Le Puits de la vérité/Contre Jean-Jacques



CONTRE JEAN-JACQUES



Quelle singulière idée a eue M. Barrès de prononcer un discours contre Jean-Jacques Rousseau, un discours cueilli dans Maurras et dans Pierre Lasserre ! On le sait bien, que tout ce qu’a dit Jean-Jacques n’est pas très juste, mais qu’on dresse le catalogue de ses idées en idées acceptables ou acceptées par tous et en idées plus ou moins paradoxales et on verra que les premières sont peut-être plus nombreuses que les secondes, et moins intéressantes aussi et moins fécondes. Je ne m’en chargerais pas, je me connais trop mal en orthodoxie. Aussi bien, je crois que la plupart des idées sont à la fois justes et fausses et que cela dépend de l’heure et du milieu. Il y a des idées de plein air et des idées d’intérieur, des idées du soir et des idées du matin, des idées des champs et des idées de la ville, des idées de jeunesse et des idées de vieillesse. Et puis il y a aussi les idées qu’on aime et celles qu’on n’aime pas, mais ce n’est pas du tout une raison pour qu’elles soient justes ou qu’elles soient fausses, à moins que l’on n’ajoute aussitôt : justes pour moi, en ce moment ; fausses pour moi, pour le quart d’heure. Est-ce du scepticisme de penser ainsi ? C’est surtout de la loyauté. Mais quand on s’est assis dans l’absolu, on ne s’embarrasse plus des contingences, on ne cherche plus, on sait. M. Barrès sait. Hélas ! Il a trouvé la vérité. Après cela, on n’a plus qu’à dormir. Rousseau, qui ne s’endormit jamais, a lancé dans le monde toutes sortes d’idées sur lesquelles le monde discute encore. S’il est des grands esprits, il en est le type même. Et si, comme disait Buffon, la manière dont on dit une chose vaut mieux encore que la chose elle-même, Rousseau aurait droit au moins à la reconnaissance des écrivains. Donc, soit qu’on pense, soit qu’on écrive, soit, ce qui est plus rare, qu’on fasse les deux, il faut admirer Jean-Jacques Rousseau. C’est élémentaire.


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