Le Puits de la vérité/La douce Hollande

Le Puits de la véritéAlbert Messein (p. 103-104).



LA DOUCE HOLLANDE



C’est un pays charmant que cette Hollande d’où M. Fallières revient après avoir été si bien reçu. Tous ceux qui ont voyagé par là en ont gardé le meilleur souvenir. Qui voudrait oublier Amsterdam, la ville du silence ! Les Hollandais ont trouvé le moyen d’être à la fois un des peuples les plus actifs de la terre et le plus calme. On ne sait comment s’y font les affaires et les travaux, car on n’entend nul bruit, on ne voit aucun signe de précipitation. Tout se passe comme s’il ne se passait rien, et il se passe pourtant beaucoup de choses, mais il est de la nature de ce peuple d’accomplir toutes ses besognes sans bruit : on pense à des fourmis. Quand j’étais à Amsterdam, il y a quelque vingt ans, et j’aime à croire que la tradition en est respectée, toutes les voitures, vers sept heures, disparaissaient de la circulation, et le peuple en toute liberté se répandait joyeusement et silencieusement par les rues ; la joie y était aussi tranquille que le labeur. Ce sont des mœurs vraiment loin des nôtres. Les brasseries du vieil Amsterdam ne sont pas éclairées et les buveurs jouissent en toute tranquillité du mouvement des promeneurs qui passent devant eux sans les voir. Parmi ces buveurs, il y a beaucoup d’amoureux, je crois même que c’est en leur honneur qu’on use de tant de discrétion. J’ai vu encore bien d’autres traits curieux, par exemple des églises où on faisait la queue comme au théâtre, les derniers fidèles arrivés s’agenouillant tranquillement sur les trottoirs ! C’est un pays de liberté. Chacun fait ce qui lui plaît, pourvu qu’il le fasse sans bruit et sans dommage pour les autres. C’est un pays de douceur et il n’est pas jusqu’à l’air qui n’y prenne, surtout en automne, des qualités uniques de charme et de transparence, remplacés, quand tombe le soir, par la majesté éclatante et tumultueuse de couchers de soleil comme on n’en voit que dans les pays humides, par des féeries telles que mon œil les voit encore. On parle toujours des Musées de la Hollande. Ils sont beaux sans doute et Rembrandt est impressionnant, mais l’atmosphère de soie, mais les couchers de soleil de pourpre et d’or, le long des digues du Helder, où bat sourdement la mer domptée, quel musée est comparable à celui-là ?


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