmillement de l’Abîme.

Saint Patrice, l’apôtre de la verte Irlande, entendait dit-on, les cris des enfants dans le sein de leurs mères qui l’appelaient en Hibernie. Pendant les terribles dix-huit années de démarches qui précédèrent son premier voyage aux Indes, Christophe Colomb porta dans son âme l’énorme clameur d’une moitié du genre humain dont lui seul savait l’existence et qu’il voulait donner à Jésus-Christ. Pour étre plus profondément le père de ces infortunés, il prit le pauvre habit de Saint-François et le porta ostensiblement jusqu’à sa mort. Enfin, lorsqu’il eut épuisé tout ce que le Père des pères lui avait laissé de lie épaisse au fond de son calice d’agonie, lorsqu’il eut bien vu le trafic et le massacre de ceux qu’il avait tirés de ses entrailles, — sa destinée terrestre se trouvant soudainement accomplie, — cette incomparable Ressemblance de Dieu s’enfonça dans la mort sans faire plus de bruit qu’un atome qui croulerait du haut d’une ruine dans le désert.

Ne fallait-il pas l’immense pitié et l’immense misère humaine d’une telle mort pour que cette divine artiste qu’on nomme l’Église pût nous proposer, à quatre cents ans de distance — comme la saisissante image du Père des miséricordes — une physionomie de saint aussi majestueuse, aussi lalourée et dévastée par la souffrance, aussi ruisselante des crachats de la calomnie, sans épouvante ni scandale pour le féroce et stupide égoïsme de nos mœurs chrétiennes ?

VII

La Colombe de Noé envoyée trois fois sur la terre après le Déluge par ce saint Patriarche, à la troisième, « ne revint plus vers lui », dit le Saint Livre, dans son divin langage mystérieux. Cette Colombe figure symbolique de l’Esprit du Seigneur qui parle aux hommes par les prophètes, descendit de l’Arche vers la pauvre planète en deuil que l’effrayant Repentir du Créateur avait submergée des eaux de sa colère, comme le Roi pénitent devait un jour arroser et laver son lit de l’abondance de ses larmes. Cette visitation de la terre par l’Oiseau mystique n’est-elle pas une image sensible de la Parole écrite visitant les hommes dans le demi-jour crépusculaire de la loi d’attente ? En vuc de cet unique chef-d’œuvre qui s’appelle l’Incarnation, la Sagesse éternelle s’est ineffablement rapetissée pendant quatre mille ans dans la langue humaine. Cette langue ainsi divinisée a été posée dans la bouche des prophètes, « comme un glaive acéré et comme une flèche choisie », pour percer tous les cœurs et pour traverser tous les siècles. La langue morte de l’homme est devenue, par un miracle de résurrection, la Parole vivante de Dieu et a été restituée dans cette forme nouvelle aux ouvriers errants et découragés de l’antique Babel. Pendant que ces exilés bruissaient en confusion par toute la terre où se multipliaient les balbutiements de leur démence, Dieu seul parlait pour l’universalité des peuples et des temps…

Il vint un jour, il vint une heure attendue par soixante-dix générations et providentiellement marquée dans le milieu des siècles, où cette Parole assumant enfin la chair passible des enfants d’Adam se rendit manifeste à toutes les nations et descendit redemander elle-même son troupeau, comme Ézéchiel l’avait annoncé. C’est alors que le Rédempteur, impatient de mourir et ne devant exercer que peu de temps son ministère de suprème Pasteur, se choisit des coadjuteurs apostoliques pour l’exercer après lui quand il serait retourné vers son Père. Et pour les confirmer eux-mêmes dans la foi, il mit au-dessus d’eux et investit du sublime Pontificat un homme exceplionnellement prédestiné dont le Nom, plein de mystère (Barjona) rappelait cette Colombe du Patriarche qui devait reposer à jamais sur sa tête et sur celle de ses successeurs.

La grandiose scène évangélique et les paroles sacrées du Maître par lesquelles le premier de tous les Papes reçut le pouvoir des clefs et l’investiture de l’autorité souveraine sont connues de l’univers. Depuis dix-neuf siècles, l’Église-Mère enseigne et chante tour à tour à ses plus ignorants enfants les sublimes protestations de l’amour de Pierre, son Reniement suivi de si grandes larmes, ses immenses travaux apostoliques chez les Juifs et chez les Gentils, sa prison et le miracle de sa délivrance au milieu de tant d’autres miracles, enfin son magnifique crucifiement symbolique, la Tête en bas, comme pour signifler l’enracinement dans la terre de la Doctrine du Prince des prétres de la loi nouvelle, tandis que les Picds portés vers le ciel font un expressif commentaire au Sequere me de l’Évangile.

Saint Pierre avait gouverné successivement l’Église de Jérusalem et celle d’Antioche où les fldèles prirent pour la première fois le nom de Chrétiens, lorsque la deuxième année du règne de Claude, la sept cent quatre-vingt-quinzième de la fondation de Rome et la quarante-deuxième de l’ère vulgaire, il vint, par ordre du Seigneur, se fixer à Rome. L’immense empire de fer, prédit par Daniel, semblait avoir brisé et dompté toutes choses sur terre, suivant le texte de ce prophète. Le lemps était venu de cette pierre mystérieuse qui, se détachant d’elle-même de la montagne, viendrait mettre en pièces les pieds fragiles du colosse. C’est pourquoi le Prince des Apôtres s’élança d’Orient en Occident, apportant dans ses mains le candélabre de la vraie foi et dans ses veines de futur martyr, la semence pourprée du Catholicisme. Le Paganisme était alors altier et obscur comme les nuées de son Olympe, et l’Esclave antique, désespérant, comme Pilate, de la vérité, se roulait avec fureur dans toutes les fanges de la superstition et de l’impudicité. Des centaines de peuples suaient leur agonie et, dans un découragement surnaturel, s’étendaient aux pieds de granit ou d’airain des Molochs et des Cynocéphales. Il ne se pouvait pas qu’une si grande multitude de créatures humaines fussent livrées et abandonnées sans secours à une aussi terrible défiguration de l’Image de Dieu !…

À ce moment, Simon-Pierre, le Galiléen de Bethzaïde et de Capharnaüm, de pêcheur de poissons devenu pécheur d’hommes, jette son filet sur le monde et renouvelle la pêche miraculeuse, accomplissant ainsi pour Jésus-Christ la magnifique Unité de cette Cité romaine que la Louve d’airain avait allaitée huit cents ans pour le ventre de ses Césars. De Rome, il gouverne l’Église naissante en Asie, en Grèce, en Italie, dans les Gaules et jusque sur les côtes d’Afrique. Il fait deux fois le voyage de Jérusalem, secouant le flambeau partout, résistant aux superbes, confirmant les faibles et ne cessant de répandre ces immorlelles larmes de sa pénitence qui coulèrent trente-quatre ans. Enfin, sous le règne de Néron, premier persécuteur de l’Église, on arrête comme incendiaires de Rome les disciples de Celui qui avait déclaré vouloir « mettre le feu par toute la terre » ; les deux plus grands Apôtres, Pierre et Paul, préfigurés naguère par ces deux Colonnes d’un travail si pur qui décoraient le portique du Saint Temple[15], sont enfermés ensemble durant neuf mois dans la prison Mamertine, au pied du Capitole, et le 29 juin de l’an de grâce 67 ils reçoivent tous deux la couronne du martyre, l’un par le glaive, l’autre par l’ignominieuse croix des esclaves.

Telle l’histcire de Pierre, telle l’histoire entière de la Papauté. Tous les papes sont Barjona, c’est-à-dire fils de la Colombe qui les inspire et par laquelle ils sont véritablement Vicaires de Celui qui voulut être reconnu Fils de Dieu dans la vertu de ce signe. Tous les papes sont ce Pasteur suprême et indéfectible par qui les autres sont confirmés et en dehors de qui ils ne sont pas même des fantômes de pasteurs. Tous sont pêcheurs d’hommes et pêcheurs miraculeux. Tous pleurent le Reniement fameux par lequel ils sont avertis de la fragilité du tabernacle humain sur le plus élevé des trônes. Tous enfin sont crucifiés en une manière spirituelle correspondante au crucifiement de Pierre qui ne trouva pas que la Croix du Maître fût assez infâme pour le serviteur et qui inventa de la retourner afin que ses successeurs, humiliés et souffrants en lui, ne pussent jamais s’interrompre de regarder du côté du ciel !


VIII

Tout le monde connaît, surtout en Italie, le fait déjà légendaire de la Colombe de Pie IX. Ce fait, accueilli par un assez grand nombre d’âmes enthousiastes comme une sorte de miracle, mérite d’être rappelé parce qu’il exprime assez distinctement la beauté et la force persistantes d’une des formes les plus antiques du symbolisme chrétien.

Au mois de juin 1846, Grégoire XVI venant de mourir, le cardinal Mastaï Ferretti, alors archevêque d’Imola et Pape quinze jours plus tard, se rendait à Rome pour le Conclave. « En traversant Fossombrone, petite ville des Marches, la voiture, arrêtée pendant quelques instants, fut naturellement environnée par la foule. Un prince de l’Église est toujours un spectacle, et surtout en un moment de vacance du Saint-Siège, où tout cardinal peut être élu Pape. Tout à coup, descendant du haut des airs, une colombe blanche vient se poser sur la voiture. La foule bat des mains et pousse à l’envi l’expressive acclamation familière au peuple des États pontiflcaux : « Evviva ! Evviva ! » Mais comme les cris n’effrayent point la colombe, la pensée vient aux spectateurs que cette apparition est un présage. Quelques uns peut-être se rappellent ce futur roi de Rome, Tarquin l’Ancien, sur lequel un aigle se posa au moment où, pour la première fois, il se rendait dans la ville éternelle ; d’autres songent au Pape Saint Fabien, qu’une colombe avait désigné de même aux suffrages du peuple et des évêques, et les acclamations redoublent : « Evviva ! Evviva ! Voilà le Pape ! » On prend un long roseau comme il en pousse au bord des fossés en Italie, et l’on frappe doucement l’oiseau ; il s’envole, mais il revient, reprend sa place sur la voiture et y demeure immobile. Alors l’enthousiasme est au comble : « Oui, voilà le Pape ! le Pape de la colombe ! » On les suivit en courant jusqu’aux portes de la ville. Là, seulement, l’oiseau reprit son vol et alla se reposer sur la porte même de la prison, où étaient détenus plusieurs condamnés politiques[16]. »

De quelque manière qu’il plaise à la critique d’accueillir cette anecdote et même en la supposant apocryphe, elle n’en n’est pas moins confirmative de l’opinion universellement accréditée que les papes sont, en une manière, élus et couvés par l’oiseau baptismal qui symbolise évangéliquement la Troisième Personne divine. Quant à Pie IX, deux cent soixantième successeur de Pierre, — le seul quiait dépassé les vingt-cinq années de l’épiscopat romain du Prince des Apôtres, contrairement à une tradition consacrée jusqu’à un certain point par la liturgie elle-même dans la cérémonie du couronnement des papes, — son règne a été marqué de tels signes exceptionnels qu’il n’est pas possible de s’étonner de l’exceptionnelle prédilection de ce fils de la Colombe pour Christophe Colomb.

L’hiérophante Fourier a donné cette formule abréviative de la solidarité humaine : « Les attractions sont proportionnelles aux destinées. » C’est une des plus fortes paroles de ce temps éolien si plein de paroles vaines et il a plu à Dieu que cette parole fût proférée par une bouche qui pourrait être nommée le plus démesuré vomitorium de l’erreur humaine au dix-neuvième siècle.

La destinée de Colomb et la destinée de Pie IX se rencontrent et se pénètrent dans le mystère d’une surnaturelle exception. Colomb révèle la sphéricité du monde terrestre sous les pieds de Jésus-Chrisl et de sa Mère ; Pie IX, par la définition cathédrale des deux grands dogmes manquant encore à la transcendante harmonie de l’enseignement théologique, a fermé ce glorieux cercle de lumière qui enveloppe les intelligences humaines en exil, — semblable à l’anneau splendide de cette planète du silence et de la mélancolie qui roule si prodigieusement loin de nous, dans le fond du ciel !

« J’ai d’autres brebis qui ne sont point de ce troupeau, dit le bon Pasteur, et il faut me les amener pour qu’elles entendent ma voix et qu’il y ait un seul troupeau et un seul pasteur. » Il est évident que ces deux immenses prédestinés, Christophe Colomb et Pie IX, furent suscités, à trois cents ans de distance, en vue de préparer et de rendre tout à fait prochaine cette sainte et merveilleuse Unité que l’Écriture appelle le « désir des collines éternelles ». Le premier détruisit à jamais la barrière qui divisait le troupeau et le second, de sa main lumineuse et paternelle qui répandait le sang du Fils de Dieu sur les nations, désigna infailliblement, pour tous les siècles à venir, la vraie place et le vrai nom de l’uoique Pasteur.

L’intervention de l’idée de Providence, dans l’examen des faits historiques, a pour effet ordinaire sur l’esprit bumain l’abolition et l’absence immédiate de la notion du temps. Dans le plan des desseins éternels, tous les hommes sont contemporains. Pie IX et Christophe Colomb correspondent sympathiquement l’un à l’autre suivant une loi spirituelle identique à la loi physique d’attraction des mondes. On a remarqué que Pie IX qui croyait à la sainteté de Colomb et qui fut le promoteur de cette cause inouïe est le seul de tous les papes qui ait visité le continent américain. Lorsque l’abbé Mastaï, encore simple prètre, accompagna au Chili le nonce envoyé par Pie VII pour rétablir les affaires ecclésiastiques dans cette contrée lointaine, le futur pape dut sentir naître en lui ce merveilleux appétit de la gloire divine par lequel le plus audacieux des enfants de l’Église avait autrefois déroulé toute la terre comme un tapis de royaumes sous les pieds du Rédempteur. Pendant deux ans, il visita les missions du Chili, du Pérou et de la Colombie, au prix de grandes fatigues et même de grands dangers, réalisant ainsi une nouvelle sorte d’apprentissage de cette Papauté toujours grandissante que l’Inventeur du Nouveau Monde a rendue semblable à un colosse Rhodien de la Paternité, appuyé sur les deux hémisphères.

Le Comte Roselly de Lorgues demande « quel est le saint canonisé qui, avant Christophe Colomb, a pressenti le dogme de l’Immaculée Conception et ordonné de construire une église en son honneur ». Il serait évidemment bien inutile de chercher à faire comprendre aux hommes de mauvaise volonté l’importance infinie de cette Définition qui suffirait à elle seule à la gloire de l’Église et de tous ses papes, en supposant que la sagesse de tous ses conciles et l’inspiration de tous ses docteurs n’eussent jamais été capables de produire que cet unique suffrage de vérité et d’amour !

Pour ce qui est de l’autre dogme qui à tant agité l’orgueil contemporain et fait remonter tant de bourbe originelle au ras des cœurs, il y aurait une sorte de dérision à écrire que le Serviteur de Dieu l’a simplement pressenti, lui qui ne compta jamais que sur Rome pour être compris et pour être confirmé. Dans la célèbre affaire de la Ligne de Démarcation où la paix de la chrétienté et l’avenir du monde étaient en question et qui fut l’occasion d’un des plus grands miracles de l’histoire, Christophe Colomb ne voulut d’autre arbitre que le Saint-Siège, alors occupé par ce même Pape dont le nom seul a le privilège de faire écumer et piaffer d’indignation le vertueux troupeau des onagres apocalyptiques de la libre pensée et de la libre histoire. Rome, à son tour, par la bouche de ce Pontife, dont la mémoire n’est nullement on horreur à la sainte Église, adopta spontanément les conclusions du Navigateur et lui donna pleine créance en des choses inouïes, invérifiables et d’une conséquence infinie ; renvoyant ainsi à ce Messager du Christ, par une exception sans exemple, l’honneur presque divin d’un arbitrage qui était son privilège absolu et sa réserve sacrée[17].

Il n’y eut certainement jamais aucun saint aux yeux de qui Rome ait été plus indubitablement l’Église. Christophe Colomb ne pensa qu’à elle et ne travaille que pour elle jusqu’à sa mort. Sa miraculeuse histoire n’est pas autre chose que l’Odyssée de cette magnifique sollicitude qui le fait tant ressembler à saint Paul. À peine débarqué de son premier voyage de découvertes, sa première démarche fut de conseiller aux Rois Catholiques de faire hommage au Saint-Siège des terres nouvelles et d’appeler sa bénédiction sur cette entreprise par une bulle qui protégerait ses conquêtes. Et il fut ainsi tout le reste de sa vie, son admirable cœur tendu vers Rome et n’ayant jamais pu considérer l’Espagne, devenue si grande par lui, que comme la plus précaire des patries ingrates et peut être même comme le pis-aller de la miséricorde de Dieu !


IX

Pour toutes ces raisons et pour un assez grand nombres d’autres qui se déduisent aisément de l’hisloire, il est clair que le Pape de la Colombe devait aller naturellement à cette Colombe. Sans être précisément un millénaire, il est permis de croire au triomphe futur de cet Esprit d’amour dont la colombe est le signe, que l’Église appelle sans cesse et qui doit nous enseigner toute vérité, au témoignage de Notre-Seigneur dans l’Évangile de saint Jean. Christophe Colomb et Pie IX semblent appartenir plus spécialement que d’autres à cet accomplissement imminent du règne de Dieu parmi les hommes. Aussi l’intronisation de ce grand pape a-t-elle été le point de départ du mouvement de l’opinion catholique en faveur de Colomb. L’esprit qui souffle où il veut a passé sur ce roseau irrémédiablement brisé, sur ce flambeau qui ne fumait même plus, et, tout à coup, le nom devenu presque banal de Christophe Colomb a pris un sens nouveau et s’est mis à resplendir comme un météore.

Voici le résumé très rapide du progrès de cette réhabilitation.

Depuis l’année 1846, date de l’élévation de Pie IX à la Chaire de saint Pierre, un nombre incroyable de publications et d’œuvres d’art de toutes sortes, relatives à Colomb[18], attestaient dans les diverses parties du monde chrétien une subite et singulière préoccupation de la conscience universelle, lorsqu’en 1856, la première histoire complète du héros chrétien, rédigée par ordre du Souverain Pontife, fut éditée à Paris et précisa d’une manière définitive la question hagiographique, sans toutefois rien préjuger et sous la réserve absolue de l’infaillible décision de l’autorité religieuse.

Je le disais au début : ce livre ft dans notre société peu croyante tout le bruit qu’on pouvait attendre d’une publication aussi fermement catholique. La renommée de cette gloire chrétienne renaissante se répandit par le monde dont le pauvre pilote génois avait divulgué la grandeur. On s’étonna du nimbe surnaturel qui venait illuminer soudainement cette figure douloureuse et grandiose, émergeant d’une obscurité de quatre siècles à la voix du Pasteur des âmes. Les cœurs fidèles qui savent ce que c’est qu’un saint et combien il importe à Dieu d’être glorifié dans ses élus, exulièrent à cette nouvelle et voulurent enfin connaître la vraie vie et la vraie mission de l’Inventeur de l’Amérique dans l’unique récit catholique qui en ait été fait. Néanmoins, l’œuvre du Comte Roselly de Lorgues, âgée de plus d’un quart de siècle, est encore trop peu connue.

Le seul peut-être de tous les écrivains catholiques qui ait quelque crédit dans le camp des Philistins de la Libre Pensée, l’éclatant romancier-critique Jules Barbey d’Aurevilly en parla au lendemain de son apparition et, par une rare intuition prophétique, la vit telle qu’elle était, grosse de toutes ses conséquences, et l’annonça pour ce qu’elle est réellement devenue, c’est-à-dire : « le procès-verbal d’une canonisation future ». Ce témoignage isolé eut, il est vrai, peu de retentissement dans le cloaque ténébreux de l’indifférence contemporaine. Çà et là, les journaux hostiles à la Rédemption proférèrent des : injures ou d’ineptes raillories. L’Histoire de Christophe Colomb courut, comme elle put, sa fortune. Jusqu’en 1869, époque de la Postulation, l’épiscopat fut presque seul à s’en émouvoir à peu près partout. Aujourd’hui, ce livre s’est répandu dans un plus grand nombre de mains. La récente édition de la Librairie Catholique[19] va, sans doute, accélérer cette tardive popularité et il faudra bien que les gens du monde s’y laissent prendre à leur tour, car la vérité, substance divine de l’amour, est forte et conquérante comme la mort.

Dans une lettre extrêmement remarquable qui occupa quelque temps la presse européenne en 1866, Mgr le Cardinal de Bordeaux, métropolitain des évêchés des Antilles, supplia le Souverain Pontife de vouloir bien autoriser l’introduction de la Cause de Christophe Colomb devant la Sacrée Congrégation des Rites. La majeure partie de l’Épiscopat français soutint de ses vœux la démarche du vénérable cardinal que la France vient de perdre. Un certain nombre d’évêques donnèrent leur adhésion formelle à la lettre de Son Éminence. Des ecclésiastiques de divers diocèses ajoutèrent leurs voix à celles des premiers pasteurs. La presse espagnole elle-même appuya ce projet de Béatification, par une étrange contradiction avec le mépris et la haine séculaire de la nation pour son bienfaiteur. Son Éminence le Cardinal-Archevèque de Burgos transmit à son collègue de Bordeaux des congratulations patriotiques au nom de l’Épiscopat d’Espagne, et joignit son adhésion personnelle à la demande de Béatification. En Amérique, cette idée fut acceptée avec faveur par la presse de divers États. Au Brésil, elle inspira un poète. Dans les deux continents, plusieurs pays protestants montrèrent leur franche sympathie pour la Cause de Christophe Colomb. En Russie même, au siège de la fourberie orthodoxe, l’idée d’une telle Béatification produisit une sensation dont les feuilles accréditées se firent l’écho.

Plusieurs évêques ayant alors médité la vice de Christophe Colomb écrivirent directementà Sa Sainteté. De la mer des Antilles et de l’océan Indien, des demandes furent adressées à Rome. À l’exemple de l’illustre Archevêque de Mexico, plusieurs chefs de diocèse, en Amérique comme en Asie, sans avoir rédigé leur demande, adhéraient de cœur à celle de l’éminentissime Cardinal Donnet. Les généraux des ordres religieux secondaient de leurs vœux ces pieuses espérances. L’année suivante, un des plus doctes et des plus renommés prélats d’Italie, Mgr Andrea Charvaz, archevêque de Gênes, adressa à son tour au Souverain Pontife une lettre dans laquelle, reconnaissant les diflicultés extrêmes que présente l’introduction de la Cause de Christophe Colomb, par suite de la nécessité de se conformer aux règles posées par le Pape Benoît XIV, il suppliait Sa Sainteté de vouloir user de son autorité souveraine pour introduire cette cause tout exceptionnelle par voie d’exception.

Enfin, la convocation du Concile œcuménique à Rome semblait offrir aux représentants de l’Église une favorable occasion de décerner une marque de gratitude à ce chrétien héroïque. M. le Comte Roselly de Lorgues, postulateur officiel, quoique laïque, adressa aux Pères du Concile un Mémoire pour rappeler les droits de Christophe Colomb à un témoignage solennel de reconnaissance. Sur l’avis d’un grand nombre d’archevêques d’évêques et de consulteurs, une Postulation fut rédigée qui suppliait le Chef de l’Église de vouloir bien déférer aux vœux des fldèles et, usant de sa souveraineté apostolique, ordonner l’introduction de cette Cause par voie exceptionnelle.

Un certain nombre de prélats ayant quitté Rome aussitôt après leur vote sur l’Infaillibilité, il fut convenu que dès la reprise de la session, la Postulation serait proposée publiquement à la signature des Pères du Concile. Plusieurs d’entre eux devaient faire une motion relative à la Cause de Christophe Colomb. Dans un ouvrage spécial[20], M. le Comte Roselly de Lorgues a donné le texte entier de la Postulation qui portait déjà la signature de cardinaux, de primats, d’archevèques, d’évêques et de vicaires apostoliques de différentes régions du Globe ; lorsque le châtiment de la France et l’intrusion bestiale des spoliateurs du Saint-Siège, en mettant obstacle à la réunion de l’Assemblée œæcuménique, ont ajourné cette question dont l’opportunité était si généralement proclamée.

La vénération bien connue de Pie IX pour cet admirable serviteur de Dieu, son pieux désir de mettre sa poussière miraculeuse sur les saints autels et l’acclamation unanime et presque spontanée des Pères du Concile on ! donc enfin rappelé, depuis dix ans, l’attention des chrétiens sur l’histoire de Christophe Colomb. Aujourd’hui, cette grande Cause est plus que jamais pendante devant l’Église. La Postulation a déjà recueilli d’innombrables suffrages. De tous les points du globe, plus de SIX CENTS ÉVÊQUES ont envoyé leur adhésion particulière au Postulateur. Chiffre véritablement inouï, et plus que suffisant pour emporter l’universelle adhésion de la chrétienté.

Voilà, en aussi peu de mots que possible, l’hislorique de la Cause de Christophe Colomb, l’Apôtre de la Croix et le Messager de Jésus-Christ. Dieu n’a pas permis que Pie IX en vit le triomphe sur la terre, mais il lui reste la gloire d’en avoir été le promoteur, ot le monde saura quelque jour ce que c’est qu’une telle gloire. En attendant, l’Église universelle va prononcer dans toute la force de l’autorité infaillible qu’elle tient de son Chef, et l’Esprit-Saint qui l’inspire et qui fut naguère porté par Christophe Colomb sur les eaux inexplorées de l’Océan, saura vaincre les derniers obslacles de l’ignorance ou du satanisme, exactement au jour et à l’heure marqués de toute éternité pour cette Justice.


X

Il y a quelques années, un évêque qui laisse humblement sa piété planer comme un aigle au-dessus de son intelligence, reprochait à Christophe Colomb de ne pas ressembler à saint Benoît Labre ou au Curé d’Ars. Évidemment, ce prélat n’est pas de ces hommes que le silence des astres épouvante, selon le mot de Pascal. Loin de là, c’est un supérieur ecclésiastique des plus corrects et qui doit réaliser d’une manière parfaite l’idéal gallican de la dévotion : in pietate insigni minime singularis. C’est-à-dire, la haine de toute singularité, de toute exception, de toute transcendance ; la déflance instinctive de tout enthousiasme : et de tout magnanime emportement. Pour de tels esprits, l’exaltation de l’amour est toujoursune ridicule extravagance, le lyrisme de la pensée un regrettable délire et les plus sublimes aperceptions du génie une absurde recherche de midi à quatorze heures. C’est ainsi qu’il leur plaît de s’exprimer.

Quant à leur admiration pour saint Benoît Labre et le Curé d’Ars, il n’y faut pas trop compter. Les saints ont toujours été des hommes singuliers, disait Massillon, et certes, il paraît difficile de l’être plus que le fameux pèlerin-mendiant, devenu acceptable aujourd’hui parce que l’Église a parlé et qu’il y a cent ans qu’il est mort, mais qui passa sa vie, ainsi que le Curé d’Ars, à recevoir les leçons et les réprimandes d’une foule d’hommes sages et modérés dont la piété était insigne, sans le moindre alliage de singularité.

Toutes les fois que Dieu veut faire un très grand saint, il fait comme pour Job. Il commence par lui envoyer les petites et faciles épreuves, telles que les voleurs, le feu, la tempête, la ruine, le deuil, l’abandon, la nudité, l’insulte, le fumier et les plus horribles ulcères. Jusque-là, rien ne dépasse la commune mesure des forces humaines et le Diable seul a été déchalné. Mais si ces épreuves préliminaires ont été supportées avec constance ; si le sujet n’a point péché par ses lèvres. alors Dieu donne le coup suprême et définitif qui frappe l’homme comme une monnaie d’or à son effigie et qui fait ressembler à des caresses voluptueuses tout ce qui a précédé. Il fait simplement intervenir quelques hommes pieux, exempts de singularité et prodigues de sages conseils.

Christophe Colomb, plus étonnant que saint Laurent, endura ce gril pendant dix-huit ans avant sa première expédition et, depuis la Découverte jusqu’au moment de sa mort, il ne connut d’autre adoucissement que d’y ètre retourné par des mains implacablement vertueuses[21].

Il nous est recommandé par le Seigneur lui-même de respecter nos évêques qui sont les successeurs des Apôtres, mais, en même temps, le sage Livre nous fait un précepte de reprendre notre ami et notre prochain : Corripe amicum, corripe proximum. Qui donc nous est plus ami et plus proche que ceux-là qui sont chargés de nous paître et de nous instruire, et comment les dernières brebis du troupeau pourraient-elles être blâmées avec justice quand elles s’élancent au secours de leur pasteur près de défaillir ? La discipline de l’Église ne saurait être offensée d’une respectueuse hardiesse de langage et l’histoire des saints évèques fourmille d’exemples de cette charitable audace dont leur humilité sut profiter et qui fut pour eux l’occasion d’un redoublement de sollicitude.

Dans la troisième partie de cet ouvrage, qui traitera de quelques obstacles suscités à l’introduction de la Cause de Christophe Colomb, j’aurai trop d’occasions de cette sorte de remontrances pour ne pas en avertir dès à présent les esprits timides qu’une pareille fémérité pourrait scandaliser ou faire souffrir. Ceux-là peuvent se dispenser de me lire, car ce n’est pas à eux que je m’adresse. Au risque de me couvrir de ridicule, je déclare mon ambition de ne parler qu’à des âmes débordantes de désir et enthousiastes comme la flamme. C’est le moyen de n’obtenir que les douze cents lecteurs rêvés par le sceptique Stendhal, et, avec la grâce de Dieu, ce petit nombre doit suflire, s’il entre dans les desseins éternels que le Révélateur de la Création soit enfin glorifié sur cette terre ingrate dont il doubla l’étendue !

Cependant, je ne puis achever ce paragraphe sans parler d’un autre prélat dont l’excessive prudence ne saurait être un obstacle à la Cause, mais qui pourrait avec raison m’accuser d’inexactitude si j’avais l’air, en négligeant d’inscrire son refus, de le compter pour une unité dans l’énorme chiffre déjà mentionné des adhésions épiscopales.

Le Comte Roselly de Lorgues ayant envoyé le Postulatum à l’archevêque d’Auch, Mgr de Langalerie, reçut, au mois de novembre 1879, une réponse de Sa Grandeur qui déclarait ne pouvoir se décider à signer cette pièce, à cause, disait-elle, de son insurmontable RÉPUGNANCE !… Un mois après, le même archevtque écrivait qu’un premier succès sérieux oblenu à Rome pourrait peut-être déterminer son adhésion.

Ainsi, le désir si connu et si formellement exprimé de Pie IX, l’acclamation à peu près unanime des Pères du Concile et le suffrage de la plupart des évèques du monde, enfin l’étonnant concert d’une multitude de voix sacerdotales ou laïques implorant ce grand acte de justice de tous les points du globe, tout cela ne paraît pas à Monseigneur d’Auch un grelol convenablement attaché et il tremble de se compromettre en ne se laissant précéder que de la moitié de l’univers. Le Cardinal-Archevêque de Bordeaux, le vénérable et regretté pontife qui osa, le premier, au milieu du silence universel, supplier le Saint-Père pour Christophe Colomb, dut lui sembler étrangement téméraire. Suivant les idées de Monseigneur d’Auch, le scrupule en ces sortes d’affaires ne pourra jamais être poussé assez loin et, en le supposant même excessif, c’est à peine s’il commencerait à cesser d’être insuffisant. Les Apôtres, dont il s’honore d’être un des successeurs, ont bien pu avoir la simplicité des colombes, mais ce serait peut-être hasarder beaucoup que de leur supposer la prudence des serpents recommandée par le Maître ; car, enfin, ils n’ont pas montré cette sainte répugnance épiscopale qui aurait contenu l’emportement juvénile de leur zèle et nous ne serions pas réduits à nous demander aujourd’hui s’ils n’auraient pas mieux fait d’attendre un premier succès du christianisme pour commencer leur prédication.

De la répugnance pour la Cause de Christophe Colomb ! Certes, je dois me souvenir que je parle en ce moment d’un vénérable et vertueux pasteur, d’un de ces hommes comblés d’honneur que le Pape appelle : mon frère ; mais je ne puis oublier que le même mot étonnant fut prononcé, il y a trois ans, à la tribune parlementaire, je ne sais plus par quelle bouche ignoble, et il s’agissait du Sacré Cœur ! La dévotion au Cœur de Jésus-Christ donnait de la répugnance à cet avocat ! Je sens bien que le rapprochement est effroyable, mais il est appelé par l’identité du mot et les mots ont une métaphysique inexorablement substantielle et révélatrice…

Si Christophe Colomb est vraiment un saint, — ce que l’Église ne nous défend pas de supposer, — il est fort effrayant d’avoir une pareille répugnance et plus effrayant encore de ne pouvoir la surmonter. Voilà ce que j’avais à dire respectueusement à Monseigneur d’Auch dont j’aurais horreur de paraître mépriser le caractère et l’éminente dignité. Je sais bien que ce pieux archevêque adhérera de tout son cœur à la Postulation quand elle aura triomphé et qu’il honorera sans répugnance Christophe Colomb quand l’Église aura inscrit son incomparable nom dans les sacrés Diptyques ; mais alors, sans doute, il comprendra combien il eût été plus honorable pour Sa Grandeur de pressentir et de presser cette décision !


XI

J’ai déjà nommé un grand nombre de fois le Postulateur de la Cause, le Comte Roselly de Lorgues. Je dois encore le nommer et le citer beaucoup, puisqu’il est le principal ouvrier de cette grande chose contemporaine qui sera regardée comme l’un des plus beaux gestes de Dieu par la France au xixe siècle. Si l’intérêt transcendant de la gloire de Christophe Colomb n’abolissait pas immédiatement autour de lui tout autre intérêt historique ou littéraire, ce serait un second acte de justice que de raconter la vie et les travaux de cet apologiste chrétien, si célèbre dans ce que j’appellerai le recto de ce siècle et maintenant dépassé par l’infâme cohue des saltimbanques oraculaires de l’antichristianisme. Mais un si vaste examen ne peut être enfermé dans une simple parenthèse biographique. Il faut plus d’espace et moins d’incidence pour parler d’un homme qui a informé philosophiquement la moitié de ses contemporains et qui fut le progéniteur intellectuel de Donoso Cortès. Il suffirait sans doute à la gloire du Comte Roselly de Lorgues d’avoir écrit la vie de Christophe Colomb, comme personne peut-être ne l’eût écrite sans lui jusqu’au jour du Jugement ; mais, avant d’être historien, on doit se souvenir qu’il fut le rénovateur de l’antique apologie chrétienne qui avait été comme le vagissement littéraire de l’Église dans les trois premiers siècles. Seulement, il renouvela ce genre vénérable en le rajeunissant et en le retrempant, comme le vieil Éson de la Fable, dans l’énorme cuve bouillonnante de tous les progrès scientifiques de l’esprit humain. Récipient monstrueux et babélique, image du profond Chaos avant que le Verbe du Tout-Puissant en eût fait le suppôt de la Lumière, tout s’y trouvait et s’y confondait dans ce mystérieux désordre harmonique qui précède ordinairement le grand ordre soudain que la Providence veut opérer !

Le Comte Roselly de Lorgues discerna profondément la vocation et la mission religieuse des temps modernes et il déclara aux Athéniens de sa génération qu’ayant regardé en passant les divers simulacres de leur culte scientifique, il avait trouvé — comme saint Paul — un autel dédié au Dieu inconnu, et que cet objet de leur ignorante adoration était, assurément, le Père des lumières et le Dieu des sciences. Et il démontra ce qu’il affirmait, gloriflant la science, comme jamais la science n’aurait osé rêver de se glorifier elle-même, la mettant en escabeau sous les pieds du Seigneur, au-dessus des plus inaccessibles pics de l’orgueil humain, lui faisant allaiter amoureusement la Tradition catholique que le même orgueil prétendait exténuer par elle ; enfin, retournant contre cette fille dénaturée du Père du mensonge la fameuse tentation de l’Évangile et lui promettant tous les empires du monde et toute leur gloire si elle consentait à se prosterner devant le Fils de Dieu !

Moins grand écrivain que Chateaubriand, si ce n’est par éclairs, moins aigu et moins transperçant que de Maistre, le Comte Roselly de Lorgues s’est montré infiniment supérieur par la doctrine au premier de ces deux aigles, et il étreint, il enveloppe mieux que le second la vérité dont il s’empare ou l’erreur qu’il veut étouffer.

Le plus connu de ses ouvrages philosophiques, le Christ devant le Siècle, a été traduit dans toutes les langues. Les deux autres, de date postérieure, la Mort avant l’Homme[22] et la Croix dans les Deux Mondes, ont eu, en France, moins de retentissement, le premier surtout, je ne sais pour quelle raison. La Croix dans les Deux Mondes a ceci de particulier qu’elle fut le point de départ de la grande évolution par laquelle son auteur est devenu l’historien de Christophe Colomb. Le rôle providentiel de l’Ambassadeur de Dieu lui apparut spontanément et l’élan d’intuition qui le lui fit apercevoir fut si complètement illuminateur que l’étude stricte et laborieuse qui vint ensuite n’ajouta presque rien à cette prime-sautière aperception.

L’effet, d’ailleurs, en fut tellement contagieux que c’est à la Croix dans les Deux Mondes que la ville de Gênes — honteusement ingrate pour le plus illustre de ses fils, comme je le montrerai plus loin — doit son monument à Christophe Colomb ; monument élevé par l’ordre du roi Charles-Albert étonné de l’insouciance des Génois, après la lecture de ce livre.

Telle fut aussi l’origine du choix de Pie IX qui ne voulut pas d’autre historien pour son héros de prédilection que l’écrivain français favorisé d’une telle sagacité historique et qui justifia par là l’incertitude de Joseph de Maistre, se demandant si l’infaillibilité des Papes ne va pas au delà de ce qu’on suppose et si elle ne porte pas quelquefois sur certains points extrêmement éloignés des conjectures de la raison chrétienne.

Aujourd’hui, le Comte Roselly de Lorgues, parvenu à l’extrémité de sa vie, pourrait, à ce qu’il semble, se reposer dans la force et dans la sérénité de sa vicillesse. Il pourrait regarder son œuvre comme accomplie. Il pourrait dire que son âme est fatiguée du poids d’un si long jour et laisser à d’autres le noble souci du triomphe terrestre de la vérité. Mais il considère en chevalier l’extraordinaire honneur qu’il a reçu et il estime, comme il convient, la grandeur de son mandat. Il sent que tout son effort est nécessaire et qu’il doit à cette Cause inexprimablement sainte jusqu’à son dernier souffle, puisqu’il a fallu que le fleuve humain coulût pendant quatre cents ans pour qu’il s’élevât vers Dieu cette clameur, cette unique clameur de justice que le Seigneur Dieu n’entendra peut-être jamais plus !

Tant que Christophe Colomb ne sera pas restitué officiellement à l’Église, l’ami et le fidéicommissaire de Pie IX ne saurait se reposer, semblable en ce point au grand Apôtre-Amiral qui ne pensa jamais que son œuvre fût achevée et qui ne se reposa que dans la mort.

XII

L’apparition prochaine d’un nouveau livre du Comte Roselly de Lorgues — l’Histoire posthume de Christophe Colomb, — qui me paraît devoir être une nappe de lumière sur un grand nombre de faits inconnus et surabondamment explicatifs de l’étonnante disgrâce historique du Porte-Christ, donnera sans doute peu d’allégresse aux ennemis héréditaires de cet homme sans égal, investi par le plus solennel de tous les contrats des éminentes dignités de Vice-Roi des Indes et de Grand Amiral de l’Océan : titres nécessaires à l’exécution de sublimes desseins, mais que la révoltante duplicité d’un mauvais prince rendit illusoires en ne lui permeltant jamais d’en exercer l’autorité et, bientôt, en l’en dépouillant tout à fait avec le cynisme atroce des politiques de la Renaissance. Ce livre, vraiment singulier, ne sera rien autre que le récit de l’invraisemblable aventure de cette gloire exorbitante s’abîmant dès son aurore, voyageant dans le mystère des calacombes par-dessous la rumeur d’une dizaine de générations et surgissant tout à coup par la volonté d’un pape et malgré les efforts diaboliques d’une multitude d’imbéciles épouvantés d’un tel signe, au moment précis et providentiel où la splendeur obscurcie du catholicisme a tant besoin de ce réconfort de magnificence !

L’infatigable Postulateur après avoir, dans son Histoire de Colomb, raconté l’Odyssée chrétienne de celui qu’il nomme le Messager de l’Évangile, va nous montrer maintenant l’horrible dessous ténébreux de ce drame immense où les Anges pleurants ont pu contempler l’abominable victoire des puissants écrasant un Pauvre qui était l’ami de Dieu. On pourra désormais suivre, fil à fil, la trame savante de ce tissu d’iniquités qui commence au premier succès du Héros chrétien et qui ne tend à rien moins qu’à la ruine totale et sans remède des plus grandioses conceptions que l’amour d’un homme ait jamais enfantées.

L’historion indigné et implacable ne se contente pas de ce tourbillon de crimes et de mensonges qui submergèrent comme des ondes l’Envoyé de Dieu ; il nous fait enjamber son cercueil et nous force à tâter dans les ténèbres les sépulcres oubliés de sa race descendue tout entière dans le même gouffre. Certes ! il convient à Dieu que la vérité et la justice aient enfin leur tour et que l’hypocrisie, même séculaire, soit une bonne fois démasquée, pour que cette terre qu’il a faite ne ressemble pas décidément à quelque Panthéon sinistre à la porte duquel une main de l’Abîme aurait écrit ces mots avec le sang des saints : Ici on assassine les grands hommes !

La terre n’a jamais aimé ceux qui la dominent, ceux qui planent, qu’ils soient aigles ou colombes. « Elle fournit le plomb pour tuer les oiseaux, » dit quelque part M. Hello. Pourtant, si on savait regarder avec profondeur, on verrait que personne ne nous est plus proche et plus semblable que les grands hommes puisqu’ils sont les aînés de Celui qui nous à tous façonnés à son image et qu’ils se tiennent devant Lui pour nous abriter contre le resplendissement solaire de sa Face. L’apôtre saint Jacques a beau nous dire qu’Élie était semblable à nous et passible, nous refusons de le croire ; non par humilité, mais par l’ignoble bêtise de notre orgueil qui ne veut rien admirer. Le préjugé sur Christophe Colomb est si tenace et si fort que le plus grand poète du monde, en le supposant inspiré par la plus magnifique de toutes les indignations, n’arriverait jamais à la surmonter. L’Église seule a ce pouvoir, parce que « sa conversation est dans les cieux », et, qu’étant l’épouse pleine de miracles de Jésus-Christ, elle a le secret de délier le cœur des hommes de bonne volonté aussi bien que la langue des imbéciles.

Dieu nous garde de préjuger l’infaillible décision de cette Mère des vivants. Elle s’est tue jusqu’à ce jour et, par conséquent, nous avons à peine le droit de parler. Mais la tremblante expression d’un religieux désir n’est pas ennemie d’un profond respect et d’une filiale soumission. Le Comte Roselly de Lorgues, qui a l’honneur de représenter la Chrétienté en sa qualité de Postulateur de la Cause de Christophe Colomb, paraît destiné à l’honneur plus grand encore de la voir triompher. Il est permis de considérer comme probable que la prochaine session de l’Assemblée æcuménique reprendra, pour en finir, cette grande affaire qui, à son tour, est là, maintenant, comme l’autre grande affaire du Navigateur, « les bras ouverts, appelant et attendant[23] ». Mais il faut que le Postulateur soit aidé par tous les catholiques et il est triste à penser que, jusqu’à présent, il s’est vu presque seul. Les sympathies ecclésiastiques, à commencer par la plus auguste, ne lui ont certes pas manqué ; mais le monde, le vaste monde laïque n’a pas beaucoup palpité jusqu’à cette heure.

Dans ces dernières années, le Comte Roselly de Lorgues craignant de ne pas vivre assez longtemps pour chanter le Nunc dimittis de la victoire et ne voulant pas que cette grande pensée mourût avec lui, se détermina à choisir un vice-postulateur pour continuer son œuvre quand il ne serait plus. L’élection était difflcile et d’une grave conséquence. Il fallait un homme d’un esprit très sûr et d’une patiente ferveur, que ni les contradictions du monde ni les interminables délais de la Cour de Rome ne fussent capables de rebuter. Il jeta enfin les yeux et fixa son choix sur un compatriote du grand homme, M. Joseph Baldi, le premier Génois qui ait écrit en catholique sur Christophe Colomb. Issu d’une ancienne famille transplantée à Gênes au commencement du xviie siècle, appelé par son opulent commerce de pierreries à parcourir les mers, ayant passé plusieurs fois de l’Atlantique dans le grand Océan, il put, avec le Psalmiste, admirer les transports de la mer, mirabiles elationes maris. Pendant un de ses voyages, comme il revenait en Europe, doublant le terrible cap Horn, son navire fut assailli de la plus effroyable tempête. Alors que tous se croyaient perdus, ce chrétien prédestiné n’implora pas en vain le secours du Dieu de Colomb.

Ses longues pérégrinations maritimes avaient merveilleusement préparé M. Joseph Baldi à comprendre la grandeur de celui qui, le premier, osa franchir l’inexorable cercle de Popilius de la cosmographie traditionnelle. Quand il lut son histoire écrite par l’ordre de Pie IX, toute son âme s’élança vers la beauté morale du Messager de l’Évangile et l’enthousiasme le fit écrivain. M. Joseph Baldi est, de tous les Italiens, celui qui a le plus efficacement travaillé à répandre dans la Péninsule la gloire catholique du Grand Amiral de l’Océan. Il mérita ainsi l’immense privilège qu’il partagera désormais avec l’un des plus considérables défenseurs de la foi au xixe siècle.

En 1881, le dimanche des Rameaux, M. Joseph Baldi fut présenté à S. S. Léon XIII par le Comte Roselly de Lorgues et il eut l’honneur de placer sous les yeux du Pape un magnifique album, assurément le plus curieux recueil qui fût jamais entré au Vatican. Cet album contenait alors QUATRE CENT SOIXANTE-SIX adhésions épiscopales sollicitant du Chef de l’Église l’introduction exceptionali ordine de la Cause du Serviteur de Dieu devant la Sacrée Congrégation des Rites.

La Postulation est donc assurée de ne pas périr. Elle est en des mains sûres et fidèles. L’opposition passionnée et inconcevable qui en retarde le succès, qui voudrait tant le rendre impossible et qui ramasse pieusement, pour en lapider le moins paresseux des hommes, le fumier de tous les ruminants de la calomnie ; cette opposition bête et puissante, dont je nommerai les principaux acteurs, ne parlera pas du moins toute seule et ne triomphera pas dans le mutisme sempiternel de la conscience publique. L’avenir de cette Cause exceptionnelle qui intéresse tous les peuples dépend, d’ailleurs, en ce moment, d’un seul homme qui peut, d’un mot, anéantir cette conspiration de reptiles. Cet homme, c’est le Vicaire de Jésus-Christ. SIX CENT QUINZE Évêques[24] sont à ses pieds, et derrière eux, tout ce qui, dans l’univers chrétien, représente l’autorité de la vertu ou l’aristocratie de la pensée…

Or, Dieu sait si le temps nous presse ! Voici venir le quatrième centenaire de la Découverte. Dans un siècle athée et néanmoins aussi livré que le nôtre aux apothéoses et aux simulacres, il est raisonnable de conjecturer qu’un extraordinaire effort sera tenté pour éteindre l’auréole naissante de l’apôtre sous un déluge de dithyrambes philanthropiques et révolutionnaires. Les catholiques jugeront si les quelques difficultés de procédure opposées à la Béatiflcation du plus grand héros chrétien des temps modernes peuvent et doivent entrer en balance avec l’énorme intérêt évident de restituer à l’Église une illustration de premier ordre qui lui appartient entièrement et que ses plus abjects ennemis ont entrepris de lui ravir. Il est digne, en effet, de l’Église, de protéger ses premiers-nés et de faire respecter leur mémoire quand ils ont cessé de combattre et de souffrir pour elle. Il est digne de la France qui fut dite autrefois la fille aînée de cette Mère et qui a eu l’honneur de réclamer, la première, cette solennelle réparation ; il est très digne d’elle de la réclamer encore avec des cris et des prières. Il est digne enfin de l’Épiscopat universel qui a déjà si noblerment intercédé pour l’auguste Patriarche des missions transatlantiques, de recommencer autour de la Chaire de Rome son éloquente importunité et de la prolonger jusqu’au jour vraisemblablement prochain où l’Épouse mystique du Roi de gloire, Père des pauvres, chantera enfin, le 20 mai, du haut de ses autels, la Nativité éternelle de l’Ambassadeur de Jésus-Christ !


XIII

Le Vendredi, 12 octobre 1492, Christophe Colomb prenait possession de l’île de San-Salvador au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ pour la couronne de Castille. À peine touchait-il cette terre nouvelle, prémices de ses découvertes, qu’il y planta significativement la Croix[25] et, se prosternant avec adoration : « Seigneur, dit-il, Dieu éternel et tout-puissant qui, par ton Verbe sacré, as créé le firmament et la terre et la mer ! que ton Nom soit béni et glorifié partout, qu’elle soit exaltée ta Majesté qui a daigné permettre que, par lon humble serviteur, ton Nom sacré soit connu et prêché dans cette autre partie du monde[26] ! »

Ces quelques lignes suffiront à toute âme chrétienne tant soit peu profonde pour comprendre la nécessité absolue de la voie exceptionnelle. Christophe Colomb remercie la majesté divine pour avoir daigné permettre que, par lui, son Nom fût connu et prêché dans cette autre partie du monde. L’énorme singularité d’une pareille action de grâces est nécessairement inaccessible à des hommes du xixe siècle. Il faut se demander ce que pouvait être aux yeux des hommes du xve cette autre partie du monde. Il y avait d’abord la mer Ténébreuse, l’épouvantable Bahr-al-Talmet des Arabes, c’est-à-dire une ceinture d’abîmes peuplés de monstres auprès desquels les plus horribles cauchemars de la mystique infernale devaient paraître bénins et consolants. Au delà, il y avait le Diable, le désespoir, l’enfer, la nuit absolue et l’absolue absence de Dieu. Christophe Colomb, qui n’avait pas cru à la mer Ténébreuse parce qu’il pressentait la vraie forme du Globe ; Christophe Colomb, rempli de ses dons et supérieur à ses contemporains de toutes les supériorités naturelles et surnaturelles, voyait-il beaucoup plus clair que le vulgaire dans l’ordre des choses historiquement contingentes à sa mission ?

Sans doute, ce merveilleux homme se sentait appelé à la translation de la Croix dans un monde nouveau, il le déclare lui-même implicitement ou explicitement en cent endroits. Sans doute, le sentiment de sa gigantesque paternité spirituelle remplissait le sein de cet Abraham voyageur à la recherche de sa postérité inconnue. Sans doute aussi, devait-il croire que ce monde captif ne lui serait pas livré sans combat et son âme héroïque comptait sur le Dieu des opprimés pour en décider la fortune. Mais l’injustice inouïe, l’ingratitude sans exemple, l’infatigable persistance de malheurs comme il ne s’en était jamais vu et, surtout, l’insuccès surnaturel, absolu, implacable de toutes ses entreprises — à l’exception de la Découverte, — voilà ce qui dut étrangement surprendre cette âme, unique parmi les uniques !

Quel que fût le don d’intuition de ce passager de la Providence et de la Douleur, qui doubla la superficie de la terre pour ne pas y trouver un asile, il ne pouvait pas deviner que tout l’univers allait se précipiter sur lui ; il ne pouvait pas penser que sa tête fût assez précieuse pour être offerte en holocauste, et c’est précisément parce qu’il devait en être ainsi que sa prière est si étonnante. Cette autre partie du monde, comme il dit, appartenait tellement au Démon que le dessein d’y prêcher le nom de Dieu dut ressembler à une vocation d’apostolat dans les enfers. Aussi fut-il presque seul à faire ce rêve. L’Espagne et l’Europe ne voulurent absolument pas qu’il y eût une autre partie du monde et qu’elle devînt le domaine de Jésus-Christ par son humble serviteur qui l’avait révélée. Elles voulurent, au contraire, se l’assimiler comme une proie et s’y propager de telle sorte qu’il ne fût plus possible désormais de trouver autre chose que l’Europe par toute la terre. L’antique civilisation latine, repliée sur elle-même dans cet étroit continent pollué par son paganisme, put enfin se détirer et se mettre à l’aise en allongeant ses infâmes pieds sur le Nouveau Monde. Il s’agissait bien de conquérir des âmes, en vérité ! D’ailleurs, puisqu’on était chez le Diable, il n’y fallait pas tant de façons, tout était bon à prendre et les infortunés Indiens devaient s’estimer trop heureux d’être asservis et massacrés par une race si supérieure !

Quant à Colomb, « les mers étaient lasses de le porter » et les continents n’en voulaient plus. Les puissants du monde se jouaient de ce vieillard radotant de fraternité et de justice. La vraie patrie des hommes, c’est leur désir, et le désir de cet apôtre ayant été si parfaitement déçu, il se trouva désormais sans patrie, errant sur terre et sur mer, battu par les flots, bafoué par les ouragans, insulté par les hommes, fracassé par toutes les forces révoltées de la nature, sans repos, sans gîte et sans pain, croûlant sous l’anathème universel de l’ingratitude comme s’il eût été le Caïn de l’innocence !

Parmi les destinées que le monde juge exceptionnelles, y en eut-il jamais une seule qu’on pourrait comparer à celle-là ? Et, puisqu’on présume la sainteté et qu’il s’agit maintenant, non plus d’une réhabilitation historique du grand Méconnu, mais de sa béatification et de sa canonisation, quelle autre voie que l’exceptionnelle pourrait-on prendre pour arriver à mettre sur les autels un homme dont la sainteté probable est comme un cri au fond des consciences et qui déborde, par l’inouïe singularité de sa vocation, toutes les catégories prévues dans les augustes décrets d’Urbain VIII et de Benoît XIV ?

Je raconterai plus loin l’accueil fait au projet d’introduction de la Cause par la Sacrée Congrégation des Rites, et je m’efforcerai de conjecturer avec respect ce qu’il y a lieu d’attendre, pour l’avenir, de cette vénérable juridiction. Je veux me borner pour le moment à reproduire dans sa forme interrogative une remarque singulière du Comte Roselly de Lorgues.

« Christophe Colomb est Exceptionnel à ce point, dit-il, que l’admission de sa Cause à la Sacrée Congrégation des Rites, au lieu de le grandir dans l’opinion, comme il arrive d’ordinaire, la rehausse elle-même. Elle s’illustre à son contact. Ne le dissimulons pas : quelque respectable que soit ce haut tribunal, ses jugements touchent peu les hommes du monde. Ils le laissent fonctionner à sa guise, sans se préoccuper de ses décisions. Mais cette fois, à l’indifférence fait place la déférence et l’étonnement. Combien n’apparaît-il pas imposant, cet Aréopage romain, qui cite à comparaître devant lui le plus grand des hommes, celui que l’Éternel choisit pour instrument de sa Providence !

« Ce serviteur de Dieu étant Exceptionnel, sa Cause peut-elle être d’une autre nature que sa personne ? »

Je crois n’avoir oublié rien d’essentiel dans ce rapide exposé de la Cause de Christophe Colomb. Je ne pousserai pas l’habileté jusqu’au point de dissimuler que j’ai écrit ces pages dans l’espérance de lui donner des admirateurs et des dévots. Dût-on n’arriver à obtenir qu’une déclaration de Vénérabilité, il faudrait encore poursuivre l’instance. Ce sont les propres paroles du Cardinal Donnet et c’était aussi le sentiment du savant archevêque de Gênes, Mgr Andrea Charvaz, prédécesseur immédiat du titulaire actuel. Ce prélat disait avec émotion au Postulateur : « Dès l’instant où Colomb sera déclaré Vénérable, très certainement quelques familles de nos marins commenceront à l’invoquer, et je ne doute pas qu’il ne se produise alors des miracles suffisants pour procéder régulièrement à sa canonisation. »

Après de telles autorités je demande qu’il me soit permis d’ajouter une dernière réflexion.

Quand Christophe Colomb, le doux apôtre du Verbe, avait à exiger quelque fatigue extraordinaire, il disait simplement à ses hommes : « Nous devons à Dieu de faire telle chose, » et, par là, il faisait entrer la bonne volonté dans les cœurs. Nous autres, nous devons à Dieu de travailler extraordinairement pour son Église, en ces jours terribles. Cette Église infiniment sainte et sacrée est, elle aussi, un navire en voyage vers un monde réellement nouveau dont la beauté ne doit pas périr. Actuellement dénuée de tout secours humain, elle lutte avec des tribulations infinies contre la plus formidable tempête que le ténébreux génie du mal ait jamais soulevée contre elle en aucun temps de l’histoire. L’ingratitude universelle est à son comble et l’esprit de révolte fait déserter chaque jour un grand nombre de serviteurs qu’on avait le droit de supposer fidèles et incorruptibles jusqu’à la mort. La France, hélas ! l’Espagne, l’Italie et ce qui reste encore de l’Allemagne chrétienne, dévorées et bouleversées par le triomphant crétinisme révolutionnaire se retournent à la fois contre elle et la menaçent d’un naufrage complel et irrémédiable. Uniquement soutenue par la promesse de Jésus-Christ, sa détresse est devenue si parfaite, son dénûment si total et son abandonnement tellement sans exemple qu’on est tenté de craindre que Dieu ne transporte décidément un de ces jours, loin de l’Europe infidèle, le candélabre et les flambeaux. Des voix lamentables s’élèvent du sein de la chrétienté et du sein de l’antichrétienté et nous crient de toutes parts « qu’il n’y a plus de saints dans l’Église », et c’est bien la plus terrible parole qui puisse être prononcée sur ce monde arrosé du sang divin. Nous devons donc à Dieu et à son Église de démentir cette épouvantable affirmation de l’esprit du mensonge. Voici, je crois, l’occasion de ce magnifique démenti.

La tactique infernale est bien connue. Elle ne s’est jamais modifiée et elle refuse obstinément d’adopter les combinaisons entièrement nouvelles de la tactique des guerres modernes. Tout le génie militaire du Diable se réduit, en somme, à prendre des forteresses et à massicrer les tratnards au bord des chemins, mais il n’accepte qu’à contre-cœur et seulement à la dernière extrémité la balaille rangée dans la plaine. Eh bien ! il faut le contraindre à combattre de cette manière et nous serons alors assurés de la victoire. Puisqu’il faut des saints à l’Église et que la voix unanime de nos premiers pasteurs nous avertit qu’il y en a un à deux pas de nous et, pour ainsi dire, au milieu de nous, merveilleusement accommodé au génie des temps modernes par l’exceptionnelle spécialité de sa gloire, pourquoi donc n’irions-nous pas à lui avec enthousiasme et ne l’opposerions-nous pas comme un invincible chef de guerre aux entreprises de plus en plus audacieuses des ennemis de la Rédemption ?

L’importance extrême de cette détermination nous est surabondamment indiquée par le soin qu’ils prennent de la retarder et de nous prévenir. Il est clair que le Prince du Monde a effroi de Christophe Colomb. Il ne veut pas de cette gloire pour l’Église et pour la Papauté. « Veut-on savoir, dit le Comte Roselly de Lorgues, les effets de l’indifférence catholique à l’égard de cet incomparable serviteur de Dieu ? Les voici. Le clergé ne revendiquant pas comme lui appartenant l’homme qui a le plus servi l’Église, l’impiété en a fait aussitôt sa proie. Il y a quelques années, le savant et courageux abbé Margotti déplorait l’outrage commis contre Colomb par la gouvernement piémontais, en plaçant son efigie en face de celle de Cavour, sur les billets de banque, mettant ainsi au même rang le défenseur de la royauté pontificale et le destructeur du pouvoir temporel. Depuis lors, les démocrates italiens ont entrepris de confisquer cette personnalité vénérable. Ils ont prostitué le nom de Colomb, le traînant dans leur fange, le donnant à des écoles d’enseignement obligatoire et laïque, à des tavernes, des estaminets, des tripots. Les sectaires des sociétés occultes, les agents du communisme et de l’Internationale, ces violents ennemis de la Papauté l’ont pris pour mot de passe. Ils ont souillé à plaisir ce nom sublime, le faisant servir à fonder, qui l’eût osé croire !… une loge de francs-maçons ! Poursuivant leur abomination, ils ont attribué un rôle à Christophe Colomb dans une de leurs scènes favorites d’impiété. Le 17 mars 1872, ils lui ont réservé une place marquante à l’enterrement civil le plus solennel qu’on ait encore vu : celui du chef démoniaque des révolutionnaires, le grand hiérophante de l’assassinat, le frénétique Mazzini.

« Ils ont mis sur le char funèbre, près du cercueil, le portrait du serviteur de Dieu avec ceux de l’hérésiarque Arnaud de Brescia ; du conspirateur Colas de Rienzi et du ténébreux Machiavel, et ces funérailles impies n’ont soulevé personne[27]. » Voilà ce que rapporte l’ingratitude. Je n’ajouterai pas mes réflexions à ces lignes terribles par lesquelles j’ai voulu finir. Il doit suflre de rappeler à tous les chrétiens qui aiment encore « la charité, la vérité et la justice », que le 12 octobre 1892 arrivera le quatrième séculaire de la découverte. Il est aisé de prévoir qu’avec la fureur d’adoration qui possède ordinairement les peu-

ples sans Dieu, ce centenaire sera célébré d’une manière inouïe par les marines du globe entier. Dix ans à peine nous séparent de cette époque. Que fera le catholicisme en ce jour solennel ? « Sans les sourdes menées de quelques pieux personnages, dit encore le Comte Roselly de Lorgues, qui prétendent servir les intérêts de la papauté, la position du serviteur de Dieu dans l’Église serait déjà authentiquement définie. Et dès l’instant où, par l’introduction de la cause, le Saint-Siège aurait reconnu la gloire catholique de Colomb, les révolutionnaires, les athées, les positivistes n’oseraient plus se l’approprier. Ces superbes ont horreur des saints. Ils s’en éloigneraient soudainement comme Satan du corps de Moïse, devant l’Archange saint Michel. »


  1. Un Bref du 24 avril 1863 mentionne l’origine italienne du Comte Roselly de Lorgues et l’antique illustration de sa race. En 1309 le Chevalier Jean Roselli accompagait à Avignon le Pape Clément V qui venait s’y fixer.

    Le Comte Antnine Roselli, bien que laïque, fut cinq fois Légat du Saint-Siège, pour les Papes Martin V et Eugène IV. Son cousin Jean-Baptiste, simple abbé, eut deux fois le même honneur. Successivement d’autres Roselli servirent directement la Papauté : aussi en nommant le Comte Roselly de Lorgues Commandeur de son Ordre le grand Pie IX s’est-il plu à rappeler les services de ses aïeux et leur fidélité au Saint-Siège. (Bref du 3 juillet 1866.)

  2. Lorsque Colomb, en instance auprès de la Cour d’Espagne, dut comparaître devant la Junte de Salamanque chargée de l’examen de son projet de Découverte, quelques-uns des doctes membres de ce congrès « objectèrent à ses déductions des passages des Saintes Écritures qu’ils appliquaient fort mal, et des fragments tronqués de quelques auteurs ecclésiastiques’contraires à son système. Des professeurs cathedruticos établirent par majeure et par mineure que la Terre est plate comme un tapis, et ne saurait être ronde, puisque le Psalmiste dit : « Étendant le ciel « comme une peau, » extendens cœlum sicut pellem ; ce qui serait impossible si elle était sphérique. On lui opposait les paroles de saint Paul, comparant les cieux à une tente déployée au-dessus de la Terre, ce qui exclut la rotondité de ce monde. D’autres, moins rigides ou moins étrangers à la cosmographie, soutenaient, qu’en admettant la rolondité de la Terre, le projet d’aller chercher des régions habitées dans l’hémisphère austral était chimérique, puisque l’autre moitié du monde restait occupée par la mer Ténébreuse, ce gouffre formidable et sans limite ; et si, par bonheur, un navire laucé dans cette direction parvenait à toucher aux Indes, jamais on n’en pourrait avoir de nouvelles, parce que cette prétendue rotondité de la Terre formerait un obstacle insurmontable à son retour, quelque favorables qu’on supposât les vents. » (Christophe Colomb, par le Comte Roselly de Lorgues, liv. I, ch. v.)
  3. Saint-Bonnet, la Douleur.
  4. Sap. cap. xvii.
  5. 20.000 victimes annuelles au Mexique seulement, d’après Clavigero.
  6. Matines des morts — IIIe nocturne.
  7. Esdras, lib. IV, cap. ii, p. 32.
  8. Humboldt, Cosmos, t. II, p. 321. — On me pardonnera, je l’espère, en considération du plaisir de citer Humboldt, le petit inconvénient assez grave de mettre dans la bouche du Héros chrétien un mot sans précision philosophique. Il est sans doute inutile de faire remarquer que Colomb aurait souri d’un infini créé, le seul, évidemment, que le savant prussien ait eu en vue et le seul aussi qui soit vraiment conforme au génie philosophique et politique de sa nation.
  9. L’Ambassadeur de Dieu et le Pape Pie IX, par le Comte Roselly de Lorgues, p. 156. — Plon, 1874.
  10. De Noël à la Circoncision.
  11. Hebr. V, II ; IX, II.
  12. Dao. XII, 1.
  13. Una est columba mea, perfecta mea, una est matris suæ, electa genitrici suæ. — Cant. VI, 8.
  14. Lors du baptême des sept Indiens amenés par Colomb à Barcelone au retour de son premier voyage, le Roi, l’infant don Juan et les premiers personnages de la cour furent les parrains des catéchumènes. Quant à Christophe Colomb, étant comme le père de tous les Indiens, il ne fut parrain d’aucun d’eux ; car dans l’Église catholique le père ne peut servir de parrain à son fils. (Hist. de Christ. Colomb, par le Comte Roselly de Lorgues. L. 1er, ch. xi.)
  15. III Reg. vii, 21.
  16. Villefranche. — Pie IX, sa vie, son histoire, son siècle, pp. 20 et 21
  17. V. Appendice A.
  18. V. Appendice B.
  19. Un magnifique vol. in-4o avec encadrements à toutes pages et chromo-lithographies ; chez Victor Palmé à la Société générale de librairie catholique. Toutefois, ce livre de luxe a l’inconvénient de n’être qu’un abrégé de l’édition Didier.
  20. L’Ambassadeurde Dieu et Pie IX. — Plon, 1874. — Le Postulatum reproduit à la fin du présent ouvrage, Appendice C, peut être recommandé aux esprits les plus jalousement amoureux de la vivante latinité romaine.
  21. Je ne résiste pas au plaisir de reproduire ici une page curieuse d’un des écrivains les plus singuliers et les plus éloquents de ce siècle. Cette page a pour titre : Lettre qu’un docteur, homme très sérieux, dut écrire à Christophe Colomb au moment où celui-ci s’embarquant pour l’Amérique. — « J’apprends, mon jeune ami que vous avez le projet de découvrir un nouveau monde, et je vous dirai sans détour que je ne vous en félicite pas. Votre projet me remplit d’alarme. Il dénote, je ne crains pas de vous le dire, un orgueil inconcevable. Comment ! Ne trouvez-vous pas la terre assez graude ? Voyez les hommes des temps passés. Ont-ils jamais songé à découvrir un continent nouveau ? Et vous, vous jeune homme, sans expérience, sans autorité, vous avez nourri cette folle ambition. (Ce jeune homme sans expérience avait alors 57 ans.) Comment ! ni les conseils de tous vos vrais amis, ni les menaces de la destinée qui vous devient contraire, rien ne peut vous décider à vivre tranquillement en Europe, comme chacun de nous. Vous vous croyez donc bien au-dessus des autres hommes puisque ce qui leur suffit ne vous sufñt pas ? Tous les gens éclairés vous le diront, mon jeune ami, votre orgueil vous perdra.

    « Je suis d’autant plus chagriné de votre fâcheux entêtement que j’ai toujours eu pour vous une affection véritable. Tout enfant, vous me plaisiez. J’aimais la finesse et la promptitude de vos saillies. Jeune homme vous aviez une imagination qui me séduisait. Car j’aime l’imagination chez un jeune homme pourvu qu’il n’en ait pas trop. Vous me disiez quelquefois : J’aime l’Océan ! et je vous engageais, mon enfant, à faire sur l’Océan quelques vers latins, pour vous exercer. Pouvais-je me douter que vous alliez prendre au sérieux la poésie ? Si vous aviez, du reste, un goût si prononcé pour la navigation, je ne vous aurais pas dissuadé de faire de temps à autre quelques petits voyages : les voyages forment la jeunesse. Mais, mon jeune ami, permettez-moi de vous le demander : n’est-ce pas aller un peu loin que d’aller chercher un nouveau monde ?

    « Et pourquoi donc ne pas vous contenter de l’ancien, puisque nous, nous savons nous en contenter ? Pourquoi ne pas entrer tout simplement dans une de ces carrières libérales auxquelles votre éducation vous donne droit de prétendre ? Pourquoi cette folle et ridicule ambition ? Ah ! quand vous aurez mon âge !

    « À cela vous avez déjà répondu qu’il y a là-bas des hommes qui sont vos frères avec qui vous voulez uair l’ancien continent.

    « Je sais par cœur toutes vos grandes phrases. Vous pensez, n’est-ce pas ? que quand vous aurez traversé l’Océan qui essaye de séparer les mondes, vous planterez la Croix sur La terre nouvelle.

    « Ce sont là, mon enfant, des paroles creuses ; permettez à un homme plus agé que vous, de vous le faire observer. Vous savez que j’aime les arts, et que je respecte la religion, mais je n’aime pasles saints et les hommes de génie : les uns et les autres vont trop loin, ils exagtrent continuellement. L’Europe en a déjà fourni assez et même trop : ils ne sont bons qu’à agiter le monde. Quelle folie d’aller là-bas, au risque de vous casser le cou, grossir le nombre des rêveurs ! Prenez garde, mon enfant, vous allez devenir ridicule. Croyez à la sincère affection qui me dicte les paroles que je vous adresse. Je ne puis vous cacher le regret que j’éprouve quand je vois perdu, dans les songes creux d’un orgueil insensé, un jeune homme pour qui je me plaisais à rêver un meilleur avenir.

    « Oui, mon enfant, j’ai le cœur navré, quaud je vois que vous allez de porte en porte mendier des secours qu’on vous refuse. Qu’avez-vous fait de votre dignité ? L’honneur de votre famille a été sans tache jusqu’à ce jour. N’avez-vous donc plus d’amour-propre ?

    « L’amour-propre, mon enfant, c’est le gardien de la digaité, et pour un homme bien né, la dignité est ce qu’il y a de plus précieur. Sans doute, (car je ne veux rien exagérer,) il ne faut pas avoir trop d’amour-propre, l’excès en tout est un défaut, mais il faut en avoir un peu, et, si vous continuez, vous me ferez croire que vous n’en avez plus ; prenez, parmi nous, quelques-unes de ces fonctions honorables que votre jeune intelligence, vous rendrait capable de bien remplir : ainsi vous ne contristergz plus vos amis. Autour de vous nous serons ious d’accord ; nous encouragerons vos essais, et nous tuerons le veau gras, en voysnt revenir l’enfant prodigue. » Ernest Hello, — Les Plateaux de la Balancep. 373.

  22. De tous les livres apologétiques du Comte Roselly de Lorgues, la Mort avant l’Homme est certainement celui qui justifie le plus l’enthousiasme de ses admirateurs et qui explique le mieux son influence sur certains esprits élevés de son temps.
  23. La question des Lieux Saints, l’une des plus ardentes préoccupations de l’Amiral. — « El otro negocio famosisimo esta con los « brazos abiertos llamando : extrangero ha sido fasta hora. » — Lettre aux Rois Catholiques, datée de la Jamaïque, le 7 juillet 1503.
  24. Depuis le jour de la présentation du vice-postulateur, le nombre des adhésions épiscopales s’est élevé à ce chiffre. (Novembre 1883.)
  25. Ce n’est pas en signe de possession qu’il érige la Croix partout, ainsi que l’a prétendu l’école protestante, mais pour annoncer le Salut, la Croix étant, selon ses propres paroles : principalement l’emblème de N.-S. Jésus-Christ et l’honneur de la chrétienté. « Y principalmente por Señal de Jesuchristo Nuestro Señor y honra de la cristiandad. » — Journal de Colomb, mercredi 12 décembre, 1492.
  26. Christophe Colomb, par le Comte Roselly de Lorgues, Liv. I, chap. viii.
  27. L’Ambassadeur de Dieu et Pie IX, Plon, 1874.

    On ne saurait assez insister sur le zèle extrême qui pousse les eunemis de la Papauté à s’emparer à toute force du nom de Colomb, à confisquer au profit de leur ténébreux calendrier cette éblouis- sante renommée. Le 22 juin 1839, une société démocratique d’ouvriers turinois, au nombre de plus de 600, vint à Gênes pour célébrer l’anniversaire de ! a naissance de Mazzini, patriarche et pontife des assassins, qu’ils appellent l’Apôtre, il apostolo, comme s’il s’agissait de saint Paul ou de saint Audré. Vu à une certaine distance, ce pèlerinage impie et grotesque étonne singulièrement. On pourrait conjecturer tout d’abord que la patrie de sainte Catherine a dû faire à ces incroyables dévots l’accueil qui leur convenait et qu’elle les a simplement congédiés avec ignominie. C’est le contraire qui est arrivé. Une partie de la municipalité est venue au devant d’eur, bannières et musique en tête. Les maires de Gênes et de Turin se sont réciproquement congratulés. Une immense allégresse maçonnique s’est répandue sur la cité. Les frères et les amis se sont ouvert leurs âmes les uns aux autres. Une extraordinaire ferveur s’est rallumée en ce jour pour la révolution et contre Dieu. Alors on est allé déposer des guirlandes de bronze sur la tombe de Mazzini et sur le monument de Christophe Colomb. Ces deux hommes ont été ainsi réunis et confondus dans la même apothéose. Le disciple du Verbe incarné, le sublime Porte-Croix de la mer Ténébreuse, le doux patriarche des missions transatlantiques, à reçu dans sa propre patrie le même infâme honneur que l’odieux mystagogue des coupe-jarrets politiques. Celui-ci a été déclaré son égal en mérite, en gloire, en apostolat, et je n’ai pas appris qu’une seule voix indignée se soit élevée pour la justice au milieu de ce diabolique concert. Le lendemain, 23, une fête nouvelle a rassemblé ces énergumènes au théâtre du Politeama et, au moment où l’Église universelle chantait les premières vêpres de la Nativité du Précurseur de Jésus-Christ, la franc-maçonnerie des deux cités italiennes, convoquée en cet auguste endroit pour célébrer la nativité de son plus grand homme, a fait entendre de nouveaux discours où les noms de Mazzini et de Colomb s’entrelaçaient amoureusement pour la plus grande jubilation de ce noble peuple qui sait glorifier comme cela l’héroïsme de ses enfants !