Le Puits de la vérité/Renan inédit

Le Puits de la véritéAlbert Messein (p. 77-78).



RENAN INÉDIT



Si, comme le disait Théophile Gautier, tout ce qui est imprimé est inédit, ce qui est inédit semble presque toujours avoir été déjà imprimé quelque part : il semble qu’on l’a toujours connu. Je parle surtout des inédits qu’on trouve dans les papiers des grands écrivains et devant la publication desquels ils avaient, on ne sait pourquoi, reculé. Renan a, paraît-il, laissé beaucoup d’inédits de cette sorte, car, avant d’avoir trouvé sa manière historique, il avait beaucoup écrit. Il y avait en lui un littérateur qu’il tua délibérément ou plutôt qu’il coucha tout vif dans un tombeau de fakir, pour lui permettre de ressusciter quand viendrait l’heure du caprice des hommes. On vient de publier un poème philosophique et biblique, il y en a d’autres. On verra sortir aussi des contes, toute une littérature qui, d’ailleurs, est du Renan, quoiqu’elle ne soit pas encore du vrai Renan. Tout de même, on ne peut s’empêcher de penser que lorsque, vers la fin de sa vie, il donna quelques drames philosophiques, il rentrait dans une de ses natures les plus sincères et les plus spontanées. Celui que nous appelons le vrai Renan était peut-être un Renan façonné à l’extrême par la volonté. Livré plus à lui-même, il aurait eu plus de fantaisie, se serait laissé aller à plus de variété. On étudiera peut-être un jour les influences qui ont eu prise sur son esprit et je pense qu’alors on ne négligera pas celle de Flaubert qui, de temps en temps, lui imposait quelque lecture bien peu romanesque. Ne lui recommanda-t-il pas un jour un roman de Zola, La Conquête de Plassans, qui lui avait monté à la tête ? Flaubert et Renan s’aimaient beaucoup et je crois bien que vers la fin Renan était le seul écrivain pour qui Flaubert eût une estime totale. Des inédits de ces deux-là, on ne se lassera jamais.


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