Traduction par Henriette Loreau.
Hachette (p. 30-40).




CHAPITRE IV.


On n’aime pas, en général, à reconnaître qu’on s’est mépris en choisissant telle ou telle profession ; et tout individu qui mérite le nom d’homme, rame longtemps contrevents et marée avant d’avouer qu’il s’est trompé de chemin et de s’abandonner au courant qui le ramène au point de départ. Le travail que j’avais à faire me déplaisait : je l’avais senti dès la première semaine. La chose en elle-même n’avait rien d’attrayant : copier des lettres d’affaires et les traduire formait une besogne assez aride ; mais, si tous mes ennuis s’étaient bornés à cette tâche fastidieuse, je les aurais supportés sans m’en plaindre. Je suis patient de ma nature ; et, soutenu par le double désir de gagner ma vie et de justifier à mes yeux et à ceux des autres la résolution que j’avais prise, j’aurais subi en silence les tortures que m’imposaient la rouille et les crampes de mes facultés les plus précieuses ; je ne me serais pas même dit tout bas que j’aspirais à la liberté ; j’aurais étouffé les soupirs que m’arrachaient la fumée, les miasmes, la vie monotone et tumultueuse de Bigben-Close, le besoin de respirer un air pur et de voir des arbres et des fleurs. J’aurais placé l’image du devoir, le fétiche de la persévérance, dans la petite chambre que j’occupais chez mistress King ; j’en aurais fait mes dieux lares, et je n’aurais pas permis à l’imagination, cette favorite qui avait tout mon amour, de m’arracher à leur culte. Mais ce n’était rien que d’avoir à faire une besogne ennuyeuse : l’antipathie qui existait entre mon patron et moi poussait chaque jour des racines plus profondes et m’entourait d’un nuage si épais que je ne voyais plus le moindre rayon de soleil ; je souffrais comme une plante qui croît à l’ombre humide et visqueuse de l’intérieur d’un puits.

Le sentiment qu’éprouvait Édouard à mon égard ne peut s’exprimer que par le mot antipathie ; un sentiment involontaire, et que développait tout ce qui venait de moi, un geste ou un regard, quelle que fût leur insignifiance. Mon accent méridional l’impatientait ; il s’irritait de l’éducation dont témoignait mon langage ; mon exactitude, mon travail et ma conduite irréprochables ajoutaient à son inimitié la saveur poignante de l’envie. Il craignait que je n’en vinsse un jour à trop bien réussir ; il m’aurait moins détesté, s’il m’avait cru son inférieur ; mais il supposait que je cachais sous mon silence des trésors intellectuels dont il était privé. Il m’aurait pardonné beaucoup de choses, s’il avait pu me mettre une seule fois dans une position ridicule ou mortifiante ; mais j’étais protégé par un esprit observateur, du tact, de la prudence ; et, quelle que fût la malignité d’Édouard, il ne réussit pas à tromper les yeux de lynx de ces gardiens vigilants. Sans cesse au guet, il espérait toujours que l’un ou l’autre finirait par se fatiguer et que sa malice pourrait enfin se glisser jusqu’à moi pendant qu’ils dormiraient ; mais le tact ne sommeille pas lorsqu’il est naturel.

Je venais de recevoir le premier terme de mes appointements et je rentrais chez moi, jouissant en secret de la pensée que le maître qui m’avait payé regrettait chaque penny de ce salaire si péniblement gagné (depuis longtemps j’avais cessé de regarder M. Crimsworth comme un frère ; il n’était pour moi qu’un tyran sans pitié, et ne cherchait pas à le cacher). Des pensées peu variées, mais vivaces, occupaient mon esprit ; deux voix s’élevaient dans mon âme et répétaient sans cesse les mêmes paroles : « C’est une vie intolérable, disait l’une. « Que faire pour la changer ? » répondait l’autre. Je marchais très-vite, nous étions au mois de janvier, et il faisait horriblement froid. Je venais d’entrer dans la rue que j’habitais, lorsque l’idée me vint tout à coup de me demander si mon feu serait allumé ; je levai les yeux vers les fenêtres de ma chambre : pas la moindre lueur n’en rougissait les vitres.

« Cette abominable servante l’a encore oublié, pensai-je, elle n’en fait jamais d’autres. » Et, peu attiré par les cendres froides que je trouverais en rentrant, je continuai ma promenade.

Il faisait une belle nuit ; les rues étaient sèches, la lune montrait son croissant près de la tour de l’église, et des millions d’étoiles scintillaient vivement sur tous les points du ciel. Je dirigeai mes pas du côté de la campagne sans en avoir conscience ; arrivé dans Grove-Street, je ressentais un vif plaisir en distinguant dans l’ombre la silhouette des arbres qui se trouvaient à l’extrémité de la rue, quand une personne, appuyée sur la grille de l’un des petits jardins qui précèdent les jolies maisons de ce faubourg, m’adressa la parole d’un ton vif et enjoué.

« Où diable courez-vous donc ainsi ? Loth n’a pas quitté Sodome avec plus de précipitation, au moment où le feu du ciel brûla cette ville maudite. »

Je m’arrêtai pour voir quel était l’individu qui m’adressait la parole : je sentis l’odeur d’un cigare et j’en aperçus l’étincelle ; un homme se penchait de mon côté, et sa grande taille se dessinait vaguement au milieu de la nuit étoilée.

« Quant à moi, je viens méditer au désert, reprit cette ombre. C’est une froide besogne, par le temps qu’il fait ; surtout quand, au lieu de Rébecca perchée sur la bosse d’un chameau, bracelets aux bras et bague au nez, le destin ne vous envoie qu’un simple commis enveloppé dans son tweed.

« Bonsoir, monsieur Hunsden, m’écriai-je, en reconnaissant l’individu à qui j’avais affaire.

— Enfin ! vous seriez pourtant passé devant moi sans me rien dire, si je n’avais pas eu la politesse de vous parler le premier.

— Je ne vous reconnaissais pas.

— Belle excuse, en vérité ! Vous auriez dû me reconnaître : je vous ai bien reconnu, moi, en dépit de votre course à toute vapeur. La police est-elle à vos trousses ?

— Je ne suis pas digne de sa colère, et je n’ai pas assez d’importance pour éveiller son attention.

— Bon Dieu ! quel motif de regret avez-vous, pour me répondre de cette voix lamentable ? Mais si ce n’est pas la police que vous fuyez si vite, est-ce le diable ?

— Je vais à lui, au contraire ; et bon train, comme vous voyez.

— Dans ce cas, vous avez de la chance ; c’est aujourd’hui mardi ; les charrettes et les gigs reviennent du marché par vingtaines, s’en allant à Dinneford, où il se trouve au moins toujours quelqu’un des siens. Ainsi donc, si vous voulez entrer et vous asseoir une demi-heure dans mon logis de garçon, vous pourrez le saisir au passage, sans vous donner grand’peine ; je crois néanmoins que vous ferez mieux de ne pas vous occuper de lui ce soir : il a tant de pratiques à servir tous les jours de marché ! Entrez cependant à tout hasard. »

Et il ouvrit la porte en disant ces paroles.

« Le souhaitez-vous ? lui demandai-je ; faut-il que j’entre, vraiment ?

— Faites ce qui vous plaira ; je suis seul, j’aurai du plaisir à causer avec vous pendant une heure ou deux ; mais si cela vous contrarie de m’accorder cette faveur, je n’insisterai point, je déteste importuner les gens. »

Il me convenait d’accepter cette invitation, et je suivis M. Hunsden, qui, après avoir traversé le jardin, me fit entrer dans un corridor qui conduisait à son parloir. Il me désigna un fauteuil qui était au coin du feu ; je m’y installai, et je promenai mon regard autour de la chambre où il m’avait introduit.

C’était une petite pièce à la fois élégante et confortable. Un bon feu remplissait la cheminée : un vrai feu des comtés du Nord, clair et bien nourri, ne ressemblant en rien à ces brasiers sordides du midi de l’Angleterre, où quelques morceaux de charbon pâlissent dans le coin d’une grille ; une lampe couverte d’un abat-jour et posée sur la table répandait une lumière égale et douce ; l’ameublement, y compris un divan et deux excellents fauteuils, était luxueux pour un jeune célibataire ; deux corps de bibliothèque garnissaient chaque côté de la cheminée, et les livres s’y trouvaient rangés dans un ordre parfait. La propreté scrupuleuse de cette pièce répondait à mes goûts : j’ai le désordre et la saleté en horreur ; j’en conclus que M. Hunsden partageait mes sentiments à cet égard. Tandis qu’il prenait sur la table quelques brochures périodiques pour les mettre à leur place, je jetai les yeux sur les tablettes qui se trouvaient à côté de moi ; les ouvrages français et allemands y étaient en plus grand nombre que les livres anglais ; j’y remarquai les anciens auteurs dramatiques qui ont illustré la France, et la plupart des écrivains modernes : Thiers, Villemain, Paul de Kock, Georges Sand, Eugène Sue ; en allemand, Goethe, Schiller, Zschokke, Jean Paul ; en anglais, quelques ouvrages d’économie politique ; je n’en vis pas davantage, car M. Hunsden appela mon attention sur un autre sujet.

« Vous allez prendre quelque chose, me dit-il ; vous devez en avoir besoin après avoir couru je ne sais où, par cette nuit canadienne ; toutefois je ne vous servirai ni eau-de-vie, ni porto, ni xérès : je ne possède aucun de ces poisons-là ; mais vous pouvez choisir entre une bouteille de vin du Rhin et une tasse de café. »

J’étais encore, à ce sujet, du même avis que M. Hunsden ; de tous les usages adoptés généralement, l’un de ceux qui me sont le plus antipathiques, est l’habitude où l’on est de s’imbiber de spiritueux et de vins alcooliques ; néanmoins, son nectar acide et tudesque ne me séduisait pas non plus, et je demandai du café.

M. Hunsden parut évidemment satisfait de mon choix ; il s’attendait à me voir désappointé en apprenant qu’il ne possédait ni vin d’Espagne ni liqueurs, et il me regarda en face pour se convaincre de la sincérité de ma demande, et se persuader qu’elle n’était pas le résultat d’une politesse affectée. Je compris sa pensée et je lui répondis par un sourire ; il sonna ; un plateau fut apporté quelques instants après. Une grappe de raisin et une demi-pinte d’une boisson acidulée formaient son repas du soir ; quant à ma tasse de café, elle était excellente ; je lui en fis mon compliment, et je ne lui cachai pas l’espèce de frisson que me donnait son souper d’anachorète. Un de ces nuages auxquels j’ai fait allusion en décrivant sa personne éteignit son sourire et remplaça par un regard distrait, qui ne lui était pas ordinaire, la finesse et la gaieté railleuse de son coup d’œil habituel. Je ne l’avais jamais observé avec beaucoup d’attention ; j’ai d’ailleurs la vue basse, et il ne me restait dans la mémoire qu’une idée vague de son ensemble et de sa physionomie ; en l’examinant avec soin, je fus surpris de la délicatesse toute féminine de ses traits ; sa grande taille, ses longs cheveux bruns, sa voix et ses manières, m’avaient fait croire à quelque chose de puissant et de massif, et mon visage, qu’il trouvait efféminé, était cependant plus accentué que le sien ; il devait exister entre son moral et son physique de singuliers contrastes : peut-être y avait-il entre le corps et l’âme une lutte incessante, car je lui soupçonnais plus d’ambition et de volonté que de vigueur musculaire ; et là probablement se trouvait la cause de ces accès d’humeur noire qui éclipsaient tout à coup sa verve et sa gaieté. Il voulait, mais il ne pouvait pas ; et l’esprit athlétique regardait avec colère et mépris son fragile compagnon. Quant au charme plus ou moins réel de sa figure, j’aurais voulu connaître l’opinion d’une femme à cet égard ; il me semblait devoir produire sur le beau sexe le même effet qu’un visage piquant et sans beauté a parfois sur les hommes ; ses longs cheveux, rejetés en arrière, laissaient voir un front blanc et suffisamment élevé ; la fraîcheur de ses joues avait quelque chose de fébrile, et ses traits, que le pinceau eût reproduits avec avantage, auraient été plus qu’insignifiants pour un statuaire ; changeant sans cesse, leur expression mobile leur faisait subir à chaque instant d’étranges métamorphoses, et lui donnait tantôt la physionomie d’un taureau soucieux, tantôt celle d’une jeune fille pleine de malice ; parfois même ces deux aspects se confondaient sur son visage, et y formaient un singulier ensemble.

« William, reprit-il en rompant le silence tout à coup, c’est une folie de rester chez mistress King, dans une horrible maison, lorsque vous pouvez prendre un logement dans Grove-Street et y avoir un jardin.

— Ce serait trop loin de mon bureau.

— Tant mieux ; cela vous obligerait à vous promener deux ou trois fois par jour et ce serait un grand bien ; êtes-vous tellement fossilisé que vous ne ressentiez jamais le désir de voir une feuille ou une fleur ?

— Je ne suis pas du tout un fossile.

— Qu’êtes-vous alors ? Vous restez du matin au soir, dans le bureau de Crimsworth, à gratter du papier, sans plus bouger qu’un automate ; ne demandant pas un jour de congé, ne prenant pas un plaisir ; toujours seul, oubliant qu’il existe de joyeux compagnons et ne sachant pas même boire.

— Et vous, monsieur Hunsden ?

— Je suis dans une position toute différente de la vôtre ; c’est une sottise que de vouloir comparer votre situation à la mienne ; et je maintiens mon dire : un homme qui endure patiemment ce qui devrait être insupportable, n’est qu’un fossile et rien de plus.

— Qui vous a dit que je souffrais avec patience ?

— Vous supposez donc que vous êtes un mystère ? L’autre soir vous vous étonniez de ce que je savais à quelle famille vous appartenez ; aujourd’hui vous vous émerveillez de ce que votre patience m’est connue. Quel usage pensez-vous donc que je fasse de mes yeux et de mes oreilles ? Je me suis trouvé plus d’une fois dans votre bureau, au moment où Crimsworth vous traitait comme un chien ; par exemple, il vous demandait un livre, et, si vous vous trompiez de volume, il vous le jetait à la face ; il vous faisait ouvrir et fermer la porte comme si vous eussiez été son valet ; je ne dis rien de votre position chez lui, au bal qu’il a donné, où vous n’avez eu ni place ni danseuse, où vous erriez comme un pauvre subalterne sans savoir sur quel pied vous poser ; et avec quelle patience vous supportez tout cela !

— Concluez, monsieur Hunsden.

— La conclusion à tirer dépend de votre caractère, et de la nature des motifs qui dirigent votre conduite. Si votre patience a pour but de plaire à Crimsworth et d’améliorer votre position, vous êtes à la fois sage et prudent, mais ce qu’on appelle un mercenaire ; si vous croyez de votre devoir de plier sous l’insulte, et de répondre à l’injure par la résignation, vous êtes un pauvre diable qui n’avez rien d’un homme et ce n’est pas vous que je cherche ; si vous endurez tout cela parce que vous êtes flegmatique, insensible, trop mou pour résister, Dieu vous a fait alors pour qu’on vous écrasât ; couchez-vous donc, ne bougez pas, et laissez-vous broyer par le char de Jaggernaut. »

Comme on le voit, l’éloquence de M. Hunsden était loin d’être mielleuse ; ses paroles me déplurent : je crus reconnaître en lui un de ces individus qui, sensibles eux-mêmes, sont souvent impitoyables pour la sensibilité des autres ; d’ailleurs, bien qu’il ne ressemblât ni à Crimsworth ni à lord Tynedale, je ne l’en soupçonnai pas moins d’avoir l’esprit dominateur à sa manière. Il y avait dans ses reproches un certain despotisme qui visait à pousser l’opprimé à la révolte, et, en le regardant de plus près, je vis dans son regard et dans sa pose la détermination bien arrêtée de s’arroger une liberté sans limites qui devait souvent empiéter sur celle de ses voisins ; je ne pus m’empêcher de rire de cette inconséquence ; et mon officieux ami, qui s’attendait à me voir écouter ses paroles amères tout au moins avec calme, s’irrita de mon sourire.

« Vous êtes un aristocrate, je vous l’ai déjà dit, reprit-il, le front assombri et les narines dilatées ; quel rire et quel regard que le vôtre ! froidement railleur, indolent et mutin ; une ironie, une insolence toute patricienne ; vous auriez été un parfait gentilhomme ! Quel dommage que la fortune ait déjoué la nature ! regardez vos traits, votre taille, vos mains elles-mêmes ; partout le cachet de la distinction difforme. Si vous aviez hérité d’un manoir, d’un domaine et d’un titre, comme vous auriez maintenu vos droits, soutenu les privilèges de votre caste, élevé vos tenanciers dans le respect du peerage ! comme vous vous seriez opposé aux progrès, à l’avancement du peuple ! et que vous auriez bien défendu les bases pourries et croulantes de l’ordre nobiliaire, eût-il fallu pour cela marcher jusqu’au genou dans le sang des roturiers ! mais vous êtes sans pouvoir, échoué sur la grève du commerce, obligé de lutter avec des hommes qui vous écraseront toujours, car vous ne serez jamais un habile négociant. »

La première partie du discours de Hunsden ne me produisit aucune impression : je m’étonnai seulement de voir combien le préjugé faussait le jugement qu’il portait sur mon caractère ; mais sa dernière phrase me porta un coup d’autant plus vif qu’elle exprimait la vérité ; et, si je souriais actuellement, c’était de dédain pour moi-même.

Hunsden vit l’avantage qu’il venait de remporter, et continua sur le même ton :

« Vous n’arriverez jamais à rien dans le commerce, dit-il, à rien de plus qu’au pain sec et à l’eau claire qui vous font vivre aujourd’hui ; la seule chance que vous ayez de vous créer une position, c’est d’épouser une veuve ayant de la fortune, ou d’enlever une héritière.

— Je laisse la pratique de ces moyens à ceux qui les imaginent, répondis-je en me levant.

— Et c’est une faible chance, ajouta-t-il froidement. Vous ne trouveriez pas la veuve, encore moins l’héritière. Vous n’êtes pas assez séduisant pour réussir dans le premier cas, pas assez audacieux pour l’emporter dans le second. Peut-être comptez-vous sur votre distinction et sur votre intelligence ; portez votre air intelligent et distingué sur la place, et dites-moi ensuite à quel prix on l’a coté. »

Il était évident que M. Hunsden resterait toute la soirée au même diapason ; et, détestant la discordance dont j’avais déjà trop à souffrir tant que durait la journée, je pensai que le silence et la solitude étaient préférables à une conversation grinçante, et je souhaitai le bonsoir à mon interlocuteur.

« Est-ce que vous partez ? me dit-il ; bonsoir alors ; vous saurez bien trouver la porte. » Et il resta tranquillement auprès du feu tandis que je quittais sa maison.

J’avais une longue course à faire pour retourner chez moi ; je m’aperçus bientôt que je marchais d’un pas rapide, que je respirais avec effort et que mes ongles s’enfonçaient dans la paume de mes mains ; je ralentis mon pas et je desserrai les poings ; mais il me fut moins facile de calmer les regrets qui assaillaient mon esprit. « Pourquoi suis-je entré dans le commerce ? Pourquoi ai-je accepté ce soir l’invitation d’Hunsden ? Pourquoi demain, au point du jour, retournerai-je à mes galères ? » Je me fis ces questions toute la nuit, et toute la nuit j’attendis la réponse. Je ne pus dormir ; j’avais la tête en feu, les pieds glacés ; enfin les cloches des manufactures s’ébranlèrent, et je sautai du lit en même temps que mes compagnons d’esclavage.