Le Puits de la vérité/Émile Ollivier

Le Puits de la véritéAlbert Messein (p. 79-80).



ÉMILE OLLIVIER



Émile Ollivier fut peut-être le plus bel exemple que l’on connaisse de la fatuité humaine, de la fatuité convaincue, persévérante, acharnée. Il se croyait un grand homme, et en plusieurs genres : d’abord grand homme d’État, puis grand historien, grand écrivain, grand orateur. N’a-t-il point voulu se faire inhumer dans un rocher qui domine la mer. Évidemment il se voyait un second exemplaire, mais revu, corrigé et augmenté, de Chateaubriand. On dit cependant qu’une de ses prétentions était à demi justifiée : il avait une éloquence méditerranéenne. Soit. Je n’ai pas été à même de l’entendre, mais l’éloquence, même divine, jointe à un esprit aussi faux, aussi péniblement vaniteux, c’est peut-être un don bien déplorable. Mais cette fameuse éloquence qui dut se taire si longtemps, elle devait surtout être de la nature de ses écritures, je veux dire intarissable, infatuée et entêtée. Il n’a vu qu’une chose dans la vie, lui-même, l’importance de lui-même. Les tomes de son apologie se succédaient comme des éboulements périodiques, et à chaque masse de terre ou de copie qui s’écroulait, la réputation de l’homme était enfouie plus profondément. Il ne le savait pas, il continuait ses terrassements et croyait s’élever un monument. Était-il un homme plus antipathique ? Je ne le crois pas. Pour moi, je n’ai jamais pu lire sa signature ou l’annonce de ses interminables tomes sans dégoût. On a dit que ce n’est qu’un homme qui s’est trompé et qui eut trop de confiance. Oui, en effet, il s’est trompé pendant quarante-trois ans et il eut pendant quarante-trois ans une épouvantable confiance en lui-même. Il est évident qu’à aucun moment de ces longues années, il n’a senti l’horreur de son mot. Cela fait du moins comprendre le perseverare diabolicum. Mais était-il même un homme diabolique ? Non. Ce n’était qu’un imbécile.


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